L'Illustration, No. 0046, 13 Janvier 1844.No. 46. Vol. II.-SAMEDI 13 JANVIER 1844.Bureaux, rue de Seine, 33.Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. Prix dechaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pourl'Étranger.          -- 10       --   20       --  40Portrait de M. Mathieu de Dombasle,décédé le 27 décembre 1843.SOMMAIRE.Mathieu de Dombasle.Portrait.--Courrier de Paris.--Histoire de la Semaine.Découverte du Cœur de saint Louis, à la Sainte-Chapelle.--Ouverture des Cours du collège de France et de la Sorbonne.Salle des Cours au collège de France; Portraits de M. Michelet et de M. Edgar Quinet.--Les Enfants Trouvés.Une gravure.--Chronique musicale. L'Esclave du Camoens; Anna Bolena; Rentrée de Lablache; M. Ronconi; les Concerts; Nouvelles publications.--Les Petites Industries en plein vent.Onze Gravures.--Les Caprices du Cœur, nouvelle, par Marc Fournier. (Suite.)Une gravure.--Inventions nouvelles. Système de chemins de fer de M. de Jouffroy.Quatre Gravures.--De la prochaine inauguration du monument de Molière.Trois gravures; fac-similé des signatures de Molière et de sa troupe.--Bulletin bibliographique. --Annonces. --Modes.Trois Gravures.--Amusements des Sciences.Deux Gravures. --Rébus.Mathieu de Dombasle.Christophe-Joseph-Alexandre Mathieu de Dombasle, né à Nanci, le 26 février 1777, vient d'y mourir le 27 décembre 1843, C'est l'homme auquel l'agriculture française est redevable de ses plus grands progrès. La richesse agricole de la Flandre et de quelques autres contrées, comparée au triste état de notre culture dans presque tous nos départements du centre, de l'ouest et du midi, avait inspiré à M. de Dombasle la profonde conviction que, de toutes les industries, l'agriculture est celle où il y a le plus à faire en France pour la prospérité du pays et pour le bien des particulier qui s'y livreront. M. de Dombasle n'a pas seulement consacré à cette pensée des talents supérieurs, un mérite d'écrivain qui, dans toutes les carrières, l'auraient placé au premier rang; il s'est fait l'homme du progrès agricole, il s'est dévoué à cette œuvre. avec une foi ardente et une complète abnégation. Le résultat personnel fut, pour M. de Dombasle, une lutte contre des obstacles sans cesse renaissants, des revers de fortune, et de cruelles blessures dans ses plus chères affections; mais M. de Dombasle a réussi dans les autres: le succès des cultivateurs que ses leçons et son exemple ont formés, l'impulsion donnée à l'industrie agricole de la France, voilà , le succès et la récompense de M. de Dombasle, car c'est le résultat qu'il ambitionnait par-dessus tout.Avant M. Mathieu de Dombasle, nous avions de savants agronomes, d'habiles fermiers, des propriétaires éclairés, marchant dans la voie du progrès; toutefois, leurs efforts étaient isolés, sans imitateurs; les entreprises agricoles restaient l'objet de la méfiance et du discrédit; et tandis que la jeunesse assiégeait en foule l'entrée de toutes les autres professions, personne ne venait à songer que la culture du sol offrait la carrière la plus indépendante et la plus assurée. Les écrits de M. de Dombasle ouvrirent les yeux du public sur cette fâcheuse erreur; cependant il ne suffisait pas de répandre des idées plus saines, il fallait mettre l'instruction agricole à la portée des jeunes gens chez lesquels il avait fait naître le désir de se livrer à l'agriculture. En France, où les quatre cinquièmes du la population se composent de cultivateurs, il n'existait aucun établissement destiné à l'enseignement théorique ou pratique de l'agriculture. Cette lacune, M. de Dombasle entreprit de la combler. Privé, par les événements de 1814, d'une belle fortune acquise dans la fabrication du sucre de betteraves, sans moyens pécuniaires, sans le secours du gouvernement, ni d'aucun patronage puissant, M. de Dombasle fonda la première ferme-modèle et le premier institut agricole qui aient existé en France, Plusieurs propriétaires de Nanci, en tête desquels figurait l'illustre général Drouot, lui fournirent le capital nécessaire, à des conditions désintéressées, et s'associèrent ainsi à l'honneur d'une entreprise qu'ils savaient ne devoir tourner qu'au profit du pays. C est avec le modique capital de 60,000 fr., confié à ses talents et à sa réputation de probité, que M. de Dombasle: loua la ferme de Roville, pour s'y livrer à l'enseignement et à l'application des méthodes perfectionnées.Bientôt M. de Dombasle fut entouré d'un petit nombre d'élèves attirés par le charme d'une profession dont l'étude se faisait au grand soleil. Ces jeunes gens, qui n'étaient venus chercher à Roville qu'une instruction professionnelle, y subissaient, par la force des choses, une modification importante dans leur manière d'apprécier les positions sociales. Par cela même qu'ils étaient étudiants cultivateurs, il ne leur était plus possible de mesurer leur considération à l'habit, car eux-mêmes avaient revêtu la blouse; il ne leur était plus possible de croire que le travail manuel dérogeait, car, témoins continuels des travaux agricoles, ils arrivaient bientôt à y mettre la main. Ainsi, le courant qui avait poussé la jeunesse à fuir ou à quitter la profession agricole pour embrasser les professions dites libérales, ou les fonctions publiques, fut changé: pour la première fois une influence contraire se manifesta, et des jeunes gens quittèrent l'école de Droit et les habitudes de la ville pour se livrer aux travaux des champs.Tandis que M. de Dombasle modifiait aussi heureusement la tendance de l'esprit public, il introduisait une réforme matérielle d'un haut intérêt. Dans un grand nombre de départements, les labours s'exécutaient et s'exécutaient encore avec une charrue défectueuse, qui n'opère qu'un labour imparfait, au moyen de six ou huit bêtes de trait conduites par plusieurs hommes; il est évident qu'aucune culture ne peut être profitable avec un mode aussi dispendieux de labourer la terre. M. de Dombasle, par ses écrits et son exemple, propagea l'adoption de la charrue flamande, modifiée dans quelques-unes de ses parties; et désormais l'abandon de la charrue ruineuse dont nous venons de parler n'est plus qu'une question de temps, car il n'est pas de canton où, grâce à M. de Dombasle, une charrue perfectionnée n'ait été introduite, et il est impossible que la comparaison des deux instruments ne détermine pas l'adoption de ce qui fait évidemment mieux et à meilleur marché.Si M. de Dombasle, en fondant l'établissement de Roville, n'avait eu en vue que son avantage personnel, il n'aurait pus été plus loin. Ses écrits lui avaient mérité une réputation européenne(1); son Institut agricole et sa fabrique d'instrument aratoires offraient des bénéfices, et la ferme de Roville, conduite avec l'intelligence et l'ordre d'un homme comme M. de Dombasle, ne pouvait être onéreuse en la cultivant du point de vue industriel. Mais le but de M. de Dombasle était, moins de faire de l'industrie personnelle que de faire de la science pour ouvrir des voies plus larges à l'industrie et à la prospérité publiques. Sous cette inspiration, M. de. Dombasle devait s'attacher à résoudre le problème de la suppression de la jachère, question qui intéresse à un si haut degré l'avenir de notre agriculture. Les plantes sarclées, qui remplacent la jachère en préparant le sol à recevoir des céréales, et qui, pour la plupart, contribuent à l'augmentation des engrais, par l'abondante nourriture qu'elles fournissent aux bestiaux, sont une condition nécessaire pour arriver à la suppression ou du moins il la notable réduction de la jachère. Toutefois, les plantes sarclées, comme toutes les autres récoltes, ne peuvent être cultivées qu'autant que le cultivateur trouve à vendre leurs produits. Placé dans une localité où aucune industrie étrangère n'offrait un débouché à ses récoltes sarclées, M. de Dombasle créa sur la ferme de Roville une industrie accessoire pour tirer parti de ses récoltes. Il établit une distillerie, puis une féculerie de pommes de terre; entreprises qui toutes deux entraînèrent des pertes très-sensibles à raison du faible capital sur lequel reposait l'établissement de Roville. Ces pertes sont à déplorer, puisqu'elles furent sans doute pénibles à M. de Dombasle; mais elles ont contribué à rendre son enseignement plus complet et à faire ressortir son dévouement à la mission qu'il s'était imposée.Note 1: Tous les ouvrages de M. de Dombasle se trouvent à la librairie de madame Bouchard-Huzard, à Paris, rue de l'Éperon, 7, notamment: leCalendrier du bon Cultivateur, Théories de la charrue,etc.Quoi de plus propre à pénétrer les cultivateurs du principe qui doit leur servir de guide, que l'ensemble de la carrière agricole fournie par M. de Dombasle? Un homme de mérite hors ligne, après avoir consacre des années à étudier la culture des pays les mieux cultivés de l'Europe, s'applique à introduire dans la ferme qu'il exploite les méthodes perfectionnées qu'il a observées; il pèse toutes les circonstances dans lesquelles les améliorations qu'il médite doivent être introduites; il entre dans la voie nouvelle, guidé par une grande expérience et un jugement sûr; cependant il échoue. Au lieu de se décourager, il se livre à de nouvelles recherches, reconnaît la cause de son échec, recommence avec certitude et cette fois il échoue encore. Quelle démonstration plus complète de cette vérité, qu'en agriculture le raisonnement, l'induction et la démonstration même, que la science, en un mot, ne doit autoriser que des essais, et que les faits positifs, constants, répétés ont seuls une autorité suffisante pour déterminer l'application sur une grande échelle.Du reste, personne n'était plus convaincu de cette vérité que M. de Dombasle; c'était celle qu'il s'appliquait surtout à faire entrer dans l'esprit de ses élèves au moment ou ils venaient prendre congé de lui et de recevoir ses derniers conseils. «Gardez-vous, leur disait-il, de changer brusquement sur votre ferme la méthode de culture suivie dans le canton où vous allez vous fixer. Si la charrue est défectueuse, d'un usage ruineux, n'hésitez pas à la changer: n'hésitez pas non plus à multiplier les prairies artificielles. Quant aux races de bestiaux, voyez si celles de la localité ne peuvent pas être améliorées; et si vous vous décidez à en introduire de nouvelles, ne le faites pas avant d'avoir obtenu largement sur votre exploitation les moyens de nourriture qu'elles réclament. Quand aux cultures nouvelles à introduire, prenez en considération le sol, le climat, la main d'œuvre, la facilité de vendre les produits. Quant à la jachère, ne vous pressez pas de la supprimer: dans les pays où une portion du sol est laissée en jachère, le prix est en raison de cette circonstance; louez ou achetez en conséquence, et en appliquant à ce sol une meilleure charrue, en y semant des prairies artificielles, vous êtes certains de faire mieux que les autres; mais si vous tentiez de suite de supprimer la jachère, vous vous exposeriez à des risques qu'il n'est pas sage de courir au début d'une exploitation rurale. Attendez d'avoir réussi dans votre premier établissement, puis alors vous entreprendrez une réforme plus large avec bien moins de dangers, avec bien plus d'expérience et de ressources.»Si M. de Dombasle était plus hardi pour lui que pour les autres, c'est que pour lui la France était le domaine et sa ferme-modèle le champ d'essai; c'est que le poste qu'il avait choisi était une position d'avant-garde. Pour lui, le danger n'était pas dans son préjudice personnel, mais dans le préjudice public.Un si grand zèle pour la science à laquelle il ne se dévouait avec tant d'abnégation que parce qu'il la savait intimement liée à la prospérité de la France, touche au sentiment qui animait d'Assas et Beaurepaire, se sacrifiant au salut ou à l'honneur de tous; il faut reconnaître là une véritable grandeur, qui fait de l'existence de M. de Dombasle une des vies les plus recommandables de notre époque, et qui lui assure d'être compté au nombre des plus utiles réformateurs et des plus sincères bienfaiteurs de son pays.La bataille de l'adresse est commencée: c'est la Chambre des Pairs qui a lancé la première mitraille; mais on sait que les luttes ne sont ni longues ni ardentes sur ce terrain aristocratique; on provoque avec courtoisie; on riposte avec précaution, et les différentes opinions rengainent promptement, après un semblant d'estoc et de taille. Trois ou quatre discours suffisent pour donner aux adversaires l'envie de plier lus tentes et de clore la campagne. Ainsi l'adresse a été votée en une séance. Nous sommes loin de blâmer leurs seigneuries de cette concision; bien au contraire, les économies de paroles, à notre avis, sont autant de gagné pour les affaires.Le voyage de Belgrave-Square a un peu échauffé la matière. M. le ministre des affaires étrangères s'est fort enflammé; il n'a trouvé, au reste, de contradicteur un peu vif que M. le marquis de Boissy, dont c'est la coutume. M. Guizot a particulièrement appuyé sur ce fait, que le gouvernement anglais avait vu avec déplaisir les scènes de Belgrave-Square, mais qu'il n'avait pu les empêcher; il s'est félicité d'ailleurs de l'indifférence que S. M. Victoria a montrée pour M. le duc de Bordeaux, qu'elle n'a ni reçu ni voulu voir. «Je le crois bien, a dit à son voisin un noble pair, M. le duc de ***. qui mène de front la politique et le calembour, la reine d'Angleterre était allée à Eu, elle ne pouvait venir à lui.»La Chambre des Députés a aussi son adresse, mais elle est moins expéditive que la Chambre des Pairs, sa sœur aînée. Le morceau d'éloquence s'élabore lentement; il ne lui faut pas ordinairement moins de huit ou dix jours pour se mettre d'aplomb sur ses adjectifs et ses périodes; après quoi il s'aventure entre le côté gauche, la droite et le centre, qui le saisissent au passage, l'examinent, le dissèquent et lui coupent quelquefois le nez, le bras ou la jambe, si bien qu'il sort rarement de la discussion comme il y est entre. Cette espèce d'opération chirurgicale exige à son tour une semaine; ainsi la Chambre dépense à peu près un mois à ce laborieux accouchement. En un mois. Napoléon allait à Vienne, et nos honorables préparent à grand peine un discours: ce n'est pas le cas du duc, comme Alceste, que le temps ne fait rien à l'affaire.On s'aperçoit que la présence des deux Chambre au bruit qui se fait dans la partie de la rive droite et de la rive gauche voisine des ministères et du palais des Tuileries: le nombre des piétons et des voitures y est visiblement augmenté; ce sont MM. les députés qui vont et viennent, traînant après eux la clientèle d'intérêts et de solliciteurs que la session attire; les chemins de fer, les croix d'honneur, les recettes particulières, les bureaux de tabac, les pensions, les bourses, la question des vins, la question des sucres, la question des bestiaux, tout cela court de droite et de gauche, d'un air affairé ou allumé. Cependant les ministres et les hommes politiques ont ouvert leurs salons comme autant de maisons de refuge. Le reliquat des réceptions du matin et des séances de la Chambre se vide dans les réceptions du soir; une affaire ébauchée la veille, on l'achève entre un bol de punch radical, une tasse de thé ministérielle, un verre d'eau sucrée tiers-parti. Les soirées les plus nombreuses se tiennent chez M. Guizot, le ministre influent, le grand ministre de France, comme l'appelle le mandarin Ky-Yong, qui vient d'entrer avec notre gouvernement en commerce d'amitié et de lettres, sur papier de Chine.M. Molé se distingue, en même temps que M. Guizot, par l'éclat et le nombre de ses réceptions politiques, son hôtel du faubourg Saint Honoré n'est pas moins fréquenté que l'hôtel du boulevard des Capucins. De cette façon, les deux rivaux continuent la lutte: M. Guizot occupe les affaires étrangères, et M. Molé tient à montrer à son successeur et à son adversaire qu'il ne reste pas étranger aux affaires. Aussi les hommes prévoyants, ceux qui, tout en s'attachant au présent, ont l'œil continuellement fixé sur la girouette de l'avenir, les grands politiques, en un mot, vont du boulevard des Capucines à l'hôtel du faubourg Saint-Honoré, et boivent du même coup le thé de M. Guizot et le thé de Molé, On ne saurait trop prendre de précautions pour sa soif.Il y a quinze jours, les Tuileries étaient ensevelies dans une profonde nuit; si vous passiez par là le soir, le vaste et noir palais vous apparaissait de loin comme un immense et sombre fantôme; aujourd'hui, tout y brille; les vitres resplendissent et jettent de toutes parts des feux qui scintillent dans les ténèbres. C'est encore la Chambre des Députés qui cause cette illumination; on lui fait accueil; ou lui prépare des gracieusetés et des fêtes. Le bon moyen d'attirer les papillons n'est-il pas d'allumer les bougies?Un autre salon a repris ses fêtes, mais ce n'est point l'ambition au regard enflammé, ni