(Agrandissement)Ce numéro contient:1° Un portrait hors texte en couleurs:Henri Rochefort, par Marcel Baschet;2° LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre n° 12:Vouloir, de Gustave Guiches;3° UnSupplément économique et financierde deux pages.SOLDAT GREC.              SOLDAT BULGARE.LES ALLIÉS D'HIERAlliés sans être amis, ils gardaient ensemble, se surveillant l'un l'autre, le port de Salonique: mais cette coopération avait trop duré et, le 30 juin, les Bulgares étaient aux prises à Salonique avec les Grecs, en même temps qu'avec les Serbes dans la vallée du Vardar.Voir l'article, page 7.COURRIER DE PARISAPRÈS LA PISANELLES'il est vrai que c'est surtout après qu'ils ont vécu qu'il faille célébrer ceux que nous avons aimés, ainsi ce sera quand elles sont accomplies que nous devrons, par la louange, entretenir les belles choses qui nous ont touchés. D'ailleurs on s'exprime mieuxaprèsquependant, et c'est la perte qui fait l'éloquence.Quand tout le monde a parlé de ce dont il fallait qu'on parlât pour obéir aux nécessités de l'instant, que chacun, avec la prodigalité du geste, a jeté son mot dans la fièvre et la hâte aussi de l'émotion première, il n'est pas inutile ni mauvais qu'une voix, quelconque, pourvu qu'elle soit frémissante et ménagée, prononce--dans le silence qui tend à s'établir et qu'elle ne veut pas laisser faire--un hommage détaché, un hommage qui, pour s'être exprès retenu, accepte d'avoir l'air tardif lorsqu'il tinte à son heure. Et c'est pourquoi, maintenant que sont tirés sur laPisanelle, dans notre mémoire empourprée, les orfrois des quadruples et lents rideaux au travers desquels nous continuons de voir l'inoubliable spectacle qui se prolonge, il m'est à la fois vif et chaud d'y revenir, d'en reparler, comme on tisonne des braises pour en faire un guêpier d'étincelles, comme on irrite une splendide étoffe pour l'entendre bruire avec ces hardis craquements qui sont le cri, l'âme de sa couleur, ou bien comme on la froisse et la maltraite pour y agacer des reflets, ou encore comme on s'efforce, en fermant les yeux pour mieux regarder, de retrouver en soi, après coup, un paysage dispersé, un aspect de la vie en fuite, une minute antérieure d'art et de magnificence.** *M. Gabriele d'Annunzio, escorté, flanqué, comme un jeune podestat de la légende et du rêve, d'une suite de magiciens somptueux et avisés, et marchant en compagnie d'une princesse de la Tyrannie esthétique et de la Volonté, nous a procuré en effet, avec son oeuvre récente, un éblouissement et un enchantement qui durent, qui coulent toujours, bien au delà de la soirée trop petite pour les tenir et les renfermer. Je ne pense pas que l'on ait déjà renoncé à se rappeler ces instants de satisfaction presque parfaite et si je dis presque, c'est pour ne pas décourager de la récidive ceux à qui nous devons la faveur de miracles pareils.Du poème dramatique de d'Annunzio, manifestement fou d'amour, le premier, de la Pisanelle, avant tous ses personnages, comment ne pas admirer la symbolique et vigoureuse grâce, l'imagination, de richesse inépuisable et pourtant toujours débordée, le sens ingénu enfin, simple et profond, qui se lit avec autant de clarté qu'un sentiment pur à fleur de candides prunelles? D'une inspiration naïve et populaire, le sujet tient en quelques mots qui déroulent et animent le plus merveilleux des contes. C'est l'histoire d'une pauvre fille de Pise, une créature de plaisir et de joie que sa beauté, dont elle est innocente, a prédestinée aux aventures passives de l'amour. Elle n'a qu'à paraître pour désordonner les hommes et les enflammer d'une passion dont le principe correspond à leur soif d'idéal, d'une passion qui les exalte alors même qu'elle les rabaisse, et qui transforme leur vie, l'illumine en la saccageant, de telle sorte qu'ils préfèrent lutter et s'entre-tuer pour la vaine possession de la Beauté, dès qu'en la connaissant ils l'ontreconnue, plutôt que de consentir à se passer d'elle une fois qu'ils ont subi la transfiguration qu'elle opère sur eux et sur toutes choses rien qu'en se révélant, sans un mot, sans un ordre, du seul fait de sa présence muette et dominatrice. Il suffit donc qu'elle soit là , brusquement déposée avec les cargaisons sur les quais de la Fatalité pour que, même liée, semblant inoffensive et impuissante, elle exerce son influence et fasse ensemble tout le bien et tout le mal qui sont sa double loi, son rôle et sa raison, pour qu'esclave elle soit la souveraine, du haut du butin où elle a été jetée et placée pour le couronner, dont elle est le sommet, le pinacle naturel attirant tous les désirs, les regards levés et les bras tendus, les coeurs en folie. Tous en effet la veulent et chacun la réclame comme étant sapriseet sa part légitime. Parce qu'ils se sont battus pour elle, voilà -t-il pas qu'ils se persuadent, les insensés, qu'elle doit leur appartenir! Les corsaires se la disputent à coups d'épée parmi les ballots égorgés, le ruissellement des tissus et des matières précieuses. Le sang coule sur les anneaux rouilles du port; les bandeaux des plaies sont arrachés et décollés par des mains que convulsé l'envie des caresses; des cris et des beuglements de bêtes percées bouchent l'air qui brûle, montent comme pour les enfler et les remplir jusqu'aux voiles gommées de vermillon et de safran des grands vaisseaux à triple étage caracolant sur des flots violets... Et la Beauté, la Beauté si difficile, et pourtant si facile hier encore, la prostituée de la veille devenue l'inaccessible de l'heure, mise aux enchères des convoitises et du rang, fouettée et comme flagellée par les poignées de pièces d'or qu'elle fait tomber à l'avance de la bourse des paumes vides, la Beauté finalement est prise et gardée par un jeune roi, tendre, extatique et prompt au mystère, qui croit recevoir avec elle la fiancée mystique de sa nostalgie, la Pauvreté, la Pureté venue exprès pour lui des immensités lointaines. Ce que voyant, la reine, jalouse et méchante, en feignant de la festoyer, fera périr la Pisanelle par la mort fleurie, l'étouffement rose. Quel fond, quelle trame pour un poète aussi avide, aussi divers et aussi rassemblé, aussi large et aussi minutieux que M. d'Annunzio! Sur ce canevas rigide et tendu comme la hune de la nef et souple comme le béguin de la Béate, il a pu broder à son entière ivresse tous les motifs, tous les entrelacs, tous les ornements, toute la faune et la flore et la bestiaire poétique de sacomédie, car à côté et sous les terribles ébats et combats de l'action brutale, sous le tumulte des chocs, sous l'arc-en-ciel du fer et des couleurs, sous le retentissement métallique des sonorités humaines, est sagement, implacablement, logiquement exposée, déduite et menée au pas--comme un cheval blanc qui piaffe un peu, par manière, mais qu'on tient haut la bride, sans le regarder pour qu'il avance mieux--est menée une comédie intellectuelle, une pièce de caractère et d'idées qui est comme le texte même, la pensée fondamentale et philosophique tracée en nobles et vastes lettres d'antiphonaire, d'une histoire tranquille, de tous temps, que déclament et commentent en marge à leur façon, dans des enluminures passionnées, des personnages héroïques. L'auteur parle à voix presque basse et serrée, vibrante et douce, et ses pensées entremêlées alors de sons de cors, de cris de guerre, sont reprises, accentuées, entonnées ainsi qu'un chant d'assaut avec une belliqueuse frénésie par les gens de sa maison, je veux direceuxde son coeur et de sa pensée (comme Joinville et Proissart disentceuxde Bruges etceuxde Cornouailles), les gens d'armes et les lances à toute épreuve, au service de sa croisade.Et que cette figure de la Pisanelle attache donc et retient! Elle enlace à distance. Quoi de plus captivant que cette captive!... Par la profonde intention d'une antithèse nécessaire, c'est elle, la femme de rien, réduite à rien, à demi nue, ligotée, qui «est la cause de tout», qui bouleverse, noue et dénoue, et lâche la meute des événements. Elle a ce signe par lequel se distinguent les souverainetés qu'on adore: elle est impassible. Il ne peut en être autrement, car ce sont les hommages, les prières qui font le calme et le froid des statues. La cime ne s'émeut pas. La supplication qui gesticule crée de l'inerte résistance. Pour que les hommes s'agenouillent il faut que les figures divines, ou qui croient l'être, demeurent hautaines, toujours debout. Leur attitude alors ramasse et prend toute la grandeur à laquelle renoncent les prosternés, et c'est en elles que se réfugient les fiertés qu'ils abdiquent.Cette suprématie majestueuse et figée, Mme Ida Rubinstein l'a comprise et rendue avec la puissance qu'elle est seule capable de montrer quand elle la dompte. Elle a le génie de l'Immobilité. Elle en possède les longs et solennels moyens, l'invincible force latente. Je conserve l'image, modifiée à tous les actes, et de style toujours pareil, que l'altière comédienne, la mime intérieure, si réfléchie, si absorbée et comme résumée en elle-même, a donnée successivement de la courtisane ocreuse à la chair orangée, et de la nonne aux sveltesses de tige, aux blancheurs liliales. Sur elle, contre elle, au marbre de son pied nu qu'ils n'avaient même pas l'air d'atteindre et de gêner, venaient se briser tous les transports, se répandre l'eau des pleurs et le vin du sang,... et Elle, aussi bien sous les liens de roseaux croisés qui l'empaquetaient que sous la liberté flottante de la flanelle et du lin, et sous les plis de plomb des brocarts, gardait son même détachement, son tout proche et lointain recul, son absence réalisée dans la présence réelle.Derrière son immobilité l'on voyait pourtant l'âme évoluer et virer entre deux eaux, comme un poisson qui tourne sous la glace. On voyait l'esprit, le coeur de l'héroïne mille fois plus animés, sans qu'elle voulût le laisser paraître, que tous les corps qu'elle agitait, et l'on avait peine à suivre les innombrables et harmonieux mouvements qu'elle s'interdisait.** *Mais... j'irais longtemps si je prétendais énumérer les joies, et de toute espèce, que m'a prodiguées cette oeuvre étincelante et délicate, d'une opulence généreuse. Elle est de celles que la sensibilité du beau accueille comme un bienfait. Elle offre une splendide et rare chevalerie et j'en aime le lyrisme acéré, tranchant, combatif, éperdu, toujours dégainé, continuel aussi comme un flottement d'oriflamme.Quelques-uns ont paru s'étonner que le poète ait subi la griserie vertigineuse de ses archaïques trouvailles... Ah! qu'il a donc, au contraire, été bien inspiré de s'y précipiter, de s'y rouler, de s'y baigner et de s'en être étourdi dans l'allégresse de ses évocations! Qu'il tienne à ses léopards! Je l'en conjure. Ils font, à dater d'aujourd'hui, partie de son écusson. Qu'il ne les cède jamais!Et puis,--c'est là -dessus qu'avant de terminer je voudrais un instant courber et retenir votre attention en y appliquant avec respect la mienne: connaissez-vous, aussi bien parmi nos talents chenus que parmi nos jeunes gloires, connaissez-vous parmi nos illustres, pourtant complets, enviables et fameux, connaissez-vousquelqu'unqui soit aujourd'hui capable, si le vent de son destin l'avait, pour un temps, lancé hors de sa patrie et forcé d'aller penser et s'enflammer ailleurs, en pays étranger, que ce soit Russie, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne, n'importe... connaissez-vous quelqu'un capable d'entrer en plusieurs mois assez avant dans le génie, les flancs et les entrailles de cette terre d'adoption pour s'en faire une seconde patrie, naturelle et méritée, pour puiser à livre ouvert, avec une curiosité indiscrète, touchante et sacrée, dans ses archives, dans l'histoire et les légendes de son passé et en ramener toute chaude, vivante, obtenue avec un charme, une correction, une science et une virtuosité filiale,une oeuvre écrite dans la langue même de ce pays qui n'est pas le sien, une oeuvre allant, s'il le faut, accrocher la foule, après qu'elle a plongé les artistes et les patriciens de lettres dans un ravissement émerveillé? Eh bien, non, sans médire de personne, je ne vois pas autour de moi l'écrivain, prêt, dans de semblables conditions, à se donner orgueilleusement et à remplir sans défaillance une aussi dure tâche.Ce noble but, Gabriele d'Annunzio l'a atteint. Je sais,... je sais qu'il a l'âme latine, qu'il était déjà gonflé de nos sucs, nourri de notre lait... Mais c'est égal... La langue française! Si redoutable! Si décourageante!... Il a osé s'attaquer à elle et la prendre, en la courtisant d'abord,... elle est femme... et puis en se faisant paladin, en la subjuguant par la beauté de son impétueux désir et la tendre ardeur de son amour.Pour ce rare et cet extraordinaire hommage que le grand poète lui a rendu avec toute son âme, en écrivant chez nous, et pour nous, laPisanelle, il serait injuste--ingrat--de ne pas le remercier par le plus beau de nos saluts.Henri Lavedan.