III.

[87]Histoire de la détention de Fouquet, de Pellisson et de Lauzun, par M. Delort, en tête de l'Histoire de la détention des philosophes et des gens de lettres, p. 33.

[87]Histoire de la détention de Fouquet, de Pellisson et de Lauzun, par M. Delort, en tête de l'Histoire de la détention des philosophes et des gens de lettres, p. 33.

[88]Fouquet avait appris de sa mère, auteur du célèbreRecueil de recettes choisiestant de fois réimprimé depuis l'édition originale de 1675, une foule de recettes singulières. Louvois, ayant mal aux yeux, lui fit demander de l'eau de casselunetteet unMémoire de la manière dont elle se fait(lettres du 13 juin et 5 juillet 1678).

[88]Fouquet avait appris de sa mère, auteur du célèbreRecueil de recettes choisiestant de fois réimprimé depuis l'édition originale de 1675, une foule de recettes singulières. Louvois, ayant mal aux yeux, lui fit demander de l'eau de casselunetteet unMémoire de la manière dont elle se fait(lettres du 13 juin et 5 juillet 1678).

[89]Ne doit-on pas rapporter à ce passage la célèbre histoire de l'araignée que tant de biographes ont introduite à tort dans la captivité de Pellisson, et dont Renneville, mieux instruit des traditions de la Bastille, a fait honneur au comte de Lauzun, trop léger et trop insouciant néanmoins pour se créer desoccupationsde cette espèce? Ce serait donc Fouquet et non Lauzun, à qui nous attribuerions cette touchante anecdote: «Sans livres, sans occupation, n'étant visité que de son barbare surveillant, lorsqu'il lui portait du pain, le comte (Fouquet) ne sachant à quoi s'amuser, avait appris à une petite araignée à descendre dans sa main pour y prendre du pain qu'il lui tendait. Un jour Saint-Mars entra dans le moment que le comte était dans cette amusanteoccupationavec son araignée; il lui fit le détail de ce beau divertissement, et ce brutal, voyant que le comte y prenait une espèce de plaisir, lui écrasa l'araignée dans la main en lui disant que les criminels comme lui étaient indignes du moindre divertissement.»Inquisition françaiseouHistoire de la Bastille, t. 1, p. 74.

[89]Ne doit-on pas rapporter à ce passage la célèbre histoire de l'araignée que tant de biographes ont introduite à tort dans la captivité de Pellisson, et dont Renneville, mieux instruit des traditions de la Bastille, a fait honneur au comte de Lauzun, trop léger et trop insouciant néanmoins pour se créer desoccupationsde cette espèce? Ce serait donc Fouquet et non Lauzun, à qui nous attribuerions cette touchante anecdote: «Sans livres, sans occupation, n'étant visité que de son barbare surveillant, lorsqu'il lui portait du pain, le comte (Fouquet) ne sachant à quoi s'amuser, avait appris à une petite araignée à descendre dans sa main pour y prendre du pain qu'il lui tendait. Un jour Saint-Mars entra dans le moment que le comte était dans cette amusanteoccupationavec son araignée; il lui fit le détail de ce beau divertissement, et ce brutal, voyant que le comte y prenait une espèce de plaisir, lui écrasa l'araignée dans la main en lui disant que les criminels comme lui étaient indignes du moindre divertissement.»Inquisition françaiseouHistoire de la Bastille, t. 1, p. 74.

On pourrait encore appliquer à Fouquet une partie de ce que la tradition nous fait connaître de la taille, de l'air majestueux, de la voix intéressante et même de l'espritvif et ornédu prisonnier masqué.

Fouquet n'était pas beau de visage, il est vrai; mais l'abbé de Choisy, dans sesMémoires[90]nous le montre «savant dans le droit, et même dans les belles-lettres; la conversation légère, les manières aisées et nobles; répondant toujours des choses agréables.» Bussy-Rabutin ne le juge pas autrement, et avoue à contre-cœur qu'il avait l'esprit fin et délicat[91]. Ses portraits lui donnent une figure spirituelle, un regard fier, une superbe chevelure: en un mot, sa bourse n'était pas le seul aimant qui lui gagnât les cœurs, puisque Mmede Sévigné, qu'il avait courtisée sans succès comme amant, l'estimait assez pour en faire un ami.

[90]Collection Petitot, t. 63 de la seconde série, p. 210.

[90]Collection Petitot, t. 63 de la seconde série, p. 210.

[91]Mémoires de Roger de Rabutin, comte de Bussy, éd. de 1696, in-12, t. 2, p. 428.

[91]Mémoires de Roger de Rabutin, comte de Bussy, éd. de 1696, in-12, t. 2, p. 428.

Il est certain qu'avant l'année 1680, Saint-Mars ne gardait à Pignerol que deux prisonniers importans, Fouquet et Lauzun; cependant, l'ancien prisonnier qu'il avait à Pignerol, suivant les termes du journal de M. Dujonca, dut se trouver dans cette forteresse avant la fin d'août 1681, époque du passage de Saint-Mars au fort d'Exilles, où le roi l'envoyait en qualité de gouverneur, pour le récompenser de son zèle dans la garde de Fouquet.

Ce fut donc dans l'intervalle du 23 mars 1680, date supposée de la mort de Fouquet, au 1erseptembre 1681, que leMasque de Ferparut à Pignerol, d'où Saint-Mars n'emmena quedeuxprisonniers à Exilles[92]; or, l'un de ces prisonniers était probablement l'homme au masque; l'autre, qui était sans doute Matthioli, mourut avant l'année 1687, puisque Saint-Mars, ayant eu, au mois de janvier de cette année-là, le gouvernement des îles Sainte-Marguerite, ne conduisit qu'un seulprisonnier dans cette nouvelle prison[93].

[92]Louvois écrit à Saint-Mars, 12 mai 1681: «Je demande au sieur Duchanoy d'aller visiter avec vous les bâtimens d'Exilles, et d'y faire un mémoire des réparations absolument nécessaires pour le logement des deux prisonniers de la tour d'en bas, qui sont, je crois, les seuls que Sa Majesté fera transférer à Exilles.» Extrait des Archives des Aff. étr. par M. Delort.

[92]Louvois écrit à Saint-Mars, 12 mai 1681: «Je demande au sieur Duchanoy d'aller visiter avec vous les bâtimens d'Exilles, et d'y faire un mémoire des réparations absolument nécessaires pour le logement des deux prisonniers de la tour d'en bas, qui sont, je crois, les seuls que Sa Majesté fera transférer à Exilles.» Extrait des Archives des Aff. étr. par M. Delort.