la sombre politique qui en sont les hôtes; le concierge a reçu l'ordre de ne pas leur tirer le cordon et de les arrêter sur le seuil: les arts aimables, au doux sourire, au regard limpide, aux mélodieux concerts, y entrent au contraire toutes portes ouvertes et en se donnant la main. Ce paradis des salons est celui de Mme la comtesse Merlin. Il y aurait de quoi cependant s'y mesurer en champ clos sur toutes les questions qui agitent le monde politique. Le monde politique, en effet, envoie ses plus célèbres champions dans ces réunions magnifiques et charmantes. L'Espagne, l'Italie, Vienne, Londres, Saint-Pétersbourg y comptent des ambassadeurs tout bardés de titres et de croix, et les hauts barons de la finance et de l'aristocratie parisienne s'y rencontrent avec les gentilshommes de la littérature; on pourrait y établir un congrès, une académie, une commission du budget. Mais si, par hasard, quelque budgétaire ou quelque diplomate forcené est tenté de prendre son voisin à partie et de le plonger dans les tristesses de la réalité, une note mélodieuse se faisant tout à coup entendre, le rappelle à l'ordre: c'est Grisi, ou Persiani, ou Mme la comtesse Merlin elle-même qui font taire de leur plus doux chants cette voix discordante de la politique et réduisent le monstre au silence; on n'a plus qu'à se laisser aller à ce courant d'harmonie, et à jouir des plaisirs et de la splendide variété de ces nuits spirituelles et brillantes de la rue de Bondi, qui n'ont pas d'égal pour l'état des noms et la grâce de l'hospitalité. Les vendredis de Mme la comtesse Merlin sont de vrais bijoux dans un magnifique écrin.Tandis que les riches et les heureux s'amusent, il est bon de songer aux pauvres: Paris y songe de temps en temps; de temps en temps n'est pas assez. Paris, cependant, n'est ni égoïste ni insensible, quoique souvent il en ait l'air. Le fond du cœur est bon, meilleur qu'il ne semble; mais voulez-vous que je vous le dise? Paris est comme ces hommes mondains entraînés de tous côtés dans le tourbillon des plaisirs: ils n'ont pas le temps de s'y reconnaître ni de penser à autrui, pour qu'ils fassent une bonne action, il faut, pour ainsi dire, qu'on les prenne au collet et qu'on les avertisse. Encore réussirez-vous difficilement à les convaincre, si sur cette action charitable, vous ne mettez, un plaisir, comme on met du miel sur du pain sec pour obliger les petits enfants à y mordre. Ainsi fait Paris: il vient volontiers au secours des pauvres et des exilés, pourvu qu'on donne à son humanité une prime d'amusement. Proposez-lui un avant-deux pour la Pologne, une valse pour les indigents, il tirera sa bourse de la meilleure grâce du monde; autrement, vous le trouverez froid et cadenassé. On dirait, à le voir ainsi, qu'il n'y a pas de vrais malheurs là où on ne danse pas. Les maires et les bureaux de charité, qui connaissent bien le fort et le faible de cette sensibilité parisienne, sont décidés, dit-on, à s'adresser, pendant l'hiver, à l'archet de Tolbecque et de Musard, pour arriver à émouvoir la bonne ville de Paris. On annonce douze bals au profit des pauvres des douze arrondissements. Paris ne peut manquer de s'attendrir... et de valser de tout son cœur.Puisque nous voici au chapitre de la danse, annonçons une nouvelle, mais annonçons-là avec ménagement, de peur de causer des émotions trop vives à l'orchestre et aux avant-scènes de l'Opéra; on dit, et avec plaisir, je me plais à le redire, on dit que nous allons enfin posséder la divine Cerillo, au pied léger. M. Léon Pitlet aurait contracté avec elle un engagement pour quinze représentations. M. Léon Pitlet était parti pour l'Italie, en quête d'un ténor: il reviendra avec une danseuse; la vie est pleine de ces surprises. Vous faites la chasse au renard, et vous tuez une biche; vous aimez une blonde, c'est une brune qui vous tombe entre les mains: vous courez après la gloire, et vous attrapez... rien.Les chances pour les ambitions académiques augmentent d'une manière effrayante: deux académiciens viennent de mourir, Casimir Delavigne et Campenon; deux ou trois autres sont mourants; avant un mois il y aura cinq ou six fauteuils vacants, l'embarras sera de les remplir; les candidats littéraires de quelque valeur finiront par manquer, et vous verrez que l'Académie Française sera obligée de se recruter dans le respectable corps des épiciers ou des marchands de porcelaine.--Un des académiciens alités; recevait dernièrement la visite d'un écrivain fameux, M. de Balzac, qui venait réclamer son vote pour la succession de Delavigne: «Mon cher ami, lui dit l'immortel en se soulevant avec peine sur son chevet, je ferai mieux que de vous donner ma voix, je vous donnerai ma place!Mademoiselle Rachel, fidèle à la tragédie classique, a fait cette semaine un nouvel emprunt à Racine: c'est la tendre et vertueuseBéréniceque mademoiselle Rachel a tirée, je ne dirai pas de l'oubli,--on n'oublie rien de ce qu'a fait Racine,--mais du long silence où cette touchante reine de Palestine était depuis longtemps abandonnée, Bérénice, qui avait arraché au siècle de Louis XIV autant de pleurs qu'Iphigénie en Aulide immolée, la sentimentale et chaste Bérénice n'a pas obtenu, en 1844, le même succès de larmes et d'attendrissement; on a plutôt sommeillé que pleuré,--que la grande ombre de Racine me pardonne!--Est-ce la faute de Racine? est-ce la faute de notre temps? est-ce la faute de Bérénice? Il faut en accuser un peu tout le monde: Racine d'abord, qui a écrit une délicieuse héroïde en vers charmants, et non une tragédie; puis l'époque actuelle, qui n'a plus le goût ni l'intelligence de ses délicatesses de style et de ses finesses du cœur; et enfin Bérénice, dont la passion est trop exquise et retenue pour un public habitué aux Marie Tudor, aux Marguerite de Bourgogne et aux Lucrèce Borgia. Auprès de telles gaillardes la belle reine semble pédante et prude. Que vous dirai-je?Béréniceest une sorte de thèse sentimentale qui a besoin d'être écoutée, par des jurés experts en galanterie; Versailles et Louis XIV étaient passés maîtres en cette matière, et s'attendrissaient naturellement à ce spectacle amoureux; aujourd'hui qu'on ne navigue plus sur le fleuve du Tendre, et que l'entrepôt de cigares a fait place aux cours d'amour, que peut faire Bérénice, même avec le talent de mademoiselle Rachel pour garant.Cette représentation classique ne donnera donc pas au Théâtre-Français de très-gros bénéfices; elle prouve seulement le zèle de MM. les comédiens ordinaires du roi et honore leur persévérante fidélité à la mémoire des vieux maîtres; mais la fidélité, on le sait, n'est pas toujours la spéculation la plus lucrative; le Théâtre-Français comprend très-bien le péril de ce dévouement pour le passé, dont le présent ne s'accommode pas toujours n'y trouvant pas une suffisante pâture; aussi s'est-il muni de provisions toutes fraîches pour soutenir la campagne d'hiver et ne pas mourir d'inanition, nous allons assister successivement à la naissance de quatre ou cinq ouvrages en cinq actes;le Ménage parisien, de M. Bayard ouvrira la marche dans quelques jours.Les autres théâtres imitent cette prévision et cette activité, de leur seigneur et maître: on fabrique des vaudevilles à force; les Variétés, le Gymnase, le Palais-Royal, font tourner les roues et les cylindres, et inonderont le mois de janvier et de février de marchandises; l'Académie Royale de Musique manipule un ballet en trois actes,le Caprice, et un opéra,la Fortune vient en dormant; à l'Opéra-Comique ou tient leCagliostrode M. Adam tout prêt, en attendantla Syrène, de MM. Auber et Scribe. On voit que la denrée dramatique ne manquera pas en 1844, et que le public n'est pas menacé de famine; maintenant quelle sera la valeur de toutes ces productions? quel goût auront-elles? seront-elles agréables ou maussades, spirituelles ou sottes, exquises ou insipides? C'est le secret de l'avenir; mais, de peur d'être pris au dépourvu, le parterre fera sagement de prendre ses précautions d'avance, et, tout en préparant ses mains aux bravos de mettre son sifflet dans sa poche.On vient d'arrêter en flagrant délit une fausse dame de charité: c'était une fine mouche qui descendait de voiture d'un pied leste, montait l'escalier des riches hôtels enveloppée dans le velours et la soie, et de l'air le plus honnête et le plus sentimental sollicitait la pitié des âmes chrétiennes pourses pauvres: vous devinez ce que devenait l'aumône? Les pauvres n'en touchaient rien, bien entendu, et la dame l'encaissait à son profit; examen fait de la délinquante, la justice a reconnu une ex-figurante d'un théâtre de la banlieue qui avait eu déjà plusieurs duels avec la justice.--«Que voulez-vous? a-t-elle répondu au commissaire de police, charité bien ordonnée commence par soi...»Le vénérable commissaire, peu convaincu de la vérité de cette maxime, en a référé au procureur du roi; et le système philosophique sur la charité aboutira probablement aux Madelonnettes à Saint-Lazare.Histoire de la Semaine.Arlequin, dictant une lettre à son secrétaire, commençait sa dictée par:Virgule. La Chambre des Députés fait comme Arlequin: ses travaux commencent par un long repos. Elle en est encore à cette première phase; mais le jour de la discussion de son adresse approche, et le calme fera place aux orages.Parmi les nouvelles extérieures, du reste assez peu abondantes, quelques-unes intéressent directement la France. Notre consul à Canton, M. le comte de Ratti-Menton, auquel un ordre de retour a été expédié dernièrement, par suite de son démêlé avec M. Dubois de Jancigny, a été reçu, le 6 septembre dernier, par le haut commissaire impérial de l'empereur de la Chine, décoré de sa ceinture jaune, signe distinctif de la parenté de ce fonctionnaire avec la famille impériale. La réception a été à la fois solennelle et affectueuse, et le haut commissaire impérial, ainsi que le vice-roi, ont adressé au consul de France et au commandant del'Alemenede nombreuses questions sur le roi des Français, sur la famille royale, et sur les relations actuelles de la France avec les autres puissances de l'Europe. Ils ont répondu à la demande pour la France des avantages accordés à l'Angleterre, que puisque le gouvernement chinois en avait agi avec la Grande-Bretagne, malgré les anciens et récents démêlés, d'une manière aussi généreuse, le gouvernement impérial ne croyait pas devoir se montrer moins amical à l'égard de la France, «cet État illustre et puissant de l'Océan occidental, dit la réponse écrite, qui a entretenu paisiblement et amicalement des rapports avec la Chine pendant plus de trois siècles, sans la plus légère contestation et sans effusion de sang.» La lettre officielle du gouvernement chinois à notre ministre des relations extérieures porte pour suscription: «A Son excellence M. Guizot, grand ministre de France, chargé du département des affaires étrangères.» Elle se termine par la recommandation suivante: «Telle est la réponse que nous avons l'honneur d'adresser à l'illustre. ministre de France, le priant, pour éviter toute confusion, d'employer les mêmes termes dont nous nous sommes servis pour exprimer ses titres et ses pouvoirs.» Il résulte de là que M. Guizot sera obligé de signer grand ministre, sans quoi sa réponse ne sera pas reçue.--Ce n'est pas toutefois sur cette singularité chinoise, et sur l'épreuve à laquelle elle met la modestie de nos hommes d'État, que s'exerce la raillerie assez peu gaie, quoi qu'elle fasse, de la presse anglaise. Elle se rit de la peine que prennent M. de Ratti-Menton et de Lagrénée de se déranger pour demander ce que l'Angleterre avait obtenu pour eux. Elle trouve tout aussi ridicule le déplacement de M. Cusing, envoyé dans le céleste empire par le gouvernement américain; enfin, suivant leTimes, tous ces diplomates retourneront dans leur pays pour se faire moquer d'eux de ne s'en être pas apparemment remis exclusivement de leurs intérêts au désintéressement britannique. Le roi de Danemark va à son tour s'attirer les mêmes moqueries; car il vient d'envoyer également à Canton le conseiller d'État Maglebye Hansen, gouverneur des possessions danoises aux Indes-Occidentales, pour donner une extension nouvelle aux relations commerciales qui existent entre le Danemark et la Chine. Nous sommes portés à croire que si l'empereur recevait moins bien nos ambassadeurs et ceux des autres puissances maritimes, si même il les faisait maltraiter, l'Angleterre en rirait moins haut peut-être, mais à coup sûr d'un rire plus franc.--On annonce, sans que les faits soient encore bien connus ni même bien constants, que l'Angleterre s'est emparée de la position de Diego-Suarez, la plus saine et la meilleure de l'île de Madagascar, sur laquelle la France a des droits dont le ministère de la marine et les Chambres ont plus d'une fois soutenu l'incontestabilité. En revanche, nous aurions pris possession de Mayotte, une des quatre îles qui composent le groupe des Comores, et cela par une concession volontaire de la part des indigènes, qui veulent échapper ainsi aux perpétuelles attaques des Malgaches. Le journal ministériel qui a annoncé cette nouvelle a ajouté que la rade et l'îlot de Ndraouzi assurent à Mayotte, déjà toute garnie de récifs par la nature, une des plus belles positions militaires et maritimes que la France puisse ambitionner sur la route de l'Inde et de la Chine. Fort bien, sans doute; mais pourquoi pas plutôt l'île de Madagascar?--Dans le courant de juillet dernier,l'Uranie, allant aux îles Marquises, a rencontré, dans la rade de Valparaiso,la Boussole, qui en revenait. Toute collision entre les Français et les naturels était apaisée; mais, à O'Taiti, les difficultés qui s'étaient élevées entre les Fiançais et le commodore anglais duraient encore.C'est après demain, 15 janvier, que s'ouvriront à Dublin les débats du procès fait à O'Connell et aux autres chefs de l'association du rappel. La liste du jury arrêtée dans les premiers jours de ce mois présente fort peu de choses de salut aux accusés. On y compte, dit-on, douze radicaux et rappeleurs et trente-six whigs et tories, O'Connell paraissait avoir prévu ce résultat des manœuvres quand il disait, ces jours derniers, à Cork: «Supposez le jury de Dublin composé d'hommes loyaux et impartiaux, et l'affaire ne durera pas plus de quarante-huit heures; si, au contraire, il se compose de bigots et d'hommes de parti, et cela est très-probable, parce que la partie se joue avec des dés pipés, le résultat est clair, je descendrai au cachot; mais ce ne seront ni les barreaux, ni les verrous de ma prison, qui diminueront ma sollicitude pour la patrie et mon amour pour l'Irlande. Au contraire, ces sentiments affectueux ne feront que croître, car il est dans la nature de l'homme d'aimer précisément les objets pour lesquels il endure la persécution.»--Le 5 de ce mois, la voiture de la reine d'Angleterre a versé près du village de Norton. Cet accident n'a pas eu de suites fâcheuses.Nous ne garantirons pas le même bonheur au char de l'État espagnol, que la reine Isabelle, ou plutôt le général Narvaez, nous paraissent engager chaque jour dans une voie plus périlleuse. On fait revivre la loi de 1840 sur les municipalités, loi qui a achevé de dépopulariser la reine Christine, et dont la promulgation a amené la crise qui l'a fait sortir d'Espagne. On espère sans doute que ce qui a si fatalement porté malheur à la mère consolidera la fille.--Pour le royaume de toutes les Espagnes, où les choses et les hommes vont et se conduisent si inexplicablement, cela peut être au fait un raisonnement comme un autre.--Une capitulation provisoire a été arrêtée le 30 décembre entre le baron de Meer et Ameller pour la reddition du fort de Figuières. Un aide-de-camp du capitaine-général est parti pour aller la faire approuver à Madrid. La suspension provisoire d'hostilités était de dix jours.Il y a peu d'entente en ce moment en Allemagne entre les sujets et leurs gouvernements. Une émeute vient d'éclater à Furth en Bavière. En Prusse les dispositions ne sont pas plus favorables. Jusqu'à présent on avait laissé aux journaux allemands assez de liberté sur les événements armés dans les pays étrangers, mais le cabinet prussien a pris à cet égard une résolution inattendue. Il vient d'être ordonné de ne plus donner de louanges à O'Connell. Plusieurs directeurs de journaux allemands avaient fait des arrangements pour être bien renseignés sur le procès qui va s'ouvrir à Dublin. Le gouvernement prussien se déclare contre les catholiques irlandais, par crainte de l'exemple qu'ils pourraient donner aux catholiques des provinces rhénanes.