AVANT-PROPOS

AVANT-PROPOS

Le seizième siècle a été par excellence l'époque de la poésie. Le mouvement littéraire qui se produisit alors entraîna tous les esprits cultivés; la mode fut de faire des vers, et l'on versifia, comme on aurait fait toute autre chose. Tous, poëtes, savants, magistrats, furent pris de l'ardeur de rimer, et chacun voulut enfourcher son Pégase. Combien restèrent en route dans cette course effrénée vers le sommet du Parnasse, nul ne pourrait les compter, l'ingrate histoire ne nous ayant pas transmis leurs noms. Mais, à côté de ceux dont elle a pris soin de nous conserver lesécrits, il en est bon nombre dont elle a laissé survivre les essais, et souvent il peut y avoir profit et plaisir à s'arrêter à ceux-là.

Une autre cause vient encore expliquer la profusion de rimeurs éclos à cette époque. On ne voyait pas alors, comme aujourd'hui, les talents se localiser dans une spécialité littéraire ou scientifique; souvent le poëte était un savant, et le savant un poëte; il n'y avait pas entre les différentes branches des connaissances humaines cette séparation profonde qui existe aujourd'hui, et qui souvent se trouve accentuée par des aversions réciproques. L'homme instruit ne voyait rien d'indigne de lui dans tout ce qui pouvait exercer son intelligence. Il en fut ainsi pendant longtemps encore; Descartes et Pascal sont deux exemples merveilleux de cette union des sciences et des lettres. Nous aurons encore de très-grands écrivains et de très-remarquables savants, mais il est peu probable qu'il s'en rencontre encore qui soient l'un et l'autre à un degré aussi élevé.

On devra donc moins s'étonner de voir toutes les pièces que nous réimprimons dans ce volume signées par des personnages connus comme magistrats, mais fort ignorés comme poëtes. Voici, dureste, en quelques mots, dans quelles circonstances elles virent le jour.

La haute société du pays poitevin s'honorait alors de deux dames appartenant à la lignée desprécieusesde Molière et desbas-bleusde nos jours: c'étaient Madelène Neveu, épouse du sieur Desroches, et Catherine, sa fille. Poëtes elles-mêmes, mais dans une mesure très-restreinte, MmesDesroches réunissaient autour d'elles une société de poëtes; c'était à elles que revenait de droit la primeur du sonnet nouvellement éclos: l'auteur accourait dans le cénacle, à l'heure dite, pour débiter sespetits versdevant un auditoire dont les applaudissements lui étaient assurés, car dans chacun de ses juges il avait un complice en poésie dont il devait être le juge à son tour.

Si l'on était attiré chez ces dames par l'amour des vers, on l'était aussi par les charmes de demoiselle Catherine, qui, du reste, ne les dérobait pas trop aux regards, comme nous l'apprend l'aventure de la puce. Mais Catherine est aussi sage que belle; c'est, au dire de ceux qui chantent sa beauté, unerochecontre laquelle viennent s'émousser les traits les mieux aiguisés de l'Archerot idalien. Aucun de ses soupirants ne se vante, en effet, d'avoir obtenud'elle la moindre faveur, et si parfois, dans la description de ses charmes, ils s'égarent au delà de la limite qu'elle a elle-même assignée à leurs regards, ils se reprennent de leur témérité, et se hâtent, en honnêtes rimeurs qu'ils sont, de rentrer dans le devoir:

Car la mesme pudeur honnesteDoit voiler le front du poëteComme l'habit couvre le cors.

Car la mesme pudeur honnesteDoit voiler le front du poëteComme l'habit couvre le cors.

Car la mesme pudeur honneste

Doit voiler le front du poëte

Comme l'habit couvre le cors.

Conseil excellent pour certains poëtes de notre temps!

Les Grands-Jours tenus à Poitiers en 1579 furent une nouvelle occasion de faire briller le mérite de MmesDesroches; c'est dans leur salon que se rencontraient tous les magistrats appelés dans la ville par cette solennité. Un jour qu'on était réuni, Étienne Pasquier, apercevant une puce qui s'était «parquée au beau milieu du sein» de MlleDesroches, fit remarquer la témérité de l'animal. Il s'ensuivit quelques propos badins, et l'incident se termina par l'échange de deux pièces de vers entre Pasquier et Catherine Desroches.