(Reproduction et traduction réservées.)NOS HOTES AMÉRICAINSM. Lawrence LowellUn des personnages les plus considérables des États-Unis, M. Lawrence Lowell, président de l'Université d'Harvard, vient d'arriver à Paris, où il compte séjourner une dizaine de jours. Il est l'hôte de l'ambassadeur d'Amérique, et de multiples fêtes vont être données en son honneur.Nous nous faisons difficilement une idée, en France, de l'influence et du rayonnement qu'exercent les grandes universités dans la démocratie américaine. Nous sommes un peu portés, d'instinct, à croire cette démocratie uniquement préoccupée de ses intérêts matériels, exclusivement passionnée pour les affaires et désireuse par-dessus tout de «faire de l'argent».Il n'en est rien. Les grands besoins d'idéalisme la travaillent. Elle est plus qu'aucune autre sensible à l'action des forces morales.L'Américain est fier de ses universités, il leur porte un vif intérêt, il leur voue un culte fervent.M. Lawrence Lowell.Harvard est, parmi elles, une des plus prospères et des plus puissantes. Des donateurs généreux l'ont comblée de libéralités. Elle est riche à millions. Ses anciens élèves gardent fidèlement, précieusement, le contact avec elle. Tous les ans, vers la fin du mois de juin, a lieu une cérémonie des plus touchantes qu'on appelle leCommencement day. Les anciens d'Harvard tiennent à coeur d'y assister. Certains viennent de l'autre extrémité des États-Unis et se sont imposé, pour se mêler à leurs jeunes camarades, la fatigue d'un très long voyage. Une procession, un banquet réunissent, dans une communion amicale, les uns et les autres. On évoque parmi les impressions d'aujourd'hui les souvenirs d'autrefois. Et l'amour d'Harvard en sort considérablement grandi.Quand, dans un point quelconque du vaste univers, des anciens d'Harvard, desHarvardmen, se rencontrent, quelle que soit leur situation sociale, leur condition, ils fraternisent aussitôt. Il vient d'être créé à Paris unHarvard Club, sous les auspices de M. Bacon, ancien ambassadeur des États-Unis, un des protecteurs de l'Université, de M. James H. Hyde, le créateur à Harvard de ces conférences annuelles de littérature française, qui obtinrent un si retentissant succès et firent tant pour le développement des relations intellectuelles entre les deux pays. Les membres du Club se retrouvent de temps à autre dans de joyeuses réunions. Le côté gastronomique en est réglé, de main de maître, par notre excellent confrère Inman Barnard, correspondant duNew-York Tribune, qui possède en ces matières une compétence indiscutable autant qu'indiscutée.Le nombre des élèves d'Harvard qui occupent dans la politique, les professions libérales, la haute banque, l'industrie, le commerce, des situations de premier plan ne se compte plus. Dans toutes les branches de l'activité américaine, la vieille Université est représentée avec éclat. Tous ces hommes conservant pieusement les liens qui les unissent à leur ancienne école, on se rend compte par là de l'influence extraordinaire qu'une telle Université peut exercer.Il y a quatre ans, depuis le 19 mai 1909, que M. Lawrence Lowell en est le président. Né à Boston en 1856, élève d'Harvard, inscrit au barreau, conférencier, professeur, il fut enfin élevé par la confiance du comité et des anciens élèves à ces très importantes fonctions. Ses pouvoirs sont considérables. L'Université étant absolument indépendante et vivant sur ses propres ressources, c'est le comité, surtout le président, qui la dirigent comme ils l'entendent et sous leur propre responsabilité. Le président choisit les professeurs, et l'on sent tout de suite l'importance et la gravité de ce choix; il surveille les travaux, décide des réformes à accomplir, préside aux relations de l'Université avec le dehors.Depuis quatre années qu'il exerce ces fonctions, M. Lawrence Lowell s'en est acquitté à la satisfaction unanime. Sa réputation, très grande déjà aux États-Unis, n'a cessé de grandir.M. Lowell est l'auteur de plusieurs ouvrages réputés sur des questions politiques et économiques. Un de ses livres, le plus connu et sur le point de devenir classique, a pour titre: leGouvernement de l'Angleterre. C'est l'analyse la plus précise, la plus complète de ces mille institutions et traditions dont l'ensemble, prodigieusement embrouillé et compliqué, constitue le mécanisme politique du Royaume-Uni. M. Lowell prend, un par un, tous ces rouages; il l'étudié, il le démonte et nous fait voir comment il marche. C'est un service qu'il a rendu non seulement aux étrangers dont nous sommes, mais encore à beaucoup d'Anglais qui sentaient ces choses-là d'instinct, sans avoir jamais pris la peine de les approfondir!Raymond Recouly.M. Andrew CarnegieM. Andrew Carnegie, le grand philanthrope et l'un des plus puissants souverains de l'industrie et des finances de l'Amérique moderne, M. Andrew Carnegie, le roi du fer et le constructeur du palais de la Paix, est également depuis lundi l'hôte de notre capitale, où il est accueilli et fêté par tous les groupes ou représentants des institutions humanitaires dont il est le bienfaiteur.M. Andrew Carnegie.Rappelons que M. Carnegie, Ecossais d'origine, est né à Dumferline il y a soixante-seize ans. Sa famille alla, en 1848, s'établir à Pittsburg en Pensylvanie, où le jeune Andrew occupa successivement les emplois modestes de mécanicien, de télégraphiste et d'employé du chemin de fer. Sa puissante intelligence, son extraordinaire activité lui firent gravir rapidement les échelons de la hiérarchie industrielle. Une fonderie qu'il créa et qui prospéra d'une façon magique fut l'origine de cette immense fortune dont il emploie les revenus, non point à des oeuvres de charité--car il estime que chacun doit demander le nécessaire de la vie à son effort personnel--mais à créer des institutions pouvant fournir aux moins riches les agréments intellectuels de la vie. Aussi a-t-il surtout fondé des bibliothèques publiques dans un grand nombre de villes des États-Unis et dans sa ville natale, des musées d'art, des salles de concert, des laboratoires, des établissements scientifiques, etc. Enfin, c'est lui qui donna les fonds nécessaires pour la construction, à la Haye, du palais de la Paix.Dès le lendemain de son arrivée à Paris, M. Andrew Carnegie a été reçu par le président de la République. Auparavant, il y avait eu, au ministère de l'Intérieur, une séance spéciale pour la fondation Carnegie(Hero Fund). Le soir, un banquet, présidé par M. Emile Loubet, avait été organisé par les associations et institutions suivantes qui doivent soit leur existence, soit d'importantes subventions au grand philanthrope: la fondation des héros, le comité France-Amérique, l'Université de Paris, le groupe parlementaire de l'arbitrage et de la conciliation internationale, le conseil européen de la dotation Carnegie pour la paix, le conseil national des femmes françaises, le musée social.HENRI ROCHEFORTA quatre-vingt-deux ans, Henri Rochefort vient de succomber, à Aix-les-Bains, à une crise d'urémie: il n'y a guère plus d'un mois qu'il avait donné à laPairie, dont il était le collaborateur fidèle, son dernier article, avant d'aller, comme chaque année il le faisait, se reposer quelques semaines. Voilà close une carrière aussi étrange, aussi mouvementée qu'elle fut longue,--et heureuse, au demeurant; car, vraisemblablement, Rochefort, spontané, impétueux, passionné pour tous les rôles qu'il joua, quelle qu'en ait été la paradoxale diversité, toujours prêt à se lancer dans l'aventure avec une tranquille insouciance des suites possibles, n'eût pas donné, pour un destin plus calme et moins fertile en émotions, cette existence agitée qu'il a comparée lui-même, à l'âge où il jetait, en arrière, un regard désabusé, à une ligne de montagnes russes, ce qui était traiter avec désinvolture certains événements d'importance. Mais peut-être cet esprit aimable et léger ne se rendit-il jamais un compte très exact de la gravité des circonstances qui l'entraînèrent. Captif, pour la part qu'il avait prise aux événements de la Commune, et qui le pouvait parfaitement conduire jusqu'au poteau d'exécution, il écrivait dans un billet rapide que J.-J. Weiss a commenté vertement: «Je vais sans doute être fusillé. Le diable m'emporte si je sais pourquoi.» Aussi bien n'est-ce point comme homme politique qu'il convient de le juger, encore qu'en plus d'un cas il ait eu sur la marche des faits une influence certaine. Il lui manquait, évidemment, ce discernement, cette prévoyance qui sont nécessaires aux conducteurs d'hommes. Il fut seulement un excitateur de foules.Avant tout, par-dessus tout, c'était un journaliste de beaucoup d'esprit, de beaucoup de verve, un polémiste au style incisif, vigoureux, entraînant: le pamphlétaire.Sa vie s'est déroulée tellement au grand jour, dans la rue, au forum, que les péripéties en sont quasi populaires.Authentique gentilhomme, descendant d'une illustre famille de soldats et de magistrats, et tenant, d'ailleurs, de cette noble origine, quoi qu'il en eût, plus d'un trait de caractère, le marquis Henri de Rochefort-Luçay était Parisien de naissance, et Parisien pauvre, son père, vaudevilliste en vogue, n'ayant conservé de la fortune ancestrale que des bribes. Et, comme il fallait vivre, à la sortie du collège, il entra dans les bureaux de l'Hôtel de Ville. Ce ne fut qu'un passage: le métier paternel l'attirait. Il écrivit, donna aux petits théâtres quelques pièces gaies qui ne déplurent pas; le titre falot de l'une d'elles a survécu à tout ce répertoire et, au temps des furieuses polémiques, boulangisme ou «Affaire», fournit à ses adversaires maintes plaisanteries: c'est laVieillesse de Brindisi.Du théâtre au journal, les chemins de traverse abondent. Très entiché d'art et de bibelot, fureteur endiablé, Henri Rochefort se risque dans les sentiers de la critique, butine dans les expositions, les ventes, «brocante» un peu, lui-même, en amateur, et, comme il est curieux de son naturel, s'initie à un tas de dessous qui lui fournissent la matière d'une amusante brochure: lesPetits Mystères de l'Hôtel des Ventes. C'est un recueil d'alertes articles sur un milieu pittoresque, qui, aujourd'hui encore, gardent la saveur de piquants tableaux de moeurs, vus par un oeil aigu. L'oeuvrette ne passe pas inaperçue. Ou la reconnaît fort spirituelle, vivante; elle a donc les deux qualités premières que requiert la chronique, dont commence la vogue. Désormais l'auteur sera chroniqueur. Sa signature, vite connue, voisinera auNain Jaune, auFigaro, à l'Événement, avec celles d'Aurélien Scholl, de Jules Noriac, de Pierre Véron, d'Albert Wolff, de tous les «millionnaires de l'esprit».Henri Rochefort à dix-huit ans.(Dessin de Maria Rohl, élève deLéon Cogniet, daté de 1849 etconservé à la Bibliothèque royalede Stockholm.--Fac-similécommuniqué par le comte F.-U.Wrangel.)Je viens de feuilleter lesFrançais de la décadence, un recueil de ses «courriers de Paris», fantaisies éphémères sur la vie boulevardière, le monde, ses manies, ses caprices, le théâtre, ses étoiles, ses coulisses... On les relit sans ennui. Et déjà l'on voit poindre, à travers ces feuillets jaunis, le polémiste bientôt si redoutable. On lui reproche, par les voies administratives, de «friser la politique». Il a une façon de s'en excuser qui ne fait qu'aggraver son cas. Que d'irrévérence!--et quelle habileté dans le sous-entendu! quel art des rapprochements désobligeants pour les grands à qui il en a! Non seulement il ose exalter Victor Hugo--en 1865!