CHAPITRE XIII

La législation tout entière de la province tend à favoriser la colonisation: système de propriété, mode de concession des terres, organisation administrative et municipale, tout concourt à ce résultat.

Le système de propriété, différent d'abord entre le Haut et le Bas-Canada, est unifié depuis que la loi de 1854 a aboli la tenure seigneuriale.

Après la conquête, les Anglais avaient respecté sur toutes les terres déjà concédées le mode de propriété établi par le gouvernement français, mais ils ne l'étendirent pas au delà; toutes les nouvelles concessions faites aux loyalistes, après la guerre d'indépendance, le furent en pleine propriété, libre de toute charge:free and common soccage. Ainsi, à côté du Bas-Canada français, où la propriété demeurait soumise au système seigneurial, se forma la province du Haut-Canada, où la propriété fut libre70.

Note 70:(retour)Les concessions faites aux Anglais dans les cantons de l'Est qui, en 1791, furent compris dans les limites de la province de de Québec, avaient été faites également en propriété libre.

Tant que les deux provinces demeurèrent séparées, ces différences de législation ne choquèrent pas les Canadiens-Français; habitués au régime sous lequel ils vivaient, ils ne songeaient pas à en demander le rappel. Mais lorsque, après 1840, les provinces se trouvèrent réunies sous un même gouvernement, la différence les frappa davantage, et l'opinion publique commença à réclamer l'abolition de la tenure seigneuriale. Le mouvement gagna peu à peu, et vers 1848, cette question devint le tremplin politique, l'arme de combat dont, pendant plus de cinq ans, se servirent les partis dans les luttes électorales.

Au début de la colonisation, le système seigneurial avait eu son utilité; comment il avait favorisé à la fois le seigneur, le colon et la colonie tout entière, nous l'avons expliqué plus haut.

Mais la raison d'être des institutions change en même temps que les circonstances qui les ont fait naître. Déjà peuplé d'une façon assez dense sur bien des points, possédant de grandes villes, le pays n'avait plus besoin de cesentrepreneurs de peuplementqu'avaient été les seigneurs; le progrès était assez avancé pour continuer de lui-même. La liberté devait être désormais un encouragement plus puissant que cette sorte de tutelle et de protection, fournie jadis par le système seigneurial, aux débiles origines de la colonie. La banalité des moulins, les rentes annuelles, les droits de mutation, institués presque comme des garanties pour le censitaire, étaient devenus de véritables charges.

Arrivé à l'aisance par son travail et par celui de ses ascendants, le censitaire considéra comme une lourde servitude l'obligation de porter son blé au moulin banal, oubliant que son aïeul avait été heureux, un siècle auparavant, de pouvoir user de ce moulin, que la loi obligeait le seigneur, sous des peines assez sévères, à construire et à entretenir.

La rente annuelle et les droits de mutation ne représentaient-ils pas aussi le prix de la terre elle-même? Gratuitement, sans aucune avance de capital, ainsi que le voulait la loi, le seigneur l'avait livrée au colon: les droits seigneuriaux représentaient l'équivalent de cette avance; c'était la reconnaissance d'un service rendu.

Si la réforme était urgente et nécessaire, la justice exigeait donc qu'elle consistât, non dans la suppression des droits seigneuriaux, ce qui eût été une véritable spoliation, mais dans leur rachat. C'est dans ce sens en effet qu'elle fut, en 1854,--durant l'administration, restée si populaire, du grand gouverneur lord Elgin,--opérée suivant un vote émis par les Chambres canadiennes.

Une somme de 25 millions de francs fut affectée par la loi au rachat des droits de banalité et de mutation. Quant à la rente annuelle, on laissa aux censitaires eux-mêmes le soin de s'en affranchir en remboursant au seigneur le capital. Beaucoup d'entre eux ont jusqu'ici préféré continuer à acquitter la rente.71

Note 71:(retour)Comme il n'y avait pas de droits seigneuriaux à racheter, ni dans le Haut-Canada, ni dans les cantons de l'Est, on dut leur offrir une indemnité équivalente à la somme votée en faveur des régions françaises. Le Haut-Canada reçut 15 millions de francs, et les cantons de l'Est 4 millions.

Ainsi fut supprimé, sans secousses et sans léser aucun intérêt, le système de propriété seigneuriale. Utile au moment de son institution, il s'éteignit le jour où il cessa de l'être, n'ayant à aucune époque causé la moindre oppression ni la moindre injustice, ayant même excité si peu de rancune dans l'esprit du peuple, que le grand tribun populaire Papineau, plébéien de naissance, mais possesseur d'une seigneurie, fut, dans les Chambres, son dernier défenseur!

Un seul mode de propriété subsiste dans la province de Québec depuis la loi de 1854, et toutes les concessions nouvelles, à titre gratuit ou à titre onéreux, sont faites en propriété libre.

Mais ces concessions, à qui appartient-il de les faire et suivant quelles règles le sont-elles?

C'est aux provinces que la constitution fédérale de 1867 a laissé la disposition de toutes les terres du domaine public situées sur leur territoire respectif; et c'est là une de leurs plus importantes prérogatives.