[93]Saint-Mars écrit à Louvois, 20 janvier 1687: «Je donnerai si bien mes ordres pour la garde de mon prisonnier, que je puis bien vous en répondre pour son entière sûreté.» Extrait des Archives des Aff. étr., par Roux-Fazillac.

[93]Saint-Mars écrit à Louvois, 20 janvier 1687: «Je donnerai si bien mes ordres pour la garde de mon prisonnier, que je puis bien vous en répondre pour son entière sûreté.» Extrait des Archives des Aff. étr., par Roux-Fazillac.

La correspondance de Louvois avec Saint-Mars[94]fait mention, il faut l'avouer, de la mort de Fouquet, que lui aurait annoncé une lettre de Saint-Mars, écrite le 23 mars 1680. Les lettres de Louvois, datées des 8, 9 et 29 avril, répètent plusieurs fois:feu M. Fouquet, en ordonnant de remettre le corps du défunt auxgensde MmeFouquet, et de transférer Lauzun dans la chambre mortuaire, meublée et tapissée à neuf; mais il est remarquable que, dans les lettres suivantes, Louvois dise comme à l'ordinaire,M. Fouquet, sans faire précéder ce nom de la qualification defeuqu'il employait auparavant.

[94]Dans l'Histoire de la détention des philosophes, t. 1, p. 317 et suiv.

[94]Dans l'Histoire de la détention des philosophes, t. 1, p. 317 et suiv.

Mmede Sévigné écrit à sa fille, le 3 avril 1680: «Le pauvre M. Fouquet est mort, j'en suis touchée… Mllede Scudéry est très-affligée de cette mort.» Elle écrit à la même, le 5 du même mois: «Si j'étais du conseil de la famille de M. Fouquet, je me garderais bien de faire voyager son pauvre corps, comme on dit qu'ils vont le faire: je le ferais enterrer là; il serait à Pignerol; et, après dix-neuf ans, ce ne serait point de cette sorte que je voudrais le faire sortir de prison.»

Elle écrit encore à peu près dans les mêmes termes à M. de Guitaud: «Si la famille de ce pauvre homme me croyait, elle ne le ferait point sortir de prison à demi; puisque son ame est allée de Pignerol dans le ciel, j'y laisserais son corps après dix-neuf ans: il irait de là tout aussi aisément dans la vallée de Josaphat, que d'une sépulture au milieu de ses pères, et comme la Providence l'a conduit d'une manière extraordinaire, son tombeau le serait aussi.» Ce passage de cette lettre a été seul conservé, d'où l'on peut présumer que Mmede Sévigné y donnait carrière hardiment à des soupçons sur les causes de la mort de son ami.

LaGazette de France, dans son numéroXXVIII, contient cette nouvelle, datée de Paris, 6 avril: «On nous mande de Pignerol que le sieur Fouquet y est mort d'apoplexie.» Enfin, d'après l'autorité de laGazette, Haudicquer de Blancourt, dans sesRecherches historiques de l'ordre du Saint-Esprit, imprimées en 1695, avance que Fouquet est mort le 23 mars 1680.

Mais les contradictions des contemporains au sujet de cette mort ne sont pas moins extraordinaires que celles des dates; et l'absence, presque complète, de pièces y relatives, laisse beaucoup à présumer.

Conçoit-on, par exemple, que Louvois n'accuse réception de la lettre d'avis de Saint-Mars que le 8 avril, tandis que laGazettedu 6 publiait cette nouvelle et que Mmede Sévigné la savait cinq jours auparavant? Le courrier, portant les dépêches du ministre, serait donc resté plus de quatorze jours en chemin, tandis que la poste de Pignerol aurait fait la même route en moins de huit jours?

D'où vient que Bussy-Rabutin et Mmede Sévigné, qui étaient tous deux à Paris alors, et qui se voyaient sans cesse, ont donné une cause entièrement opposée à la mort de Fouquet, leur ami commun? Est-il possible que Bussy, dans sa lettre à Mmede M…, ait écrit, le 25 mars (le mois, sinon le jour, est à l'abri d'une controverse à élever sur la fidélité de l'éditeur, le père Bouhours, ami de Bussy et de Fouquet): Voussavez, je crois, la mort d'apoplexie de M. Fouquet, dans le temps qu'on lui avait permis d'aller aux eaux de Bourbon? Cette permission est venue trop tard: la mauvaise fortune a avancé ses jours.» Une phrase d'une autre lettre du même, datée du 6 avril, et adressée au marquis de Trichâteau, semble faire entendre aussi que Fouquet avait obtenu sa grâce: «La fortune a ri trop tard à notre pauvre ami; cela n'a fait qu'augmenter son regret de quitter la vie.»

Mais si Fouquet mourut d'apoplexie, comment interpréter alors le sens de ces paroles de Mmede Sévigné: «Voilà cette vie qui a tant donné de peine à conserver!Il y aurait beaucoup à dire là-dessus!Sa maladie a été des convulsions et des maux de cœur sans pouvoir vomir.»

Comment, enfin, expliquer le silence duMercure galantsur la mort d'un personnage aussi célèbre, quand on trouve dans ce journal le fidèle relevé des décès principaux de chaque mois, quand le volume d'avril annonce les morts de MrsFeydeau et Gailloire, chanoines de Notre-Dame, de M. Bourdon, docteur en Sorbonne, et d'autres individus aussi obscurs? Était-ce une omission volontaire du journaliste de Visé qui n'osait pas mécontenter Colbert ou les amis de Fouquet, en portant un jugement sur la personne du défunt, en rappelant ses malheurs ou ses fautes? Était-ce la censure occulte de Versailles qui condamnait à l'oubli la mémoire du surintendant?

Étrange mort que celle-ci, qui eut lieu à Pignerol le 23 mars, et qui était sue le 25 à Paris!

Pas un acte authentique pour constater la fin d'un homme qui avait fait autant de bruit par sa disgrâce que par sa fortune, pour imposer silence aux soupçons toujours prêts à chercher un crime dans une mort entourée du mystère de la prison d'état, pour forcer l'histoire à enregistrer le terme de cette grande et illustre captivité! Rien qu'une dépêche, presque énigmatique, du ministre de la guerre; rien que la restitution d'un cadavre dans un cercueil; rien que l'extrait, peut-être supposé, d'un obituaire de couvent constatant l'inhumation un an après la mort!

Le 9 avril, Louvois écrit de Saint-Germain à Saint-Mars: «Le roi me commande de vous faire savoir que Sa Majesté trouve bon que vous fassiez remettre aux gens de MmeFouquet le corps de feu son mari, pour le faire transporter où bon lui semblera.» Or, à cette époque, MmeFouquet demeurait à Pignerol dans la maison du sieur Fenouil[95], et sa fille devait bientôt habiter le donjon au-dessus de la chambre du prisonnier, avec laquelle un escalier intérieur, construit exprès, aurait permis de communiquer[96].