--mais il ne peut se retenir de le faire au détriment des «glorieux vaudevilles» de M. de Saint-Rémy, qui n'est autre, nul n'en ignore, que M. de Morny lui-même.Un moment vient où cette guerre aux fléchettes exaspère le pouvoir. On lui fait défense, selon l'un de ses mots les plus drôles, «de parler de M. Pinard--le ministre de l'Intérieur du moment, qui avait bien quelques centimètres de moins que M. Thiers, le plus petit des grands hommes--sinon pour vanter sa haute taille, et de nommer M. Rouher, si ce n'est pour exalter son désintéressement». Henri Rochefort doit abandonner leFigaro, où il ironise et raille ainsi, mais que sa collaboration compromet et menace de ruiner.Alors naît laLanterne, qui allait porter à l'Empire des coups plus cinglants encore, tout en assurant la fortune politique de son rédacteur. Fortune étrange, à la vérité, et bien faite pour éblouir et griser celui-là même qu'elle favorisait. Se voir saluer comme l'un des «artisans de la chute de l'Empire» parce qu'on a révélé au monde dans une formule au surplus bien amusante: «Il y a en France 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement», où encore que Barye, chargé de modeler une statue équestre de Napoléon III «est le plus célèbre de nos sculpteurs d'animaux», il y a là de quoi ouvrir à un écrivain, pour peu qu'il ait le sens critique un tantinet émoussé, un champ d'illusions sans limites. Hélas! de trois cruelles occasions de déchanter se préparent.Henri Rochefort à l'époque de laLanterne.Toujours est-il qu'une réalité est là : la vogue de laLanternegrandit à mesure que s'accroît l'irritation du pouvoir. C'est pour Henri Rochefort la grande popularité, que ne font qu'aviver les persécutions. Viennent les procès retentissants, l'exil, et c'est l'élection triomphale au Corps législatif, le rôle politique de premier plan, la prison, que rouvre seulement la révolution du 4 septembre.Par malheur, Henri Rochefort manquait de telles des qualités indispensables au tribun. Il n'était point l'homme des foules et ne leur rendait que platoniquement, à distance, l'idolâtrie dont elles l'accablaient. On le vit bien aux obsèques de Victor Noir, où, maître de diriger à son gré le courant populaire, dressé sur le pavois, exalté sur de robustes épaules, il fut pris de vertige et s'évanouit... Non, certes, qu'il ne fût brave: il avait eu des duels retentissants. Mais il ne suffit pas toujours de gourmander, comme Henri IV, la «vieille carcasse» pour la galvaniser.A la chute du régime impérial, la vogue populaire qu'avait reconquise le polémiste, un moment moins choyé, après sa défaillance, le portait à l'Hôtel de Ville. Membre du gouvernement de la Défense nationale, il allait de nouveau s'inquiéter, et mollir à l'heure de l'action. Il démissionna vite.On a rappelé plus haut jusqu'où l'entraîna sa participation à la Commune: ce fut la déportation à la Nouvelle-Calédonie, à laquelle mit fin une évasion périlleuse et retentissante.Rentré en France à l'amnistie de 1880, il allait de nouveau connaître les amertumes de l'exil à la suite de l'équipée boulangiste, qu'il avait soutenue avec un entrain endiablé, une verve prodigieuse. Une fois de plus il se trouvait avec les vaincus. Il n'attendit pas sa condamnation par la Haute Cour pour gagner Bruxelles puis Londres, et vivre là dans l'espérance d'une autre amnistie. Elle le rappela en 1895.«L'Affaire» le retrouve dans l'opposition: car, quel que soit le parti triomphant, il sera de l'opinion adverse. C'est un besoin de nature, un instinct impérieux, plus fort que tous les principes, que tous les dogmes. Il devait y demeurer soumis jusqu'à la dernière heure.L'excessive véhémence de ton à laquelle graduellement il était arrivé, après avoir si adroitement manié le sous-entendu, enlevait, en ces dernières années, quelque portée à ses anathèmes. Mais la forme de ses articles demeurait si amusante, que ceux-là mêmes qu'il déchirait à dents féroces ne devaient guère lui on garder rancune. M. Constans du moins, qui fut peut-être, de tous ses adversaires, celui contre lequel il s'acharna le plus longuement et le plus rageusement--le plus vainement aussi--souriait avec bonhomie, quant à lui, de ces excès. Le fin matois avait des raisons excellentes de ne pas croire à la portée de ces philippiques.Ce croquemitaine à l'étrange teint de bile, au provocant toupet d'argent, avait d'ailleurs des côtés chevaleresques parfois assez touchants et on l'a vu maintes fois défendre un confrère en butte aux coups du sort avec la même âpreté farouche qu'il déployait à trancher un adversaire.Entre les différentes images que nous reproduisons de cette figure singulière et attachante, depuis le curieux crayon du «comte de Rochefort» à dix-huit ans, que nous communique le comte Wrangel, l'érudit écrivain, jusqu'au nerveux pastel de Marcel Baschet, étude pour l'admirable et expressif portrait que l'on connaît, en passant par cette photographie qui le montre sous l'allure cavalière de l'agitateur populaire, il est un de ses aspects qui manque: c'est le Rochefort penché, à quelque exposition précédant une grande vente, rue de Sèze, à l'hôtel Drouot, vers un tableau, une gravure, et, le binocle à la main, analysant, scrutant la peinture, puis redressant sa haute taille, demeurée droite jusqu'en la quatre-vingt-deuxième année, pour proclamer un arrêt péremptoire. Il n'est pas très certain que son esthétique fût mieux assise et plus infaillible que son jugement politique, mais du moins adorait-il la peinture, la sculpture, les oeuvres d'art, comme il affectionnait les lettres. Et il lui sera beaucoup pardonné en faveur de ces deux passions, comme de sa bonté d'âme et de son désintéressement.Gustave Babin.Ici s'intercale un portrait hors texte en couleurs: HENRI ROCHEFORT, par Marcel Baschet.Carte schématique de la situation militaire dans les Balkans.GRECS, SERBES ET BULGARES EN MACÉDOINELa journée du 30 juin a vu se produire un coup de théâtre dans la péninsule balkanique. Au moment où les plénipotentiaires de Sofia et de Belgrade s'apprêtaient à se rendre à Saint-Pétersbourg pour soumettre le différend à l'arbitrage du tsar, au moment où la solution pacifique du conflit paraissait le plus probable, les armées on présence entamaient la lutte sur un front de 200 kilomètres, presque partout à la fois. Sans doute plusieurs chocs s'étaient déjà produits entre les avant-postes des partis opposés; mais il s'agit actuellement de combats beaucoup plus importants et qui mettent aux prises la totalité, ou peu s'en faut, des troupes d'occupation de la Macédoine: serbes, hellènes et bulgares.Au lendemain même de la prise d'Andrinople, dès que la résistance turque a été définitivement écrasée, on a senti que la jalousie des alliés, dissimulée jusque-là , allait se manifester. Les troupes bulgares, libérées par la capitulation de Choukri pacha, se dirigeaient non vers Tchataldja, mais vers Salonique, tandis que les deux divisions serbes du corps de siège regagnaient en toute hâte le territoire national.Dès la signature des préliminaires de paix avec la Turquie, les armées bulgares de Thrace sont dirigées vers l'ouest et concentrées de manière à s'opposer partout aux groupements serbes et grecs.La 3e armée (général Radko Dimitrief) court s'interposer entre la capitale et la frontière serbe, à cheval sur la voie ferrée de Nich à Sofia; elle comprend les 3e, 4e, 5e et 9e divisions.La 1re armée (général Koutintchef), comprenant les 1re, 6e et 10e divisions, se concentra sur la haute Strouma; son quartier général à Kustendil.Ces deux armées, sous les ordres du général en chef Savof, doivent compter au total 160.000 hommes environ.La 4e armée--(2e, 7e et 12e divisions), précédemment, stationnée face à Boulaïr, est, reportée à Sérès et Brama. La 8e division bulgare, de l'ancienne armée du siège d'Andrinople, vient la renforcer. Ce groupement, qui fait face aux Grecs, est commandé par le général Ivanof; on peut, l'estimer à 75.000 hommes.Ainsi, nous retrouvons, en Bulgarie et en Macédoine, trois des quatre armées constituées l'année dernière pour combattre la Turquie. Seule, la 2e armée--celle d'Andrinople--a été disloquée. La 11e division, qui entrait dans sa composition, se trouvait encore, aux dernières nouvelles, maintenue à Andrinople et s'était augmentée des troupes d'étapes, autrefois échelonnées entre Mustapha-Pacha et Tchataldja.Enfin, on a constitué à Choumla, vers la frontière roumaine, un noyau de couverture avec des éléments divers, dépôts, recrues, arrière-ban (Opoltchénié).Du côté opposé, les contingents serbes sont répartis en deux groupes; l'un, en face de l'armée du général Dimitrief, est à Pirot; l'autre s'allonge sur le Vardar, d'Uskub jusqu'à hauteur du lac Doïran, à Guevgheli, où il se relie aux Hellènes.L'armée serbe, à laquelle sont venues se joindre des unités monténégrines, d'ailleurs en petit nombre, se compose de 10 divisions, dont 5 actives et 5 de réserve, mais qui, toutes, sont en campagne depuis neuf mois; elle met ainsi en ligne presque 200.000 hommes.Les divisions hellènes qui tiennent le bas Vardar, Salonique et s'étendent le long de la côte jusqu'à Kavala, sont au nombre de quatre, mais renforcées par des formations territoriales et des volontaires crétois. Le roi Constantin commande en personne ces 100.000 soldats.En somme, les Bulgares ont aligné 235.000 hommes devant les 300.000 Serbo-Grecs; ils disposent encore d'une cinquantaine de mille combattants au moins en Thrace et à Choumla.La partie serait donc égale, si la Roumanie ne jetait son épée dans la balance. Cette puissance dispose de cinq corps d'armée à deux divisions, dont l'effectif est à peu près l'équivalent de celui des armées bulgares. Mais l'armée roumaine n'est pas mobilisée et n'est pas aguerrie par une longue et pénible campagne, comme celles des nations balkaniques, dont chaque soldat est, un vétéran. Malgré son réseau ferré très développé, il lui faudra plusieurs jours pour faire passer ses unités sur le pied de guerre et les amener à la frontière.Enfin, on ne peut oublier que les deux masses turques de Gallipoli et de Tchataldja n'ont pas encore été disloquées et n'ont besoin que d'un ordre pour déboucher en Thrace, après avoir franchi les lignes bulgares hier encore si formidables, mais aujourd'hui vides de défenseurs. Certes, la tentation est forte, car devant Constantinople, Izzet pacha a 150.000 soldats et Fakri pacha 60.000, à Boulaïr.Ainsi se présentait, dans ses grandes lignes, la situation militaire dans la péninsule balkanique, lorsque s'est allumée la conflagration inattendue du 30 juin en Macédoine. Sur toute la ligne de démarcation serbo-bulgare, depuis Zletovo, par Istip, jusqu'à Doïran et Guevgheli, la poudre a parlé. Naturellement, chacun des partis reproche à l'autre de l'avoir attaqué et prétend le prouver: les Bulgares affirment, que les Serbes préméditaient de tourner leur droite pour la rejeter dans la montagne de Platchkovitza; les Serbes accusent leur adversaire d'avoir comploté une offensive à la Napoléon en quelque sorte, dirigée sur leur point de soudure avec les Grecs, à Guevgheli, pour séparer les deux alliés.A l'extrémité de la frontière conventionnelle gréco-bulgare, mêmes récriminations au sujet! des engagements qui ont abouti à l'occupation du petit port d'Eleuthera par les troupes du général Ivanof.Enfin, à Salonique, le faible bataillon bulgare, isolé au milieu de toute l'armée du roi Constantin, a refusé de se soumettre à un ultimatum de désarmement hellène. Divisé en plusieurs détachements séparés les uns des autres, il a résisté pendant deux heures à la fusillade et n'a capitulé que lorsque le canon eut démoli les maisons qui l'abritaient.Ainsi, la guerre n'étant point déclarée, il y a eu, pendant trois jours, entre Bulgares, Serbes et Grecs, cinquante heures de bataille avec, de part et d'autre, des pertes très cruelles. Les opérations, d'ailleurs, continuent et il ne manque plus à l'état de guerre qu'une déclaration officielle.La Bulgarie, cependant, par une double démarche à Belgrade et à Athènes, le 2 juillet, a manifesté son désir d'arrêter les combats. Elle assurait que des ordres réitérés avaient été donnés à ce sujet aux commandants bulgares et elle demandait l'envoi urgent d'ordres identiques aux chefs de l'armée serbe et de l'armée grecque. Mais la Serbie et la Grèce se sont bornées à décliner la responsabilité des événements actuels. La Serbie, notamment, a répondu que les combats se poursuivaient du fait de l'armée bulgare, qu'elle n'avait fait que repousser une agression et qu'elle ne pourrait, immobiliser ses troupes tant que les Bulgares resteraient sur des positions qu'ils n'occupaient point avant leur mouvement offensif.Sur l'escalier de la tribune du Jockey-Club: la manifestation des chapeaux de soie, à l'arrivée de M. Poincaré.LE GRAND PRIXCeux qui, dans quelques années, voudront, avec le recul nécessaire pour juger les grands événements, même sportifs, caractériser en deux traits le Grand Prix de 1913, évoqueront aussitôt la victoire deBrûleur, grand favori, et l'accueil chaleureux, enthousiaste, exceptionnel, fait au président de la République, M. Poincaré. Ainsi, par ces deux signes, se distinguera, dans les annales hippiques, l'épreuve qui s'est disputée dimanche dernier à Longchamp.La tribune présidentielle.Suivant l'usage, le chef de l'État, qu' accompagnait Mme Poincaré, arriva, peu avant la course, dans sa daumont, qui, précédée du piqueur André, en redingote gros bleu à parements d'or, et attelée avec la plus fringante élégance, fit sensation au pesage. Le président de la Société d'Encouragement a coutume de venir saluer le président de la République au pied du pavillon officiel: si cette réception fut, durant les précédents septennats, empreinte d'une très déférente courtoisie, les acclamations qu'elle provoqua, cette année, lui donnèrent un éclat dont le souvenir s'était perdu... On put voir, tandis que le prince d'Arenberg offrait son bras à Mme Poincaré, les membres du Jockey-Club manifester une sympathie unanime, groupés sur les marches de l'escalier qui mène à leur tribune réservée. Gardienne des traditions, celle-ci ne saurait admettre, en cette classique journée, que des chapeaux de soie: ils se levèrent tous, d'un commun accord, et s'agitèrent allègrement, au passage du chef de l'État, multipliant, comme autant de sourires de bienvenue, leurs mouvants reflets.Du Grand Prix lui-même, qui réunissait vingt concurrents, tous français, et d'excellente classe, il faut dire qu'il se déroula sans grande surprise. Après une très belle course,Brûleur, sur qui s'était affirmée la confiance du public, l'emporta nettement, d'une longueur et demie, surOpott, que suivaientEcouenetIsard II: il avait battu le record de vitesse en couvrant, en 3 minutes 13 secondes, les 3.000 mètres de l'épreuve. Par cette victoire, qui, pour avoir été un peu discutée, n'en demeure pas moins brillante, le jockey Stern a fait triompher la casaque rayée marron et jaune de M. de Saint-Alary, l'heureux propriétaire-éleveur deBrûleur.Brûleur.          