Le domaine public,les terres de la couronne(c'est le terme officiel) de la province de Québec couvrent, nous l'avons déjà dit, une immense étendue, et forment une réserve inépuisable qu'il faudra bien des générations, bien des siècles encore, pour occuper entièrement72. Une petite portion, bien minime par rapport à l'ensemble, a pu être arpentée jusqu'ici. Mais telle qu'elle est, elle dépasse encore de beaucoup les besoins actuels.

Note 72:(retour)La province de Québec comprend dans ses limites actuelles (sans y comprendre le territoire qu'elle revendique jusqu'à la baie d'Hudson) 120,763,000 acres, dont 10,678 sont compris dans les anciennes seigneuries, et 11,744,000, plus récemment occupés. Il reste donc une aire de 98,341,000 acres disponibles, dont 20 millions de bonnes terres arables. Il y en a 6 millions d'arpentés. (Mercier,Esquisse.)

Un ministre,commissaire des terres de la couronne, est chargé de ce département, un des plus importants des départements ministériels de la province. Il a sous sa direction les arpenteurs et les agents chargés de la vente des terres.

Le rôle des arpenteurs est des plus importants. Ce sont eux qui tracent, à travers la forêt, ces lignes qui divisent le pays en cantons de forme géométrique. Les cantons sont partagés enrangslongitudinaux, et les rangs enlotsde soixante acres environ.

C'est une vie aventureuse et pénible que celle de l'arpenteur. Il est pour ainsi dire l'éclaireur de la civilisation; c'est dans le désert, bien loin des pays habités, qu'il va planter sa tente. Ses compagnons sont l'Indien et le traitant de fourrures, l'agent de la Compagnie de la baie d'Hudson, vivant solitaire sur quelque lac perdu dans le Nord. Les voyages des arpenteurs sont de véritables expéditions, et quelques-uns sont connus pour les progrès qu'ils ont fait faire à la connaissance topographique des régions du Nord. L'un d'eux, M. Bignell, a fait au lac Mistanini, dont l'étendue et la forme sont encore voilées comme d'une sorte de mystère, plusieurs explorations remarquables.

Leslots, que les arpenteurs préparent au colon, lui sont livrés, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux.--A titre onéreux bien entendu pour les meilleurs et les mieux situés.--Dans les deux cas, la concession est soumise à des conditions particulières, les unes ayant en vue l'avantage de l'acquéreur, et destinées à encourager la colonisation, d'autres imposées comme garantie de sa bonne foi, de son intention sincère de mettre la terre en culture, non d'escompter sa plus-value à venir. A une terre nouvelle il faut des agriculteurs, non des spéculateurs; le travail de l'un enrichit le pays, le trafic de l'autre le ruine.

En faveur du colon, la loi dispose que le prix d'achat pourra être acquitté par termes, un cinquième seulement en prenant possession du lot, les quatre autres, par annuités successives. En faveur du colon encore, la loi déclare que le lot sur lequel il s'établit ne pourra être ni hypothéqué ni vendu pour dettes antérieures à la concession; elle déclare insaisissable, tant pour dettes antérieures que pour dettespostérieures, un grand nombre d'objets mobiliers, dont la liste est longue et curieuse, et parmi lesquels nous pouvons citer: la literie et le vêtement, la batterie de cuisine et la vaisselle, les outils, et même--remarquons ceci, c'est un indice de l'instruction dans la classe agricole--une bibliothèque! Parmi les volumes qu'il possède, le colon saisi peut en conserver dix à son choix. Citons encore, parmi les objets les plus importants, tout le combustible et les provisions de bouche à l'usage de la famille pour trois mois; toutes les voitures ou instruments d'agriculture avec deux chevaux ou bœufs de labour, quatre vaches, dix moutons, quatre cochons, huit cent soixante bottes de foin et les autres fourrages nécessaires pour compléter l'hivernement de ces animaux.

On ne voit pas bien, après cette longue énumération, ce qui peut rester à saisir. Et pourtant le législateur voulait aller plus loin encore; il s'est arrêté devant la crainte de ruiner, par une protection outrée, le crédit du colon et de le desservir au lieu de lui être utile.

Voici, d'autre part, les conditions imposées au colon comme garantie de sa bonne foi. Un délai de quelques mois lui est accordé pour se rendre sur sa concession; il doit y construire une maisonhabitabled'au moins 16 pieds sur 20, y résider pendant deux ans au moins, et défricher dans l'espace de quatre ans une étendue d'au moins 10 acres par centaine d'acres concédés.

Lorsqu'il a rempli toutes ces conditions il obtient, comme disent les Canadiens,sa patente, c'est-à-dire un titre de propriété définitif.

Une habile propagande est exercée pour favoriser la colonisation, et des brochures, publiées par les soins duCommissaire des terres de la couronneet répandues partout à profusion, font connaître à tous la situation des lots à vendre ou à concéder gratuitement, leur étendue, la nature et la fertilité de leur sol, et leur prix.