Il n'en fallut pas davantage pour mettre en mouvement l'humeur poétique de tous ces honnêtes magistrats,qui se prirent à célébrer la puce en français, en espagnol, en latin, voire même en grec. Étienne Pasquier recueillit les différentes pièces qui se produisirent dans ce tournoi poétique, et c'est leur réunion qui constitue le recueil connu sous le titre dePuce de MmeDesroches. Le vrai titre eût étéla Puce de MlleDesroches, puisque c'est Catherine qui fut l'héroïne de l'aventure.

On se demanderait volontiers comment des hommes aussi graves que l'étaient les Pasquier, les du Harlay, et tant d'autres, purent s'exercer sur un sujet aussi frivole. Mais qu'on ne l'oublie pas, quelque influence que les grands esprits exercent sur les pensées et les opinions de leur temps, ils reflètent toujours en eux cette teinte générale qui caractérise une époque et qui est le résultat de la marche forcée des événements. Or le badinage était alors le ton de la société; on savaitdesipere in loco, et les choses n'en allaient pas plus mal. Les esprits ne trouvaient pas dans la lecture des journaux cet aliment que la presse quotidienne nous fournit aujourd'hui avec tant de libéralité; on n'avait pour s'occuper ni le jeu, ni les courses de chevaux, ces nobles amusements de la haute vie que nous devons à la civilisation moderne. Au lieu de parier sur uncheval, on rimait sur une puce. C'était bien naïf sans doute, mais, si l'esprit ne gagnait pas beaucoup à ce délassement puéril, il en sortait reposé, sans y rien laisser de sa vigueur ni de sa dignité.

Ces productions légères n'ont pas une telle importance littéraire qu'il y ait lieu de leur consacrer une étude. Nous les donnons donc sans aucun commentaire, les abandonnant à l'appréciation des lecteurs qui seront curieux de se faire une idée du bel esprit au XVIesiècle.

Nous ne leur offrirons pas, pour les éclairer, l'opinion de Pasquier, juge et partie dans la question, puisqu'il figure en tête des chanteurs de la puce, et qu'il qualifie hardiment debraves poëtesses confrères en Apollon.

Mais ce qui est peut-être curieux, c'est de rapprocher de cet éloge, nécessairement exagéré, ce que Pasquier dit ailleurs, se plaignant du trop grand nombre de poëtes éclos de son temps.

«On ne vit jamais en la France, écrit-il quelque part, telle foison de poëtes; je crains qu'à la longue le peuple ne s'en lasse. Mais c'est un vice qui nous est propre, que, soudain que nous voyons quelque chose succéder heureusement à quelqu'un, chacun veut être de la partie.»

Quoi qu'il en soit, le recueil de laPuce de MmeDesrochesa son intérêt, en ce qu'il donne un échantillon du savoir-faire poétique des gens du monde au XVIesiècle. Il porte en lui, ainsi que toutes les poésies secondaires de cette époque, comme un écho affaibli des accents éclatants du chef de la Pléiade. L'uniformité du sujet donne à toutes ces pièces une certaine teinte de monotonie, mais la forme en est toujours agréable, et elles offrent de gracieux détails.

Nous avons réuni dans cette réimpression les deux éditions de la Puce de MmeDesroches, de 1583, in-4o, et de 1610, in-8o; mais c'est le texte de cette dernière que nous avons suivi. Nous avons adopté pour chaque pièce la place qu'il nous a paru le plus logique de lui laisser. Des titres courants placés en haut des pages nous ont servi à classer plus clairement les poésies par noms d'auteurs.

Quant aux variantes, nous n'avons relevé que les principales, laissant de côté celles qui ne consistaient qu'en de simples mots. On les trouvera à la fin du volume, page 117, avec la description des deux éditions.

Nous n'avons pas reproduit les pièces latines,grecques et espagnoles: notre publication ne peut être intéressante que pour l'étude de la poésie française, et des vers en langue étrangère n'ont pas de raison d'y figurer.

LaPuce de MmeDesrochesest devenue un livre rare; elle atteint toujours dans les ventes un prix assez élevé. Nous croyons donc être agréable aux littérateurs et aux bibliophiles en donnant aujourd'hui une réimpression de ce recueil.

D. Jouaust.

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