--Le roi de Hanovre poursuit sa tâche jusqu'aux conséquences les plus excessives. Par une ordonnance publiée, il y a quelques jours, il défend aux bibliothèques publiques et aux cabinets de lecture de tenir aucun livre s'il n'a été préalablement et de nouveau présenté à un censeur créé dans ce but. Les journaux littéraires de toute l'Allemagne seront également soumis à un censeur spécial. Il est défendu aux libraires de recueillir des souscriptions pour des livres populaires, bien que ces livres ne puissent paraître sans l'imprimaturdes censeurs. Le roi anglais n'aime guère la littérature allemande, et il est plus que probable que ses censeurs feront éloigner des bibliothèques toutes les œuvres de Schiller, Goethe, Jean Paul, Lessing, Herder, Sehnbart, Ulric von Hotten, enfin tous les écrits qui porteront la moindre teinte de liberté et de nationalité.Il règne à Athènes une grande agitation dans les esprits, et cette disposition a d'abord donné lieu à penser que le feu qui, le 19 décembre, a consumé en quelques heures l'hôtel des affaires étrangères, y avait été mis par la malveillance. Il est constant aujourd'hui qu'il a pris par hasard et que ce désastre ne se rattache pas par conséquent à la tentative criminelle d'incendie dont le palais de l'Assemblée nationale avait été lui-même l'objet dans la nuit du 11.Les temps maudits paraissent être arrivés pour la gent animale. Nous avons parlé, il y a peu de temps, de ces repas de viande de cheval auxquels se livrent en grand nombre et avec grand appétit des gastronomes allemands pour lesquels nos pauvres coursiers vont devenir de la chair à pâté. Aujourd'hui, voilà les rats qu'un acte de société menace d'une destruction beaucoup plus complète que celle qu'ont jamais entreprise.La nation des belettes,Non plus que celle des Chats.Une commandite vient de s'organiser pour cette grande œuvre. Voici un extrait de l'acte passé devant Me Baget, notaire à Nauphle-le-Château (Seine-et-Oise), le 17 décembre 1843, enregistré. «M. Charles-Adrien Paris, destructeur de rats, demeurant à Nauphle-le-Château, et M. Edmé Frégé, aussi destructeur de rats, demeurant à Paris, ont établi entre eux une société en nom collectif pour la destruction des rats et des souris, s'étendant à toute la France, La raison sociale est:Paris et Frégé, la durée est fixée à vingt ans, à compter du 17 décembre 1843. L'apport social est de 500,000 francs.» Ce n'est pas tout, et si M. le ministre des finances a pu récemment faire annoncer, par le discours de la couronne, que l'équilibre si désiré allait être rétabli dans nos limites, c'est, dit-on, aux dépens des chiens que ce problème, qui semblait et qui semble encore insoluble aux incrédules, aurait été trouvé. M. le ministre va, assure-t-on, au budget de 1844, proposer un impôt sur la race canine. Déjà , depuis longues années, plusieurs conseils généraux réclament à chaque session pour l'établissement de cette taxe. On se rendrait enfin à leurs instances, et le chien de l'aveugle, celui du berger et du garde-champêtre seraient seuls exempts. Les conseils de départements qui se sont occupés de cette question y ont vu non-seulement une source nouvelle du produits, mais aussi un moyen de rendre moins fréquents les cas d'hydrophobie; car cette maladie se manifeste le plus ordinairement chez les animaux errants et sans maître, ne trouvant et ne prenant qu'une nourriture insuffisante et insalubre. Or, comme il n'y aura plus que des chiens domiciliés et patentés, et que tous ceux qui ne seront pas en mesure de pouvoir représenter à la première réquisition leur quittance, du percepteur, pourront et devront même être abattus, les chances de rage se trouveront concentrées Entre les contribuables classe de chiens qui présentera des garanties. Une ordonnance du conseil provincial du Brabant, du 26 juillet 1837, a établi cet impôt dans une partie de la Belgique. Il est progressif d'après la race des quadrupèdes. Le lévrier paie 35 fr., ou, plus exactement, coûte 35 fr. par an à son maître; le chien de chasse, 5 fr.; le vulgaire de la race canine n'est imposé qu'à 2 fr.Les statisticiens n'ont pas perdu leur temps; ils viennent de s'exercer sur les bagnes. Ils y ont trouvé, au 1er janvier 1843, 7,309 forçats, ce qui donne sur le 1er janvier 1842 un progrès croissant de 401 galériens. C'est fort consolant. Ces messieurs se trouvent classés par professions, et nous y trouvons 5 ecclésiastiques, 7 fonctionnaires publics, 6 notaires; ils sont partages en célibataires, en hommes mariés et en veufs, et levox solide l'Évangile se trouve justifié: le garçon y domine; ils sont rangés par nature de crimes, et c'est avec douleur qu'on en voit 5 figurer avec l'annotation suivante:crime politique; ils sont répartis par départements, et celui de la Seine y figure pour le plus fort du tous les contingents (199), comme celui des Basses-Alpes pour le plus faible (23). Enfin, ils sont divisés par religions, et MM. les statisticiens, après avoir attribué au catholicisme, au luthérianisme, au calvinisme, au judaïsme, au culte anglican, à celui de Mahomet et à la secte anabaptiste, ce qui revient à chacun dans cet honorable troupeau, déclarent qu'ils oui trouvéneufforçats sans religion. Nous aurions cru, en vérité, qu'il y en avait un bien plus grand nombre.La mémoire du Casimir Delavigne reçoit de tous côtés l'hommage qui est dû au talent élevé et à l'honorable caractère de ce poète national. Son jeune fils sera élevé, aux frais de l'État, au collège de Henri IV, et sa veuve vient d'être inscrite pour une somme annuelle de 3,000 francs sur les Fonds de pensions et d'encouragements littéraires des ministères de l'intérieur et de l'instruction publique. Toutes les fois qu'on accorde une de ces pensions qui honorent en même temps et celui qui l'a méritée et le ministre qui a la justice de récompenser le mérite, un donne à ces mesures la plus large publicité. N'est-ce pas, comme on l'a déjà dit, faire le procès aux pensions que l'on tient secrètes, et reconnaître qu'il serait mieux de supprimer ce qu'on trouve bon de cacher?--Le conseil municipal du Havre, ville natale de Casimir Delavigne, a décidé qu'une souscription y serait ouverte pour lui élever une statue. Il a été arrêté en même temps que le nom du poète serait donné à un des quais de ce port.--Enfin les comédiens français, réunis en assemblée générale, ont décidé que son buste, exécuté par un de nos premiers artistes, serait placé dans le foyer public du la comédie.Les travaux de l'église de Saint-Denis seraient terminés depuis longtemps si l'on n'avait successivement à refaire toute la partie artistique de cette inintelligente restauration. Nous avons déjà eu à annoncer que le Comité Historique des Arts et Monuments avait obtenu tout récemment, par ses instances, que l'on enlevât les moustaches et la barbe en pierre que l'architecte restaurateur avait mise à une statue de Marie, qui occupe le tympan du grand portail. Aujourd'huil'Universréclame la rectification d'une erreur absolument différente, commise sur une autre statue de la même église. Dans la chapelle Saint-Eugène, sur le retable du quatorzième siècle qui domine l'autel, on voit Jésus crucifié entre sa mère et saint Jean l'évangéliste. On a fait de saint Jean, sainte Madeleine. Puisqu'on vient de faire droit à la réclamation relative à la vierge Marie convertie en homme, ou écoutera, il faut l'espérer, celle qui concerne un apôtre métamorphosé en femme. --Les archives et la bibliothèque de la ville de Cambrai ont déjà fourni aux Sulpiciens chargés de publier la dernière édition des œuvres de Fénelon des lettres et des documents inédits très-précieux; mais que communication récemment faite à la Commission historique du département du Nord annonce une correspondance volumineuse et inédite de cet auteur avec une princesse Albertine de Salin.Découverte du cœur de saint Louis,à la Sainte-Chapelle.La boîte trouvée dans le chœur sous l'ancien autel de la Sainte-Chapelle a cette semaine donné naissance à une polémique nouvelle à laquelle sont venus prendre part des combattants nouveaux. De tout cela la seule chose incontestable et la seule quel'Illustrationpuisse constater, c'est la découverte de la boîte. A qui a appartenu le cœur qu'elle renfermait? Là s'ouvre le champ des conjectures, et chacun de faire la sienne. Pour M. Letronne, il n'en veut pas mais, mais en revanche il ne veut pas admettre sans preuves celles que les autres font, et adorer sur parole, comme relique d'un saint, ce qui n'est peut-être que la cendre d'un mécréant. Ainsi M. le baron Taylor a beau dire: «Mais j'arrive de Montereale, où l'on m'a envoyé, et je n'y ai pas trouvé le cœur saint Louis: donc il était à la Sainte-Chapelle.» M. Letronne, un peu plus logicien, n'admet pas cette conclusion comme très-rigoureuse, et répond: «Monsieur le baron, si vous ne l'avez, pas trouvé à Montereale, cela prouverait tout au plus qu'il n'y est pas, et rien de plus.» «Mais, dit M. le comte Horace de Vieilcastel, si l'on nommait une commission pour aller chercher le cœur de saint Louis dans les anciens inventaires de l'abbaye de Poissy? Poissy n'est pas si loin que Montereale, et une commission raisonnera mieux que M, Taylor.» «M. le comte, répond M. Letronne, ne dérangez, personne; l'abbaye de Poissy n'a jamais possédé que le cœur de Philippe le Bel, avec cette inscription;C'y deden(dedans)est le cœur du roi Philippe, qui fonda cette église, qui trépassa à Fontainebleau, la veille de saint André, 1314.» M. Letronne rapporte à cette occasion l'embarras où se trouvèrent des archéologues, dignes ancêtres du plus d'un de nos prétendus antiquaires, qui découvrirent dans l'église d'Avon, près de Fontainebleau, une autre inscription qu'ils lurent ainsi;Ici gist le kœur de notre sire le roi de France et de Navarre, et le kœur de Jehanne, reine de France, et de Navarre, qui trépassa,etc. Voyez-vous ces messieurs avec deux cœurs de Philippe le Bel sur les bras? Mais ils ne s'étaient pas aperçus qu'au lieu dekœuril fallait lirekeux(queux); en sorte que la tombe était celle ducuisinierde Philippe le Bel et de la reine Jeanne, sa femme.Presque tous les journaux viennent d'annoncer que le conseil municipal a décidé que tous les anciens ouvrages, mémoires, manuscrits, registres, collections, et surtout leLivre des Métiers, de Boyleau, relatifs à l'histoire, aux mœurs, aux usages, aux coutumes de la ville de Paris, seraient réimprimés aux frais du budget municipal. Nous croyons que cette annonce est plutôt une proposition faite au conseil, qu'une décision enregistrée. S'il agrée la proposition, qui est bonne en elle-même, et qui est peut-être, sous ce rapport, préférable au proposant, que nous n'avons pas l'honneur de connaître, il fera bien de ne confier le travail qu'à un paléographe sérieux. Celui-ci se fera un devoir de lui épargner les frais des réimpressions qui pourraient être inutiles et de le prévenir notamment que le livre d'Étienne Boyleau a été réimprimé en 1837 dans laCollection des documents inédits sur Histoire de France. Il est vrai qu'il y porte le titre deRèglements sur les arts et métiers de Paris au treizième siècle, et si M. l'aspirant paléographe du la ville ne lit pas plus loin que le titre d'un volume, l'erreur s'explique d'elle-même.LePatriote jurassiena rapporté l'anecdote suivante: «Louis-Denis-Catherin Grosset, né à Dole, le 25 décembre 1750, ancien administrateur, ancien président du tribunal de Lure (Haute-Saône), mort à Crisey, le 22 août 1817, avait eu dans sa jeunesse un goût très-vif pour faire des armes; aussi avait-il la réputation d'un bretteur. Un jour qu'il était à Auxonne, il se prit de querelle avec Bonaparte, et se battit en duel avec lui. Lorsque Bonaparte fut arrivé au pouvoir, Grosset lui demanda un emploi. Sa requête contenait un singulier passage; «Si tu ne me connais pas, tu te rappelleras du jeune Dolois qui t'a donné un coup d'épée sur le rempart d'Auxonne.» Bonaparte, au lieu de se fâcher, fit droit à la requête de Grosset, et le nomma procureur impérial à Béfort.»Les deux fauteuils vacants de l'Académie Française sont toujours le point de mire d'une foule d'ambitions littéraires et autres. Casimir Delavigne avait eu pour prédécesseurs dans le sien Serizay, Pellisson, Fénelon, de Boze, Clermont, Du Belloy, Doras, Cambacérès et Ferrand. Quel sera son successeur? M. Vatout a, dit-on, ses raisons pour croire que ce ne sera ni M. Alfred de Vigny, ni M. Sainte-Beuve, ni aucun des concurrents de M. Saint-Marc-Girardin au fauteuil de M. Campenon.Nous n'avons qu'une mort à enregistrer, c'est celle de Maria Stella, cette femme qui se disait la véritable fille du due d'Orléans, père du roi, et prétendait avoir été changée, au moment de sa naissance, contre celui-ci, qui avait reçu le jour d'un geôlier d'une ville d'Italie. Maria Stella publiait de fréquents mémoires pour revendiquer la succession qu'elle disait lui appartenir, il est probable qu'elle eût volontiers transigé sur ses droits; mais elle sera peut-être morte sans que l'idée lui en soit venue.Ouverture des cours du Collège de France et de la Sorbonne.L'ouverture des cours du Collège de France et de la Sorbonne est, chaque année, un événement pour la population studieuse du quartier latin et pour tous les lettrés de Paris, et la rentrée des professeurs aimés du public est impatiemment attendue par la foule de leurs auditeurs. Cette année surtout cette impatience se faisait encore plus vivement sentir que d'ordinaire: d'une part, les débats de l'Université et d'une partie du Clergé ont donné aux noms de MM. Michelet et Quinet une popularité qui leur assure un nombreux auditoire; d'autre part, le livre remarquable récemment publié par M. Saint-Marc-Girardin devait inspirer à chacun de ceux qui l'avaient eu le désir d'entendre le spirituel professeur continuer, dans sa chaire, ce brillant volume, qui n'est encore, pour ainsi dire, que la première pierre de l'édifice.Collège de France--Salle des Cours.M. Michelet rentrait dans sa chaire avec un nouveau titre de plus: il venait de publier le septième volume de sonHistoire de France, monument encore inachevé, mais qui compte déjà parmi les plus beaux et les plus considérables de notre époque. Une triple salve d'applaudissements a accueilli l'illustre historien. M. Michelet continuera à traiter cette année le magnifique sujet qu'il a choisi, c'est-à -dire qu'il appliquera les principes de la philosophie de l'histoire, exposés dans les deux années précédentes, à l'histoire des trois derniers siècles. Sa première leçon a été une charmante conversation sur la conversation elle-même, une histoire ingénieuse et fine de la causerie française.M. Michelet.M. Quinet, retenu en Espagne par une mission officielle, est attendu vers la fin de janvier. Son intention, s'il faut en croire l'affiche des cours, est de suivre encore cette année une marche parallèle à celle de son illustre collègue, M. Michelet: «il fera l'histoire de la littérature et des institutions de l'Europe méridionale au dix-septième et au dix-huitième siècle.» Le titre seul de ces futures leçons en garantit d'avance le succès.M. Philarète Chasle, laissant cette fois de côté la littérature anglaise, fera l'histoire intellectuelle de l'Allemagne au dix-huitième siècle.--M. Labitte expliquera d'abord le quatrième livre de l'Enéide, puis il fera l'histoire de la poésie comique et satirique chez les Latins, comparée avec la comédie et la satire modernes.--M. Michel Chevalier traitera du crédit.--M. Ampère fera l'histoire de la poésie française au dix-septième siècle.A la Sorbonne, M. Saint-Marc-Girardin continue en ses leçons, comme nous l'avons dit, le volume qu'il vient de publier sur l'usage des passions au théâtre. Le spirituel professeur, après avoir passé en revue les pères, les mères et les fils du théâtre, en examine maintenant les amants. Les leçons de M. Girardin ont, d'ailleurs, un attrait de plus que ses livres, ce sont les piquantes digressions dont il se plaît à interrompre ou plutôt à enrichir le cours de sa leçon, et qui servent de commentaire ingénieux à son enseignement.--Le grand amphithéâtre de la Sorbonne peut à peine contenir la foule pressée des auditeurs de M. Saint-Marc-Girardin.M. Ozanam, faisant l'histoire littéraire de l'Italie, gagne davantage chaque année les sympathies du public; la parole vive et chaleureuse, l'imagination riche et brillante, du professeur, touchent en même temps le cœur et l'esprit des auditeurs; nul doute qu'avant peu M. Ozanam ne soit compté parmi les plus brillants professeurs qui ont paru dans les chaires de la Sorbonne.M. Edgar Quinet.Nommons encore M. Egger, qui fait l'histoire de l'éloquente politique et judiciaire en Grèce; M. Patin, qui traite de la poésie lyrique chez les Romains et particulièrement des odes d'Horace; M. Gérusez, qui se fait, comme M. Ampère au collège de France, l'historien de la littérature française au dix-septième siècle; enfin M. Simon, qui continue l'étude sérieuse qu'il a commencée de la philosophie alexandrine.Toutefois, on peut prévoir que la vogue sera encore, comme l'an dernier, au Collège de France; jadis la Sorbonne, au temps des Villemain, des Cousin et des Guizot, effaçait les leçons de MM. leslecteurs royaux; mais, aujourd'hui, soit par défaut de liberté, soit pour toute autre cause, son enseignement n'a plus ni la même autorité, ni le même éclat que celui du Collège de France; et son public se compose presque uniquement de la jeunesse studieuse, qui ne vient point chercher dans les cours publics d'émotions étrangères à l'objet de ses études.Les Enfants Trouvés.