L'organisation administrative elle-même est conçue de façon à favoriser la colonisation, et l'appui qu'elle lui donne consiste dans une absolue liberté. On peut dire que c'est par son inaction et par son absence même que l'administration vient en aide au colon.

Le voyageur--le voyageur français surtout--qui parcourt le Canada, s'étonne de ne voir nulle part aucun fonctionnaire, et se demande comment le pays est administré. Il s'administre lui même.

La commune canadienne est toute-puissante. C'est un petit État en miniature. Il a son petit parlement: le conseil municipal élu au suffrage universel et qui délibère sur toutes les questions d'intérêt communal. Le chef du pouvoir exécutif, c'est le maire, élu par les conseillers. La commune n'a ni domaine ni propriétés, toutes lesterres de la Couronneappartenant à la province; donc pas de revenus. Mais le conseil municipal vote pour tous les travaux qu'il veut faire exécuter, ou pour toutes les dépenses auxquelles il lui plaît de pourvoir, des taxes dont il règle sans contrôle la nature et la quotité, et qu'il fait percevoir par un fonctionnaire communal, lesecrétaire trésorier.

M. Duvergier de Hauranne a, d'une façon humoristique, fait remarquer l'ingéniosité de ce système de localisation des taxes: «Ce qui me frappe surtout dans les institutions canadiennes, dit-il, c'est la spécialité et pour ainsi dire la localisation des taxes; chacun paye pour ses propres besoins à ses propres députés... et l'impôt est perçu et appliqué dans la localité. Chez nous, au contraire, l'État est comme le soleil qui pompe les nuages, les amasse au ciel et les fait également retomber en pluie. Je ne nie pas la beauté apparente du système, mais il a l'inconvénient de cacher aux contribuables l'emploi et la distribution de leurs ressources. Ils voient bien leurs revenus s'en aller en fumée; mais ne voyant pas d'où vient la pluie qui les féconde, ils s'habituent à considérer les exigences de l'État comme des exactions et ses bienfaits comme un don naturel73.»

Note 73:(retour)Huit mois en Amérique(Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1865).

La réunion de tous les maires d'un mêmecomtéforme leconseil de comté, qui élit lui-même son maire ouwardenet possède pour l'ensemble du comté les mêmes droits que le conseil municipal pour la commune.

Aucune gêne, aucune entrave au colon; ce qu'il paye, il sait pourquoi il le paye et il en voit l'emploi sous ses yeux. C'est ainsi que, par la liberté même qu'elle accorde, la législation vient en aide à l'effort individuel, véritable et seule source du progrès.

Les résultats de cette activité colonisatrice sont déjà fort beaux. Les Canadiens n'occupaient, il y a cinquante ans à peine, qu'une bien faible partie de leur immense et riche pays; des grands cours d'eau qui le traversent, ils n'avaient pas encore quitté les rives. Aujourd'hui, pénétrant partout, ils font gagner au loin la culture sur la forêt, et lancent, à travers les massifs montagneux, des chemins de fer qui portent la civilisation et la vie dans des lieux hier solitaires et sauvages.

En 1851, 8 millions d'acres étaient en culture dans la province de Québec; le recensement de 1881 en a élevé le chiffre à 12 millions d'acres.

La colonisation ne s'est pas portée partout d'une façon uniforme, elle s'est étendue tout d'abord dans les régions les plus fertiles, les moins accidentées et les plus douces de climat. Il est facile de s'en rendre compte à la seule inspection d'une carte: partout où les divisions administratives, les comtés, enferment dans des limites démesurément étendues de vastes portions de territoire, on peut être sûr que la population est, sinon totalement absente, au moins bien faible; tel est le cas du comté du Saguenay, qui s'étend depuis la rive nord de ce fleuve jusqu'aux frontières du Labrador, immense région déserte dont la côte seule est occupée çà et là par quelques rares habitations de pécheurs.

Là au contraire où, comme au sud de Montréal et de Québec, des comtés étroits se pressent les uns contre les autres, la population s'accumule d'une façon dense, donnant au pays un aspect fort peu différent de celui qu'on peut trouver en Europe.

De ce noyau principal formé au sud des grandes cités, partent trois grandes trouées de colonisation qui s'avancent vers le Nord: l'une par la vallée de l'Ottawa, l'autre au nord de Québec, vers le lac Saint-Jean, et la troisième vers la presqu'île de Gaspé, encore peu habitée relativement à son étendue, à cause des massifs montagneux qui en occupent le centre, mais que la culture attaque de tous côtés à la fois par sa ceinture de rivages.

Au nord de Québec, une vaste et fertile plaine s'étend jusqu'à la chaîne des Laurentides. C'est là que se trouvent tant de jolis et pittoresques villages, célèbres autant par leur histoire, mêlée à celle des premiers temps de la colonie, que par la renommée que leur ont de nos jours donnée les touristes; c'est Beauport, le premier fief canadien concédé au temps de Richelieu, qui égrène, tout le long de la route conduisant aux célèbres chutes de la rivière de Montmorency, ses coquettes maisons peintes en blanc, et présentant au passant leurs légères galeries de bois tournées vers le chemin. Plus loin, c'est Sainte-Anne, avec son église monumentale et son célèbre pèlerinage, pieusement fréquenté des Canadiens, en souvenir de Notre-Dame d'Auray, la patronne vénérée de leurs ancêtres bretons. Vers le nord, c'est encore, au milieu de la plaine, le village de Lorette, habité par une tribu indienne, les derniers représentants des Hurons--très civilisés aujourd'hui--et que rien, n'était la tradition de leur descendance, ne distinguerait des blancs.