[95]On apprend cette particularité de la procuration retrouvée par M. Modeste Paroletti, et citée plus bas.

[95]On apprend cette particularité de la procuration retrouvée par M. Modeste Paroletti, et citée plus bas.

[96]Lettre de Louvois, du 18 décembre 1679, dans le t. 1 de l'Histoire de la détention des philosophes.

[96]Lettre de Louvois, du 18 décembre 1679, dans le t. 1 de l'Histoire de la détention des philosophes.

Cependant ce n'est qu'un an plus tard que le corps, transporté à Paris, fut inhumé, dit-on, le 28 mars 1681, en l'église du couvent des Filles de la Visitation-Sainte-Marie, dans la chapelle de Saint-François-de-Sales où François Fouquet, père du surintendant, reposait sous les marches de l'autel depuis quarante et un ans. François Fouquet avait une fastueuse épitaphe[97], qui énumérait ses titres, et ses vertus, à demi effacée par les pieds du prêtre officiant; mais Nicolas Fouquet n'eut pas même son nom gravé sur une lame de cuivre, dans un temps où l'Académie des inscriptions et des médailles secondait la sculpture pour immortaliser les tombeaux! Nicolas Fouquet,qui fut élevé à tous les degrés d'honneur de la magistrature, conseiller du parlement, maître des requêtes, procureur-général, surintendant des finances et ministre d'état, dut se contenter de cette oraison funèbre écrite dans les registres mortuaires des Visitandines, si toutefois on peut s'en rapporter à l'extrait de ces registres mentionné dans lesnotesdu major Chevalier, bien que la supérieure du couvent de la Visitation ait déclaré en 1790 qu'il n'existaitaucun registre de sépulture antérieur à l'année 1737[98].

[97]Voici cette épitaphe rapportée par Piganiol de la Force,Descript. de Paris, éd. de 1765, t. 5, p. 42:«A L'HEUREUSE MÉMOIREDe messire François Foucquet, chevalier, conseiller du roi ordinaire dans tous ses conseils, fils de messireFrançois Foucquet, conseiller au parlement de Paris, lequel, après avoir passé par les charges de conseiller audit parlement et de maître des requêtes ordinaire de son hôtel, fut nommé pour ambassadeur de Sa Majesté vers les Suisses, et puis retenu pour être employé aux plus secrètes et plus importantes affaires de l'état, dans le maniement desquelles il a vécu avec tant d'intégrité et de modération, qu'il peut être proposé pour exemple à tous ceux qui sont admis aux conseils des princes. Sa naissance, sa vertu, sa capacité, son zèle au service du roi, lui ont acquis un nom honorable en cette vie, d'où il passa en une meilleure, trop tôt pour les siens et pour le public, laissant douze enfans de dameMarie de Maupeou, sa femme, fille de messireGilles de Maupeou, seigneur d'Ableiges, conseiller d'état, intendant et contrôleur général des finances. Il mourut le 22 avril 1640, âgé de 53 ans.»Le cercueil qui se trouve encore dans le caveau porte cette autre épitaphe plus modeste que je transcris.CY GIST LE CORPS DE MrFRANÇOIS FOUQUETVIVANT CHerCONSrORDINreDU ROY ENSON CONSEIL D'ESTATLEQUEL DÉCÉDA LE XXIIeJOUR D'AVRIL 1640AAGÉ DE 53 ANS.

[97]Voici cette épitaphe rapportée par Piganiol de la Force,Descript. de Paris, éd. de 1765, t. 5, p. 42:

«A L'HEUREUSE MÉMOIRE

De messire François Foucquet, chevalier, conseiller du roi ordinaire dans tous ses conseils, fils de messireFrançois Foucquet, conseiller au parlement de Paris, lequel, après avoir passé par les charges de conseiller audit parlement et de maître des requêtes ordinaire de son hôtel, fut nommé pour ambassadeur de Sa Majesté vers les Suisses, et puis retenu pour être employé aux plus secrètes et plus importantes affaires de l'état, dans le maniement desquelles il a vécu avec tant d'intégrité et de modération, qu'il peut être proposé pour exemple à tous ceux qui sont admis aux conseils des princes. Sa naissance, sa vertu, sa capacité, son zèle au service du roi, lui ont acquis un nom honorable en cette vie, d'où il passa en une meilleure, trop tôt pour les siens et pour le public, laissant douze enfans de dameMarie de Maupeou, sa femme, fille de messireGilles de Maupeou, seigneur d'Ableiges, conseiller d'état, intendant et contrôleur général des finances. Il mourut le 22 avril 1640, âgé de 53 ans.»

Le cercueil qui se trouve encore dans le caveau porte cette autre épitaphe plus modeste que je transcris.

CY GIST LE CORPS DE MrFRANÇOIS FOUQUETVIVANT CHerCONSrORDINreDU ROY ENSON CONSEIL D'ESTATLEQUEL DÉCÉDA LE XXIIeJOUR D'AVRIL 1640AAGÉ DE 53 ANS.

[98]Cette supérieure adressa la lettre suivante aux auteurs de laBastille dévoilée, qui lui avaient demandé de collationner sur l'original l'extrait mortuaire de Fouquet.«Monsieur,La déclaration du roi du 9 avril 1736 qui oblige d'avoir deux registres de sépulture, et d'en déposer un au greffe, tous les ans, est l'époque précise desActes mortuairesdont nous sommes en possession;d'après les plus exactes recherches, nous n'en avons trouvéaucunantérieur à l'année 1737. Il se pourrait bien que celui de M. Foucquet fût à la paroisse Saint-Paul, parce que c'est le curé de ladite paroisse qui fait tous nos enterremens; nous voyonspar différentes notesque ledit sieur est mort à Pignerol, au mois de mars 1680; qu'il a été inhumé dans notre église extérieure le 28 mars 1681, dans la cave où M. son père avait été enterré quarante ans auparavant;sonépitaphe est dans la chapelle de Saint-François de Sales, au-dessus de ladite cave. La messe dont il a été parlé a été fondée par M. son père, en 1640.J'ai l'honneur d'être, etc. Sœur Anne-Madeleine Chalmette.»Cette lettre, imprimée dans la 9elivraison de laBastille dévoiléepour prouver que Fouquet ne fut pas l'homme au masque, prouve surtout que les registres cités par Chevalier n'ont jamais existé, ou bien ont été enlevés à l'époque (vers 1770) où l'on fit à Pignerol et à la Bastille des perquisitions secrètes, afin d'anéantir les traces de la captivité du surintendant.Quant àsonépitaphe qui, selon cette lettre,étaitdans la chapelle de Saint-François de Sales, on est autorisé à croire que la supérieure a été trompée par une des épitaphes de la famille Fouquet, dans lesquelles le nom du surintendant se trouvait plusieurs fois répété avec l'énumération de tous ses titres et dignités.Un historien moderne (Dufey, de l'Yonne) a bien fait la même confusion en disant dans leMémorial parisien: «Sous les marches de la chapelle à gauche, a été inhumé Nicolas Fouquet,» M. Dufey avait mal lu Piganiol qui dit: «Dans une chapelle qui est à gauche en entrant et sous les marches, a été inhumé François Fouquet.» L'épitaphe de Nicolas Fouquet n'a jamais existé: elle n'est relatée nulle part dans lesÉpitaphiersmanuscrits de la ville de Paris, pas même dans le grand recueil en 9 vol. in-fol, avec les armoiries coloriées, lequel fait partie du Cabinet des Chartes et Titres formé par M. Champollion-Figeac, à la Bibliothèque du roi.Au reste, cette lettre est fort amphibologique, et lesdifférentes notessur lesquelles la supérieure appuie ses indications méritent peu de confiance à cause de leur analogie avec lesnotesdu major Chevalier.

