AU LECTEUR

AU LECTEUR

Tu en riras, je m'asseure (Lecteur); aussi n'a esté fait ce petit Poëme que pour te donner plaisir, et en riras d'avantage, quand tu entendras le motif. M'estant transporté en la ville de Poictiers, pour me trouver aux Grands Jours qui se devoient tenir sous la banniere de Monsieur le President de Harlay, je voulu visiter mes Dames des Roches, mere et fille, et apres avoir longuement gouverné la fille, l'une des plus belles et sages de nostre France, j'aperceu une Puce qui s'estoit parquee au beau meillieu de son sein. Au moyen dequoy, par forme de rizée, je luy dy que vrayment j'estimois cette Puce tres-prudente et tres-hardie: prudente d'avoir sceu entre toutes les parties de son corps choisir cette belle place pour ce rafraichir, mais tres-hardie de s'estre mise en si beau jour, parce que, jalouz de son heur, peu s'en falloit que je ne meisse la main sur elle, endeliberation de luy faire un mauvais tour, et bien luy prenoit qu'elle estoit en lieu de franchise. Et estant ce propos rejetté d'une bouche à autre par une contention mignarde, finalement ayant esté l'Autheur de la noise, je luy dy que, puisque cette Puce avoit receu tant d'heur de se repaistre de son sang et d'estre reciproquement honoree de nos propos, elle meritoit encores d'estre enchassee dedans nos papiers, et que tres-volontiers je m'y emploierois, si cette Dame vouloit de sa part faire le semblable, chose qu'elle m'accorda liberalement. Cette parole du commencement sembloit avoir esté jettee à coup perdu, toutesfois soigneusement par nous recueillie, meismes la main à la plume en mesme temps, pensant toutesfois chacun de nous à part soy que son compagnon eust mis en oubly, ou nonchaloir sa promesse, et parachevasmes nostre tasche en mesme heure, tombants en quelques rencontres de mots les plus signalez pour le subject. Et comme un Dimanche matin, pensant la prendre à l'impourveu, je luy eusse envoyé mon ouvrage, elle, n'aiant encores fait mettre le sien au net, le meist entre les mains de mon homme, afin que je ne pensasse qu'elle se fust enrichie du mien. Heureuse certes rencontre et jouyssance de deux esprits, qui passe d'un long entregét toutes ces opinions follastres et vulgaires d'amour. Que si en cecy tu me permets d'y apporter quelque chose de mon jugement, je te diray qu'en l'un tu trouveras les discours d'une sage fille, en l'autre les discours d'un homme qui n'est pas trop fol: ayants l'un et l'autre par une bienseance de nos sexes joué tels roollesque devions. Or voy, je te prie, quel fruict nous a produit cette belle altercation, ou, pour mieux dire, symbolization de deux ames. Ces deux petits Jeus poëtiques commencerent à courir par les mains de plusieurs, et se trouverent si agreables que, sur leur modelle, quelques personnages de marque voulurent estre de la partie, et s'emploierent sur mesme subject à qui mieux mieux, les uns en Latin, les autres en François, et quelques uns en l'une et l'autre langue. Ayant chacun si bien exploité en son endroict qu'à chacun doit demourer la victoire. Pour memorial de laquelle j'ay voulu dresser ce trophee, qui est la publication de leurs vers, laquelle je te prie vouloir recevoir d'aussi bon cœur qu'elle t'est par moy presentee. De Paris le dixiesme septembre 1582.


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