Au delà encore se trouve le riche village de Saint-Raymond; mais si, poussant plus loin, on veut remonter davantage vers le Nord, on se heurte bientôt à la chaîne des Laurentides, massif montagneux d'une élévation médiocre, mais dont les plateaux et les vallées sont jusqu'à ce jour demeurés complètement inhabités. Non seulement ils ne sont pas utilisés pour la culture, mais l'exploitation forestière elle-même ne les a pas encore pénétrés. Les bois y sont moins beaux, les transports y sont moins faciles qu'en forêt de plaine, et dans un pays où ils ont le choix sur de vastes étendues, les forestiers se montrent aussi difficiles que les agriculteurs.

Les gracieuses et fraîches vallées des Laurentides, aux flancs couverts de bois épais, aux rivières torrentueuses coupées de rapides et de chutes, ne sont guère fréquentées que des touristes, non pas de touristes comme ceux d'Europe, auxquels il faut des chemins, des hôtels et du confortable, mais de touristes pour lesquels le plaisir du voyage a d'autant plus de prix qu'il est acheté par un peu de peine.

Dans ces rivières aux flots bondissants, aux rives encombrées de broussailles, dans ces lacs aux ondes calmes formés dans le creux des vallées, les habitants de Québec amateurs de sport viennent, durant l'été, se livrer aux plaisirs de la pêche, et se donner, à quelques dizaines de lieues de chez eux, l'illusion de la vie sauvage, en plein désert, aussi loin de la civilisation que s'ils en étaient séparés par des océans et des continents.

Aucune apparence de travail humain, nul chemin, nul sentier ne profane la solitude des Laurentides. C'est en suivant le cours des rivières qu'on pénètre dans leurs silencieuses vallées.

Les guides qui vous dirigent dans leurs mystérieux détours sont de gais compagnons, contant volontiers des histoires du pays, et chantant les chansons canadiennes. Leur vigueur ne le cède pas à leur gaieté, et très gaillardement, sans trahir le moindre effort, ils portent sur leurs épaules, quand la navigation est interrompue par quelque rapide, votre bagage et votre tente. Ils savent d'une très ingénieuse façon les enrouler dans une couverture, de manière à ne former qu'un seul et volumineux paquet, serré par une courroie qu'ils passent sur leur front, portant ainsi leur charge à peu près à la façon des bœufs attelés au joug. Si le rapide est une véritable chute, impraticable même au canot allégé de tous les bagages, le guide transporte jusqu'au delà duPortagel'embarcation elle-même, ce canot si léger, fait d'écorce de bouleau, et si bien adapté aux nécessités et aux besoins du pays.

Et comme il sait encore habilement dresser la tente et choisir, sous la forêt, un emplacement favorable, à l'abri du vent et des intempéries! A l'aide de la hachette qu'il porte toujours à la ceinture, il a vite coupé les piquets et, sous la toile tendue, dressé un lit de branches de sapin, moelleux et favorable au sommeil après ces journées de la vie des bois.

Tels sont aujourd'hui les seuls visiteurs des vallées des Laurentides. Ce massif montagneux semble former vers le Nord comme la barrière et la limite des cultures, mais cette barrière ne les arrête pas d'une façon définitive; elles ont pour ainsi dire sauté cet obstacle, et c'est au delà de la chaîne des Laurentides que s'effectue la colonisation des régions voisines du lac Saint-Jean, cette mer intérieure qui, par le Saguenay, déverse ses eaux dans le Saint-Laurent.

Le nom indien, du lac Saint-Jean: Pikoua-gami (lac plat), rend bien l'impression qu'on éprouve sur ses rives sans relief et dépourvues de pittoresque. Mais cette monotonie d'aspect qui désole l'œil de l'artiste, réjouit celui de l'agriculteur devant lequel se déroulent de vastes terres d'alluvions favorables à la culture.

C'est en 1647 que le lac Saint-Jean a été découvert par un missionnaire, le Père de Quen. Les colons ont tardé de deux cents ans à suivre ses traces, et ce n'est guère qu'en 1850 que, pour la première fois, quelques aventureux pionniers sont venus s'établir dans le pays. Comme toujours, ils étaient conduits par de courageux apôtres, vouant leur existence au développement de leur pays. L'un d'eux, l'abbé Hébert, a fondé l'une des premières paroisses créées dans la région, et devenue aujourd'hui l'une des plus prospères, le village d'Hébertville.