Opott.                     Ecouen et Isard II.          El Tango. Blaruey. Père Marquette.LE GRAND PRIX DE PARIS DE 1913.--L'arrivée au poteau.--Phot. Tresca.Le lancement d'un cerf-volant monté, à bord du croiseurEdgar-Quinet.Le cerf-volant, après son ascension, ramené sur la plage arrière de l'Edgar-Quinet, le croiseur filant à toute vitesse.CERFS-VOLANTS MARITIMESLes cerfs-volants montés du capitaine Saconney, dont nous avons, à diverses reprises, entretenu nos lecteurs, ont été adoptés par l'armée de terre, il y a quelques mois. Après une longue série d'expériences, ils viennent de l'être aussi par la marine, qui a ainsi tracé son programme aéronautique:Limiter l'emploi des aéroplanes à la défense des côtes, seul cas où l'avion trouve toujours dans une rade tranquille une surface de départ et une surface d'atterrissage.--Utiliser les dirigeables à très grand rayon d'action pour la surveillance des armées navales ennemies.--Recourir au cerf-volant soit pour l'éclairage des escadres au large, soit pour la surveillance d'une côte étrangère bloquée.Le cerf-volant présente cet avantage que le vent, grand ennemi des autres appareils aériens, facilite ses évolutions; si le temps est calme, le navire crée le vent par son déplacement. Il faut une vitesse de 18 noeuds pour élever l'observateur; or, les croiseurs du typeEdgar-Quineten donnent 24.Ces cerfs-volants, démontés et remisés, à bord, dans un coin quelconque, sont montés cinq minutes après avoir été apportés sur le pont du navire; dans le même temps, une autre partie de l'équipe dispose les treuils et les agrès de lancement. On compte ensuite quinze minutes pour lancer, arrimer la nacelle, et faire prendre place à l'observateur qui reste relié au navire par le téléphone; puis cinq minutes pour monter à 300 mètres. Dix minutes suffisent pour ramener le train à bord et le remiser sous le pont.Ce nouveau matériel, qui vient d'être expérimenté au large des Bouches de Bonifacio par le croiseurEdgar-Quinet, a donné toute satisfaction.Dr Rodriguez.     Professeur Chantemesse. Dr Chantemesse fils.Une séance de vaccination antityphique à l'Hôtel-Dieu.LE VACCIN DE LA FIÈVRE TYPHOÃDEUNE NOUVELLE CONQUÊTE DE LA SCIENCE FRANÇAISELorsque le docteur Roux découvrit le sérum de la diphtérie, quand Koch lança prématurément le vaccin de la tuberculose, il y eut en France, et dans l'humanité tout entière, une explosion d'enthousiasme. Après de longues recherches, le vaccin de la fièvre typhoïde a été trouvé; depuis plusieurs mois, il donne dans notre pays comme à l'étranger des résultats merveilleux, et, pourtant, la chose est à peine connue du grand public.A quoi cela tient-il? A plusieurs causes d'ordres très divers.Les premières expériences de vaccination typhique préventive sur des animaux remontent à une vingtaine d'années. Pendant longtemps, avec une prudence peut-être excessive, mais qui est dans les belles traditions de la science française, on n'osa pas expérimenter sur l'homme, sous prétexte que, la fièvre typhoïde humaine différant sensiblement de celle des animaux, on ne pouvait tirer argument de l'immunité conférée à ces derniers. D'illustres biologistes entendaient ne rien entreprendre avant d'avoir réussi à donner au chimpanzé la «vraie» fièvre typhoïde. Dans ces conditions, les résultats furent obtenus progressivement, sans éclat, timidement presque, et en soulevant des critiques ou des réserves plus ou moins justifiées.En second lieu, il faut tenir compte de la résistance instinctive du public devant toute médication nouvelle qui n'est pas bruyamment lancée; tenir compte encore de son indifférence vis-à -vis d'un mal simplement éventuel. Le sérum antidiphtérique s'attaque à une maladie déclarée; la vaccination antityphique est, avant tout,préventive, à l'instar de la vaccination jennérienne. Or, ce n'est pas du jour au lendemain qu'on prendra l'habitude de se faire vacciner contre le typhus comme on se fait vacciner aujourd'hui contre la variole.Enfin, et ici je touche un point particulièrement délicat, deux vaccins français se trouvent en présence: le vaccin «civil» du professeur Chantemesse et le vaccin «militaire» du professeur Vincent. Ces deux spécialistes ont dans le monde savant une situation éminente; leur probité scientifique est égale. Chacun reconnaît la valeur du vaccin rival, tout en croyant son propre vaccin supérieur. Autour des deux intéressés les avis sont aussi partagés: chaque vaccin a ses partisans ou ses détracteurs. Ces querelles désorientent le public et ébranlent sa confiance--chose d'autant plus regrettable que, de l'aveu de tous les gens compétents, et abstraction faite de mérites particuliers en discussion, les deux vaccins donnent des résultats qui paraissent souverains.La fièvre typhoïde fait normalement en France 5.000 victimes par an. Elle sévit dans toutes les classes. Puisqu'il est désormais un moyen certain, semble-t-il, de l'éviter,L'Illustrationa pour devoir d'éclairer le public de façon aussi complète qu'impartiale.J'ai causé longuement avec les professeurs Chantemesse et Vincent qui, très aimablement, m'ont admis à visiter leur laboratoire et à assister à des séances de vaccination. Il ne m'appartient pas de me prononcer entre les deux méthodes; il m'est, d'ailleurs, plus agréable de confondre dans un même hommage deux savants français qui ont bien mérité de l'humanité.LA VACCINATION EN GÉNÉRALDe façon générale, la vaccination consiste à introduire dans l'organisme sain l'agent pathogène d'une maladie quelconque, dans des conditions propres à déterminer une réaction défensive qui empêche la maladie de se produire et qui procure au sujet une immunité plus ou moins durable contre cette maladie.Pour réaliser cette double condition, on se trouve en présence de deux exigences contradictoires. Il semble, en effet, qu'il y a intérêt, pour obtenir l'immunité la plus grande, à inoculer un virus aussi peu atténué que possible; d'autre part, on doit éviter que l'inoculation apporte à l'organisme une secousse trop violente.Dans certains cas on recourt à la méthode des vaccinschaufféspréconisée par Pasteur et Roux: on chauffe à une température qui laisse le microbe vivant mais qui ralentit son activité. Pour le vaccin antityphique, on emploie des culturesstérilisées, c'est-à -dire des microbes morts. On n'introduit ainsi dans l'organisme que les matières--toxines ou autres--contenues dans le corps du bacille, c'est-à -dire une substance chimique inanimée.Le second procédé offre des garanties particulières, car, si le vaccin contient du bacille vivant, ce bacille est apte à se multiplier dans l'organisme et, par conséquent, à venir éventuellement augmenter l'action nocive des bacilles préexistant chez le sujet, au cas où ce dernier se trouverait en état d'incubation de la maladie, ce qu'il est en général impossible de constater.On peut tuer le microbe par la chaleur ou à l'aide d'un agent chimique; c'est par l'emploi respectif de ces deux moyens que diffèrent essentiellement le vaccin Chantemesse et le vaccin Vincent.LE VACCIN DU PROFESSEUR CHANTEMESSELes premiers essais de vaccination antityphique sur des animaux furent effectués simultanément en France et en Allemagne en 1887. Tandis que Frenkel, à Berlin, injectait de petites quantités de bacilles vivants non atténués, les docteurs Chantemesse et Widal, à Paris, stérilisaient leur bouillon de culture à une température de 120° qui tuait le bacille et laissait plus ou moins intacte la toxine vaccinante.Les deux méthodes présentaient donc une différence radicale: la méthode allemande était inapplicable à l'homme; la méthode française, n'injectant que des cultures mortes, pouvait au contraire devenir applicable.Bacilles typhiques normaux considérablement grossis.Bacilles tués par le contact avec du sang de vacciné.Les études poursuivies en France démontrèrent bientôt que la vaccination antityphique avec microbes stérilisés par chauffage confère l'immunité aux animaux pour une dose de bacilles typhiques qui tue les animaux témoins. On n'en pouvait conclure, avec certitude, que pareille immunité serait conférée à l'homme; la chose, toutefois, semblait très probable. On avait traité des cobayes, des lapins, des chevaux; or, l'expérience a appris qu'un vaccin agissant sur des mammifères d'un ordre élevé se comporte presque toujours de façon analogue sur l'homme.Mais les expériences de Chantemesse et Widal soulevèrent d'assez vives polémiques; le monde médical les accueillit avec réserve.On objectait avec insistance que les symptômes et les lésions de la fièvre typhoïde ne sont pas les mêmes chez l'animal et chez l'homme; qu'il serait imprudent, par conséquent, d'inoculer à l'homme un vaccin éprouvé seulement sur des animaux. Le docteur Chantemesse répondait que la dissimilitude des lésions importe peu, la fièvre typhoïde étant un empoisonnement du sang qui se manifeste de façon semblable chez l'homme et chez l'animal. Néanmoins, devant l'opposition qu'il sentait autour de lui, le savant professeur n'osa pas expérimenter sur l'homme.Ce sont deux Allemands, Pfeiffer et Kollé, qui, s'inspirant de la méthode française, prirent les premiers une initiative jugée alors fort audacieuse. En 1896, ils injectèrent à un garçon de laboratoire du vaccin stérilisé par chauffage. Le garçon n'éprouva aucune gêne, ce qui était un point important acquis; mais on ne fit aucune expérience subséquente pour constater s'il était immunisé.La même année, le professeur anglais Wright se préoccupait d'abaisser la température de stérilisation. Bientôt, la guerre du Transvaal étant survenue, il inaugurait la vaccination antityphique dans l'armée anglaise. Les résultats furent assez satisfaisants: alors que pour 1.000 hommes non vaccinés on comptait 141 cas et 31 décès, la proportion fut réduite à 20 cas et 4 décès pour les soldats vaccinés.Vers la même époque, en 1899, le docteur Chantemesse vaccinait les élèves de son service d'hôpital. Peu à peu, les vaccinations devinrent plus nombreuses, mais c'est seulement depuis deux ou trois ans qu'elles commencent à entrer dans la pratique courante, en France et à l'étranger.Au cours de leurs travaux, les différents chercheurs ont abaissé progressivement la température de stérilisation, en vue d'atténuer aussi peu que possible les propriétés du vaccin.Au début, le professeur Chantemesse chauffait ses microbes à 120° pendant dix minutes; plus tard (1892) il s'arrête à 100°. Après lui, Wright (1896) chauffe à 75°, puis à 60°. Aujourd'hui, le docteur Chantemesse chauffe pendant une heure à 56°; c'est à son avis la température limite à laquelle on est certain de tuer le bacille.D'autre part, comme les Anglais et les Américains, il ajoute ensuite à son liquide une légère dose d'unantiseptique, lysol ou crésol, par exemple. Il empêche ainsi le développement dans le vaccin du germe accidentel qui pourrait s'y glisser au cours des diverses manipulations, germe résistant au chauffage à 56° ou survenant après ce chauffage.Le vaccin du docteur Chantemesse contient douze cents millions de bacilles morts par centimètre cube d'eau; il se présente sous forme d'un liquide légèrement opalin. La vaccination se pratique sur le haut du bras au moyen de la seringue classique; on badigeonne à la teinture d'iode la région piquée. Aucune douleur, ni pendant, ni après; point de démangeaisons ni de pustules comme en provoque la vaccination antivariolique. Parfois seulement un peu de fièvre que chasse un cachet d'antipyrine.Le patient reçoit 3 milliards de bacilles stérilisés répartis en quatre injections à sept jours d'intervalle l'une de l'autre et ainsi dosées:
(Agrandissement)
Ce numéro contient:1° Un portrait hors texte en couleurs:Henri Rochefort, par Marcel Baschet;2° LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre n° 12:Vouloir, de Gustave Guiches;3° UnSupplément économique et financierde deux pages.
