A LA PUCE.
Puce, tu t'es bien abuséeDe te prendre à un tel morceau:Où penses-tu estre posée,Volant sur ce tertre jumeau?
Tu ressemble à ce taon champestreQui droit dessus la peau vola,Pour y cuider son bec repaistre,Du taureau que Myron tailla.
L'airain pur, et non la chair vive,Luy repoussa son petit soc:O Puce! la blancheur naïveQue tu picotes, c'est un roc,
Un roc de marbre que la MuseA basti loin de Cytheron,D'autre artifice et plus grand' ruseQue n'est le Taureau de Myron.
Ce que la mouche fit au Taureau de Myron,Toy, petit animal, tu l'as fait au giron,Ou quelque peu plus haut, au sein d'une Deesse.Tous deux estes trompez d'une mesme simplesse:
L'un s'est pris à l'airain, l'autre s'abuse au roc.Mais toy, plus avisé, poussant ton petit socSur l'yvoire poli de sa chaste mamelle,En touchant l'immortel tu te rens immortelle.
OPuce, vien donc mon espritDe ta vive fureur attaindre,Afin que par le mien escritTon loz en mon vers puisse empraindre.
Puce Muse, ô Puce Apollon,Je te reclame, il n'y a ameQui n'ait senti ton aiguillonEt ton puissant entousiasme.
Apollon, jadis, en tirantL'oreille de ce grand Virgile,Luy donna le stil doux coulantPour chanter Chromis et Mnasile.
Ta vertu est certainementA celle de Phœbus pareille,Tu nous eschaufe également,Chacun a la Puce à l'oreille.
O Puce des Puces l'honneur,Puce des pucelles compagne,Tu as mis en rut et fureurLa France, l'Itale et l'Espagne.
Moymesme qui suis de bien loin,Et qui cloche apres la grand' bande,Si suis-je attaint du mesme soin,Qui me violente et commande.
Un Elephant et un GrifonSont plus grands que toy de corsage,Mais si nous posons ton renom,Tu as bien sur eux l'avantage.
Un Elephant, si grand soit-il,Ne peut musser sa grandeur vaineAu beau sein où toy, plus subtil,Puce, tu caches ton ebene.
Un Elephant ne pourroit pas,Comme l'oyseau porte-tonnerre,Par l'air subtil guider ses pas,Sans se laisser tomber à terre.
Mais toy tu fais encore mieuxQue cest oyseau qui son œil dardeVers le plus clair flambeau des cieux,Car seulement il le regarde.
Toy, tu as trop mieux regardé,Puis franchi d'un brave courage,De plein vol, et puis possedéLe plus bel astre de nostre âge.
Volans droit, tu sçeus te percherSur cette colline jumelleOù devant toy se vint nicherLa Muse et la Grace avec elle.
Icarus ainsi ne volaAvecques sa plume cirée;Mais en trebuchant il baillaLe nom à la mer Icarée.
C'est pourquoy je ne pense pasQue comme une Puce communeTu nous apparaisse icy bas,Ton vol ne despend de fortune.
Tu es quelque Demon musséFinement là, si dire j'ose;Tu es Apollon deguiséDessous cette Metamorphose.
Apollon a jadis hantéSon Helicon et son Parnasse,Et s'en est longtemps contenté,Fuyant le bruit du populace,
Car tousjours a hay les lieuxOù ce sot peuple l'accompagne,Et suivi les rocs sourcilleux,Et les costaux et la montagne.
Estant seul, un jour s'apperçeutQue la Muse avoit fait eschangeDe la roche où le cheval beutAvec une autre Roche estrange.
Et que mesme elle avoit laisséLa double roche Parnasine,Et son nouveau temple poséDans une Roche Poitevine.
Alors droit en Poitou tiraEt, se formant en une Puce,Sur ce double yvoire volaSur lequel à présent se musse.
O Puce, n'est-ce pas cela?Je l'ay trouvé, c'est par ta grace.Ne puisses tu bouger de la:A un tel hoste telle place.