De grands progrès ont eu lieu depuis lors. Un chemin de fer, traversant la chaîne des Laurentides, a été ouvert il y a quelques années, et met ces nouvelles terres en relations directes avec Québec. La région du lac Saint-Jean--des bords mêmes du lac aux rives du Saguenay--renferme aujourd'hui une population de plus de 30,000 âmes, répartie en un assez grand nombre de villages, dont quelques-uns sont groupés et forment des centres importants. Telle est la petite ville de Chicoutimi sur le Saguenay, dont le port est, chaque année, visité par des navires d'Europe qui viennent y charger des bois.

La plupart des villages cependant ne forment pas d'agglomération; les habitations sont éparses, semées au hasard suivant les besoins de la culture, et distantes quelquefois les unes des autres de plusieurs milles. C'est l'église, construite en un lieu central, qui sert aux colons comme de point de réunion. Solitaire durant la semaine, au point que le voyageur européen s'étonne de trouver, au milieu d'un pays qui lui paraît inhabité, un édifice si soigné et si bien entretenu, on y voit chaque dimanche affluer les fidèles; les légères voitures canadiennes débouchent de toutes parts, arrivent par tous les chemins, et viennent, en lignes serrées, se ranger devant le porche de l'église.

Dans ce pays, occupé depuis quarante ans à peine, la viabilité est demeurée dans un état très primitif. La plupart des chemins ne sont que des pistes encombrées d'ornières, et ne peuvent être suivis que par des véhicules d'une construction toute spéciale. Aussi, quels chefs-d'œuvre de légèreté sont les voitures canadiennes! Deux longues planches flexibles posées sur les essieux et supportant deux légères banquettes en composent la partie essentielle. Ce simple véhicule se ploie à toutes les apérités du sol. Avec cela on passe partout; au grand trot des vigoureux chevaux canadiens, au milieu des cahots et des heurts, on franchit les ornières, on monte les côtes et l'on descend les ravins.

Des chemins semblables joignent entre eux les principaux centres de la région du lac Saint-Jean, et font communiquer les villages des bords du lac avec la ville de Chicoutimi et le Saguenay. Bientôt une voie ferrée, aujourd'hui en construction, fera elle-même ce trajet, ouvrant de nouvelles facilités à la colonisation et reliant par une double issue la région du lac Saint-Jean aux régions du Sud: d'un côté, par la ligne ferrée de Québec qui existe déjà, de l'autre, par la voie fluviale de Chicoutimi et du Saguenay.

Le mouvement de colonisation qui, à l'extrême ouest de la province, s'avance vers le Nord par la vallée de l'Ottawa et le lac Témiscamingue, est plus récent encore que celui du lac Saint-Jean, mais il n'est pas moins audacieux. En 1863, les rives du lac Témiscamingue, bien qu'ayant été, elles aussi, reconnues dès le dix-septième siècle, étaient absolument désertes; seul un poste de la Compagnie de la baie d'Hudson s'y dressait solitaire, et les chantiers d'exploitation forestière n'atteignaient même pas l'extrémité méridionale du lac.

Aujourd'hui, une colonie florissante, due à l'initiative des Pères Oblats, occupe une portion de ses rives, et les bûcherons se sont eux-mêmes avancés bien au delà vers le Nord.

Les communications de la colonie du Témiscamingue avec la ligne ferrée du Pacifique canadien, qui passe à 150 kilomètres au sud, sont assurées par un service de petits bateaux à vapeur remontant le cours de l'Ottawa. Plusieurs rapides interrompent la navigation, et partagent la rivière comme en trois biefs successifs, sur lesquels trois embarcations différentes font le service. Les bagages et marchandises sont transportés de l'une à l'autre à l'aide d'un tramway, de construction très primitive, mais très économique, ce qui, dans un pays neuf, est une considération qui doit l'emporter peut-être sur celle du luxe et du confortable.

Le trajet se fait en deux jours. Les voyageurs trouvent à mi-chemin une auberge suffisamment confortable pour la nuit, car les embarcations n'offrent aucun abri et consistent en de simples chalands traînés par des remorqueurs.

Les moyens de communication se perfectionneront d'ailleurs en même temps que la colonisation du Temiscamingue fera des progrès. Les promoteurs de l'établissement de laBaie des Pèresne doutent pas de sa prospérité future; déjà ils ont arpenté l'emplacement d'une ville, et l'on peut, dès aujourd'hui, en plein champ, au milieu des moissons et des prairies, parcourir la rue Notre-Dame et la rue Saint-Joseph! Admirable exemple de cette confiance en l'avenir si souvent couronnée de succès dans ces pays des prodigieuses surprises et des progrès imprévus.

Aux régions du lac Saint-Jean et du lac Temiscamingue, ajoutons celle de la presqu'île de Gaspé: telles sont les trois grandes régions de la province de Québec livrées depuis peu à la colonisation. Certes, sur bien d'autres points, il reste de nombreuses et fertiles terres à concéder, mais ce sont là les poussées extrêmes, et pour ainsi dire le front de combat, dans cette lutte engagée par le colon contre la nature primitive.