(Suite et fin.--Voir t. II, p. 248.)Nous avons montré l'origine de l'œuvre des Enfants Trouvés et les développements successifs de la maison de Paris. Il nous reste à faire connaître, non pas la législation qui régit l'institution générale, car cette législation est souvent contradictoire et demeure par conséquent inobservée, mais le mode ou quelques-uns des modes d'administration qu'on y a substitués, et qui ont le défaut, comme la loi elle-même, de manquer d'ensemble et d'unité.Un décret organique du 19 janvier 1811 s'est proposé de refondre toute la législation relative aux enfants trouvés.Abandon de l'Enfant dans le tour.Réception de l'enfant.Ce but, il ne l'a point atteint, car il a laissé la jurisprudence incertaine et n'a pas vu consacrer par nos mœurs et par l'usage les principes qu'il a voulu établir. Par ses dispositions les enfants trouvés sont mis hors du droit commun et déclarés la propriété de l'État. Dès qu'ils ont atteint leur douzième année, les enfants mâles, en état de servir, doivent être mis à la disposition du ministre de la marine. Ceci ne s'exécute point, ceci n'a jamais pu être exécuté. Les commandants de bâtiments ont manifesté un tel éloignement pour ces mousses de par la loi, ils ont fait valoir de si bonnes et de si naturelles raisons pour démontrer que les enfants du littoral, les fils des marins, sont pour la marine une pépinière tellement préférable aux hospices des Enfants Trouvés, que cette prescription de la loi n'a jamais reçu même un commencement d'exécution. C'est par les désavantages de son côté pratique qu'elle s'est trouvée abrogée; elle ne méritait pas moins de l'être par l'indignité de son principe. C'était en effet la restauration de l'esclavage ancien. A Rome, l'enfant trouvé appartenait à qui l'avait recueilli et élevé. En France, c'eût été l'État qui, prenant ces soins, se fût attribué cette propriété. La différence n'eût été que dans la qualité du maître: l'enfant eût toujours été esclave; et cela, sans doute pour le punir d'un abandon dont il est trop puni lui-même, et pour être indemnisé, d'une charge que ses père et mère ont imposée à l'État, et qui ne saurait légitimement donner de recours que contre eux. Les enfants trouvés ne Sont donc pas marins, malgré la loi. Ils sont placés chez des cultivateurs, ou dans des ateliers, par les soins des commissions, administratives des hospices à qui leur tutelle est déférée, et demeurent sous cette dépendance jusqu'à leur majorité, à moins que les cas trop rares d'émancipation, de mariage ou de réclamation de la part des parents en soient venus abréger ce terme. Ces exceptions, nous le répétons, sont très-peu communes; la règle est que l'enfant trouvé travaille sans salaire qui lui profit jusqu'à vingt et un an, et que quand cet âge a sonné pour lui, il devienne libre, ce qui, peut malheureusement dans la réalité se; traduire par être sans appui, sans guide et exposé à tous les mauvais conseils de la misère.Nous avons dit que la jurisprudence était incertaine. L'exposition d'un enfant est condamnée par nos lois, et nous reconnaissons que les circonstances qui l'accompagnent peuvent être si diverses et sont quelquefois si difficiles à apprécier, qu'une peine uniforme serait, pour la plupart des cas, injuste. Mais ce n'est pas l'appréciation de ces circonstances qui a amené les inégalités les plus disparates dans l'application des peines. Des cours n'ont vu dansune exposition de partqu'une exposition de part; d'autres ont voulu y voir la suppression de l'état civil d'un individu. De là trois mois de prison infligés d'un côté, tandis qu'une peine de quinze ans de travaux forcés etait prononcée d'un autre.Le décret de 1811 n'avait donc ni résolu la difficulté administrative, ni servi à fixer clairement la pénalité; mais du moins il devait avoir pour effet d'en rendre l'application rare et d'ôter tout prétexte atténuant à l'exposition d'un nouveau-né. Il avait ordonné qu'un hospice d'enfants trouvés pourrait être établi dans chaque arrondissement, et qu'un four devrait être, pratiqué dans chacun de ces hospices. Le dépôt d'un enfant dans un tour garantissant à la mère un secret complet et étant un acte déclaré innocent, celle qui, au lieu du le porter à cette crèche hospitalière, où il passe immédiatement du sein de celle qui l'abandonne aux soins d'une infirmière toujours dans l'attente, compromettait la vie du petit malheureux en l'exposant dans un lieu plus ou moins fréquenté, celle-là n'était digne d'aucune pitié, et les tribunaux savaient qu'ils devaient sévir. Voilà , sous le point de vue pénal, le service qu'avait rendu le décret.Mais bientôt l'institution du tour s'est trouvée attaquée de plus d'un côté. Nos lecteurs savaient sans doute se rendre compte du tour avant que le dessin qui accompagne cet article l'eût mis sous leurs yeux; nous l'avons cependant regardé comme nécessaire, et nous croyons devoir ajouter que le tour est un cylindre en bois convexe d'un côté et concave de l'autre, tournant sur lui-même. Le côté convexe fait face à une rue, l'autre s'ouvre dans l'intérieur d'une salle de l'hospice: une sonnette est placée auprès à l'extérieur. Une femme veut-elle exposer un nouveau-né, elle avertit la personne de garde par un coup de sonnette. Aussitôt le cylindre, décrivant un demi-cercle, présente au dehors, sur la rue, son côté vide, reçoit le nouveau-né, et l'apporte dans l'intérieur de l'hospice en achevant son évolution. Ainsi la personne qui dépose l'enfant n'a été vue par aucun des servants de la maison, et elle aura pris ses mesures pour n'être pas aperçue des passants. Son secret sera donc bien gardé, en même temps que le petit abandonné ne sera point exposé aux intempéries de l'air.Mais la population croissant et le nombre des enfants trouvés croissant avec elle, le chiffre total de leur dépense surtout devenant plus considérable parce que les bons soins et la suppression de l'exposition loin de l'hospice avaient résolu les proportions de mortalité moins grandes, quoique bien élevées encore, les conseils généraux on pensé que le tour, son mystère, les facilités qu'il présentait, étaient comme une provocation à l'abandon des enfants et qu'en les supprimant, sans trop se préoccuper des conséquences, on arriverait à réduire le nombre des enfants admis aux établissements publics, et par conséquent la dépense de ceux-ci. Les défenseurs du tour ont dit, et vainement, que c'était une erreur de croire qu'il encourageait la corruption de la morale publique; qu'il y avait d'autant plus d'enfants trouvés, proportionnellement aux naissances illégitimes, que les mœurs étaient plus pures, en d'autres termes, que moins il y a de naissances illégitimes dans un département, plus le nombre des enfants trouvé est considérable. Ainsi ils ont fait observer que le département d'Ille-et-Vilaine, celui de France où les naissances naturelles sont le moins nombreuses, est en même temps celui où les enfants trouvés sont le plus nombreux par rapport au nombre des enfants illégitimes; que, d'un autre côté, le département de Saône-et-Loire, qui est le troisième dans l'ordre des naissances naturelles, c'est-à -dire le plus corrompu de tous les départements après ceux de la Seine et du Rhône, est celui qui compte le moins d'enfants trouvés relativement au nombre des enfants illégitimes; que cette règle ne souffre de remarquables exceptions qu'à Paris, à Lyon et dans les grandes villes, et qu'ainsi on est forcé de reconnaître que le sentiment de la honte fait abandonner beaucoup plus d'enfants que la démoralisation.Ces raisons, et beaucoup d'autres, ne l'ont pas emporté, partout, et dans plusieurs départements, comme dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, les tours ont été supprimés, sans que pour cela le nombre des naissances illégitimes ait été moins élevé, bien entendu. Le Bas-Rhin compte soixante-dix-neuf de ces naissances sur mille enfants, tandis que le département d'Ille-et-Vilaine, qui a sept tours ouverts, ne donne que vingt et une naissances illégitimes sur le même total. De plus, les chiffres font foi que dans plusieurs grandes villes, avant comme après l'établissement du tour, le chiffre des entrées a été à peu près le même. On n'a donc rien gagné sous le rapport moral. On n'est pas arrivé à un résultat plus significatif sous celui de l'économie, et, de plus, on a substitué un arbitraire local, souvent expliqué à contre-sens, à une règle une, à une mesure uniforme. Ici les tours sont fermés, mais dans le département voisin ils sont ouverts, et l'on y envoie des enfants de loin, ce qui expose leur vie, et ce qui met à la charge du département qui a maintenu les tours une partie des enfants abandonnés de celui qui les a fermés. C'est un état de choses intolérable, contre lequel les conseils généraux réclament avant tout, et que ceux qui sont le plus entiers dans leur opinion regardent comme plus fâcheux même que l'abandon d'un système qui n'est pas le leur, mais qui aurait du moins le mérite d'être général.A Paris, où le nombre des enfants abandonnés n'avait pas suivi une marche ascendante, malgré l'augmentation du nombre des habitants, et où l'accroissement dans la population des enfants trouvés ne venait que du bienfait de la vaccine, des soins hygiéniques, de la surveillance exercée sur les nourrices, et de l'inspection fréquente des enfants, toutes mesures qui ont diminué les cas de mort; à Paris, dans les derniers mois de 1837 il a été pris un parti pour arriver, non pas a arrêter une augmentation qui ne se manifestait pas, mais à faire décroître le nombres des abandons, et par conséquent le chiffre des dépenses. On n'y avait pas songé tant que la mort s'était chargée d'éclaircir les rangs; mais quand elle n'a plus rendu ce triste service, on a été effrayé de l'importance du budget. Là , ou n'a adopté ni la clôture du tour, comme dans certains départements, ni son ouverture mystérieuse, comme dans ceux qui sont demeurés fidèles à l'esprit de cet article du décret de 1811; on a fait du tour une espèce de piège où viennent se faire prendre les pauvres mères auxquelles la honte surtout fait le plus souvent adopter le parti extrême de déposer leur enfant. C'est pour que leur faute ne soit pas connue, c'est pour que le déshonneur et le déchirement ne soient pas portés dans leurs familles, qu'elles se rendent en secret au tour de l'hospice de la rue de la Bourbe. Elles sonnent, mais au lieu de voir le tour s'offrir à leurs enfants, elles sont entourées par des surveillants mis aux aguets, et apprennent qu'on n'en reçoit aucun sans déclaration.Dans un rapport que nous avons sous les yeux, adressé, à la suite de l'adoption de ces mesures nouvelles, par M. le préfet de police à M. le ministre de l'intérieur, cet administrateur est amené à reconnaître que deux de leurs conséquences ont été, que plusieurs infanticides oui été commis (2), et que les expositions d'enfants nouveau-nés ont été plus nombreuses. Il est grave d'avoir ce double aveu à faire; et, quant aux intérêts de la morale, nous ne croyons pas qu'ils aient été, bien servis par la mesure qu'on a substituée à la libre réception des enfants. On propose à la mère qui fait mine de vouloir déposer son fils de lui accorder une somme mensuelle si elle consent à le garder. Ou comprend combien de fois la comédie du semblant de dépôt doit être jouée, uniquement pour arriver à ce dénoûment intéressé. La dépense peut être moins élevée, mais elle est beaucoup plus mal entendue. Aussi, plusieurs conseils généraux, qui n'étaient pas moins que la ville de Paris préoccupés des sacrifices auxquels ils condamnent les enfants trouvés, n'ont-ils pas hésité à dire néanmoins comme celui de l'Arrège en 1840: «Si, d'un côté, une semblable mesure peut amener une économie dans la dépense, on doit craindre, d'un autre de compromettre la morale publique, en laissant croire à la portion peu éclairée de la population qu'on accorde une indemnité pécuniaire pour un acte toujours affligeant pour la société;» et comme le conseil général de l'Aveyron, dans la session de 1842: «Vue pareille mesure est un outrage à la morale, une espèce de prime pour le libertinage.»Note 2: La session des conseils généraux de 1843 n'a pas été favorable à la mesure de la suppression du tour. Le conseil général de la Dordogne, entre a été forcé de reconnaître que, depuis qu'elle avait été adoptée, les infanticides se sont multipliés dans le département dans une effrayante proportion. La Loire et la Meuse ont toujours été de cet avis, et prévu cette fatale conséquence. Elles se sont refusées, cette année encore, à fermer aucun de leurs tours, même à titre d''essai.Voilà donc en quelque sorte trois systèmes concurremment en pratique: la suppression déclarée du tour, son ouverture sérieuse et réelle, son ouverture simulée ou sa suppression déguisée. Si nous prenions tous les points de cette importante question, nous verrions sur chacun d'eux la même divergence d'opinions, la même contradiction dans l'application. Ce qu'il faut donc demander à grands cris, c'est une législation sérieuse qui soit respectable et qu'on fasse respecter; c'est un système un, lequel ne sera praticable peut-être que quand la tutelle des enfants aura été enlevée aux commissions administratives pour être déférée au gouvernement, représenté par ses préfets. Mais comme cet état de choses si désirable se fera peut-être encore attendre, qu'il nous soit permis, avant de terminer, d'ajouter un dernier mot sur une mesure qui peut avoir de bons effets, conjurer des abandons et amener des économies, si l'on y recourt loyalement, mais qui n'est qu'un moyen odieux quand ou la comprend et quand on l'emploie comme on l'a fait dans plusieurs départements.Le déplacement est la translation des enfants trouvés dans une commune éloignée du département ou même dans un département limitrophe. Si cette translation était opérée dans le premier âge, si on avait le soin ne bien rendre public, qu'on recourra toujours à ce moyen, ou empêcherait par là certaines mères de concevoir l'espérance, en faisant porter leur enfant nouveau-né au tour par un messager avec lequel elles sont d'intelligence, de voir celui-ci le leur rapporter à titre de nourrisson, leur procurant salaire; on enlèverait également aux parents qui peuvent être tentés de déposer leurs enfants, se flattant qu'ils pourraient, sans les avoir à leur charge, ne les pas perdre de vue, tout espoir de les voir demeurer près d'eux: enfin, on mettrait d'accord et l'intérêt des hospices et celui de la conservation des vies et des devoirs de famille. Mais ce n'est point ainsi qu'on procède, et ce sont de plus larges résultats d'économie que l'on veut atteindre par un calcul et un moyen devant l'odieux desquels quelques commissions administratives n'ont pas reculé. Quand les enfants sont parvenus au second ou au troisième âge, quand des liens affectifs se sont formés entre eux et les femmes auxquelles on les a donnés à nourrir, ou les familles d'agriculteurs ou d'ouvrier qui ont été chargées de les élever, tout d'un coup on vient annoncer que ces enfants vont être transférés dans un autre département, et l'on signifie à ces nouveaux parents adoptifs, toujours peu aisés et souvent pauvres, qu'il faut qu'ils consentent à les garder sans salaire, à se surcharger pour alléger d'autant l'administration, ou à se voir enlever leurs fils, leurs filles d'adoption. On spécule sur leurs bons sentiments sans prendre même la peine de déguiser le sentiment mauvais qui inspire ce calcul. Nous ne savons rien de plus immoral, de plus odieux, rien qui mérite davantage d'être flétri par l'indignation publique, Les auteurs d'un très-consciencieux ouvrage, couronné par l'Institut, que nous avons eu à consulter plus d'une fois pour ce court travail (3) repoussent le déplacement des enfants, mais demandant la suppression des tours. Notre conclusion sera aux trois quart opposée à la leur. Nous croyons le déplacement constamment annoncé et réellement opéré dans le premier âge, une mesure qui n'a rien que de moral et qui a son utilité. Nous croyons la suppression des tours un expédient dont les avantages financiers ne sauraient déguiser le danger. Nous croyons enfin que jamais question n'a réclamé plus impérieusement l'attention du gouvernement qui a à faire cesser les incertitudes le la loi, l'anarchie des mesures administratives, les contradictions des tribunaux et à se constituer le tuteur des enfants trouvés avant leur majorité, comme leur patron après.Note 3: Histoire des Enfants Trouvés, par MM. Terme et Montfaucon, Paris, Paulin, 1840; in-8.