SOLDAT GREC.              SOLDAT BULGARE.LES ALLIÉS D'HIER
Alliés sans être amis, ils gardaient ensemble, se surveillant l'un l'autre, le port de Salonique: mais cette coopération avait trop duré et, le 30 juin, les Bulgares étaient aux prises à Salonique avec les Grecs, en même temps qu'avec les Serbes dans la vallée du Vardar.Voir l'article, page 7.
S'il est vrai que c'est surtout après qu'ils ont vécu qu'il faille célébrer ceux que nous avons aimés, ainsi ce sera quand elles sont accomplies que nous devrons, par la louange, entretenir les belles choses qui nous ont touchés. D'ailleurs on s'exprime mieuxaprèsquependant, et c'est la perte qui fait l'éloquence.
Quand tout le monde a parlé de ce dont il fallait qu'on parlât pour obéir aux nécessités de l'instant, que chacun, avec la prodigalité du geste, a jeté son mot dans la fièvre et la hâte aussi de l'émotion première, il n'est pas inutile ni mauvais qu'une voix, quelconque, pourvu qu'elle soit frémissante et ménagée, prononce--dans le silence qui tend à s'établir et qu'elle ne veut pas laisser faire--un hommage détaché, un hommage qui, pour s'être exprès retenu, accepte d'avoir l'air tardif lorsqu'il tinte à son heure. Et c'est pourquoi, maintenant que sont tirés sur laPisanelle, dans notre mémoire empourprée, les orfrois des quadruples et lents rideaux au travers desquels nous continuons de voir l'inoubliable spectacle qui se prolonge, il m'est à la fois vif et chaud d'y revenir, d'en reparler, comme on tisonne des braises pour en faire un guêpier d'étincelles, comme on irrite une splendide étoffe pour l'entendre bruire avec ces hardis craquements qui sont le cri, l'âme de sa couleur, ou bien comme on la froisse et la maltraite pour y agacer des reflets, ou encore comme on s'efforce, en fermant les yeux pour mieux regarder, de retrouver en soi, après coup, un paysage dispersé, un aspect de la vie en fuite, une minute antérieure d'art et de magnificence.
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M. Gabriele d'Annunzio, escorté, flanqué, comme un jeune podestat de la légende et du rêve, d'une suite de magiciens somptueux et avisés, et marchant en compagnie d'une princesse de la Tyrannie esthétique et de la Volonté, nous a procuré en effet, avec son oeuvre récente, un éblouissement et un enchantement qui durent, qui coulent toujours, bien au delà de la soirée trop petite pour les tenir et les renfermer. Je ne pense pas que l'on ait déjà renoncé à se rappeler ces instants de satisfaction presque parfaite et si je dis presque, c'est pour ne pas décourager de la récidive ceux à qui nous devons la faveur de miracles pareils.
Du poème dramatique de d'Annunzio, manifestement fou d'amour, le premier, de la Pisanelle, avant tous ses personnages, comment ne pas admirer la symbolique et vigoureuse grâce, l'imagination, de richesse inépuisable et pourtant toujours débordée, le sens ingénu enfin, simple et profond, qui se lit avec autant de clarté qu'un sentiment pur à fleur de candides prunelles? D'une inspiration naïve et populaire, le sujet tient en quelques mots qui déroulent et animent le plus merveilleux des contes. C'est l'histoire d'une pauvre fille de Pise, une créature de plaisir et de joie que sa beauté, dont elle est innocente, a prédestinée aux aventures passives de l'amour. Elle n'a qu'à paraître pour désordonner les hommes et les enflammer d'une passion dont le principe correspond à leur soif d'idéal, d'une passion qui les exalte alors même qu'elle les rabaisse, et qui transforme leur vie, l'illumine en la saccageant, de telle sorte qu'ils préfèrent lutter et s'entre-tuer pour la vaine possession de la Beauté, dès qu'en la connaissant ils l'ontreconnue, plutôt que de consentir à se passer d'elle une fois qu'ils ont subi la transfiguration qu'elle opère sur eux et sur toutes choses rien qu'en se révélant, sans un mot, sans un ordre, du seul fait de sa présence muette et dominatrice. Il suffit donc qu'elle soit là , brusquement déposée avec les cargaisons sur les quais de la Fatalité pour que, même liée, semblant inoffensive et impuissante, elle exerce son influence et fasse ensemble tout le bien et tout le mal qui sont sa double loi, son rôle et sa raison, pour qu'esclave elle soit la souveraine, du haut du butin où elle a été jetée et placée pour le couronner, dont elle est le sommet, le pinacle naturel attirant tous les désirs, les regards levés et les bras tendus, les coeurs en folie. Tous en effet la veulent et chacun la réclame comme étant sapriseet sa part légitime. Parce qu'ils se sont battus pour elle, voilà -t-il pas qu'ils se persuadent, les insensés, qu'elle doit leur appartenir! Les corsaires se la disputent à coups d'épée parmi les ballots égorgés, le ruissellement des tissus et des matières précieuses. Le sang coule sur les anneaux rouilles du port; les bandeaux des plaies sont arrachés et décollés par des mains que convulsé l'envie des caresses; des cris et des beuglements de bêtes percées bouchent l'air qui brûle, montent comme pour les enfler et les remplir jusqu'aux voiles gommées de vermillon et de safran des grands vaisseaux à triple étage caracolant sur des flots violets... Et la Beauté, la Beauté si difficile, et pourtant si facile hier encore, la prostituée de la veille devenue l'inaccessible de l'heure, mise aux enchères des convoitises et du rang, fouettée et comme flagellée par les poignées de pièces d'or qu'elle fait tomber à l'avance de la bourse des paumes vides, la Beauté finalement est prise et gardée par un jeune roi, tendre, extatique et prompt au mystère, qui croit recevoir avec elle la fiancée mystique de sa nostalgie, la Pauvreté, la Pureté venue exprès pour lui des immensités lointaines. Ce que voyant, la reine, jalouse et méchante, en feignant de la festoyer, fera périr la Pisanelle par la mort fleurie, l'étouffement rose. Quel fond, quelle trame pour un poète aussi avide, aussi divers et aussi rassemblé, aussi large et aussi minutieux que M. d'Annunzio! Sur ce canevas rigide et tendu comme la hune de la nef et souple comme le béguin de la Béate, il a pu broder à son entière ivresse tous les motifs, tous les entrelacs, tous les ornements, toute la faune et la flore et la bestiaire poétique de sacomédie, car à côté et sous les terribles ébats et combats de l'action brutale, sous le tumulte des chocs, sous l'arc-en-ciel du fer et des couleurs, sous le retentissement métallique des sonorités humaines, est sagement, implacablement, logiquement exposée, déduite et menée au pas--comme un cheval blanc qui piaffe un peu, par manière, mais qu'on tient haut la bride, sans le regarder pour qu'il avance mieux--est menée une comédie intellectuelle, une pièce de caractère et d'idées qui est comme le texte même, la pensée fondamentale et philosophique tracée en nobles et vastes lettres d'antiphonaire, d'une histoire tranquille, de tous temps, que déclament et commentent en marge à leur façon, dans des enluminures passionnées, des personnages héroïques. L'auteur parle à voix presque basse et serrée, vibrante et douce, et ses pensées entremêlées alors de sons de cors, de cris de guerre, sont reprises, accentuées, entonnées ainsi qu'un chant d'assaut avec une belliqueuse frénésie par les gens de sa maison, je veux direceuxde son coeur et de sa pensée (comme Joinville et Proissart disentceuxde Bruges etceuxde Cornouailles), les gens d'armes et les lances à toute épreuve, au service de sa croisade.
Et que cette figure de la Pisanelle attache donc et retient! Elle enlace à distance. Quoi de plus captivant que cette captive!... Par la profonde intention d'une antithèse nécessaire, c'est elle, la femme de rien, réduite à rien, à demi nue, ligotée, qui «est la cause de tout», qui bouleverse, noue et dénoue, et lâche la meute des événements. Elle a ce signe par lequel se distinguent les souverainetés qu'on adore: elle est impassible. Il ne peut en être autrement, car ce sont les hommages, les prières qui font le calme et le froid des statues. La cime ne s'émeut pas. La supplication qui gesticule crée de l'inerte résistance. Pour que les hommes s'agenouillent il faut que les figures divines, ou qui croient l'être, demeurent hautaines, toujours debout. Leur attitude alors ramasse et prend toute la grandeur à laquelle renoncent les prosternés, et c'est en elles que se réfugient les fiertés qu'ils abdiquent.
Cette suprématie majestueuse et figée, Mme Ida Rubinstein l'a comprise et rendue avec la puissance qu'elle est seule capable de montrer quand elle la dompte. Elle a le génie de l'Immobilité. Elle en possède les longs et solennels moyens, l'invincible force latente. Je conserve l'image, modifiée à tous les actes, et de style toujours pareil, que l'altière comédienne, la mime intérieure, si réfléchie, si absorbée et comme résumée en elle-même, a donnée successivement de la courtisane ocreuse à la chair orangée, et de la nonne aux sveltesses de tige, aux blancheurs liliales. Sur elle, contre elle, au marbre de son pied nu qu'ils n'avaient même pas l'air d'atteindre et de gêner, venaient se briser tous les transports, se répandre l'eau des pleurs et le vin du sang,... et Elle, aussi bien sous les liens de roseaux croisés qui l'empaquetaient que sous la liberté flottante de la flanelle et du lin, et sous les plis de plomb des brocarts, gardait son même détachement, son tout proche et lointain recul, son absence réalisée dans la présence réelle.
Derrière son immobilité l'on voyait pourtant l'âme évoluer et virer entre deux eaux, comme un poisson qui tourne sous la glace. On voyait l'esprit, le coeur de l'héroïne mille fois plus animés, sans qu'elle voulût le laisser paraître, que tous les corps qu'elle agitait, et l'on avait peine à suivre les innombrables et harmonieux mouvements qu'elle s'interdisait.
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Mais... j'irais longtemps si je prétendais énumérer les joies, et de toute espèce, que m'a prodiguées cette oeuvre étincelante et délicate, d'une opulence généreuse. Elle est de celles que la sensibilité du beau accueille comme un bienfait. Elle offre une splendide et rare chevalerie et j'en aime le lyrisme acéré, tranchant, combatif, éperdu, toujours dégainé, continuel aussi comme un flottement d'oriflamme.
Quelques-uns ont paru s'étonner que le poète ait subi la griserie vertigineuse de ses archaïques trouvailles... Ah! qu'il a donc, au contraire, été bien inspiré de s'y précipiter, de s'y rouler, de s'y baigner et de s'en être étourdi dans l'allégresse de ses évocations! Qu'il tienne à ses léopards! Je l'en conjure. Ils font, à dater d'aujourd'hui, partie de son écusson. Qu'il ne les cède jamais!
Et puis,--c'est là -dessus qu'avant de terminer je voudrais un instant courber et retenir votre attention en y appliquant avec respect la mienne: connaissez-vous, aussi bien parmi nos talents chenus que parmi nos jeunes gloires, connaissez-vous parmi nos illustres, pourtant complets, enviables et fameux, connaissez-vousquelqu'unqui soit aujourd'hui capable, si le vent de son destin l'avait, pour un temps, lancé hors de sa patrie et forcé d'aller penser et s'enflammer ailleurs, en pays étranger, que ce soit Russie, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne, n'importe... connaissez-vous quelqu'un capable d'entrer en plusieurs mois assez avant dans le génie, les flancs et les entrailles de cette terre d'adoption pour s'en faire une seconde patrie, naturelle et méritée, pour puiser à livre ouvert, avec une curiosité indiscrète, touchante et sacrée, dans ses archives, dans l'histoire et les légendes de son passé et en ramener toute chaude, vivante, obtenue avec un charme, une correction, une science et une virtuosité filiale,une oeuvre écrite dans la langue même de ce pays qui n'est pas le sien, une oeuvre allant, s'il le faut, accrocher la foule, après qu'elle a plongé les artistes et les patriciens de lettres dans un ravissement émerveillé? Eh bien, non, sans médire de personne, je ne vois pas autour de moi l'écrivain, prêt, dans de semblables conditions, à se donner orgueilleusement et à remplir sans défaillance une aussi dure tâche.
Ce noble but, Gabriele d'Annunzio l'a atteint. Je sais,... je sais qu'il a l'âme latine, qu'il était déjà gonflé de nos sucs, nourri de notre lait... Mais c'est égal... La langue française! Si redoutable! Si décourageante!... Il a osé s'attaquer à elle et la prendre, en la courtisant d'abord,... elle est femme... et puis en se faisant paladin, en la subjuguant par la beauté de son impétueux désir et la tendre ardeur de son amour.