[98]Cette supérieure adressa la lettre suivante aux auteurs de laBastille dévoilée, qui lui avaient demandé de collationner sur l'original l'extrait mortuaire de Fouquet.

«Monsieur,

La déclaration du roi du 9 avril 1736 qui oblige d'avoir deux registres de sépulture, et d'en déposer un au greffe, tous les ans, est l'époque précise desActes mortuairesdont nous sommes en possession;d'après les plus exactes recherches, nous n'en avons trouvéaucunantérieur à l'année 1737. Il se pourrait bien que celui de M. Foucquet fût à la paroisse Saint-Paul, parce que c'est le curé de ladite paroisse qui fait tous nos enterremens; nous voyonspar différentes notesque ledit sieur est mort à Pignerol, au mois de mars 1680; qu'il a été inhumé dans notre église extérieure le 28 mars 1681, dans la cave où M. son père avait été enterré quarante ans auparavant;sonépitaphe est dans la chapelle de Saint-François de Sales, au-dessus de ladite cave. La messe dont il a été parlé a été fondée par M. son père, en 1640.

J'ai l'honneur d'être, etc. Sœur Anne-Madeleine Chalmette.»

Cette lettre, imprimée dans la 9elivraison de laBastille dévoiléepour prouver que Fouquet ne fut pas l'homme au masque, prouve surtout que les registres cités par Chevalier n'ont jamais existé, ou bien ont été enlevés à l'époque (vers 1770) où l'on fit à Pignerol et à la Bastille des perquisitions secrètes, afin d'anéantir les traces de la captivité du surintendant.

Quant àsonépitaphe qui, selon cette lettre,étaitdans la chapelle de Saint-François de Sales, on est autorisé à croire que la supérieure a été trompée par une des épitaphes de la famille Fouquet, dans lesquelles le nom du surintendant se trouvait plusieurs fois répété avec l'énumération de tous ses titres et dignités.

Un historien moderne (Dufey, de l'Yonne) a bien fait la même confusion en disant dans leMémorial parisien: «Sous les marches de la chapelle à gauche, a été inhumé Nicolas Fouquet,» M. Dufey avait mal lu Piganiol qui dit: «Dans une chapelle qui est à gauche en entrant et sous les marches, a été inhumé François Fouquet.» L'épitaphe de Nicolas Fouquet n'a jamais existé: elle n'est relatée nulle part dans lesÉpitaphiersmanuscrits de la ville de Paris, pas même dans le grand recueil en 9 vol. in-fol, avec les armoiries coloriées, lequel fait partie du Cabinet des Chartes et Titres formé par M. Champollion-Figeac, à la Bibliothèque du roi.

Au reste, cette lettre est fort amphibologique, et lesdifférentes notessur lesquelles la supérieure appuie ses indications méritent peu de confiance à cause de leur analogie avec lesnotesdu major Chevalier.

Quoi! dans cette chapelle dotée par François Fouquet, ornée par Nicolas Fouquet, remplie des épitaphes de la famille Fouquet, le prisonnier de Pignerol fut enterré obscurément, sans une pierre tumulaire, sans une inscription, sans un obit! quoi! ses deux frères qui lui survécurent, Louis, évêque d'Agde, et Gilles, premier écuyer de la grande écurie; ses enfans, Louis-Nicolas comte de Vaux, Charles Armand, prêtre de l'oratoire, Louis, marquis de Belle-Isle, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem; ses filles et ses gendres, Armand de Béthune, duc de Charost, et Emmanuel de Crussol, marquis de Montgalez; sa femme; sa mère qui vivait encore et qui passait pour une sainte toute chargée d'œuvres pies et charitables; ses amis, encore nombreux et puissans, qui le pleuraient comme une victime innocente immolée à l'ambition de Colbert et à la jalousie de Louis XIV, ne vengèrent pas du moins sa mémoire en publiant sur sa tombe l'histoire de ses infortunes et le triomphe de sa fin chrétienne!

Est-ce que dans ce temps-là les inscriptions funéraires avaient besoin, comme un livre, d'uneapprobation du roi? Les filles de la Visitation craignirent-elles de se mettre mal en cour, si elles souffraient dans leur église l'éloge public de leur bienfaiteur défunt, proscrit même après sa mort? Les Visitandines étaient pourtant quelquefois très-expansives dans leur gratitude, lorsqu'elles ajoutaient, par exemple, à l'épitaphe de frère Noël Brulart de Sillery, que ce fondateur de leur église avait voulu,pour comble de tout, y être enterré. L'épitaphe de Fouquet disparut-elle sous le marteau, par un ordre émané de Versailles? Défense fut-elle faite d'offrir aux yeux des personnes dévotes le moindre signe extérieur qui rappelât le terrible martyre de ce pauvre homme, et sollicitât pour lui des indulgences dans l'autre vie? ou plutôt, la famille de Fouquet, suspectant l'identité du corps qu'on lui remettait, et n'osant approfondir le mystère d'une substitution de cadavre, préféra-t-elle garder le silence et ne pas se faire complice de cette odieuse fraude inventée par la haine ou par la politique?

La plupart des historiens des monumens de Paris[99]ont répété que Fouquet avait été enterré dans le même caveau que son père, mais pas un n'y est descendu pour découvrir la place occupée autrefois par un cercueil, vide peut-être, ou du moins ne contenant que des ossemens qui n'avaient jamais appartenu au prisonnier de Pignerol.