No. 46. Vol. II.-SAMEDI 13 JANVIER 1844.Bureaux, rue de Seine, 33.Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. Prix dechaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pourl'Étranger.          -- 10       --   20       --  40
Portrait de M. Mathieu de Dombasle,décédé le 27 décembre 1843.
Mathieu de Dombasle.Portrait.--Courrier de Paris.--Histoire de la Semaine.Découverte du Cœur de saint Louis, à la Sainte-Chapelle.--Ouverture des Cours du collège de France et de la Sorbonne.Salle des Cours au collège de France; Portraits de M. Michelet et de M. Edgar Quinet.--Les Enfants Trouvés.Une gravure.--Chronique musicale. L'Esclave du Camoens; Anna Bolena; Rentrée de Lablache; M. Ronconi; les Concerts; Nouvelles publications.--Les Petites Industries en plein vent.Onze Gravures.--Les Caprices du Cœur, nouvelle, par Marc Fournier. (Suite.)Une gravure.--Inventions nouvelles. Système de chemins de fer de M. de Jouffroy.Quatre Gravures.--De la prochaine inauguration du monument de Molière.Trois gravures; fac-similé des signatures de Molière et de sa troupe.--Bulletin bibliographique. --Annonces. --Modes.Trois Gravures.--Amusements des Sciences.Deux Gravures. --Rébus.
Christophe-Joseph-Alexandre Mathieu de Dombasle, né à Nanci, le 26 février 1777, vient d'y mourir le 27 décembre 1843, C'est l'homme auquel l'agriculture française est redevable de ses plus grands progrès. La richesse agricole de la Flandre et de quelques autres contrées, comparée au triste état de notre culture dans presque tous nos départements du centre, de l'ouest et du midi, avait inspiré à M. de Dombasle la profonde conviction que, de toutes les industries, l'agriculture est celle où il y a le plus à faire en France pour la prospérité du pays et pour le bien des particulier qui s'y livreront. M. de Dombasle n'a pas seulement consacré à cette pensée des talents supérieurs, un mérite d'écrivain qui, dans toutes les carrières, l'auraient placé au premier rang; il s'est fait l'homme du progrès agricole, il s'est dévoué à cette œuvre. avec une foi ardente et une complète abnégation. Le résultat personnel fut, pour M. de Dombasle, une lutte contre des obstacles sans cesse renaissants, des revers de fortune, et de cruelles blessures dans ses plus chères affections; mais M. de Dombasle a réussi dans les autres: le succès des cultivateurs que ses leçons et son exemple ont formés, l'impulsion donnée à l'industrie agricole de la France, voilà , le succès et la récompense de M. de Dombasle, car c'est le résultat qu'il ambitionnait par-dessus tout.
Avant M. Mathieu de Dombasle, nous avions de savants agronomes, d'habiles fermiers, des propriétaires éclairés, marchant dans la voie du progrès; toutefois, leurs efforts étaient isolés, sans imitateurs; les entreprises agricoles restaient l'objet de la méfiance et du discrédit; et tandis que la jeunesse assiégeait en foule l'entrée de toutes les autres professions, personne ne venait à songer que la culture du sol offrait la carrière la plus indépendante et la plus assurée. Les écrits de M. de Dombasle ouvrirent les yeux du public sur cette fâcheuse erreur; cependant il ne suffisait pas de répandre des idées plus saines, il fallait mettre l'instruction agricole à la portée des jeunes gens chez lesquels il avait fait naître le désir de se livrer à l'agriculture. En France, où les quatre cinquièmes du la population se composent de cultivateurs, il n'existait aucun établissement destiné à l'enseignement théorique ou pratique de l'agriculture. Cette lacune, M. de Dombasle entreprit de la combler. Privé, par les événements de 1814, d'une belle fortune acquise dans la fabrication du sucre de betteraves, sans moyens pécuniaires, sans le secours du gouvernement, ni d'aucun patronage puissant, M. de Dombasle fonda la première ferme-modèle et le premier institut agricole qui aient existé en France, Plusieurs propriétaires de Nanci, en tête desquels figurait l'illustre général Drouot, lui fournirent le capital nécessaire, à des conditions désintéressées, et s'associèrent ainsi à l'honneur d'une entreprise qu'ils savaient ne devoir tourner qu'au profit du pays. C est avec le modique capital de 60,000 fr., confié à ses talents et à sa réputation de probité, que M. de Dombasle: loua la ferme de Roville, pour s'y livrer à l'enseignement et à l'application des méthodes perfectionnées.
Bientôt M. de Dombasle fut entouré d'un petit nombre d'élèves attirés par le charme d'une profession dont l'étude se faisait au grand soleil. Ces jeunes gens, qui n'étaient venus chercher à Roville qu'une instruction professionnelle, y subissaient, par la force des choses, une modification importante dans leur manière d'apprécier les positions sociales. Par cela même qu'ils étaient étudiants cultivateurs, il ne leur était plus possible de mesurer leur considération à l'habit, car eux-mêmes avaient revêtu la blouse; il ne leur était plus possible de croire que le travail manuel dérogeait, car, témoins continuels des travaux agricoles, ils arrivaient bientôt à y mettre la main. Ainsi, le courant qui avait poussé la jeunesse à fuir ou à quitter la profession agricole pour embrasser les professions dites libérales, ou les fonctions publiques, fut changé: pour la première fois une influence contraire se manifesta, et des jeunes gens quittèrent l'école de Droit et les habitudes de la ville pour se livrer aux travaux des champs.
Tandis que M. de Dombasle modifiait aussi heureusement la tendance de l'esprit public, il introduisait une réforme matérielle d'un haut intérêt. Dans un grand nombre de départements, les labours s'exécutaient et s'exécutaient encore avec une charrue défectueuse, qui n'opère qu'un labour imparfait, au moyen de six ou huit bêtes de trait conduites par plusieurs hommes; il est évident qu'aucune culture ne peut être profitable avec un mode aussi dispendieux de labourer la terre. M. de Dombasle, par ses écrits et son exemple, propagea l'adoption de la charrue flamande, modifiée dans quelques-unes de ses parties; et désormais l'abandon de la charrue ruineuse dont nous venons de parler n'est plus qu'une question de temps, car il n'est pas de canton où, grâce à M. de Dombasle, une charrue perfectionnée n'ait été introduite, et il est impossible que la comparaison des deux instruments ne détermine pas l'adoption de ce qui fait évidemment mieux et à meilleur marché.
Si M. de Dombasle, en fondant l'établissement de Roville, n'avait eu en vue que son avantage personnel, il n'aurait pus été plus loin. Ses écrits lui avaient mérité une réputation européenne(1); son Institut agricole et sa fabrique d'instrument aratoires offraient des bénéfices, et la ferme de Roville, conduite avec l'intelligence et l'ordre d'un homme comme M. de Dombasle, ne pouvait être onéreuse en la cultivant du point de vue industriel. Mais le but de M. de Dombasle était, moins de faire de l'industrie personnelle que de faire de la science pour ouvrir des voies plus larges à l'industrie et à la prospérité publiques. Sous cette inspiration, M. de. Dombasle devait s'attacher à résoudre le problème de la suppression de la jachère, question qui intéresse à un si haut degré l'avenir de notre agriculture. Les plantes sarclées, qui remplacent la jachère en préparant le sol à recevoir des céréales, et qui, pour la plupart, contribuent à l'augmentation des engrais, par l'abondante nourriture qu'elles fournissent aux bestiaux, sont une condition nécessaire pour arriver à la suppression ou du moins il la notable réduction de la jachère. Toutefois, les plantes sarclées, comme toutes les autres récoltes, ne peuvent être cultivées qu'autant que le cultivateur trouve à vendre leurs produits. Placé dans une localité où aucune industrie étrangère n'offrait un débouché à ses récoltes sarclées, M. de Dombasle créa sur la ferme de Roville une industrie accessoire pour tirer parti de ses récoltes. Il établit une distillerie, puis une féculerie de pommes de terre; entreprises qui toutes deux entraînèrent des pertes très-sensibles à raison du faible capital sur lequel reposait l'établissement de Roville. Ces pertes sont à déplorer, puisqu'elles furent sans doute pénibles à M. de Dombasle; mais elles ont contribué à rendre son enseignement plus complet et à faire ressortir son dévouement à la mission qu'il s'était imposée.
Note 1: Tous les ouvrages de M. de Dombasle se trouvent à la librairie de madame Bouchard-Huzard, à Paris, rue de l'Éperon, 7, notamment: leCalendrier du bon Cultivateur, Théories de la charrue,etc.
Quoi de plus propre à pénétrer les cultivateurs du principe qui doit leur servir de guide, que l'ensemble de la carrière agricole fournie par M. de Dombasle? Un homme de mérite hors ligne, après avoir consacre des années à étudier la culture des pays les mieux cultivés de l'Europe, s'applique à introduire dans la ferme qu'il exploite les méthodes perfectionnées qu'il a observées; il pèse toutes les circonstances dans lesquelles les améliorations qu'il médite doivent être introduites; il entre dans la voie nouvelle, guidé par une grande expérience et un jugement sûr; cependant il échoue. Au lieu de se décourager, il se livre à de nouvelles recherches, reconnaît la cause de son échec, recommence avec certitude et cette fois il échoue encore. Quelle démonstration plus complète de cette vérité, qu'en agriculture le raisonnement, l'induction et la démonstration même, que la science, en un mot, ne doit autoriser que des essais, et que les faits positifs, constants, répétés ont seuls une autorité suffisante pour déterminer l'application sur une grande échelle.
Du reste, personne n'était plus convaincu de cette vérité que M. de Dombasle; c'était celle qu'il s'appliquait surtout à faire entrer dans l'esprit de ses élèves au moment ou ils venaient prendre congé de lui et de recevoir ses derniers conseils. «Gardez-vous, leur disait-il, de changer brusquement sur votre ferme la méthode de culture suivie dans le canton où vous allez vous fixer. Si la charrue est défectueuse, d'un usage ruineux, n'hésitez pas à la changer: n'hésitez pas non plus à multiplier les prairies artificielles. Quant aux races de bestiaux, voyez si celles de la localité ne peuvent pas être améliorées; et si vous vous décidez à en introduire de nouvelles, ne le faites pas avant d'avoir obtenu largement sur votre exploitation les moyens de nourriture qu'elles réclament. Quand aux cultures nouvelles à introduire, prenez en considération le sol, le climat, la main d'œuvre, la facilité de vendre les produits. Quant à la jachère, ne vous pressez pas de la supprimer: dans les pays où une portion du sol est laissée en jachère, le prix est en raison de cette circonstance; louez ou achetez en conséquence, et en appliquant à ce sol une meilleure charrue, en y semant des prairies artificielles, vous êtes certains de faire mieux que les autres; mais si vous tentiez de suite de supprimer la jachère, vous vous exposeriez à des risques qu'il n'est pas sage de courir au début d'une exploitation rurale. Attendez d'avoir réussi dans votre premier établissement, puis alors vous entreprendrez une réforme plus large avec bien moins de dangers, avec bien plus d'expérience et de ressources.»
Si M. de Dombasle était plus hardi pour lui que pour les autres, c'est que pour lui la France était le domaine et sa ferme-modèle le champ d'essai; c'est que le poste qu'il avait choisi était une position d'avant-garde. Pour lui, le danger n'était pas dans son préjudice personnel, mais dans le préjudice public.
Un si grand zèle pour la science à laquelle il ne se dévouait avec tant d'abnégation que parce qu'il la savait intimement liée à la prospérité de la France, touche au sentiment qui animait d'Assas et Beaurepaire, se sacrifiant au salut ou à l'honneur de tous; il faut reconnaître là une véritable grandeur, qui fait de l'existence de M. de Dombasle une des vies les plus recommandables de notre époque, et qui lui assure d'être compté au nombre des plus utiles réformateurs et des plus sincères bienfaiteurs de son pays.
La bataille de l'adresse est commencée: c'est la Chambre des Pairs qui a lancé la première mitraille; mais on sait que les luttes ne sont ni longues ni ardentes sur ce terrain aristocratique; on provoque avec courtoisie; on riposte avec précaution, et les différentes opinions rengainent promptement, après un semblant d'estoc et de taille. Trois ou quatre discours suffisent pour donner aux adversaires l'envie de plier lus tentes et de clore la campagne. Ainsi l'adresse a été votée en une séance. Nous sommes loin de blâmer leurs seigneuries de cette concision; bien au contraire, les économies de paroles, à notre avis, sont autant de gagné pour les affaires.
Le voyage de Belgrave-Square a un peu échauffé la matière. M. le ministre des affaires étrangères s'est fort enflammé; il n'a trouvé, au reste, de contradicteur un peu vif que M. le marquis de Boissy, dont c'est la coutume. M. Guizot a particulièrement appuyé sur ce fait, que le gouvernement anglais avait vu avec déplaisir les scènes de Belgrave-Square, mais qu'il n'avait pu les empêcher; il s'est félicité d'ailleurs de l'indifférence que S. M. Victoria a montrée pour M. le duc de Bordeaux, qu'elle n'a ni reçu ni voulu voir. «Je le crois bien, a dit à son voisin un noble pair, M. le duc de ***. qui mène de front la politique et le calembour, la reine d'Angleterre était allée à Eu, elle ne pouvait venir à lui.»
La Chambre des Députés a aussi son adresse, mais elle est moins expéditive que la Chambre des Pairs, sa sœur aînée. Le morceau d'éloquence s'élabore lentement; il ne lui faut pas ordinairement moins de huit ou dix jours pour se mettre d'aplomb sur ses adjectifs et ses périodes; après quoi il s'aventure entre le côté gauche, la droite et le centre, qui le saisissent au passage, l'examinent, le dissèquent et lui coupent quelquefois le nez, le bras ou la jambe, si bien qu'il sort rarement de la discussion comme il y est entre. Cette espèce d'opération chirurgicale exige à son tour une semaine; ainsi la Chambre dépense à peu près un mois à ce laborieux accouchement. En un mois. Napoléon allait à Vienne, et nos honorables préparent à grand peine un discours: ce n'est pas le cas du duc, comme Alceste, que le temps ne fait rien à l'affaire.
On s'aperçoit que la présence des deux Chambre au bruit qui se fait dans la partie de la rive droite et de la rive gauche voisine des ministères et du palais des Tuileries: le nombre des piétons et des voitures y est visiblement augmenté; ce sont MM. les députés qui vont et viennent, traînant après eux la clientèle d'intérêts et de solliciteurs que la session attire; les chemins de fer, les croix d'honneur, les recettes particulières, les bureaux de tabac, les pensions, les bourses, la question des vins, la question des sucres, la question des bestiaux, tout cela court de droite et de gauche, d'un air affairé ou allumé. Cependant les ministres et les hommes politiques ont ouvert leurs salons comme autant de maisons de refuge. Le reliquat des réceptions du matin et des séances de la Chambre se vide dans les réceptions du soir; une affaire ébauchée la veille, on l'achève entre un bol de punch radical, une tasse de thé ministérielle, un verre d'eau sucrée tiers-parti. Les soirées les plus nombreuses se tiennent chez M. Guizot, le ministre influent, le grand ministre de France, comme l'appelle le mandarin Ky-Yong, qui vient d'entrer avec notre gouvernement en commerce d'amitié et de lettres, sur papier de Chine.
M. Molé se distingue, en même temps que M. Guizot, par l'éclat et le nombre de ses réceptions politiques, son hôtel du faubourg Saint Honoré n'est pas moins fréquenté que l'hôtel du boulevard des Capucins. De cette façon, les deux rivaux continuent la lutte: M. Guizot occupe les affaires étrangères, et M. Molé tient à montrer à son successeur et à son adversaire qu'il ne reste pas étranger aux affaires. Aussi les hommes prévoyants, ceux qui, tout en s'attachant au présent, ont l'œil continuellement fixé sur la girouette de l'avenir, les grands politiques, en un mot, vont du boulevard des Capucines à l'hôtel du faubourg Saint-Honoré, et boivent du même coup le thé de M. Guizot et le thé de Molé, On ne saurait trop prendre de précautions pour sa soif.
Il y a quinze jours, les Tuileries étaient ensevelies dans une profonde nuit; si vous passiez par là le soir, le vaste et noir palais vous apparaissait de loin comme un immense et sombre fantôme; aujourd'hui, tout y brille; les vitres resplendissent et jettent de toutes parts des feux qui scintillent dans les ténèbres. C'est encore la Chambre des Députés qui cause cette illumination; on lui fait accueil; ou lui prépare des gracieusetés et des fêtes. Le bon moyen d'attirer les papillons n'est-il pas d'allumer les bougies?