Ainsi qu'on ne s'étonne pas de l'apparence de désordre, de négligence et de pauvreté, que ces nouvelles terres prennent quelquefois aux yeux d'un Européen. Aucune comparaison n'est possible, non seulement avec nos campagnes d'Europe, si soignées et cultivées depuis de si longues générations, mais même avec les campagnes canadiennes des environs de Québec et de Montréal, et toutes les régions du Saint-Laurent colonisées depuis un siècle ou deux.

Dans les anciennes paroisses nous constatons le résultat du travail des générations antérieures; nous assistons, dans les nouvelles, au travail même de création entrepris par la génération présente pour les générations de demain. Par une vie âpre et rude dans une campagne désolée, le colon défricheur prépare la vie facile, dont jouiront ses descendants dans un pays riche et fertile. Ce n'est pas sans travail, sans peines, et sans déboires, que se sont créés les villages dont nous admirons aujourd'hui la prospérité, et le poète canadien a pu dire du voyageur qui, débarquant au Canada, admire la richesse et la beauté du pays:

Il est loin de se douter du prixQue ces bourgs populeux, ces campagnes prospèresEt ces riches moissons coûtèrent à nos pères74.

Il est loin de se douter du prixQue ces bourgs populeux, ces campagnes prospèresEt ces riches moissons coûtèrent à nos pères74.

Il est loin de se douter du prix

Que ces bourgs populeux, ces campagnes prospères

Et ces riches moissons coûtèrent à nos pères74.

La richesse présente des anciennes paroisses est un gage de la richesse future des nouvelles; la prospérité agricole de la province de Québec est, d'ailleurs, d'une façon générale, attestée par le chiffre de son exportation. Il s'élève tous les ans à plus de 20 millions de dollars (100 millions de francs) pour les seuls produits de l'agriculture75, chiffre assez éloquent par lui-même pour se passer de tout commentaire.

Note 74:(retour)Fréchette,Légende d'un peuple, p. 63.

Note 75:(retour)VoirEsquisse générale de la province de Québec, parM. Mercier. Québec, 1890, broch.

La richesse matérielle de la province de Québec, au point de vue commercial et industriel, les statistiques suffisent pour la constater. Elles nous montrent que son mouvement d'affaires est supérieur de 60 à 80 millions de francs à celui de la province d'Ontario, renommée pourtant pour son activité et sa merveilleuse prospérité.

C'est à plus de 200 millions de francs que s'élève tous les ans la seule exportation de Québec76. Quelles richesses cette province livre-t-elle donc en si grande abondance à l'étranger? Ce sont celles surtout que lui fournit la nature même, et que lui procure sa situation pour ainsi dire privilégiée. Ce sont ses forêts, d'où sort tous les ans, comme nous l'avons dit plus haut, une valeur de 50 millions de francs; ce sont ses pêcheries maritimes et fluviales, ce sont ses mines, c'est son industrie, c'est surtout enfin l'agriculture qui, en produits directs ou en transit, fait sortir annuellement par ses ports une valeur de 100 millions de francs.

Note 76:(retour)Voy.Résumé statistiquepublié par le gouvernement d'Ottawa, année 1886, tableau, p. 192; année 1888, p. 205.

L'industrie ne fait que de naître, mais elle est déjà florissante, et donne un démenti à ceux qui accusent les Canadiens d'inactivité et de stagnation. D'après le recensement de 1881, les capitaux engagés dans l'industrie dans la province de Québec étaient de 59,216,000 piastres (296 millions de francs), et le nombre des personnes employées de 85,700.

La plus importante de beaucoup est l'industrie des cuirs; elle occupe à elle seule 22,000 ouvriers et ses produits fournissent le tiers de l'exportation totale des objets manufacturés. Son centre principal est Québec où, dans cette partie de la ville basse qui s'étend le long de la rivière Saint-Charles, se pressent de nombreuses et importantes manufactures.

Vient ensuite le sciage des bois, ayant son centre à Hull et à Ottawa, dont nous avons parlé plus haut, et qui fournit encore un gros chiffre à l'exportation; une foule d'autres industries enfin, plus modestes dans leur développement, mais dont l'ensemble donne encore un total important.

La situation même de la province de Québec est pour elle une richesse. La navigation du Saint-Laurent lui appartient tout entière; occupant l'embouchure du fleuve, elle en tient pour ainsi dire les portes et la clef, et nulle importation, nulle exportation ne se fait d'Europe au Canada, ou du Canada en Europe, sans passer par ses ports de Québec ou de Montréal. L'hiver, il est vrai, les glaces en empêchent l'accès, mais le trafic d'hiver est peu considérable; il serait d'ailleurs possible, dit-on, d'établir, sur le territoire même de Québec, un port d'hiver soit à l'extrémité de la presqu'île de Gaspé, dans la baie du même nom, soit à Tadoussac, à l'embouchure du puissant Saguenay.

Grâce à cette situation privilégiée, près de lamoitiédu commerce total du Dominion passe par la province de Québec. En 1887, sur 200 millions de piastres (1 milliard de francs), 90 millions de piastres (450 millions de francs) sont sortis ou entrés par ses ports!