[99]Voyez Dulaure, Germain Brice, Piganiol de la Force, Hurtaut, Thiéry, Auguste Poullain de Saint-Foix, etc.; mais les histoires de Paris, publiées à la fin du dix-septième siècle, telles que la première édition de G. Brice, (1684),Paris ancien et nouveau, par Lemaire (1685) ne parlent pas de cette sépulture.

[99]Voyez Dulaure, Germain Brice, Piganiol de la Force, Hurtaut, Thiéry, Auguste Poullain de Saint-Foix, etc.; mais les histoires de Paris, publiées à la fin du dix-septième siècle, telles que la première édition de G. Brice, (1684),Paris ancien et nouveau, par Lemaire (1685) ne parlent pas de cette sépulture.

Quant à nous, qui avions soulevé tant de preuves morales contre la prétendue inhumation de Fouquet dans l'église des filles de Sainte-Marie, nous pensions que la vérité ne serait plus reconnaissable aujourd'hui sur un squelette, sur une tête de mort; nous ne songions pas à desceller ce cercueil de plomb pour y remuer une poussière muette. Eh bien! un fait est venu par hasard justifier, surpasser nos inductions: Fouquet n'a pas été inhumé à la Visitation, comme on l'a cru; son cercueil n'a même jamais été transféré de Pignerol à Paris; les registres du couvent ou les gens qui invoquaient leur témoignage ont menti!

Lacavede la chapelle de Saint-François-de-Sales n'avait pas été ouverte depuis l'année 1786 où l'on y enterra la dernière des Sillery, Adélaïde-Félicité Brulart; le couvent supprimé en 1790, les bâtimens vendus depuis et l'église concédée au culte protestant en 1802, on respecta cependant les tombes et on n'alla pas chercher du plomb pour fondre des balles, dans le caveau des bienfaiteurs du monastère. Il y a cinq mois environ que la cathédrale de Bourges réclama le corps d'un de ses archevêques, lebienheureuxAndré Fremiot, qui avait été inhumé chez les filles de Sainte-Marie, fondées par sa sœur, la célèbre Mmede Chantal, au commencement du 17esiècle: on fit de longues recherches avant de découvrir les restes du prélat catholique oubliés sous la sauve-garde de laConfession de Genève; ce fut dans la sépulture de Fouquet qu'on trouva le cercueil de l'illustrissime et révérendissime père en Dieu, patriarche, archevêque de Bourges, primat des Aquitaines; tous les cercueils que contenait le caveau furent examinés par une commission de la ville, toutes les épitaphes furent relevées avec soin: celle de Nicolas Fouquet manque!

Son père François, ses frères Yves, seigneur de Mézières, conseiller du parlement, et Basile, commandeur des ordres du roi, abbé de Barbeaux et de Rigni, sa première femme Louise Fouché dame de Quehillac, deux de ses enfans décédés en bas âge, son fils aîné Louis-Nicolas comte de Vaux, sont les seuls habitans de ce caveau où retentit, comme un écho plaintif, le nom detrès-haut et très-puissant seigneur messire Nicolas Fouquet, chevalier, vicomte de Vaux et de Melun, ministre d'état et surintendant-général du roi; nom fameux par les malheurs plutôt que par la fortune qu'il rappelle, nom imposant surtout dans l'épitaphe de deux héritiers de cette haute prospérité frappés au berceau, avant que letrès-haut et très-puissant seigneurfût devenu un grand criminel d'état devant la chambre de justice de 1661!

Cette censure royale, qui refusait une épitaphe à la victime de Pignerol, mit un bâillon sur la bouche de l'histoire pour l'empêcher de faire entendre le jugement de la postérité. Voyez: Fouquet mort, ou passant pour tel, comme on a peur qu'une voix indiscrète ne s'élève de sa tombe ou de sa prison! comme on a soin d'imposer silence aux regrets de ses amis! comme on s'efforce d'effacer jusqu'au souvenir de l'illustre captif! Pellisson, qui achevait en ce temps-là sonHistoire de Louis XIV, s'excusa de ne pas s'arrêter sur la disgrâce du surintendant, qu'il avait partagée, et ne donna aucun détail concernant une affaire qu'il devait connaître à fond; M. de Riencourt, dans sonHistoire de la monarchie française sous le règne de Louis-le-Grand, imprimée en 1688, ne mentionna pas même la condamnation de Fouquet, sans doute pour éviter de le plaindre, car il ne manifestait que des doutes au sujet de la culpabilité de ce ministre.

La généreuse MmeFouquet (Marie-Madelaine de Castille-Villemareuil, morte en 1716, âgée de quatre-vingt-trois ans) qui, depuis dix-huit ans, assiégeait le roi de placets[100]et de sollicitations, invoqua en 1680 une promesse que Louis XIV lui avait faite pour se dérober sans doute à ses importunités, et voulut rendre cette promesse plus solennelle par la publicité; mais laHarangue de MmeFouquet au roine put être imprimée qu'à l'étranger, à Utrecht, chez Jean Ribius, et les exemplaires de ce petit livre in-16, intituléFormulaire des inscriptions et soubscriptions des lettres dont le roi de France est traité par tous les potentats de l'Europe, et dont il les traite réciproquement, eurent beaucoup de peine à s'introduire en France, quoique le sujet adulateur de l'ouvrage eût été imaginé sans doute pour servir de recommandation à la harangue.

[100]On en trouve un, présenté au roile jour de sa fête, dans le premier volume desMémoires historiques et authentiques sur la Bastille, p. 62.

[100]On en trouve un, présenté au roile jour de sa fête, dans le premier volume desMémoires historiques et authentiques sur la Bastille, p. 62.

«Votre Majesté, disait MmeFouquet dans cette requête, a bien voulu me faire l'honneur de me direqu'elle était fâchée d'être obligée de faire ce qu'elle a fait.» MmeFouquet, tout en implorant la clémence royale, avait la hardiesse de rappeler les iniquités du procès de son mari, particulièrement les papiers de l'accusépris contre toutes les formes ordinaires, et beaucoup même soustraits; elle ne demandait point uneabsolution glorieuse, mais uneabolition, l'exil au lieu de l'emprisonnement perpétuel… Le roi répondit sans doute en ordonnant de lui annoncer la mort du prisonnier!

Les ouvrages de dévotion que Fouquet avait rédigés à Pignerol, et que son fils enleva contre l'intention de Louis XIV[101], n'eurent pas le droit de paraître avec le nom de l'auteur. Le père Boutauld, jésuite[102], qui publia le premier volume desConseils de la Sagesse, ou Recueil des maximes de Salomon, après avoir obtenu un privilége daté du 13 février 1677, pour Sébastien Mabre-Cramoisi, imprimeur du roi, et directeur de l'imprimerie royale du Louvre, ne put obtenir qu'en juin 1683 unepermission d'imprimer la Suite des Conseils de la Sagesse, trouvée dans la prison de Fouquet.