Un autre salon a repris ses fêtes, mais ce n'est point l'ambition au regard enflammé, ni la sombre politique qui en sont les hôtes; le concierge a reçu l'ordre de ne pas leur tirer le cordon et de les arrêter sur le seuil: les arts aimables, au doux sourire, au regard limpide, aux mélodieux concerts, y entrent au contraire toutes portes ouvertes et en se donnant la main. Ce paradis des salons est celui de Mme la comtesse Merlin. Il y aurait de quoi cependant s'y mesurer en champ clos sur toutes les questions qui agitent le monde politique. Le monde politique, en effet, envoie ses plus célèbres champions dans ces réunions magnifiques et charmantes. L'Espagne, l'Italie, Vienne, Londres, Saint-Pétersbourg y comptent des ambassadeurs tout bardés de titres et de croix, et les hauts barons de la finance et de l'aristocratie parisienne s'y rencontrent avec les gentilshommes de la littérature; on pourrait y établir un congrès, une académie, une commission du budget. Mais si, par hasard, quelque budgétaire ou quelque diplomate forcené est tenté de prendre son voisin à partie et de le plonger dans les tristesses de la réalité, une note mélodieuse se faisant tout à coup entendre, le rappelle à l'ordre: c'est Grisi, ou Persiani, ou Mme la comtesse Merlin elle-même qui font taire de leur plus doux chants cette voix discordante de la politique et réduisent le monstre au silence; on n'a plus qu'à se laisser aller à ce courant d'harmonie, et à jouir des plaisirs et de la splendide variété de ces nuits spirituelles et brillantes de la rue de Bondi, qui n'ont pas d'égal pour l'état des noms et la grâce de l'hospitalité. Les vendredis de Mme la comtesse Merlin sont de vrais bijoux dans un magnifique écrin.
Tandis que les riches et les heureux s'amusent, il est bon de songer aux pauvres: Paris y songe de temps en temps; de temps en temps n'est pas assez. Paris, cependant, n'est ni égoïste ni insensible, quoique souvent il en ait l'air. Le fond du cœur est bon, meilleur qu'il ne semble; mais voulez-vous que je vous le dise? Paris est comme ces hommes mondains entraînés de tous côtés dans le tourbillon des plaisirs: ils n'ont pas le temps de s'y reconnaître ni de penser à autrui, pour qu'ils fassent une bonne action, il faut, pour ainsi dire, qu'on les prenne au collet et qu'on les avertisse. Encore réussirez-vous difficilement à les convaincre, si sur cette action charitable, vous ne mettez, un plaisir, comme on met du miel sur du pain sec pour obliger les petits enfants à y mordre. Ainsi fait Paris: il vient volontiers au secours des pauvres et des exilés, pourvu qu'on donne à son humanité une prime d'amusement. Proposez-lui un avant-deux pour la Pologne, une valse pour les indigents, il tirera sa bourse de la meilleure grâce du monde; autrement, vous le trouverez froid et cadenassé. On dirait, à le voir ainsi, qu'il n'y a pas de vrais malheurs là où on ne danse pas. Les maires et les bureaux de charité, qui connaissent bien le fort et le faible de cette sensibilité parisienne, sont décidés, dit-on, à s'adresser, pendant l'hiver, à l'archet de Tolbecque et de Musard, pour arriver à émouvoir la bonne ville de Paris. On annonce douze bals au profit des pauvres des douze arrondissements. Paris ne peut manquer de s'attendrir... et de valser de tout son cœur.
Puisque nous voici au chapitre de la danse, annonçons une nouvelle, mais annonçons-là avec ménagement, de peur de causer des émotions trop vives à l'orchestre et aux avant-scènes de l'Opéra; on dit, et avec plaisir, je me plais à le redire, on dit que nous allons enfin posséder la divine Cerillo, au pied léger. M. Léon Pitlet aurait contracté avec elle un engagement pour quinze représentations. M. Léon Pitlet était parti pour l'Italie, en quête d'un ténor: il reviendra avec une danseuse; la vie est pleine de ces surprises. Vous faites la chasse au renard, et vous tuez une biche; vous aimez une blonde, c'est une brune qui vous tombe entre les mains: vous courez après la gloire, et vous attrapez... rien.
Les chances pour les ambitions académiques augmentent d'une manière effrayante: deux académiciens viennent de mourir, Casimir Delavigne et Campenon; deux ou trois autres sont mourants; avant un mois il y aura cinq ou six fauteuils vacants, l'embarras sera de les remplir; les candidats littéraires de quelque valeur finiront par manquer, et vous verrez que l'Académie Française sera obligée de se recruter dans le respectable corps des épiciers ou des marchands de porcelaine.--Un des académiciens alités; recevait dernièrement la visite d'un écrivain fameux, M. de Balzac, qui venait réclamer son vote pour la succession de Delavigne: «Mon cher ami, lui dit l'immortel en se soulevant avec peine sur son chevet, je ferai mieux que de vous donner ma voix, je vous donnerai ma place!
Mademoiselle Rachel, fidèle à la tragédie classique, a fait cette semaine un nouvel emprunt à Racine: c'est la tendre et vertueuseBéréniceque mademoiselle Rachel a tirée, je ne dirai pas de l'oubli,--on n'oublie rien de ce qu'a fait Racine,--mais du long silence où cette touchante reine de Palestine était depuis longtemps abandonnée, Bérénice, qui avait arraché au siècle de Louis XIV autant de pleurs qu'Iphigénie en Aulide immolée, la sentimentale et chaste Bérénice n'a pas obtenu, en 1844, le même succès de larmes et d'attendrissement; on a plutôt sommeillé que pleuré,--que la grande ombre de Racine me pardonne!--Est-ce la faute de Racine? est-ce la faute de notre temps? est-ce la faute de Bérénice? Il faut en accuser un peu tout le monde: Racine d'abord, qui a écrit une délicieuse héroïde en vers charmants, et non une tragédie; puis l'époque actuelle, qui n'a plus le goût ni l'intelligence de ses délicatesses de style et de ses finesses du cœur; et enfin Bérénice, dont la passion est trop exquise et retenue pour un public habitué aux Marie Tudor, aux Marguerite de Bourgogne et aux Lucrèce Borgia. Auprès de telles gaillardes la belle reine semble pédante et prude. Que vous dirai-je?Béréniceest une sorte de thèse sentimentale qui a besoin d'être écoutée, par des jurés experts en galanterie; Versailles et Louis XIV étaient passés maîtres en cette matière, et s'attendrissaient naturellement à ce spectacle amoureux; aujourd'hui qu'on ne navigue plus sur le fleuve du Tendre, et que l'entrepôt de cigares a fait place aux cours d'amour, que peut faire Bérénice, même avec le talent de mademoiselle Rachel pour garant.
Cette représentation classique ne donnera donc pas au Théâtre-Français de très-gros bénéfices; elle prouve seulement le zèle de MM. les comédiens ordinaires du roi et honore leur persévérante fidélité à la mémoire des vieux maîtres; mais la fidélité, on le sait, n'est pas toujours la spéculation la plus lucrative; le Théâtre-Français comprend très-bien le péril de ce dévouement pour le passé, dont le présent ne s'accommode pas toujours n'y trouvant pas une suffisante pâture; aussi s'est-il muni de provisions toutes fraîches pour soutenir la campagne d'hiver et ne pas mourir d'inanition, nous allons assister successivement à la naissance de quatre ou cinq ouvrages en cinq actes;le Ménage parisien, de M. Bayard ouvrira la marche dans quelques jours.
Les autres théâtres imitent cette prévision et cette activité, de leur seigneur et maître: on fabrique des vaudevilles à force; les Variétés, le Gymnase, le Palais-Royal, font tourner les roues et les cylindres, et inonderont le mois de janvier et de février de marchandises; l'Académie Royale de Musique manipule un ballet en trois actes,le Caprice, et un opéra,la Fortune vient en dormant; à l'Opéra-Comique ou tient leCagliostrode M. Adam tout prêt, en attendantla Syrène, de MM. Auber et Scribe. On voit que la denrée dramatique ne manquera pas en 1844, et que le public n'est pas menacé de famine; maintenant quelle sera la valeur de toutes ces productions? quel goût auront-elles? seront-elles agréables ou maussades, spirituelles ou sottes, exquises ou insipides? C'est le secret de l'avenir; mais, de peur d'être pris au dépourvu, le parterre fera sagement de prendre ses précautions d'avance, et, tout en préparant ses mains aux bravos de mettre son sifflet dans sa poche.
On vient d'arrêter en flagrant délit une fausse dame de charité: c'était une fine mouche qui descendait de voiture d'un pied leste, montait l'escalier des riches hôtels enveloppée dans le velours et la soie, et de l'air le plus honnête et le plus sentimental sollicitait la pitié des âmes chrétiennes pourses pauvres: vous devinez ce que devenait l'aumône? Les pauvres n'en touchaient rien, bien entendu, et la dame l'encaissait à son profit; examen fait de la délinquante, la justice a reconnu une ex-figurante d'un théâtre de la banlieue qui avait eu déjà plusieurs duels avec la justice.--«Que voulez-vous? a-t-elle répondu au commissaire de police, charité bien ordonnée commence par soi...»
Le vénérable commissaire, peu convaincu de la vérité de cette maxime, en a référé au procureur du roi; et le système philosophique sur la charité aboutira probablement aux Madelonnettes à Saint-Lazare.
Arlequin, dictant une lettre à son secrétaire, commençait sa dictée par:Virgule. La Chambre des Députés fait comme Arlequin: ses travaux commencent par un long repos. Elle en est encore à cette première phase; mais le jour de la discussion de son adresse approche, et le calme fera place aux orages.
Parmi les nouvelles extérieures, du reste assez peu abondantes, quelques-unes intéressent directement la France. Notre consul à Canton, M. le comte de Ratti-Menton, auquel un ordre de retour a été expédié dernièrement, par suite de son démêlé avec M. Dubois de Jancigny, a été reçu, le 6 septembre dernier, par le haut commissaire impérial de l'empereur de la Chine, décoré de sa ceinture jaune, signe distinctif de la parenté de ce fonctionnaire avec la famille impériale. La réception a été à la fois solennelle et affectueuse, et le haut commissaire impérial, ainsi que le vice-roi, ont adressé au consul de France et au commandant del'Alemenede nombreuses questions sur le roi des Français, sur la famille royale, et sur les relations actuelles de la France avec les autres puissances de l'Europe. Ils ont répondu à la demande pour la France des avantages accordés à l'Angleterre, que puisque le gouvernement chinois en avait agi avec la Grande-Bretagne, malgré les anciens et récents démêlés, d'une manière aussi généreuse, le gouvernement impérial ne croyait pas devoir se montrer moins amical à l'égard de la France, «cet État illustre et puissant de l'Océan occidental, dit la réponse écrite, qui a entretenu paisiblement et amicalement des rapports avec la Chine pendant plus de trois siècles, sans la plus légère contestation et sans effusion de sang.» La lettre officielle du gouvernement chinois à notre ministre des relations extérieures porte pour suscription: «A Son excellence M. Guizot, grand ministre de France, chargé du département des affaires étrangères.» Elle se termine par la recommandation suivante: «Telle est la réponse que nous avons l'honneur d'adresser à l'illustre. ministre de France, le priant, pour éviter toute confusion, d'employer les mêmes termes dont nous nous sommes servis pour exprimer ses titres et ses pouvoirs.» Il résulte de là que M. Guizot sera obligé de signer grand ministre, sans quoi sa réponse ne sera pas reçue.--Ce n'est pas toutefois sur cette singularité chinoise, et sur l'épreuve à laquelle elle met la modestie de nos hommes d'État, que s'exerce la raillerie assez peu gaie, quoi qu'elle fasse, de la presse anglaise. Elle se rit de la peine que prennent M. de Ratti-Menton et de Lagrénée de se déranger pour demander ce que l'Angleterre avait obtenu pour eux. Elle trouve tout aussi ridicule le déplacement de M. Cusing, envoyé dans le céleste empire par le gouvernement américain; enfin, suivant leTimes, tous ces diplomates retourneront dans leur pays pour se faire moquer d'eux de ne s'en être pas apparemment remis exclusivement de leurs intérêts au désintéressement britannique. Le roi de Danemark va à son tour s'attirer les mêmes moqueries; car il vient d'envoyer également à Canton le conseiller d'État Maglebye Hansen, gouverneur des possessions danoises aux Indes-Occidentales, pour donner une extension nouvelle aux relations commerciales qui existent entre le Danemark et la Chine. Nous sommes portés à croire que si l'empereur recevait moins bien nos ambassadeurs et ceux des autres puissances maritimes, si même il les faisait maltraiter, l'Angleterre en rirait moins haut peut-être, mais à coup sûr d'un rire plus franc.--On annonce, sans que les faits soient encore bien connus ni même bien constants, que l'Angleterre s'est emparée de la position de Diego-Suarez, la plus saine et la meilleure de l'île de Madagascar, sur laquelle la France a des droits dont le ministère de la marine et les Chambres ont plus d'une fois soutenu l'incontestabilité. En revanche, nous aurions pris possession de Mayotte, une des quatre îles qui composent le groupe des Comores, et cela par une concession volontaire de la part des indigènes, qui veulent échapper ainsi aux perpétuelles attaques des Malgaches. Le journal ministériel qui a annoncé cette nouvelle a ajouté que la rade et l'îlot de Ndraouzi assurent à Mayotte, déjà toute garnie de récifs par la nature, une des plus belles positions militaires et maritimes que la France puisse ambitionner sur la route de l'Inde et de la Chine. Fort bien, sans doute; mais pourquoi pas plutôt l'île de Madagascar?--Dans le courant de juillet dernier,l'Uranie, allant aux îles Marquises, a rencontré, dans la rade de Valparaiso,la Boussole, qui en revenait. Toute collision entre les Français et les naturels était apaisée; mais, à O'Taiti, les difficultés qui s'étaient élevées entre les Fiançais et le commodore anglais duraient encore.
C'est après demain, 15 janvier, que s'ouvriront à Dublin les débats du procès fait à O'Connell et aux autres chefs de l'association du rappel. La liste du jury arrêtée dans les premiers jours de ce mois présente fort peu de choses de salut aux accusés. On y compte, dit-on, douze radicaux et rappeleurs et trente-six whigs et tories, O'Connell paraissait avoir prévu ce résultat des manœuvres quand il disait, ces jours derniers, à Cork: «Supposez le jury de Dublin composé d'hommes loyaux et impartiaux, et l'affaire ne durera pas plus de quarante-huit heures; si, au contraire, il se compose de bigots et d'hommes de parti, et cela est très-probable, parce que la partie se joue avec des dés pipés, le résultat est clair, je descendrai au cachot; mais ce ne seront ni les barreaux, ni les verrous de ma prison, qui diminueront ma sollicitude pour la patrie et mon amour pour l'Irlande. Au contraire, ces sentiments affectueux ne feront que croître, car il est dans la nature de l'homme d'aimer précisément les objets pour lesquels il endure la persécution.»--Le 5 de ce mois, la voiture de la reine d'Angleterre a versé près du village de Norton. Cet accident n'a pas eu de suites fâcheuses.
Nous ne garantirons pas le même bonheur au char de l'État espagnol, que la reine Isabelle, ou plutôt le général Narvaez, nous paraissent engager chaque jour dans une voie plus périlleuse. On fait revivre la loi de 1840 sur les municipalités, loi qui a achevé de dépopulariser la reine Christine, et dont la promulgation a amené la crise qui l'a fait sortir d'Espagne. On espère sans doute que ce qui a si fatalement porté malheur à la mère consolidera la fille.--Pour le royaume de toutes les Espagnes, où les choses et les hommes vont et se conduisent si inexplicablement, cela peut être au fait un raisonnement comme un autre.--Une capitulation provisoire a été arrêtée le 30 décembre entre le baron de Meer et Ameller pour la reddition du fort de Figuières. Un aide-de-camp du capitaine-général est parti pour aller la faire approuver à Madrid. La suspension provisoire d'hostilités était de dix jours.
Il y a peu d'entente en ce moment en Allemagne entre les sujets et leurs gouvernements. Une émeute vient d'éclater à Furth en Bavière. En Prusse les dispositions ne sont pas plus favorables. Jusqu'à présent on avait laissé aux journaux allemands assez de liberté sur les événements armés dans les pays étrangers, mais le cabinet prussien a pris à cet égard une résolution inattendue. Il vient d'être ordonné de ne plus donner de louanges à O'Connell. Plusieurs directeurs de journaux allemands avaient fait des arrangements pour être bien renseignés sur le procès qui va s'ouvrir à Dublin. Le gouvernement prussien se déclare contre les catholiques irlandais, par crainte de l'exemple qu'ils pourraient donner aux catholiques des provinces rhénanes.--Le roi de Hanovre poursuit sa tâche jusqu'aux conséquences les plus excessives. Par une ordonnance publiée, il y a quelques jours, il défend aux bibliothèques publiques et aux cabinets de lecture de tenir aucun livre s'il n'a été préalablement et de nouveau présenté à un censeur créé dans ce but. Les journaux littéraires de toute l'Allemagne seront également soumis à un censeur spécial. Il est défendu aux libraires de recueillir des souscriptions pour des livres populaires, bien que ces livres ne puissent paraître sans l'imprimaturdes censeurs. Le roi anglais n'aime guère la littérature allemande, et il est plus que probable que ses censeurs feront éloigner des bibliothèques toutes les œuvres de Schiller, Goethe, Jean Paul, Lessing, Herder, Sehnbart, Ulric von Hotten, enfin tous les écrits qui porteront la moindre teinte de liberté et de nationalité.