Le réseau de navigation maritime intérieure est énorme, et la province de Québec est peut-être la seule contrée de l'Univers qui puisse voir remonter dans l'intérieur de ses terres les paquebots du plus fort tonnage sur un parcours de plus de 700 kilomètres! Ajoutez à cela 100 kilomètres sur le Saguenay, que des navires norvégiens remontent tous les ans pour y charger des bois.

Quant à la navigation fluviale, elle comprend 456 kilomètres sur l'Ottawa, 125 kilomètres sur le Saint-Maurice et 100 sur le Richelieu. Le lac Saint-Jean, véritable mer intérieure, lui offre encore les 92,000 hectares de ses eaux.

Sur toutes ces artères navigables, maritimes et fluviales, la province de Québec possède une flotte de 1,474 bâtiments, dont 300 à vapeur, d'un tonnage total de 178,000 tonneaux. Le tonnage de la flotte de commerce française tout en entière est de 900,000 tonneaux, la différence est loin de correspondre à la différence de population, et semble tout à l'avantage de nos compatriotes d'Amérique. Le Canada, il est vrai, comprend dans sa statistique toutes les barques de pêche et embarcations, mais ce n'est pas de là seulement que vient l'importance du chiffre: la flotte de Québec comprend de grands navires océaniques, et laLigne Allan, dont le port d'attache est Montréal, est une des plus importantes de toutes celles qui mettent l'Amérique en communication avec l'Europe. Sa flotte rivalise avec celle des grandes compagnies, et des navires tels que leParisian(5,000 tonneaux) ne le cèdent en rien, pour le confort, aux plus beaux transatlantiques.

Dans ce transit important, dans ce mouvement maritime considérable, la France ne prend malheureusement qu'une bien petite part. Tandis que--vu la communauté d'origine et les sympathies mutuelles--de nombreux navires apportant en France les produits canadiens, et portant au Canada les produits français, devraient traverser l'Océan et relier, comme par une ligne non interrompue, le port de Québec à nos ports français, notre commerce avec le Canada--inférieur même à celui de l'Allemagne--ne s'élève pas au chiffre total d'une dizaine de millions77.

Note 77:(retour)Résumé statistiquepublié annuellement par le gouvernement d'Ottawa.

Ce port de Québec, où sont reçus avec tant d'enthousiasme nos navires de guerre, où l'on salue avec tant de bonheur la présence du pavillon français, semble inconnu à notre marine marchande, et tandis que 8,000 navires anglais, 6,000 navires américains le visitent annuellement, une centaine de bateaux français, d'un tonnage infime, y paraissent à peine chaque année, cédant le pas, pour le nombre et le tonnage, aux navires norvégiens eux-mêmes!

N'accusons pas les Canadiens de ce manque de relations commerciales avec la France. La faute en est à nous qui, pendant si longtemps, avons cessé avec eux tout rapport. Mais aujourd'hui que la période d'oubli est passée, que les relations littéraires et de sympathie sont reprises depuis longtemps entre les deux peuples, pourquoi les relations économiques ne se renouent-elles pas aussi?

La réponse à cette question, c'est un Canadien même qui nous la donne: «Les négociants français, dit-il, ont l'habitude de s'en prendre à leur gouvernement, à leur administration, qui ne leur ouvrent pas assez de débouchés à l'étranger. Qu'ils s'en prennent donc à leur manque d'initiative! Qu'ils se syndiquent et créent des compagnies de transport; qu'ils se syndiquent encore par groupes de trois ou quatre maisons pour se faire représenter dans les centres commerciaux étrangers, et ils verront si les débouchés ne s'ouvrent pas! Quant à tenter de faire des affaires par correspondance, c'est un rêve malheureux... Que les négociants français cessent de se plaindre et de demander au ministère du commerce comment ils doivent s'y prendre pour écouler leurs produits. En notre siècle, c'est à l'initiative privée qu'est due la prospérité d'un peuple. Voilà les conseils que moi, Canadien, je me permets d'offrir à mes frères d'au delà de l'Atlantique78.» Sage conseil ou perce peut-être une pointe d'ironie et bien capable de nous faire comprendre le danger d'enfermer comme d'un mur, dans une enceinte douanière, l'activité industrielle et commerciale de la nation.

Note 78:(retour)Revue française, 1er mai 1891.--Lettre d'Ottawa.

Puisse la ligne de navigation directe de France à Québec, si longtemps réclamée en vain, si longtemps attendue avec impatience par les Canadiens, et qui vient enfin d'être établie et inaugurée récemment, ouvrir au commerce français un de ces débouchés que nos négociants demandent en vain aux échos administratifs.

Le développement du réseau des voies ferrées de la province de Québec n'est pas inférieur à celui de son réseau fluvial et maritime. Il comprenait en 1888 2,500 milles en exploitation, et 500 milles en construction. Toute la partie de la province située au sud de Québec et de Montréal est sillonnée en tous sens de chemins de fer, et reliée par plusieurs voies parallèles aux lignes américaines de Portland, Boston, New-York et Philadelphie.