[101]Louvois écrit à Saint-Mars, 8 avril 1680: «Vous avez eu tort de souffrir que M. de Vaux ait emporté les papiers et les vers de M. son père, et vous deviez faire enfermer cela dans son appartement.» T. 1 de l'Histoire de la détention des philosophes.

[101]Louvois écrit à Saint-Mars, 8 avril 1680: «Vous avez eu tort de souffrir que M. de Vaux ait emporté les papiers et les vers de M. son père, et vous deviez faire enfermer cela dans son appartement.» T. 1 de l'Histoire de la détention des philosophes.

[102]Le catalogue de la Bibliothèque du Roi le nommeBétaut, mais c'est une erreur. Le père d'Avrigny, dans lesMémoires pour servir à l'histoire universelle de l'Europe, 1725, t. 3, p. 113, nie que Fouquet eût composé cet ouvrage. «Je ne sache que lesConseils de la sagessequ'on lui ait attribués. Ce livre eut beaucoup de vogue, mais le P. Boutauld, jésuite, en était l'auteur. L'idée qu'on eut qu'il était d'un surintendant prisonnier et pénitent ne gâta rien à l'ouvrage et contribua au débit.» Mais il suffira de comparer entre eux les différens livres publiés par le père Boutauld, depuis 1680 (il avait alors quatre-vingts ans), pour s'assurer qu'ils partent tous de la même main et qu'ils ont été écrits sous la même inspiration: on y retrouve à chaque page Fouquet et le prisonnier de Pignerol. VoyezBoutaulddans la dernière édition de Moréri. LesConseils de la sagesse, contrefaits en Hollande avec les caractères d'Elzevier, chez Abraham Trojel et Abraham de Hondt à la Haye, ont eu depuis quatre ou cinq éditions. Il y a aussi des traductions en espagnol et en italien.

[102]Le catalogue de la Bibliothèque du Roi le nommeBétaut, mais c'est une erreur. Le père d'Avrigny, dans lesMémoires pour servir à l'histoire universelle de l'Europe, 1725, t. 3, p. 113, nie que Fouquet eût composé cet ouvrage. «Je ne sache que lesConseils de la sagessequ'on lui ait attribués. Ce livre eut beaucoup de vogue, mais le P. Boutauld, jésuite, en était l'auteur. L'idée qu'on eut qu'il était d'un surintendant prisonnier et pénitent ne gâta rien à l'ouvrage et contribua au débit.» Mais il suffira de comparer entre eux les différens livres publiés par le père Boutauld, depuis 1680 (il avait alors quatre-vingts ans), pour s'assurer qu'ils partent tous de la même main et qu'ils ont été écrits sous la même inspiration: on y retrouve à chaque page Fouquet et le prisonnier de Pignerol. VoyezBoutaulddans la dernière édition de Moréri. LesConseils de la sagesse, contrefaits en Hollande avec les caractères d'Elzevier, chez Abraham Trojel et Abraham de Hondt à la Haye, ont eu depuis quatre ou cinq éditions. Il y a aussi des traductions en espagnol et en italien.

Le premier volume avait été publié à Paris en 1677: on ne tarda pas à reconnaître Fouquet sous le masque de Salomon, quoique leJournal des Savans, noXVII, de l'année 1677, n'osât pas soulever un coin du voile de l'anonyme, en rendant compte de cet ouvrage qui était alors dans toutes les mains. «Il y a long-temps, lit-on dans la préface, Théotime, que vous me faites la grâce de me plaindre et de sentir pour moi les peines de ma solitude… Ces tristes spectacles et le silence affreux du désert où la fortune me retient encore n'empêchent pas que les heures n'y passent bien vite… Vous savez que je me consolais autrefois en livres, vous allez voir dans l'écrit que je vous envoie, que je m'occupe maintenant à les expliquer… Salomon aimait à se trouver seul, autant que les princes de sa cour à se trouver auprès de lui et à l'entendre parler. L'heure où aspiraient ses désirs était lorsqu'après les travaux du soir, las des affaires, des honneurs et des bruits du monde, il se retirait de la vue des compagnies, et allait s'entretenir avec Dieu dans une maison de campagne nomméeHetta, assez proche de la ville. (N'est-ce pas une allusion à la maison de Saint-Mandé?) Ce fut dans ce désert magnifique, et à la vue des beautés de Dieu, que ses contemplations lui découvraient, qu'il conçut de si grands mépris des beautés mortelles, et qu'après les autres plaintes qu'il fit contre la trahison de leurs promesses et de leurs flatteries, il chanta ce fameux cantique que les grottes et les eaux de son palais entendirent les premières, mais que les échos ont fait depuis entendre partout, et qu'ils feront retentir jusqu'à la fin des siècles:Vanitas vanitatum, cuncta vanitas!»

Dans le courant de cette paraphrase toujours noble et touchante, souvent éloquente et sublime, Fouquet se rappelle sans cesse ce qu'il a été en comparaison de ce qu'il est: le prisonnier de Pignerol s'adresse toujours au surintendant des finances. «Peut-être que ceux qui nous verront ce soir heureusement établis dans une puissante et haute fortune nous trouveront le matin ensevelis sous ses ruines… Accoutumez-vous à regarder sans étonnement et sans frayeur tout ce qui arrive; lorsque l'affliction survient, ne vous fâchez pas contre Dieu… Salomon croyait que la fidélité et l'amour des serviteurs ne peuvent être justement récompensés que par l'amour de leur maître… Il se regardait comme leur père; et un des plus beaux exploits de sa sagesse fut d'avoir fait en sorte que personne n'entrât et ne demeurât chez lui pour le servir, qui ne fût fidèle, et que personne n'en sortît, qui ne fût riche. Leur fortune entrait dans le nombre de ses propres affaires… Votre grandeur et votre gloire ne sont pas d'abaisser les autres devant vous, mais d'être grand en vous-même et d'avoir au-dessus d'eux une élévation indépendante de leur chute et de leur malheur… L'amitié nous plaît, mais l'intérêt est notre maître… Ils devraient savoir que de se déclarer l'ami de quelqu'un, c'est s'obliger de n'avoir ni argent dans le temps de ses nécessités, ni loisir dans le temps de ses affaires, ni sang et vie dans le temps de ses dangers… Dans les affaires de l'amitié, aussi bien que dans celles de l'état, les moindres indiscrétions et légèretés de langue sont des crimes irrémissibles… Si le malheur veut que nous ayons des ennemis, croyons qu'il nous est moins glorieux de renverser leur maison et leur fortune, que d'adoucir leur colère, et tous ces soins que nous employons à gagner sur eux un procès, employons-les à gagner leur cœur.»