Pour ce rare et cet extraordinaire hommage que le grand poète lui a rendu avec toute son âme, en écrivant chez nous, et pour nous, laPisanelle, il serait injuste--ingrat--de ne pas le remercier par le plus beau de nos saluts.Henri Lavedan.
(Reproduction et traduction réservées.)
Un des personnages les plus considérables des États-Unis, M. Lawrence Lowell, président de l'Université d'Harvard, vient d'arriver à Paris, où il compte séjourner une dizaine de jours. Il est l'hôte de l'ambassadeur d'Amérique, et de multiples fêtes vont être données en son honneur.
Nous nous faisons difficilement une idée, en France, de l'influence et du rayonnement qu'exercent les grandes universités dans la démocratie américaine. Nous sommes un peu portés, d'instinct, à croire cette démocratie uniquement préoccupée de ses intérêts matériels, exclusivement passionnée pour les affaires et désireuse par-dessus tout de «faire de l'argent».
Il n'en est rien. Les grands besoins d'idéalisme la travaillent. Elle est plus qu'aucune autre sensible à l'action des forces morales.
L'Américain est fier de ses universités, il leur porte un vif intérêt, il leur voue un culte fervent.
M. Lawrence Lowell.
Harvard est, parmi elles, une des plus prospères et des plus puissantes. Des donateurs généreux l'ont comblée de libéralités. Elle est riche à millions. Ses anciens élèves gardent fidèlement, précieusement, le contact avec elle. Tous les ans, vers la fin du mois de juin, a lieu une cérémonie des plus touchantes qu'on appelle leCommencement day. Les anciens d'Harvard tiennent à coeur d'y assister. Certains viennent de l'autre extrémité des États-Unis et se sont imposé, pour se mêler à leurs jeunes camarades, la fatigue d'un très long voyage. Une procession, un banquet réunissent, dans une communion amicale, les uns et les autres. On évoque parmi les impressions d'aujourd'hui les souvenirs d'autrefois. Et l'amour d'Harvard en sort considérablement grandi.
Quand, dans un point quelconque du vaste univers, des anciens d'Harvard, desHarvardmen, se rencontrent, quelle que soit leur situation sociale, leur condition, ils fraternisent aussitôt. Il vient d'être créé à Paris unHarvard Club, sous les auspices de M. Bacon, ancien ambassadeur des États-Unis, un des protecteurs de l'Université, de M. James H. Hyde, le créateur à Harvard de ces conférences annuelles de littérature française, qui obtinrent un si retentissant succès et firent tant pour le développement des relations intellectuelles entre les deux pays. Les membres du Club se retrouvent de temps à autre dans de joyeuses réunions. Le côté gastronomique en est réglé, de main de maître, par notre excellent confrère Inman Barnard, correspondant duNew-York Tribune, qui possède en ces matières une compétence indiscutable autant qu'indiscutée.
Le nombre des élèves d'Harvard qui occupent dans la politique, les professions libérales, la haute banque, l'industrie, le commerce, des situations de premier plan ne se compte plus. Dans toutes les branches de l'activité américaine, la vieille Université est représentée avec éclat. Tous ces hommes conservant pieusement les liens qui les unissent à leur ancienne école, on se rend compte par là de l'influence extraordinaire qu'une telle Université peut exercer.
Il y a quatre ans, depuis le 19 mai 1909, que M. Lawrence Lowell en est le président. Né à Boston en 1856, élève d'Harvard, inscrit au barreau, conférencier, professeur, il fut enfin élevé par la confiance du comité et des anciens élèves à ces très importantes fonctions. Ses pouvoirs sont considérables. L'Université étant absolument indépendante et vivant sur ses propres ressources, c'est le comité, surtout le président, qui la dirigent comme ils l'entendent et sous leur propre responsabilité. Le président choisit les professeurs, et l'on sent tout de suite l'importance et la gravité de ce choix; il surveille les travaux, décide des réformes à accomplir, préside aux relations de l'Université avec le dehors.
Depuis quatre années qu'il exerce ces fonctions, M. Lawrence Lowell s'en est acquitté à la satisfaction unanime. Sa réputation, très grande déjà aux États-Unis, n'a cessé de grandir.
M. Lowell est l'auteur de plusieurs ouvrages réputés sur des questions politiques et économiques. Un de ses livres, le plus connu et sur le point de devenir classique, a pour titre: leGouvernement de l'Angleterre. C'est l'analyse la plus précise, la plus complète de ces mille institutions et traditions dont l'ensemble, prodigieusement embrouillé et compliqué, constitue le mécanisme politique du Royaume-Uni. M. Lowell prend, un par un, tous ces rouages; il l'étudié, il le démonte et nous fait voir comment il marche. C'est un service qu'il a rendu non seulement aux étrangers dont nous sommes, mais encore à beaucoup d'Anglais qui sentaient ces choses-là d'instinct, sans avoir jamais pris la peine de les approfondir!
Raymond Recouly.
M. Andrew Carnegie, le grand philanthrope et l'un des plus puissants souverains de l'industrie et des finances de l'Amérique moderne, M. Andrew Carnegie, le roi du fer et le constructeur du palais de la Paix, est également depuis lundi l'hôte de notre capitale, où il est accueilli et fêté par tous les groupes ou représentants des institutions humanitaires dont il est le bienfaiteur.
M. Andrew Carnegie.
Rappelons que M. Carnegie, Ecossais d'origine, est né à Dumferline il y a soixante-seize ans. Sa famille alla, en 1848, s'établir à Pittsburg en Pensylvanie, où le jeune Andrew occupa successivement les emplois modestes de mécanicien, de télégraphiste et d'employé du chemin de fer. Sa puissante intelligence, son extraordinaire activité lui firent gravir rapidement les échelons de la hiérarchie industrielle. Une fonderie qu'il créa et qui prospéra d'une façon magique fut l'origine de cette immense fortune dont il emploie les revenus, non point à des oeuvres de charité--car il estime que chacun doit demander le nécessaire de la vie à son effort personnel--mais à créer des institutions pouvant fournir aux moins riches les agréments intellectuels de la vie. Aussi a-t-il surtout fondé des bibliothèques publiques dans un grand nombre de villes des États-Unis et dans sa ville natale, des musées d'art, des salles de concert, des laboratoires, des établissements scientifiques, etc. Enfin, c'est lui qui donna les fonds nécessaires pour la construction, à la Haye, du palais de la Paix.
Dès le lendemain de son arrivée à Paris, M. Andrew Carnegie a été reçu par le président de la République. Auparavant, il y avait eu, au ministère de l'Intérieur, une séance spéciale pour la fondation Carnegie(Hero Fund). Le soir, un banquet, présidé par M. Emile Loubet, avait été organisé par les associations et institutions suivantes qui doivent soit leur existence, soit d'importantes subventions au grand philanthrope: la fondation des héros, le comité France-Amérique, l'Université de Paris, le groupe parlementaire de l'arbitrage et de la conciliation internationale, le conseil européen de la dotation Carnegie pour la paix, le conseil national des femmes françaises, le musée social.
A quatre-vingt-deux ans, Henri Rochefort vient de succomber, à Aix-les-Bains, à une crise d'urémie: il n'y a guère plus d'un mois qu'il avait donné à laPairie, dont il était le collaborateur fidèle, son dernier article, avant d'aller, comme chaque année il le faisait, se reposer quelques semaines. Voilà close une carrière aussi étrange, aussi mouvementée qu'elle fut longue,--et heureuse, au demeurant; car, vraisemblablement, Rochefort, spontané, impétueux, passionné pour tous les rôles qu'il joua, quelle qu'en ait été la paradoxale diversité, toujours prêt à se lancer dans l'aventure avec une tranquille insouciance des suites possibles, n'eût pas donné, pour un destin plus calme et moins fertile en émotions, cette existence agitée qu'il a comparée lui-même, à l'âge où il jetait, en arrière, un regard désabusé, à une ligne de montagnes russes, ce qui était traiter avec désinvolture certains événements d'importance. Mais peut-être cet esprit aimable et léger ne se rendit-il jamais un compte très exact de la gravité des circonstances qui l'entraînèrent. Captif, pour la part qu'il avait prise aux événements de la Commune, et qui le pouvait parfaitement conduire jusqu'au poteau d'exécution, il écrivait dans un billet rapide que J.-J. Weiss a commenté vertement: «Je vais sans doute être fusillé. Le diable m'emporte si je sais pourquoi.» Aussi bien n'est-ce point comme homme politique qu'il convient de le juger, encore qu'en plus d'un cas il ait eu sur la marche des faits une influence certaine. Il lui manquait, évidemment, ce discernement, cette prévoyance qui sont nécessaires aux conducteurs d'hommes. Il fut seulement un excitateur de foules.
Avant tout, par-dessus tout, c'était un journaliste de beaucoup d'esprit, de beaucoup de verve, un polémiste au style incisif, vigoureux, entraînant: le pamphlétaire.
Sa vie s'est déroulée tellement au grand jour, dans la rue, au forum, que les péripéties en sont quasi populaires.
Authentique gentilhomme, descendant d'une illustre famille de soldats et de magistrats, et tenant, d'ailleurs, de cette noble origine, quoi qu'il en eût, plus d'un trait de caractère, le marquis Henri de Rochefort-Luçay était Parisien de naissance, et Parisien pauvre, son père, vaudevilliste en vogue, n'ayant conservé de la fortune ancestrale que des bribes. Et, comme il fallait vivre, à la sortie du collège, il entra dans les bureaux de l'Hôtel de Ville. Ce ne fut qu'un passage: le métier paternel l'attirait. Il écrivit, donna aux petits théâtres quelques pièces gaies qui ne déplurent pas; le titre falot de l'une d'elles a survécu à tout ce répertoire et, au temps des furieuses polémiques, boulangisme ou «Affaire», fournit à ses adversaires maintes plaisanteries: c'est laVieillesse de Brindisi.
Du théâtre au journal, les chemins de traverse abondent. Très entiché d'art et de bibelot, fureteur endiablé, Henri Rochefort se risque dans les sentiers de la critique, butine dans les expositions, les ventes, «brocante» un peu, lui-même, en amateur, et, comme il est curieux de son naturel, s'initie à un tas de dessous qui lui fournissent la matière d'une amusante brochure: lesPetits Mystères de l'Hôtel des Ventes. C'est un recueil d'alertes articles sur un milieu pittoresque, qui, aujourd'hui encore, gardent la saveur de piquants tableaux de moeurs, vus par un oeil aigu. L'oeuvrette ne passe pas inaperçue. Ou la reconnaît fort spirituelle, vivante; elle a donc les deux qualités premières que requiert la chronique, dont commence la vogue. Désormais l'auteur sera chroniqueur. Sa signature, vite connue, voisinera auNain Jaune, auFigaro, à l'Événement, avec celles d'Aurélien Scholl, de Jules Noriac, de Pierre Véron, d'Albert Wolff, de tous les «millionnaires de l'esprit».
Henri Rochefort à dix-huit ans.(Dessin de Maria Rohl, élève deLéon Cogniet, daté de 1849 etconservé à la Bibliothèque royalede Stockholm.--Fac-similécommuniqué par le comte F.-U.Wrangel.)
Je viens de feuilleter lesFrançais de la décadence, un recueil de ses «courriers de Paris», fantaisies éphémères sur la vie boulevardière, le monde, ses manies, ses caprices, le théâtre, ses étoiles, ses coulisses... On les relit sans ennui. Et déjà l'on voit poindre, à travers ces feuillets jaunis, le polémiste bientôt si redoutable. On lui reproche, par les voies administratives, de «friser la politique». Il a une façon de s'en excuser qui ne fait qu'aggraver son cas. Que d'irrévérence!--et quelle habileté dans le sous-entendu! quel art des rapprochements désobligeants pour les grands à qui il en a! Non seulement il ose exalter Victor Hugo--en 1865!--mais il ne peut se retenir de le faire au détriment des «glorieux vaudevilles» de M. de Saint-Rémy, qui n'est autre, nul n'en ignore, que M. de Morny lui-même.
Un moment vient où cette guerre aux fléchettes exaspère le pouvoir. On lui fait défense, selon l'un de ses mots les plus drôles, «de parler de M. Pinard--le ministre de l'Intérieur du moment, qui avait bien quelques centimètres de moins que M. Thiers, le plus petit des grands hommes--sinon pour vanter sa haute taille, et de nommer M. Rouher, si ce n'est pour exalter son désintéressement». Henri Rochefort doit abandonner leFigaro, où il ironise et raille ainsi, mais que sa collaboration compromet et menace de ruiner.