Il règne à Athènes une grande agitation dans les esprits, et cette disposition a d'abord donné lieu à penser que le feu qui, le 19 décembre, a consumé en quelques heures l'hôtel des affaires étrangères, y avait été mis par la malveillance. Il est constant aujourd'hui qu'il a pris par hasard et que ce désastre ne se rattache pas par conséquent à la tentative criminelle d'incendie dont le palais de l'Assemblée nationale avait été lui-même l'objet dans la nuit du 11.
Les temps maudits paraissent être arrivés pour la gent animale. Nous avons parlé, il y a peu de temps, de ces repas de viande de cheval auxquels se livrent en grand nombre et avec grand appétit des gastronomes allemands pour lesquels nos pauvres coursiers vont devenir de la chair à pâté. Aujourd'hui, voilà les rats qu'un acte de société menace d'une destruction beaucoup plus complète que celle qu'ont jamais entreprise.
La nation des belettes,Non plus que celle des Chats.
La nation des belettes,Non plus que celle des Chats.
La nation des belettes,
Non plus que celle des Chats.
Une commandite vient de s'organiser pour cette grande œuvre. Voici un extrait de l'acte passé devant Me Baget, notaire à Nauphle-le-Château (Seine-et-Oise), le 17 décembre 1843, enregistré. «M. Charles-Adrien Paris, destructeur de rats, demeurant à Nauphle-le-Château, et M. Edmé Frégé, aussi destructeur de rats, demeurant à Paris, ont établi entre eux une société en nom collectif pour la destruction des rats et des souris, s'étendant à toute la France, La raison sociale est:Paris et Frégé, la durée est fixée à vingt ans, à compter du 17 décembre 1843. L'apport social est de 500,000 francs.» Ce n'est pas tout, et si M. le ministre des finances a pu récemment faire annoncer, par le discours de la couronne, que l'équilibre si désiré allait être rétabli dans nos limites, c'est, dit-on, aux dépens des chiens que ce problème, qui semblait et qui semble encore insoluble aux incrédules, aurait été trouvé. M. le ministre va, assure-t-on, au budget de 1844, proposer un impôt sur la race canine. Déjà , depuis longues années, plusieurs conseils généraux réclament à chaque session pour l'établissement de cette taxe. On se rendrait enfin à leurs instances, et le chien de l'aveugle, celui du berger et du garde-champêtre seraient seuls exempts. Les conseils de départements qui se sont occupés de cette question y ont vu non-seulement une source nouvelle du produits, mais aussi un moyen de rendre moins fréquents les cas d'hydrophobie; car cette maladie se manifeste le plus ordinairement chez les animaux errants et sans maître, ne trouvant et ne prenant qu'une nourriture insuffisante et insalubre. Or, comme il n'y aura plus que des chiens domiciliés et patentés, et que tous ceux qui ne seront pas en mesure de pouvoir représenter à la première réquisition leur quittance, du percepteur, pourront et devront même être abattus, les chances de rage se trouveront concentrées Entre les contribuables classe de chiens qui présentera des garanties. Une ordonnance du conseil provincial du Brabant, du 26 juillet 1837, a établi cet impôt dans une partie de la Belgique. Il est progressif d'après la race des quadrupèdes. Le lévrier paie 35 fr., ou, plus exactement, coûte 35 fr. par an à son maître; le chien de chasse, 5 fr.; le vulgaire de la race canine n'est imposé qu'à 2 fr.
Les statisticiens n'ont pas perdu leur temps; ils viennent de s'exercer sur les bagnes. Ils y ont trouvé, au 1er janvier 1843, 7,309 forçats, ce qui donne sur le 1er janvier 1842 un progrès croissant de 401 galériens. C'est fort consolant. Ces messieurs se trouvent classés par professions, et nous y trouvons 5 ecclésiastiques, 7 fonctionnaires publics, 6 notaires; ils sont partages en célibataires, en hommes mariés et en veufs, et levox solide l'Évangile se trouve justifié: le garçon y domine; ils sont rangés par nature de crimes, et c'est avec douleur qu'on en voit 5 figurer avec l'annotation suivante:crime politique; ils sont répartis par départements, et celui de la Seine y figure pour le plus fort du tous les contingents (199), comme celui des Basses-Alpes pour le plus faible (23). Enfin, ils sont divisés par religions, et MM. les statisticiens, après avoir attribué au catholicisme, au luthérianisme, au calvinisme, au judaïsme, au culte anglican, à celui de Mahomet et à la secte anabaptiste, ce qui revient à chacun dans cet honorable troupeau, déclarent qu'ils oui trouvéneufforçats sans religion. Nous aurions cru, en vérité, qu'il y en avait un bien plus grand nombre.
La mémoire du Casimir Delavigne reçoit de tous côtés l'hommage qui est dû au talent élevé et à l'honorable caractère de ce poète national. Son jeune fils sera élevé, aux frais de l'État, au collège de Henri IV, et sa veuve vient d'être inscrite pour une somme annuelle de 3,000 francs sur les Fonds de pensions et d'encouragements littéraires des ministères de l'intérieur et de l'instruction publique. Toutes les fois qu'on accorde une de ces pensions qui honorent en même temps et celui qui l'a méritée et le ministre qui a la justice de récompenser le mérite, un donne à ces mesures la plus large publicité. N'est-ce pas, comme on l'a déjà dit, faire le procès aux pensions que l'on tient secrètes, et reconnaître qu'il serait mieux de supprimer ce qu'on trouve bon de cacher?--Le conseil municipal du Havre, ville natale de Casimir Delavigne, a décidé qu'une souscription y serait ouverte pour lui élever une statue. Il a été arrêté en même temps que le nom du poète serait donné à un des quais de ce port.--Enfin les comédiens français, réunis en assemblée générale, ont décidé que son buste, exécuté par un de nos premiers artistes, serait placé dans le foyer public du la comédie.
Les travaux de l'église de Saint-Denis seraient terminés depuis longtemps si l'on n'avait successivement à refaire toute la partie artistique de cette inintelligente restauration. Nous avons déjà eu à annoncer que le Comité Historique des Arts et Monuments avait obtenu tout récemment, par ses instances, que l'on enlevât les moustaches et la barbe en pierre que l'architecte restaurateur avait mise à une statue de Marie, qui occupe le tympan du grand portail. Aujourd'huil'Universréclame la rectification d'une erreur absolument différente, commise sur une autre statue de la même église. Dans la chapelle Saint-Eugène, sur le retable du quatorzième siècle qui domine l'autel, on voit Jésus crucifié entre sa mère et saint Jean l'évangéliste. On a fait de saint Jean, sainte Madeleine. Puisqu'on vient de faire droit à la réclamation relative à la vierge Marie convertie en homme, ou écoutera, il faut l'espérer, celle qui concerne un apôtre métamorphosé en femme. --Les archives et la bibliothèque de la ville de Cambrai ont déjà fourni aux Sulpiciens chargés de publier la dernière édition des œuvres de Fénelon des lettres et des documents inédits très-précieux; mais que communication récemment faite à la Commission historique du département du Nord annonce une correspondance volumineuse et inédite de cet auteur avec une princesse Albertine de Salin.
Découverte du cœur de saint Louis,à la Sainte-Chapelle.
La boîte trouvée dans le chœur sous l'ancien autel de la Sainte-Chapelle a cette semaine donné naissance à une polémique nouvelle à laquelle sont venus prendre part des combattants nouveaux. De tout cela la seule chose incontestable et la seule quel'Illustrationpuisse constater, c'est la découverte de la boîte. A qui a appartenu le cœur qu'elle renfermait? Là s'ouvre le champ des conjectures, et chacun de faire la sienne. Pour M. Letronne, il n'en veut pas mais, mais en revanche il ne veut pas admettre sans preuves celles que les autres font, et adorer sur parole, comme relique d'un saint, ce qui n'est peut-être que la cendre d'un mécréant. Ainsi M. le baron Taylor a beau dire: «Mais j'arrive de Montereale, où l'on m'a envoyé, et je n'y ai pas trouvé le cœur saint Louis: donc il était à la Sainte-Chapelle.» M. Letronne, un peu plus logicien, n'admet pas cette conclusion comme très-rigoureuse, et répond: «Monsieur le baron, si vous ne l'avez, pas trouvé à Montereale, cela prouverait tout au plus qu'il n'y est pas, et rien de plus.» «Mais, dit M. le comte Horace de Vieilcastel, si l'on nommait une commission pour aller chercher le cœur de saint Louis dans les anciens inventaires de l'abbaye de Poissy? Poissy n'est pas si loin que Montereale, et une commission raisonnera mieux que M, Taylor.» «M. le comte, répond M. Letronne, ne dérangez, personne; l'abbaye de Poissy n'a jamais possédé que le cœur de Philippe le Bel, avec cette inscription;C'y deden(dedans)est le cœur du roi Philippe, qui fonda cette église, qui trépassa à Fontainebleau, la veille de saint André, 1314.» M. Letronne rapporte à cette occasion l'embarras où se trouvèrent des archéologues, dignes ancêtres du plus d'un de nos prétendus antiquaires, qui découvrirent dans l'église d'Avon, près de Fontainebleau, une autre inscription qu'ils lurent ainsi;Ici gist le kœur de notre sire le roi de France et de Navarre, et le kœur de Jehanne, reine de France, et de Navarre, qui trépassa,etc. Voyez-vous ces messieurs avec deux cœurs de Philippe le Bel sur les bras? Mais ils ne s'étaient pas aperçus qu'au lieu dekœuril fallait lirekeux(queux); en sorte que la tombe était celle ducuisinierde Philippe le Bel et de la reine Jeanne, sa femme.
Presque tous les journaux viennent d'annoncer que le conseil municipal a décidé que tous les anciens ouvrages, mémoires, manuscrits, registres, collections, et surtout leLivre des Métiers, de Boyleau, relatifs à l'histoire, aux mœurs, aux usages, aux coutumes de la ville de Paris, seraient réimprimés aux frais du budget municipal. Nous croyons que cette annonce est plutôt une proposition faite au conseil, qu'une décision enregistrée. S'il agrée la proposition, qui est bonne en elle-même, et qui est peut-être, sous ce rapport, préférable au proposant, que nous n'avons pas l'honneur de connaître, il fera bien de ne confier le travail qu'à un paléographe sérieux. Celui-ci se fera un devoir de lui épargner les frais des réimpressions qui pourraient être inutiles et de le prévenir notamment que le livre d'Étienne Boyleau a été réimprimé en 1837 dans laCollection des documents inédits sur Histoire de France. Il est vrai qu'il y porte le titre deRèglements sur les arts et métiers de Paris au treizième siècle, et si M. l'aspirant paléographe du la ville ne lit pas plus loin que le titre d'un volume, l'erreur s'explique d'elle-même.
LePatriote jurassiena rapporté l'anecdote suivante: «Louis-Denis-Catherin Grosset, né à Dole, le 25 décembre 1750, ancien administrateur, ancien président du tribunal de Lure (Haute-Saône), mort à Crisey, le 22 août 1817, avait eu dans sa jeunesse un goût très-vif pour faire des armes; aussi avait-il la réputation d'un bretteur. Un jour qu'il était à Auxonne, il se prit de querelle avec Bonaparte, et se battit en duel avec lui. Lorsque Bonaparte fut arrivé au pouvoir, Grosset lui demanda un emploi. Sa requête contenait un singulier passage; «Si tu ne me connais pas, tu te rappelleras du jeune Dolois qui t'a donné un coup d'épée sur le rempart d'Auxonne.» Bonaparte, au lieu de se fâcher, fit droit à la requête de Grosset, et le nomma procureur impérial à Béfort.»
Les deux fauteuils vacants de l'Académie Française sont toujours le point de mire d'une foule d'ambitions littéraires et autres. Casimir Delavigne avait eu pour prédécesseurs dans le sien Serizay, Pellisson, Fénelon, de Boze, Clermont, Du Belloy, Doras, Cambacérès et Ferrand. Quel sera son successeur? M. Vatout a, dit-on, ses raisons pour croire que ce ne sera ni M. Alfred de Vigny, ni M. Sainte-Beuve, ni aucun des concurrents de M. Saint-Marc-Girardin au fauteuil de M. Campenon.
Nous n'avons qu'une mort à enregistrer, c'est celle de Maria Stella, cette femme qui se disait la véritable fille du due d'Orléans, père du roi, et prétendait avoir été changée, au moment de sa naissance, contre celui-ci, qui avait reçu le jour d'un geôlier d'une ville d'Italie. Maria Stella publiait de fréquents mémoires pour revendiquer la succession qu'elle disait lui appartenir, il est probable qu'elle eût volontiers transigé sur ses droits; mais elle sera peut-être morte sans que l'idée lui en soit venue.
L'ouverture des cours du Collège de France et de la Sorbonne est, chaque année, un événement pour la population studieuse du quartier latin et pour tous les lettrés de Paris, et la rentrée des professeurs aimés du public est impatiemment attendue par la foule de leurs auditeurs. Cette année surtout cette impatience se faisait encore plus vivement sentir que d'ordinaire: d'une part, les débats de l'Université et d'une partie du Clergé ont donné aux noms de MM. Michelet et Quinet une popularité qui leur assure un nombreux auditoire; d'autre part, le livre remarquable récemment publié par M. Saint-Marc-Girardin devait inspirer à chacun de ceux qui l'avaient eu le désir d'entendre le spirituel professeur continuer, dans sa chaire, ce brillant volume, qui n'est encore, pour ainsi dire, que la première pierre de l'édifice.
Collège de France--Salle des Cours.
M. Michelet rentrait dans sa chaire avec un nouveau titre de plus: il venait de publier le septième volume de sonHistoire de France, monument encore inachevé, mais qui compte déjà parmi les plus beaux et les plus considérables de notre époque. Une triple salve d'applaudissements a accueilli l'illustre historien. M. Michelet continuera à traiter cette année le magnifique sujet qu'il a choisi, c'est-à -dire qu'il appliquera les principes de la philosophie de l'histoire, exposés dans les deux années précédentes, à l'histoire des trois derniers siècles. Sa première leçon a été une charmante conversation sur la conversation elle-même, une histoire ingénieuse et fine de la causerie française.
M. Michelet.
M. Quinet, retenu en Espagne par une mission officielle, est attendu vers la fin de janvier. Son intention, s'il faut en croire l'affiche des cours, est de suivre encore cette année une marche parallèle à celle de son illustre collègue, M. Michelet: «il fera l'histoire de la littérature et des institutions de l'Europe méridionale au dix-septième et au dix-huitième siècle.» Le titre seul de ces futures leçons en garantit d'avance le succès.
M. Philarète Chasle, laissant cette fois de côté la littérature anglaise, fera l'histoire intellectuelle de l'Allemagne au dix-huitième siècle.--M. Labitte expliquera d'abord le quatrième livre de l'Enéide, puis il fera l'histoire de la poésie comique et satirique chez les Latins, comparée avec la comédie et la satire modernes.--M. Michel Chevalier traitera du crédit.--M. Ampère fera l'histoire de la poésie française au dix-septième siècle.
A la Sorbonne, M. Saint-Marc-Girardin continue en ses leçons, comme nous l'avons dit, le volume qu'il vient de publier sur l'usage des passions au théâtre. Le spirituel professeur, après avoir passé en revue les pères, les mères et les fils du théâtre, en examine maintenant les amants. Les leçons de M. Girardin ont, d'ailleurs, un attrait de plus que ses livres, ce sont les piquantes digressions dont il se plaît à interrompre ou plutôt à enrichir le cours de sa leçon, et qui servent de commentaire ingénieux à son enseignement.--Le grand amphithéâtre de la Sorbonne peut à peine contenir la foule pressée des auditeurs de M. Saint-Marc-Girardin.
M. Ozanam, faisant l'histoire littéraire de l'Italie, gagne davantage chaque année les sympathies du public; la parole vive et chaleureuse, l'imagination riche et brillante, du professeur, touchent en même temps le cœur et l'esprit des auditeurs; nul doute qu'avant peu M. Ozanam ne soit compté parmi les plus brillants professeurs qui ont paru dans les chaires de la Sorbonne.