Dans ces deux volumes, inspirés par la lecture méditée de la Bible[103], Fouquet se montre, suivant l'expression d'un contemporain,revêtu de sa seule vertu, et épuré de la plus pure lumière de la foi[104]. Ses ennemis durent grincer des dents en voyant ce calme évangélique et cette patience chrétienne, ce dédain pour lenéant des grandeurs humaineset ce pardon des injures: Colbert sentit peut-être un remords en quittant avec la vie ce pouvoir qu'il avait acheté au prix de la perte de Fouquet.

[103]On voit par la correspondance de Louvois (Histoire de la détention des philosophes) que l'on donna deux exemplaires de la Bible à Fouquet, avec les œuvres de Clavius et de saint Bonaventure, mais on lui refusa les œuvres de saint Jérôme et celles de saint Augustin.

[103]On voit par la correspondance de Louvois (Histoire de la détention des philosophes) que l'on donna deux exemplaires de la Bible à Fouquet, avec les œuvres de Clavius et de saint Bonaventure, mais on lui refusa les œuvres de saint Jérôme et celles de saint Augustin.

[104]Manuscrits envoyés par le major Chevalier à Malesherbes. Cabinet de M. Villenave.

[104]Manuscrits envoyés par le major Chevalier à Malesherbes. Cabinet de M. Villenave.

Le second ouvrage posthume de Fouquet, intituléMéthode pour converser avec Dieu, 1684, in-16, qui n'était pourtant qu'un extrait desConseils de la Sagesse, futsupprimé, malgré l'approbation de la société de Jésus, comme on le voit par une note manuscrite de l'exemplaire de la Bibliothèque du roi.

Le père Boutauld, il est vrai, n'avait pas mis ce petit livre à couvert par une dédicace au roi, comme il fit pour un autre ouvrage recueilli aussi dans les papiers de Fouquet et publié sous le titre:Le Théologien, dans les conversations avec les sages et les grands du monde, Paris, 1683, in-4o. Cethéologien, qu'on a pris pour le père Cotton parce que l'éditeur le fait vivre sousHenri-le-Grand, n'est autre que Fouquet,sage et maître de sa colère, sincère, magnanime, incorruptible, fidèle à sa promesse et impénétrable en ses secrets: «Il fut appelé à la cour et y eut un emploi des plus honorables; le roi fit état de sa personne et de ses conseils et se plut à ses entretiens: il lui fit même la grâce de l'honorer de sa confiance intime et de lui témoigner des bontés très-singulières et qui furent enfin trop glorieuses pour n'être pas insupportables à la jalousie.» L'éditeur annonce presque l'origine de l'ouvrage: «Quelques uns de ses amis, qui héritèrent de ses papiers et qui furent témoins de ses pensées les plus secrètes, conçurent le projet de mettre ses écrits en ordre; s'il se trouve ici quelques fautes, on ne doit les attribuer qu'à ma seule plume. Les lumières que j'ai reçues des personnes qui le connurent familièrement lorsqu'il fut éloigné de la cour m'ont beaucoup aidé. Je n'eus le bonheur de lui parler et de l'approcher, qu'environ deux ans avant qu'il mourût. (Ce ne peut être le père Cotton mort en 1626.)» Il faudrait savoir si le jésuite Boutauld n'a pas été confesseur de Fouquet, à Pignerol.

Mais la partie la plus curieuse du volume est une éloquente justification de ce prisonnier d'état, sous la forme d'une nouvelle historiqueAdelaïs, dans laquelle on découvre peut-être toute l'histoire secrète du procès de Fouquet.

Marie, fille du roi d'Aragon, femme de l'empereur Othon, devint amoureuse d'un gentilhomme, et crut qu'il suffisait d'avertir par ses regards qu'elle permettait qu'on l'aimât; ce gentilhomme feignit de ne pas l'entendre, mais un jour, celle-ci parla si clairement, qu'il s'échappa des bras de cette femme éhontée. Marie, pour se venger, accusa ce nouveau Joseph d'avoir attenté à l'honneur du lit impérial et obtint de son mari que le coupable périrait. Il fut arrêté et conduit en prison: «La nouvelle de cet emprisonnement se répandit aussitôt à la cour, mais on n'en sut pas le sujet; la chose demeura secrète entre l'empereur et l'impératrice, les autres devinèrent et soupçonnèrent comme ils purent, et ils en furent d'autant plus empêchés qu'il ne paraissait nullement que ce sage gentilhomme se fût oublié de son devoir.» Adelaïs, mère d'Othon, conseillait à son fils de se borner à exiler l'accusé, faute de pouvoir prouver le crime dont la preuve serait d'ailleurs un déshonneur pour l'empire; mais Othon n'écouta que les prières de sa femme: «il publia l'affaire et voulut que les juges s'en mêlassent.» Le gentilhomme périt sur un échafaud; car «la voix de la calomnie eut plus de force que celle de l'innocence; mais son sang répandu parla mieux que lui et fit retentir jusqu'au ciel des cris que la justice de Dieu écouta.» La femme de ce malheureux gentilhomme était alors absente; elle ne put que demander le corps du condamné pour le faire inhumer, et ayant obtenu qu'on le lui rendît, elle cacha sous sa robe la tête sanglante et alla elle-même la jeter aux pieds de l'empereur, en criant justice et en accusant l'impératrice. Cette veuve éplorée jura que son mari n'était pas coupable du crime pour lequel on l'avait fait mourir, et le ciel confirma ce serment par un miracle, à la suite duquel l'impératrice fut brûlée, pour expier la mort inique dont elle était l'auteur.

On ne peut manquer de reconnaître tous les personnages de ce roman:Othon, c'est Louis XIV; l'impératrice Marie, fille du roi d'Aragon, c'est Marie-Thérèse d'Autriche, infante d'Espagne, reine de France, ou bien Mllede La Vallière, maîtresse du roi; legentilhomme, c'est Fouquet;Adelaïs, mère d'Othon, c'est la reine-mère Anne d'Autriche. La vraisemblance ne contredit pas ces suppositions qui d'ailleurs sont indiquées à peu près par l'histoire, et qui n'échappèrent pas sans doute aux contemporains. A coup sûr, cette nouvelle, dont les allusions sont fort claires, ne se trouve pas, sans dessein, dans un livre de dévotion, dédié au roi. Reste à savoir si le père Boutauld, en ajoutant à sa publication ce plaidoyer indirect en faveur de Fouquet, prétendait justifier un mort ou un vivant. Pour moi, je pense quele Théologien dans les conversationsn'a été imprimé que pour servir de passeport à la leçon renfermée dansAdelaïs. Cette leçon fut-elle tout-à-fait perdue?