Alors naît laLanterne, qui allait porter à l'Empire des coups plus cinglants encore, tout en assurant la fortune politique de son rédacteur. Fortune étrange, à la vérité, et bien faite pour éblouir et griser celui-là même qu'elle favorisait. Se voir saluer comme l'un des «artisans de la chute de l'Empire» parce qu'on a révélé au monde dans une formule au surplus bien amusante: «Il y a en France 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement», où encore que Barye, chargé de modeler une statue équestre de Napoléon III «est le plus célèbre de nos sculpteurs d'animaux», il y a là de quoi ouvrir à un écrivain, pour peu qu'il ait le sens critique un tantinet émoussé, un champ d'illusions sans limites. Hélas! de trois cruelles occasions de déchanter se préparent.
Henri Rochefort à l'époque de laLanterne.
Toujours est-il qu'une réalité est là : la vogue de laLanternegrandit à mesure que s'accroît l'irritation du pouvoir. C'est pour Henri Rochefort la grande popularité, que ne font qu'aviver les persécutions. Viennent les procès retentissants, l'exil, et c'est l'élection triomphale au Corps législatif, le rôle politique de premier plan, la prison, que rouvre seulement la révolution du 4 septembre.
Par malheur, Henri Rochefort manquait de telles des qualités indispensables au tribun. Il n'était point l'homme des foules et ne leur rendait que platoniquement, à distance, l'idolâtrie dont elles l'accablaient. On le vit bien aux obsèques de Victor Noir, où, maître de diriger à son gré le courant populaire, dressé sur le pavois, exalté sur de robustes épaules, il fut pris de vertige et s'évanouit... Non, certes, qu'il ne fût brave: il avait eu des duels retentissants. Mais il ne suffit pas toujours de gourmander, comme Henri IV, la «vieille carcasse» pour la galvaniser.
A la chute du régime impérial, la vogue populaire qu'avait reconquise le polémiste, un moment moins choyé, après sa défaillance, le portait à l'Hôtel de Ville. Membre du gouvernement de la Défense nationale, il allait de nouveau s'inquiéter, et mollir à l'heure de l'action. Il démissionna vite.
On a rappelé plus haut jusqu'où l'entraîna sa participation à la Commune: ce fut la déportation à la Nouvelle-Calédonie, à laquelle mit fin une évasion périlleuse et retentissante.
Rentré en France à l'amnistie de 1880, il allait de nouveau connaître les amertumes de l'exil à la suite de l'équipée boulangiste, qu'il avait soutenue avec un entrain endiablé, une verve prodigieuse. Une fois de plus il se trouvait avec les vaincus. Il n'attendit pas sa condamnation par la Haute Cour pour gagner Bruxelles puis Londres, et vivre là dans l'espérance d'une autre amnistie. Elle le rappela en 1895.
«L'Affaire» le retrouve dans l'opposition: car, quel que soit le parti triomphant, il sera de l'opinion adverse. C'est un besoin de nature, un instinct impérieux, plus fort que tous les principes, que tous les dogmes. Il devait y demeurer soumis jusqu'à la dernière heure.
L'excessive véhémence de ton à laquelle graduellement il était arrivé, après avoir si adroitement manié le sous-entendu, enlevait, en ces dernières années, quelque portée à ses anathèmes. Mais la forme de ses articles demeurait si amusante, que ceux-là mêmes qu'il déchirait à dents féroces ne devaient guère lui on garder rancune. M. Constans du moins, qui fut peut-être, de tous ses adversaires, celui contre lequel il s'acharna le plus longuement et le plus rageusement--le plus vainement aussi--souriait avec bonhomie, quant à lui, de ces excès. Le fin matois avait des raisons excellentes de ne pas croire à la portée de ces philippiques.
Ce croquemitaine à l'étrange teint de bile, au provocant toupet d'argent, avait d'ailleurs des côtés chevaleresques parfois assez touchants et on l'a vu maintes fois défendre un confrère en butte aux coups du sort avec la même âpreté farouche qu'il déployait à trancher un adversaire.
Entre les différentes images que nous reproduisons de cette figure singulière et attachante, depuis le curieux crayon du «comte de Rochefort» à dix-huit ans, que nous communique le comte Wrangel, l'érudit écrivain, jusqu'au nerveux pastel de Marcel Baschet, étude pour l'admirable et expressif portrait que l'on connaît, en passant par cette photographie qui le montre sous l'allure cavalière de l'agitateur populaire, il est un de ses aspects qui manque: c'est le Rochefort penché, à quelque exposition précédant une grande vente, rue de Sèze, à l'hôtel Drouot, vers un tableau, une gravure, et, le binocle à la main, analysant, scrutant la peinture, puis redressant sa haute taille, demeurée droite jusqu'en la quatre-vingt-deuxième année, pour proclamer un arrêt péremptoire. Il n'est pas très certain que son esthétique fût mieux assise et plus infaillible que son jugement politique, mais du moins adorait-il la peinture, la sculpture, les oeuvres d'art, comme il affectionnait les lettres. Et il lui sera beaucoup pardonné en faveur de ces deux passions, comme de sa bonté d'âme et de son désintéressement.Gustave Babin.
Ici s'intercale un portrait hors texte en couleurs: HENRI ROCHEFORT, par Marcel Baschet.
Carte schématique de la situation militaire dans les Balkans.
La journée du 30 juin a vu se produire un coup de théâtre dans la péninsule balkanique. Au moment où les plénipotentiaires de Sofia et de Belgrade s'apprêtaient à se rendre à Saint-Pétersbourg pour soumettre le différend à l'arbitrage du tsar, au moment où la solution pacifique du conflit paraissait le plus probable, les armées on présence entamaient la lutte sur un front de 200 kilomètres, presque partout à la fois. Sans doute plusieurs chocs s'étaient déjà produits entre les avant-postes des partis opposés; mais il s'agit actuellement de combats beaucoup plus importants et qui mettent aux prises la totalité, ou peu s'en faut, des troupes d'occupation de la Macédoine: serbes, hellènes et bulgares.
Au lendemain même de la prise d'Andrinople, dès que la résistance turque a été définitivement écrasée, on a senti que la jalousie des alliés, dissimulée jusque-là , allait se manifester. Les troupes bulgares, libérées par la capitulation de Choukri pacha, se dirigeaient non vers Tchataldja, mais vers Salonique, tandis que les deux divisions serbes du corps de siège regagnaient en toute hâte le territoire national.
Dès la signature des préliminaires de paix avec la Turquie, les armées bulgares de Thrace sont dirigées vers l'ouest et concentrées de manière à s'opposer partout aux groupements serbes et grecs.
La 3e armée (général Radko Dimitrief) court s'interposer entre la capitale et la frontière serbe, à cheval sur la voie ferrée de Nich à Sofia; elle comprend les 3e, 4e, 5e et 9e divisions.
La 1re armée (général Koutintchef), comprenant les 1re, 6e et 10e divisions, se concentra sur la haute Strouma; son quartier général à Kustendil.
Ces deux armées, sous les ordres du général en chef Savof, doivent compter au total 160.000 hommes environ.
La 4e armée--(2e, 7e et 12e divisions), précédemment, stationnée face à Boulaïr, est, reportée à Sérès et Brama. La 8e division bulgare, de l'ancienne armée du siège d'Andrinople, vient la renforcer. Ce groupement, qui fait face aux Grecs, est commandé par le général Ivanof; on peut, l'estimer à 75.000 hommes.
Ainsi, nous retrouvons, en Bulgarie et en Macédoine, trois des quatre armées constituées l'année dernière pour combattre la Turquie. Seule, la 2e armée--celle d'Andrinople--a été disloquée. La 11e division, qui entrait dans sa composition, se trouvait encore, aux dernières nouvelles, maintenue à Andrinople et s'était augmentée des troupes d'étapes, autrefois échelonnées entre Mustapha-Pacha et Tchataldja.
Enfin, on a constitué à Choumla, vers la frontière roumaine, un noyau de couverture avec des éléments divers, dépôts, recrues, arrière-ban (Opoltchénié).
Du côté opposé, les contingents serbes sont répartis en deux groupes; l'un, en face de l'armée du général Dimitrief, est à Pirot; l'autre s'allonge sur le Vardar, d'Uskub jusqu'à hauteur du lac Doïran, à Guevgheli, où il se relie aux Hellènes.
L'armée serbe, à laquelle sont venues se joindre des unités monténégrines, d'ailleurs en petit nombre, se compose de 10 divisions, dont 5 actives et 5 de réserve, mais qui, toutes, sont en campagne depuis neuf mois; elle met ainsi en ligne presque 200.000 hommes.
Les divisions hellènes qui tiennent le bas Vardar, Salonique et s'étendent le long de la côte jusqu'à Kavala, sont au nombre de quatre, mais renforcées par des formations territoriales et des volontaires crétois. Le roi Constantin commande en personne ces 100.000 soldats.
En somme, les Bulgares ont aligné 235.000 hommes devant les 300.000 Serbo-Grecs; ils disposent encore d'une cinquantaine de mille combattants au moins en Thrace et à Choumla.
La partie serait donc égale, si la Roumanie ne jetait son épée dans la balance. Cette puissance dispose de cinq corps d'armée à deux divisions, dont l'effectif est à peu près l'équivalent de celui des armées bulgares. Mais l'armée roumaine n'est pas mobilisée et n'est pas aguerrie par une longue et pénible campagne, comme celles des nations balkaniques, dont chaque soldat est, un vétéran. Malgré son réseau ferré très développé, il lui faudra plusieurs jours pour faire passer ses unités sur le pied de guerre et les amener à la frontière.
Enfin, on ne peut oublier que les deux masses turques de Gallipoli et de Tchataldja n'ont pas encore été disloquées et n'ont besoin que d'un ordre pour déboucher en Thrace, après avoir franchi les lignes bulgares hier encore si formidables, mais aujourd'hui vides de défenseurs. Certes, la tentation est forte, car devant Constantinople, Izzet pacha a 150.000 soldats et Fakri pacha 60.000, à Boulaïr.
Ainsi se présentait, dans ses grandes lignes, la situation militaire dans la péninsule balkanique, lorsque s'est allumée la conflagration inattendue du 30 juin en Macédoine. Sur toute la ligne de démarcation serbo-bulgare, depuis Zletovo, par Istip, jusqu'à Doïran et Guevgheli, la poudre a parlé. Naturellement, chacun des partis reproche à l'autre de l'avoir attaqué et prétend le prouver: les Bulgares affirment, que les Serbes préméditaient de tourner leur droite pour la rejeter dans la montagne de Platchkovitza; les Serbes accusent leur adversaire d'avoir comploté une offensive à la Napoléon en quelque sorte, dirigée sur leur point de soudure avec les Grecs, à Guevgheli, pour séparer les deux alliés.
A l'extrémité de la frontière conventionnelle gréco-bulgare, mêmes récriminations au sujet! des engagements qui ont abouti à l'occupation du petit port d'Eleuthera par les troupes du général Ivanof.
Enfin, à Salonique, le faible bataillon bulgare, isolé au milieu de toute l'armée du roi Constantin, a refusé de se soumettre à un ultimatum de désarmement hellène. Divisé en plusieurs détachements séparés les uns des autres, il a résisté pendant deux heures à la fusillade et n'a capitulé que lorsque le canon eut démoli les maisons qui l'abritaient.
Ainsi, la guerre n'étant point déclarée, il y a eu, pendant trois jours, entre Bulgares, Serbes et Grecs, cinquante heures de bataille avec, de part et d'autre, des pertes très cruelles. Les opérations, d'ailleurs, continuent et il ne manque plus à l'état de guerre qu'une déclaration officielle.
La Bulgarie, cependant, par une double démarche à Belgrade et à Athènes, le 2 juillet, a manifesté son désir d'arrêter les combats. Elle assurait que des ordres réitérés avaient été donnés à ce sujet aux commandants bulgares et elle demandait l'envoi urgent d'ordres identiques aux chefs de l'armée serbe et de l'armée grecque. Mais la Serbie et la Grèce se sont bornées à décliner la responsabilité des événements actuels. La Serbie, notamment, a répondu que les combats se poursuivaient du fait de l'armée bulgare, qu'elle n'avait fait que repousser une agression et qu'elle ne pourrait, immobiliser ses troupes tant que les Bulgares resteraient sur des positions qu'ils n'occupaient point avant leur mouvement offensif.
Sur l'escalier de la tribune du Jockey-Club: la manifestation des chapeaux de soie, à l'arrivée de M. Poincaré.
Ceux qui, dans quelques années, voudront, avec le recul nécessaire pour juger les grands événements, même sportifs, caractériser en deux traits le Grand Prix de 1913, évoqueront aussitôt la victoire deBrûleur, grand favori, et l'accueil chaleureux, enthousiaste, exceptionnel, fait au président de la République, M. Poincaré. Ainsi, par ces deux signes, se distinguera, dans les annales hippiques, l'épreuve qui s'est disputée dimanche dernier à Longchamp.
La tribune présidentielle.