La ligne de l'Inter-colonialsuit, sur un parcours de 250 milles environ, la rive droite du Saint-Laurent, puis, s'infléchissant brusquement vers le sud, traverse le Nouveau-Brunswick et gagne la presqu'île de la Nouvelle-Écosse, établissant ainsi la communication entre ces deux provinces maritimes et les provinces intérieures de la Confédération.

Une ligne a été récemment ouverte de Québec au lac Saint-Jean, une autre remonte la vallée du Saint-Maurice jusqu'aux Grandes Piles. Au nord de Montréal, plusieurs tronçons pénètrent vers le nord, amorces à peine formées de grandes lignes futures. Tout ce système enfin est, vers l'ouest, relié à la ligne du Pacifique, qui traverse le continent entier, franchit les Montagnes Rocheuses, et rejoint au port de Vancouver la ligne océanique des mers de Chine.

Si étendu qu'il soit, le réseau de voies ferrées de la province de Québec paraissait encore insuffisant au zèle et à l'enthousiasme du grand promoteur de colonisation, Mgr Labelle. Par delà le massif encore désert des Laurentides, il voyait un domaine immense à ouvrir à l'activité des Canadiens. Là, une ligne ferrée reliant le lac Temiscamingue au lac Saint-Jean devait, suivant ses plans et son désir, faire courir dans l'intérieur des terres une nouvelle artère de colonisation. Par là il comptait doubler l'étendue exploitable et la richesse de la province. Si loin que nous soyons encore de la réalisation de plans aussi vastes, le réseau de voies de communication de Québec n'en reste pas moins, tel qu'il est aujourd'hui, un élément de prospérité et de croissance.

Tel est le territoire occupé par les Canadiens-Français. Nous avons dit son étendue, décrit sa beauté, énuméré ses richesses; n'a-t-il pas, avouons-le, toutes les qualités nécessaires à l'établissement d'une grande nation? Quels peuples d'Europe, pris parmi les plus puissants, peuvent s'enorgueillir de fleuves comme le Saint-Laurent et le Saguenay, de rivières comme l'Ottawa et le Saint-Maurice, de lacs comme le Témiscamingue et le lac Saint-Jean?

Le climat, objecte-t-on, est sévère; mais diffère-t-il sensiblement de celui sous lequel vivent et prospèrent plusieurs nations européennes riches, populeuses et puissantes?

Certes, la province de Québec renferme encore bien des terres désertes, bien des parties incultes; mais combien de siècles n'a-t-il pas fallu pour donner à la Gaule les 40 millions d'habitants de la France actuelle et pour faire de son sol ce merveilleux instrument de production, dont pas une parcelle, ni sur le sommet des montagnes, ni dans le plus profond des ravins, n'est laissée inexploitée par l'agriculture ou l'industrie?

Des jugements trop hâtifs sur les jeunes contrées d'Amérique provoquent quelquefois des conclusions bien étranges et bien fausses. Le sage Sully n'avait-il pas, contrairement à l'idée plus hardie et plus géniale de Henri IV, condamné d'avance et voué à un échec fatal tout essai de colonisation au nord du 45e degré de latitude79? Et c'est dans cette région que s'élèvent justement, aujourd'hui toutes les grandes villes d'Amérique. Elles s'y trouvent comme spécialement réunies et groupées.

Et que d'exemples plus récents et plus frappants encore! Un Américain, le colonel Long, visitant il y a une cinquantaine d'années le lac Michigan, donnait la description suivante d'une petite ville qui se fondait sur ses rives, alors à peu près désertes: «Au point de vue des affaires, l'endroit n'offre aucun avantage aux colons. Le chiffre annuel du commerce du lac n'a jamais dépassé la valeur de cinq ou six cargaisons de goélette. Il n'est pas impossible que dans un avenir très éloigné quand les rives de l'Illinois seront habitées par une population nombreuse, la ville puisse devenir l'un des points de communication entre les lacs du Nord et le Mississipi; mais, même alors, je suis persuadé que le commerce s'y fera sur une échelle très limitée. Les dangers de la navigation des lacs, le nombre si restreint des ports et des havres, seront toujours des obstacles insurmontables à l'importance commerciale de...Chicago80!» Car c'est bien de Chicago qu'il s'agit, de cette métropole de l'Ouest qui s'étonne aujourd'hui de ne pas étonner l'Univers: voilà ce que pensaient, il y a cinquante ans, les Américains les plus éclairés, de l'avenir réservé à cette orgueilleuse cité.

Note 79:(retour)Mémoires de Sully, année 1608.

Note 80:(retour)Patrie, 16 septembre 1893. (Notes sur Chicago, par M. Fréchette.)

De leur territoire, vaste, riche, et beau en dépit de toutes les affirmations contraires, les Canadiens, si courageux et si résistants, sauront tirer toutes les richesses.

Leur activité, d'ailleurs, n'est pas forcément bornée à la seule province de Québec: c'est là, il est vrai, leur centre actuel, mais ils peuvent espérer pour l'avenir un domaine plus vaste encore. La merveilleuse force d'expansion de leur population leur permet, sans être taxés d'exagération, d'émettre hautement cet espoir.


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