Un savant Piémontais, M. Paroletti, lut à l'Académie de Turin un mémoire (Sur la mort du surintendant Fouquet, Notices recueillies à Pignerol) imprimé en 1812, dans le recueil in-4ode cette Académie, pour éclaircir la date de la mort de Fouquet; mais l'enquête qu'il poussa dans cet objet à Pignerol n'eut d'autre résultat que de mieux attester l'obscurité de cette question: il fouilla dans les archives de la ville, du château, des églises et des notaires; il trouva seulement chez un de ces derniers une procuration passée audonjon de la citadelle, le 27 janvier 1680, devant Lantéri, notaire royal, par laquelle MmeFouquet autorisait l'avocat Despineu à toucher pour elle une rente à Paris; M. Paroletti ne rencontra pas ailleurs le nom de Fouquet, pas même parmi les actes des décès qui avaient eu lieu dans la citadelle et qui relevaient de la paroisse de Saint-Maurice. Il eut beau pénétrer dans les caveaux du monastère de Sainte-Claire, où les morts de la citadelle étaient tous apportés en vertu d'une vieille coutume, il ne tira aucune lumière de ses recherches parmi les anciennes pierres tumulaires.

La mémoire des hommes avait gardé, mieux que la pierre et le papier, les traces du séjour de Fouquet à Pignerol, dont le château, rasé en vertu des capitulations qui rendirent cette place à la Savoie, était alors caché sous l'herbe: beaucoup d'habitans de la ville se rappelaient avoir ouï dire dans leur jeunesse qu'un prisonnier de grande importanceavait terminé sa vie dans ce château, et plusieurs d'entre euxconfondaient ce personnage avec l'homme au masque de fer; une vieille religieuse de Sainte-Claire se souvenait de l'arrivée de quelques officiers français venus exprès, cinquante ans auparavant (1760 à 1770), pour déchiffrer une inscription sépulcrale et recueillir des notes sur un prisonnier d'état mort à la citadelle; le secrétaire de la mairie se souvenait aussi de ces officiers qui avaient demandé au couvent des Feuillans certains mémoires sur la vie de Fouquet, parce que les moines de ce couvent prenaient soin, autrefois, des prisonniers et les assistaient dans leurs maladies. Qui avait envoyé ces officiers, et quel était le but de leur mission?

La mort de Fouquet n'était donc pas avérée de son temps, surtout pour ses amis:

Puisque La Fontaine, qui avait eu de si touchantes inspirations pour plaindre le malheur d'Oronteet implorer la grâce du surintendant par la voix desNymphes de Vaux, ne donna pas un vers de regret à son bienfaiteur;

Puisque Gourville, qui fut en correspondance avec son ami Fouquet jusqu'au dernier moment, a dit dans sesMémoires, plus estimables par leur franchise que par leur ordre chronologique: «M. Fouquet,quelque temps après(la mort de Langlade qui survécut au duc de La Rochefoucault, décédé au mois de mars 1680),ayant été mis en liberté, sut la manière dont j'en avais usé avec sa femme, et m'écrivit pour m'en remercier[105];»

[105]Page 461 de cesMémoiresdans la collection Petitot, seconde série, t. 52. Le commentaire que fait sur ce passage l'auteur de laBastille dévoilée, 2eliv., p. 71, est spécieux, mais erroné: «Serait-ce résoudre la difficulté de dire qu'il faut entendre par là que Fouquet fut moins étroitement resserré, puisqu'il eut la liberté d'écrire et que Gourville en reçut une lettre de remerciement des secours qu'il avait donnés à sa famille? Ne serait-il pas plus naturel de dire que Fouquet a été véritablement libre, mais si peu de temps, que Mmede Sévigné a pu ou l'ignorer, ou dire, par une façon de parler, qu'il est mort prisonnier. En effet, Gourville ne parle de la liberté du surintendant qu'après la mort de M. de la Rochefoucault, arrivée le 17 mars 1680, et il fait mourir Fouquet le 26 du même mois de la même année.» Cette date de la mort de Fouquet ne se trouve dans aucune édition desMémoiresde Gourville: l'aurait-on tirée d'un manuscrit?

[105]Page 461 de cesMémoiresdans la collection Petitot, seconde série, t. 52. Le commentaire que fait sur ce passage l'auteur de laBastille dévoilée, 2eliv., p. 71, est spécieux, mais erroné: «Serait-ce résoudre la difficulté de dire qu'il faut entendre par là que Fouquet fut moins étroitement resserré, puisqu'il eut la liberté d'écrire et que Gourville en reçut une lettre de remerciement des secours qu'il avait donnés à sa famille? Ne serait-il pas plus naturel de dire que Fouquet a été véritablement libre, mais si peu de temps, que Mmede Sévigné a pu ou l'ignorer, ou dire, par une façon de parler, qu'il est mort prisonnier. En effet, Gourville ne parle de la liberté du surintendant qu'après la mort de M. de la Rochefoucault, arrivée le 17 mars 1680, et il fait mourir Fouquet le 26 du même mois de la même année.» Cette date de la mort de Fouquet ne se trouve dans aucune édition desMémoiresde Gourville: l'aurait-on tirée d'un manuscrit?

Puisque le comte de Vaux, fils de Fouquet, publia en 1682 une nouvelle édition de l'ouvrage de son père:Les Conseils de sagesse, ou recueil des Maximes de Salomon, nouvelle édition,REVUE ET AUGMENTÉE PAR L'AUTEUR;

Puisque MmeFouquet, cette fidèle épouse qui n'avait pas cessé un seul jour de travailler à la délivrance du prisonnier de Pignerol, adressait encore des placets au roi en 1680;

Puisque un ami de cette famille malheureuse, le père Boutauld, jésuite, dédiait à Louis XIV, en 1683, une espèce de justification allégorique en faveur de Fouquet;

Puisque enfin la famille Fouquet elle-même était incertaine du sort de cet infortuné!

«Ce qui est très-remarquable, dit Voltaire dont les paroles doivent être bien pesées dans une question qu'il était plus que personne en état de résoudre,C'EST QU'ON NE SAIT PAS OÙ MOURUT CE CÉLÈBRE SURINTENDANT[106].» Le premier historien duMasque de Ferdit ailleurs (au ch. 25 duSiècle de Louis XIV): «Tous les historiens disent qu'il mourut à Pignerol en 1680; mais Gourville assure qu'il sortit de prison quelque temps avant sa mort. La comtesse de Vaux, sa belle-fille, m'avait déjà confirmé ce fait; cependant on croit le contraire dans sa famille: ainsiON NE SAIT PAS OÙ EST MORT CET INFORTUNÉ!»


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