M. Edgar Quinet.
Nommons encore M. Egger, qui fait l'histoire de l'éloquente politique et judiciaire en Grèce; M. Patin, qui traite de la poésie lyrique chez les Romains et particulièrement des odes d'Horace; M. Gérusez, qui se fait, comme M. Ampère au collège de France, l'historien de la littérature française au dix-septième siècle; enfin M. Simon, qui continue l'étude sérieuse qu'il a commencée de la philosophie alexandrine.
Toutefois, on peut prévoir que la vogue sera encore, comme l'an dernier, au Collège de France; jadis la Sorbonne, au temps des Villemain, des Cousin et des Guizot, effaçait les leçons de MM. leslecteurs royaux; mais, aujourd'hui, soit par défaut de liberté, soit pour toute autre cause, son enseignement n'a plus ni la même autorité, ni le même éclat que celui du Collège de France; et son public se compose presque uniquement de la jeunesse studieuse, qui ne vient point chercher dans les cours publics d'émotions étrangères à l'objet de ses études.
(Suite et fin.--Voir t. II, p. 248.)
Nous avons montré l'origine de l'œuvre des Enfants Trouvés et les développements successifs de la maison de Paris. Il nous reste à faire connaître, non pas la législation qui régit l'institution générale, car cette législation est souvent contradictoire et demeure par conséquent inobservée, mais le mode ou quelques-uns des modes d'administration qu'on y a substitués, et qui ont le défaut, comme la loi elle-même, de manquer d'ensemble et d'unité.
Un décret organique du 19 janvier 1811 s'est proposé de refondre toute la législation relative aux enfants trouvés.
Ce but, il ne l'a point atteint, car il a laissé la jurisprudence incertaine et n'a pas vu consacrer par nos mœurs et par l'usage les principes qu'il a voulu établir. Par ses dispositions les enfants trouvés sont mis hors du droit commun et déclarés la propriété de l'État. Dès qu'ils ont atteint leur douzième année, les enfants mâles, en état de servir, doivent être mis à la disposition du ministre de la marine. Ceci ne s'exécute point, ceci n'a jamais pu être exécuté. Les commandants de bâtiments ont manifesté un tel éloignement pour ces mousses de par la loi, ils ont fait valoir de si bonnes et de si naturelles raisons pour démontrer que les enfants du littoral, les fils des marins, sont pour la marine une pépinière tellement préférable aux hospices des Enfants Trouvés, que cette prescription de la loi n'a jamais reçu même un commencement d'exécution. C'est par les désavantages de son côté pratique qu'elle s'est trouvée abrogée; elle ne méritait pas moins de l'être par l'indignité de son principe. C'était en effet la restauration de l'esclavage ancien. A Rome, l'enfant trouvé appartenait à qui l'avait recueilli et élevé. En France, c'eût été l'État qui, prenant ces soins, se fût attribué cette propriété. La différence n'eût été que dans la qualité du maître: l'enfant eût toujours été esclave; et cela, sans doute pour le punir d'un abandon dont il est trop puni lui-même, et pour être indemnisé, d'une charge que ses père et mère ont imposée à l'État, et qui ne saurait légitimement donner de recours que contre eux. Les enfants trouvés ne Sont donc pas marins, malgré la loi. Ils sont placés chez des cultivateurs, ou dans des ateliers, par les soins des commissions, administratives des hospices à qui leur tutelle est déférée, et demeurent sous cette dépendance jusqu'à leur majorité, à moins que les cas trop rares d'émancipation, de mariage ou de réclamation de la part des parents en soient venus abréger ce terme. Ces exceptions, nous le répétons, sont très-peu communes; la règle est que l'enfant trouvé travaille sans salaire qui lui profit jusqu'à vingt et un an, et que quand cet âge a sonné pour lui, il devienne libre, ce qui, peut malheureusement dans la réalité se; traduire par être sans appui, sans guide et exposé à tous les mauvais conseils de la misère.
Nous avons dit que la jurisprudence était incertaine. L'exposition d'un enfant est condamnée par nos lois, et nous reconnaissons que les circonstances qui l'accompagnent peuvent être si diverses et sont quelquefois si difficiles à apprécier, qu'une peine uniforme serait, pour la plupart des cas, injuste. Mais ce n'est pas l'appréciation de ces circonstances qui a amené les inégalités les plus disparates dans l'application des peines. Des cours n'ont vu dansune exposition de partqu'une exposition de part; d'autres ont voulu y voir la suppression de l'état civil d'un individu. De là trois mois de prison infligés d'un côté, tandis qu'une peine de quinze ans de travaux forcés etait prononcée d'un autre.
Le décret de 1811 n'avait donc ni résolu la difficulté administrative, ni servi à fixer clairement la pénalité; mais du moins il devait avoir pour effet d'en rendre l'application rare et d'ôter tout prétexte atténuant à l'exposition d'un nouveau-né. Il avait ordonné qu'un hospice d'enfants trouvés pourrait être établi dans chaque arrondissement, et qu'un four devrait être, pratiqué dans chacun de ces hospices. Le dépôt d'un enfant dans un tour garantissant à la mère un secret complet et étant un acte déclaré innocent, celle qui, au lieu du le porter à cette crèche hospitalière, où il passe immédiatement du sein de celle qui l'abandonne aux soins d'une infirmière toujours dans l'attente, compromettait la vie du petit malheureux en l'exposant dans un lieu plus ou moins fréquenté, celle-là n'était digne d'aucune pitié, et les tribunaux savaient qu'ils devaient sévir. Voilà , sous le point de vue pénal, le service qu'avait rendu le décret.
Mais bientôt l'institution du tour s'est trouvée attaquée de plus d'un côté. Nos lecteurs savaient sans doute se rendre compte du tour avant que le dessin qui accompagne cet article l'eût mis sous leurs yeux; nous l'avons cependant regardé comme nécessaire, et nous croyons devoir ajouter que le tour est un cylindre en bois convexe d'un côté et concave de l'autre, tournant sur lui-même. Le côté convexe fait face à une rue, l'autre s'ouvre dans l'intérieur d'une salle de l'hospice: une sonnette est placée auprès à l'extérieur. Une femme veut-elle exposer un nouveau-né, elle avertit la personne de garde par un coup de sonnette. Aussitôt le cylindre, décrivant un demi-cercle, présente au dehors, sur la rue, son côté vide, reçoit le nouveau-né, et l'apporte dans l'intérieur de l'hospice en achevant son évolution. Ainsi la personne qui dépose l'enfant n'a été vue par aucun des servants de la maison, et elle aura pris ses mesures pour n'être pas aperçue des passants. Son secret sera donc bien gardé, en même temps que le petit abandonné ne sera point exposé aux intempéries de l'air.
Mais la population croissant et le nombre des enfants trouvés croissant avec elle, le chiffre total de leur dépense surtout devenant plus considérable parce que les bons soins et la suppression de l'exposition loin de l'hospice avaient résolu les proportions de mortalité moins grandes, quoique bien élevées encore, les conseils généraux on pensé que le tour, son mystère, les facilités qu'il présentait, étaient comme une provocation à l'abandon des enfants et qu'en les supprimant, sans trop se préoccuper des conséquences, on arriverait à réduire le nombre des enfants admis aux établissements publics, et par conséquent la dépense de ceux-ci. Les défenseurs du tour ont dit, et vainement, que c'était une erreur de croire qu'il encourageait la corruption de la morale publique; qu'il y avait d'autant plus d'enfants trouvés, proportionnellement aux naissances illégitimes, que les mœurs étaient plus pures, en d'autres termes, que moins il y a de naissances illégitimes dans un département, plus le nombre des enfants trouvé est considérable. Ainsi ils ont fait observer que le département d'Ille-et-Vilaine, celui de France où les naissances naturelles sont le moins nombreuses, est en même temps celui où les enfants trouvés sont le plus nombreux par rapport au nombre des enfants illégitimes; que, d'un autre côté, le département de Saône-et-Loire, qui est le troisième dans l'ordre des naissances naturelles, c'est-à -dire le plus corrompu de tous les départements après ceux de la Seine et du Rhône, est celui qui compte le moins d'enfants trouvés relativement au nombre des enfants illégitimes; que cette règle ne souffre de remarquables exceptions qu'à Paris, à Lyon et dans les grandes villes, et qu'ainsi on est forcé de reconnaître que le sentiment de la honte fait abandonner beaucoup plus d'enfants que la démoralisation.
Ces raisons, et beaucoup d'autres, ne l'ont pas emporté, partout, et dans plusieurs départements, comme dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, les tours ont été supprimés, sans que pour cela le nombre des naissances illégitimes ait été moins élevé, bien entendu. Le Bas-Rhin compte soixante-dix-neuf de ces naissances sur mille enfants, tandis que le département d'Ille-et-Vilaine, qui a sept tours ouverts, ne donne que vingt et une naissances illégitimes sur le même total. De plus, les chiffres font foi que dans plusieurs grandes villes, avant comme après l'établissement du tour, le chiffre des entrées a été à peu près le même. On n'a donc rien gagné sous le rapport moral. On n'est pas arrivé à un résultat plus significatif sous celui de l'économie, et, de plus, on a substitué un arbitraire local, souvent expliqué à contre-sens, à une règle une, à une mesure uniforme. Ici les tours sont fermés, mais dans le département voisin ils sont ouverts, et l'on y envoie des enfants de loin, ce qui expose leur vie, et ce qui met à la charge du département qui a maintenu les tours une partie des enfants abandonnés de celui qui les a fermés. C'est un état de choses intolérable, contre lequel les conseils généraux réclament avant tout, et que ceux qui sont le plus entiers dans leur opinion regardent comme plus fâcheux même que l'abandon d'un système qui n'est pas le leur, mais qui aurait du moins le mérite d'être général.
A Paris, où le nombre des enfants abandonnés n'avait pas suivi une marche ascendante, malgré l'augmentation du nombre des habitants, et où l'accroissement dans la population des enfants trouvés ne venait que du bienfait de la vaccine, des soins hygiéniques, de la surveillance exercée sur les nourrices, et de l'inspection fréquente des enfants, toutes mesures qui ont diminué les cas de mort; à Paris, dans les derniers mois de 1837 il a été pris un parti pour arriver, non pas a arrêter une augmentation qui ne se manifestait pas, mais à faire décroître le nombres des abandons, et par conséquent le chiffre des dépenses. On n'y avait pas songé tant que la mort s'était chargée d'éclaircir les rangs; mais quand elle n'a plus rendu ce triste service, on a été effrayé de l'importance du budget. Là , ou n'a adopté ni la clôture du tour, comme dans certains départements, ni son ouverture mystérieuse, comme dans ceux qui sont demeurés fidèles à l'esprit de cet article du décret de 1811; on a fait du tour une espèce de piège où viennent se faire prendre les pauvres mères auxquelles la honte surtout fait le plus souvent adopter le parti extrême de déposer leur enfant. C'est pour que leur faute ne soit pas connue, c'est pour que le déshonneur et le déchirement ne soient pas portés dans leurs familles, qu'elles se rendent en secret au tour de l'hospice de la rue de la Bourbe. Elles sonnent, mais au lieu de voir le tour s'offrir à leurs enfants, elles sont entourées par des surveillants mis aux aguets, et apprennent qu'on n'en reçoit aucun sans déclaration.
Dans un rapport que nous avons sous les yeux, adressé, à la suite de l'adoption de ces mesures nouvelles, par M. le préfet de police à M. le ministre de l'intérieur, cet administrateur est amené à reconnaître que deux de leurs conséquences ont été, que plusieurs infanticides oui été commis (2), et que les expositions d'enfants nouveau-nés ont été plus nombreuses. Il est grave d'avoir ce double aveu à faire; et, quant aux intérêts de la morale, nous ne croyons pas qu'ils aient été, bien servis par la mesure qu'on a substituée à la libre réception des enfants. On propose à la mère qui fait mine de vouloir déposer son fils de lui accorder une somme mensuelle si elle consent à le garder. Ou comprend combien de fois la comédie du semblant de dépôt doit être jouée, uniquement pour arriver à ce dénoûment intéressé. La dépense peut être moins élevée, mais elle est beaucoup plus mal entendue. Aussi, plusieurs conseils généraux, qui n'étaient pas moins que la ville de Paris préoccupés des sacrifices auxquels ils condamnent les enfants trouvés, n'ont-ils pas hésité à dire néanmoins comme celui de l'Arrège en 1840: «Si, d'un côté, une semblable mesure peut amener une économie dans la dépense, on doit craindre, d'un autre de compromettre la morale publique, en laissant croire à la portion peu éclairée de la population qu'on accorde une indemnité pécuniaire pour un acte toujours affligeant pour la société;» et comme le conseil général de l'Aveyron, dans la session de 1842: «Vue pareille mesure est un outrage à la morale, une espèce de prime pour le libertinage.»
Note 2: La session des conseils généraux de 1843 n'a pas été favorable à la mesure de la suppression du tour. Le conseil général de la Dordogne, entre a été forcé de reconnaître que, depuis qu'elle avait été adoptée, les infanticides se sont multipliés dans le département dans une effrayante proportion. La Loire et la Meuse ont toujours été de cet avis, et prévu cette fatale conséquence. Elles se sont refusées, cette année encore, à fermer aucun de leurs tours, même à titre d''essai.
Voilà donc en quelque sorte trois systèmes concurremment en pratique: la suppression déclarée du tour, son ouverture sérieuse et réelle, son ouverture simulée ou sa suppression déguisée. Si nous prenions tous les points de cette importante question, nous verrions sur chacun d'eux la même divergence d'opinions, la même contradiction dans l'application. Ce qu'il faut donc demander à grands cris, c'est une législation sérieuse qui soit respectable et qu'on fasse respecter; c'est un système un, lequel ne sera praticable peut-être que quand la tutelle des enfants aura été enlevée aux commissions administratives pour être déférée au gouvernement, représenté par ses préfets. Mais comme cet état de choses si désirable se fera peut-être encore attendre, qu'il nous soit permis, avant de terminer, d'ajouter un dernier mot sur une mesure qui peut avoir de bons effets, conjurer des abandons et amener des économies, si l'on y recourt loyalement, mais qui n'est qu'un moyen odieux quand ou la comprend et quand on l'emploie comme on l'a fait dans plusieurs départements.
Le déplacement est la translation des enfants trouvés dans une commune éloignée du département ou même dans un département limitrophe. Si cette translation était opérée dans le premier âge, si on avait le soin ne bien rendre public, qu'on recourra toujours à ce moyen, ou empêcherait par là certaines mères de concevoir l'espérance, en faisant porter leur enfant nouveau-né au tour par un messager avec lequel elles sont d'intelligence, de voir celui-ci le leur rapporter à titre de nourrisson, leur procurant salaire; on enlèverait également aux parents qui peuvent être tentés de déposer leurs enfants, se flattant qu'ils pourraient, sans les avoir à leur charge, ne les pas perdre de vue, tout espoir de les voir demeurer près d'eux: enfin, on mettrait d'accord et l'intérêt des hospices et celui de la conservation des vies et des devoirs de famille. Mais ce n'est point ainsi qu'on procède, et ce sont de plus larges résultats d'économie que l'on veut atteindre par un calcul et un moyen devant l'odieux desquels quelques commissions administratives n'ont pas reculé. Quand les enfants sont parvenus au second ou au troisième âge, quand des liens affectifs se sont formés entre eux et les femmes auxquelles on les a donnés à nourrir, ou les familles d'agriculteurs ou d'ouvrier qui ont été chargées de les élever, tout d'un coup on vient annoncer que ces enfants vont être transférés dans un autre département, et l'on signifie à ces nouveaux parents adoptifs, toujours peu aisés et souvent pauvres, qu'il faut qu'ils consentent à les garder sans salaire, à se surcharger pour alléger d'autant l'administration, ou à se voir enlever leurs fils, leurs filles d'adoption. On spécule sur leurs bons sentiments sans prendre même la peine de déguiser le sentiment mauvais qui inspire ce calcul. Nous ne savons rien de plus immoral, de plus odieux, rien qui mérite davantage d'être flétri par l'indignation publique, Les auteurs d'un très-consciencieux ouvrage, couronné par l'Institut, que nous avons eu à consulter plus d'une fois pour ce court travail (3) repoussent le déplacement des enfants, mais demandant la suppression des tours. Notre conclusion sera aux trois quart opposée à la leur. Nous croyons le déplacement constamment annoncé et réellement opéré dans le premier âge, une mesure qui n'a rien que de moral et qui a son utilité. Nous croyons la suppression des tours un expédient dont les avantages financiers ne sauraient déguiser le danger. Nous croyons enfin que jamais question n'a réclamé plus impérieusement l'attention du gouvernement qui a à faire cesser les incertitudes le la loi, l'anarchie des mesures administratives, les contradictions des tribunaux et à se constituer le tuteur des enfants trouvés avant leur majorité, comme leur patron après.
Note 3: Histoire des Enfants Trouvés, par MM. Terme et Montfaucon, Paris, Paulin, 1840; in-8.