Suivant l'usage, le chef de l'État, qu' accompagnait Mme Poincaré, arriva, peu avant la course, dans sa daumont, qui, précédée du piqueur André, en redingote gros bleu à parements d'or, et attelée avec la plus fringante élégance, fit sensation au pesage. Le président de la Société d'Encouragement a coutume de venir saluer le président de la République au pied du pavillon officiel: si cette réception fut, durant les précédents septennats, empreinte d'une très déférente courtoisie, les acclamations qu'elle provoqua, cette année, lui donnèrent un éclat dont le souvenir s'était perdu... On put voir, tandis que le prince d'Arenberg offrait son bras à Mme Poincaré, les membres du Jockey-Club manifester une sympathie unanime, groupés sur les marches de l'escalier qui mène à leur tribune réservée. Gardienne des traditions, celle-ci ne saurait admettre, en cette classique journée, que des chapeaux de soie: ils se levèrent tous, d'un commun accord, et s'agitèrent allègrement, au passage du chef de l'État, multipliant, comme autant de sourires de bienvenue, leurs mouvants reflets.
Du Grand Prix lui-même, qui réunissait vingt concurrents, tous français, et d'excellente classe, il faut dire qu'il se déroula sans grande surprise. Après une très belle course,Brûleur, sur qui s'était affirmée la confiance du public, l'emporta nettement, d'une longueur et demie, surOpott, que suivaientEcouenetIsard II: il avait battu le record de vitesse en couvrant, en 3 minutes 13 secondes, les 3.000 mètres de l'épreuve. Par cette victoire, qui, pour avoir été un peu discutée, n'en demeure pas moins brillante, le jockey Stern a fait triompher la casaque rayée marron et jaune de M. de Saint-Alary, l'heureux propriétaire-éleveur deBrûleur.
Brûleur.          Opott.                     Ecouen et Isard II.          El Tango. Blaruey. Père Marquette.LE GRAND PRIX DE PARIS DE 1913.--L'arrivée au poteau.--Phot. Tresca.
Le lancement d'un cerf-volant monté, à bord du croiseurEdgar-Quinet.
Le cerf-volant, après son ascension, ramené sur la plage arrière de l'Edgar-Quinet, le croiseur filant à toute vitesse.
Les cerfs-volants montés du capitaine Saconney, dont nous avons, à diverses reprises, entretenu nos lecteurs, ont été adoptés par l'armée de terre, il y a quelques mois. Après une longue série d'expériences, ils viennent de l'être aussi par la marine, qui a ainsi tracé son programme aéronautique:
Limiter l'emploi des aéroplanes à la défense des côtes, seul cas où l'avion trouve toujours dans une rade tranquille une surface de départ et une surface d'atterrissage.
--Utiliser les dirigeables à très grand rayon d'action pour la surveillance des armées navales ennemies.--Recourir au cerf-volant soit pour l'éclairage des escadres au large, soit pour la surveillance d'une côte étrangère bloquée.
Le cerf-volant présente cet avantage que le vent, grand ennemi des autres appareils aériens, facilite ses évolutions; si le temps est calme, le navire crée le vent par son déplacement. Il faut une vitesse de 18 noeuds pour élever l'observateur; or, les croiseurs du typeEdgar-Quineten donnent 24.
Ces cerfs-volants, démontés et remisés, à bord, dans un coin quelconque, sont montés cinq minutes après avoir été apportés sur le pont du navire; dans le même temps, une autre partie de l'équipe dispose les treuils et les agrès de lancement. On compte ensuite quinze minutes pour lancer, arrimer la nacelle, et faire prendre place à l'observateur qui reste relié au navire par le téléphone; puis cinq minutes pour monter à 300 mètres. Dix minutes suffisent pour ramener le train à bord et le remiser sous le pont.
Ce nouveau matériel, qui vient d'être expérimenté au large des Bouches de Bonifacio par le croiseurEdgar-Quinet, a donné toute satisfaction.
Dr Rodriguez.     Professeur Chantemesse. Dr Chantemesse fils.
Lorsque le docteur Roux découvrit le sérum de la diphtérie, quand Koch lança prématurément le vaccin de la tuberculose, il y eut en France, et dans l'humanité tout entière, une explosion d'enthousiasme. Après de longues recherches, le vaccin de la fièvre typhoïde a été trouvé; depuis plusieurs mois, il donne dans notre pays comme à l'étranger des résultats merveilleux, et, pourtant, la chose est à peine connue du grand public.
A quoi cela tient-il? A plusieurs causes d'ordres très divers.
Les premières expériences de vaccination typhique préventive sur des animaux remontent à une vingtaine d'années. Pendant longtemps, avec une prudence peut-être excessive, mais qui est dans les belles traditions de la science française, on n'osa pas expérimenter sur l'homme, sous prétexte que, la fièvre typhoïde humaine différant sensiblement de celle des animaux, on ne pouvait tirer argument de l'immunité conférée à ces derniers. D'illustres biologistes entendaient ne rien entreprendre avant d'avoir réussi à donner au chimpanzé la «vraie» fièvre typhoïde. Dans ces conditions, les résultats furent obtenus progressivement, sans éclat, timidement presque, et en soulevant des critiques ou des réserves plus ou moins justifiées.
En second lieu, il faut tenir compte de la résistance instinctive du public devant toute médication nouvelle qui n'est pas bruyamment lancée; tenir compte encore de son indifférence vis-à -vis d'un mal simplement éventuel. Le sérum antidiphtérique s'attaque à une maladie déclarée; la vaccination antityphique est, avant tout,préventive, à l'instar de la vaccination jennérienne. Or, ce n'est pas du jour au lendemain qu'on prendra l'habitude de se faire vacciner contre le typhus comme on se fait vacciner aujourd'hui contre la variole.
Enfin, et ici je touche un point particulièrement délicat, deux vaccins français se trouvent en présence: le vaccin «civil» du professeur Chantemesse et le vaccin «militaire» du professeur Vincent. Ces deux spécialistes ont dans le monde savant une situation éminente; leur probité scientifique est égale. Chacun reconnaît la valeur du vaccin rival, tout en croyant son propre vaccin supérieur. Autour des deux intéressés les avis sont aussi partagés: chaque vaccin a ses partisans ou ses détracteurs. Ces querelles désorientent le public et ébranlent sa confiance--chose d'autant plus regrettable que, de l'aveu de tous les gens compétents, et abstraction faite de mérites particuliers en discussion, les deux vaccins donnent des résultats qui paraissent souverains.
La fièvre typhoïde fait normalement en France 5.000 victimes par an. Elle sévit dans toutes les classes. Puisqu'il est désormais un moyen certain, semble-t-il, de l'éviter,L'Illustrationa pour devoir d'éclairer le public de façon aussi complète qu'impartiale.
J'ai causé longuement avec les professeurs Chantemesse et Vincent qui, très aimablement, m'ont admis à visiter leur laboratoire et à assister à des séances de vaccination. Il ne m'appartient pas de me prononcer entre les deux méthodes; il m'est, d'ailleurs, plus agréable de confondre dans un même hommage deux savants français qui ont bien mérité de l'humanité.
De façon générale, la vaccination consiste à introduire dans l'organisme sain l'agent pathogène d'une maladie quelconque, dans des conditions propres à déterminer une réaction défensive qui empêche la maladie de se produire et qui procure au sujet une immunité plus ou moins durable contre cette maladie.
Pour réaliser cette double condition, on se trouve en présence de deux exigences contradictoires. Il semble, en effet, qu'il y a intérêt, pour obtenir l'immunité la plus grande, à inoculer un virus aussi peu atténué que possible; d'autre part, on doit éviter que l'inoculation apporte à l'organisme une secousse trop violente.
Dans certains cas on recourt à la méthode des vaccinschaufféspréconisée par Pasteur et Roux: on chauffe à une température qui laisse le microbe vivant mais qui ralentit son activité. Pour le vaccin antityphique, on emploie des culturesstérilisées, c'est-à -dire des microbes morts. On n'introduit ainsi dans l'organisme que les matières--toxines ou autres--contenues dans le corps du bacille, c'est-à -dire une substance chimique inanimée.
Le second procédé offre des garanties particulières, car, si le vaccin contient du bacille vivant, ce bacille est apte à se multiplier dans l'organisme et, par conséquent, à venir éventuellement augmenter l'action nocive des bacilles préexistant chez le sujet, au cas où ce dernier se trouverait en état d'incubation de la maladie, ce qu'il est en général impossible de constater.
On peut tuer le microbe par la chaleur ou à l'aide d'un agent chimique; c'est par l'emploi respectif de ces deux moyens que diffèrent essentiellement le vaccin Chantemesse et le vaccin Vincent.
Les premiers essais de vaccination antityphique sur des animaux furent effectués simultanément en France et en Allemagne en 1887. Tandis que Frenkel, à Berlin, injectait de petites quantités de bacilles vivants non atténués, les docteurs Chantemesse et Widal, à Paris, stérilisaient leur bouillon de culture à une température de 120° qui tuait le bacille et laissait plus ou moins intacte la toxine vaccinante.
Les deux méthodes présentaient donc une différence radicale: la méthode allemande était inapplicable à l'homme; la méthode française, n'injectant que des cultures mortes, pouvait au contraire devenir applicable.
Bacilles typhiques normaux considérablement grossis.Bacilles tués par le contact avec du sang de vacciné.
Les études poursuivies en France démontrèrent bientôt que la vaccination antityphique avec microbes stérilisés par chauffage confère l'immunité aux animaux pour une dose de bacilles typhiques qui tue les animaux témoins. On n'en pouvait conclure, avec certitude, que pareille immunité serait conférée à l'homme; la chose, toutefois, semblait très probable. On avait traité des cobayes, des lapins, des chevaux; or, l'expérience a appris qu'un vaccin agissant sur des mammifères d'un ordre élevé se comporte presque toujours de façon analogue sur l'homme.
Mais les expériences de Chantemesse et Widal soulevèrent d'assez vives polémiques; le monde médical les accueillit avec réserve.
On objectait avec insistance que les symptômes et les lésions de la fièvre typhoïde ne sont pas les mêmes chez l'animal et chez l'homme; qu'il serait imprudent, par conséquent, d'inoculer à l'homme un vaccin éprouvé seulement sur des animaux. Le docteur Chantemesse répondait que la dissimilitude des lésions importe peu, la fièvre typhoïde étant un empoisonnement du sang qui se manifeste de façon semblable chez l'homme et chez l'animal. Néanmoins, devant l'opposition qu'il sentait autour de lui, le savant professeur n'osa pas expérimenter sur l'homme.
Ce sont deux Allemands, Pfeiffer et Kollé, qui, s'inspirant de la méthode française, prirent les premiers une initiative jugée alors fort audacieuse. En 1896, ils injectèrent à un garçon de laboratoire du vaccin stérilisé par chauffage. Le garçon n'éprouva aucune gêne, ce qui était un point important acquis; mais on ne fit aucune expérience subséquente pour constater s'il était immunisé.
La même année, le professeur anglais Wright se préoccupait d'abaisser la température de stérilisation. Bientôt, la guerre du Transvaal étant survenue, il inaugurait la vaccination antityphique dans l'armée anglaise. Les résultats furent assez satisfaisants: alors que pour 1.000 hommes non vaccinés on comptait 141 cas et 31 décès, la proportion fut réduite à 20 cas et 4 décès pour les soldats vaccinés.
Vers la même époque, en 1899, le docteur Chantemesse vaccinait les élèves de son service d'hôpital. Peu à peu, les vaccinations devinrent plus nombreuses, mais c'est seulement depuis deux ou trois ans qu'elles commencent à entrer dans la pratique courante, en France et à l'étranger.
Au cours de leurs travaux, les différents chercheurs ont abaissé progressivement la température de stérilisation, en vue d'atténuer aussi peu que possible les propriétés du vaccin.
Au début, le professeur Chantemesse chauffait ses microbes à 120° pendant dix minutes; plus tard (1892) il s'arrête à 100°. Après lui, Wright (1896) chauffe à 75°, puis à 60°. Aujourd'hui, le docteur Chantemesse chauffe pendant une heure à 56°; c'est à son avis la température limite à laquelle on est certain de tuer le bacille.
D'autre part, comme les Anglais et les Américains, il ajoute ensuite à son liquide une légère dose d'unantiseptique, lysol ou crésol, par exemple. Il empêche ainsi le développement dans le vaccin du germe accidentel qui pourrait s'y glisser au cours des diverses manipulations, germe résistant au chauffage à 56° ou survenant après ce chauffage.
Le vaccin du docteur Chantemesse contient douze cents millions de bacilles morts par centimètre cube d'eau; il se présente sous forme d'un liquide légèrement opalin. La vaccination se pratique sur le haut du bras au moyen de la seringue classique; on badigeonne à la teinture d'iode la région piquée. Aucune douleur, ni pendant, ni après; point de démangeaisons ni de pustules comme en provoque la vaccination antivariolique. Parfois seulement un peu de fièvre que chasse un cachet d'antipyrine.
Le patient reçoit 3 milliards de bacilles stérilisés répartis en quatre injections à sept jours d'intervalle l'une de l'autre et ainsi dosées: