CXLV

Et voici que Snorri le Godi apprend ce qu'il est advenu de l'affaire. Aussitôt, il se met à rassembler son monde au bas de l'Almannagja, entre elle et les huttes de ceux de Hlad. Il avait dit déjà à ses hommes ce qu'ils auraient à faire.

En même temps, le messager arrive auprès de Thorhal fils d'Asgrim. Il lui dit ce qui est arrivé, comme quoi Mörd et tous les autres vont être proscrits, et toute la poursuite pour le meurtre réduite à néant.

En apprenant cela, Thorhal fut tellement saisi qu'il ne pouvait prononcer une parole. Il sauta de son lit, et prenant à deux mains la lance que lui avait donné Skarphjedin, il se l'enfonça dans la jambe. Quand il la retira, il y pendait de la chair, et le cœur de l'abcès, qu'il avait arraché tout entier. Et il en sortit un tel torrent de sang et de matières que c'était comme un ruisseau sur le sol. Il sortit de la hutte sans s'arrêter, et il allait si vite que le messager ne pouvait le suivre. Il courut tout droit jusqu'au cinquième tribunal. Là il rencontra Grim le rouge, parent de Flosi. Sitôt qu'il l'eut rejoint, Thorhal pointa sa lance contre lui. La lance entra dans le bouclier, et le fendit en deux, après quoi elle perça Grim de part en part, et la pointe ressortit entre les deux épaules. Et Thorhal, secouant sa lance, le jeta à terre, mort.

Kari, fils de Sölmund, l'avait vu faire: il dit à Asgrim: «Voilà ton fils Thorhal qui arrive et qui a déjà tué son homme. C'est une grande honte pour nous, s'il a seul le cœur de venger l'incendie.»--«Cela ne sera pas, dit Asgrim, marchons sur eux.» Alors il s'éleva une grande clameur dans toute la troupe, et ils poussaient tous leur cri de guerre. Flosi et les siens se rangèrent en bataille; et des deux côtés, ils s'excitaient à marcher en avant.

Kari, fils de Sölmund, courut à l'endroit où se trouvaient, en avant des autres, Arni fils de Kol, et Halbjörn le fort. Dès qu'Halbjörn vit Kari, il leva son épée pour le frapper à la jambe. Mais Kari sauta en l'air, et Halbjörn le manqua. Alors Kari se tourna contre Arni fils de Kol et le frappa de sa hache. Le coup l'atteignit à l'épaule, fendit la clavicule et l'omoplate, et lui entra dans la poitrine. Arni tomba à terre, mort. Après cela, Kari frappa Halbjörn. La hache s'enfonça dans son bouclier, le traversa, et lui enleva le gros orteil. Holmstein lança un javelot à Kari. Kari prit le javelot en l'air et le renvoya, et tua un homme de la troupe de Flosi.

Thorgeir Skorargeir arriva devant Halbjörn le fort. Il poussa sa lance contre lui, d'une seule main, avec tant de force, qu'Halbjörn tomba à la renverse. Il se releva à grand'peine et prit la fuite sur le champ. Thorgeir se trouva en face de Thorvald, fils de Thrumketil. Il leva sur lui sa hache Rimmugygi, la hache de Skarphjedin. Thorvald se couvrit de son bouclier. Thorgeir frappa sur le bouclier, et le fendit en deux, mais la pointe du devant entra dans la poitrine de Thorvald et s'y enfonça. Thorvald tomba sur le coup, et il était mort.

Asgrim fils d'Ellidagrim et son fils Thorhal, Hjalti fils de Skeggi et Gissur le blanc avaient marché vers l'endroit où étaient Flosi, les fils de Sigfus, et les autres qui avaient eu part à l'incendie. Il y eut là une rude bataille, et à la fin si hardiment allaient Asgrim et les siens que Flosi et les autres plièrent devant eux.

Gudmund le puissant, Mörd fils de Valgard, Kari fils de Sölmund, et Thorgeir Skorargeir s'étaient attaqués aux gens de l'Öxfjord, à ceux des fjords de l'Est, et du Reykdal. Il y eut là aussi une rude bataille. Kari fils de Sölmund arriva devant Bjarni fils de Brodhelgi. Il prit une lance à terre, et la pointa sur lui; la lance entra dans son bouclier. Bjarni jeta le bouclier loin de lui, sans quoi la lance l'eût percé de part en part. Il leva son épée sur Kari, pour le frapper à la jambe. Kari retira vivement sa jambe et tourna sur ses talons, en sorte que Bjarni le manqua. Kari leva son épée sur lui. À ce moment un homme accourut qui mit son bouclier devant Bjarni. Kari fendit en deux le bouclier, et la pointe de son épée atteignit l'homme à la cuisse, et lui fendit la jambe, tout du long. L'homme tomba, et il fut estropié tant qu'il vécut.

Alors Kari prit sa lance à deux mains et, se tournant contre Bjarni, il la pointa sur lui. Bjarni ne vit plus qu'une seule chose à faire: il se laissa tomber à terre pour éviter le coup. Mais sitôt qu'il fut remis sur ses pieds, il s'enfuit.

Thorgeir Skorargeir s'était attaqué à Holmstein fils de Bersir le sage, et à Thorkel fils de Geitir. Et le combat finit de telle sorte qu'Holmstein et les siens furent enfoncés. Et les gens de Gudmund le puissant poussèrent de grands cris en les voyant fuir. Thorvard fils de Tjörvi, de Ljosavatn, reçut une grave blessure. Un javelot lui perça le bras, et on pensa que c'était Haldor, fils de Gudmund le puissant, qui avait lancé le javelot. Thorvard ne guérit jamais de cette blessure, tant qu'il vécut.

Alors il y eut une grande mêlée. Quoiqu'il soit ici parlé de plusieurs hauts faits qui s'y passèrent, il y en eut encore beaucoup d'autres qui n'ont pas été rapportés.

Flosi avait dit à ses hommes de s'en aller vers l'Almannagja, pour s'y fortifier, s'ils étaient repoussés; car là, on ne pouvait les attaquer que d'un côté. Mais la troupe que menaient Hal de Sida et son fils Ljot s'était retirée avant l'attaque d'Asgrim et de son fils Thorhal. Ils s'en allaient vers l'est, descendant l'Öxara. Hal dit: «Ce sera trop grand dommage si tous les gens qui sont au ting viennent à se battre. J'ai envie, Ljot mon fils, de chercher de l'aide pour les séparer, quoiqu'il soit probable que plus d'un nous en fera reproche. Attends-moi au bout du pont. Moi j'irai vers les huttes et je demanderai du secours.» Ljot répondit: «Si je vois que Flosi et les siens ont besoin de nos hommes j'irai les retrouver au plus vite.»--«Tu feras comme tu voudras, dit Hal; pourtant je te prie de m'attendre ici.»

À ce moment la panique se met dans la troupe de Flosi, et ils prennent tous la fuite vers l'est, traversant l'Öxara. Asgrim et les siens, et Gissur le blanc, les poursuivaient, et toute l'armée. Flosi et ses gens descendaient, entre les huttes de Virkir et celles de Hlad. C'était là que Snorri le Godi avait rangé sa troupe en bataille, si serrée qu'il n'y avait pas moyen de passer. «Où courez-vous si vite? cria Snorri à Flosi; et qui donc vous poursuit?» Flosi répondit: «Si tu me demandes cela, ce n'est pas faute de le savoir, mais pourquoi veux-tu nous empêcher de nous défendre dans l'Almannagja?»--«Ce n'est pas moi qui vous en empêche, dit Snorri, mais je sais qui c'est, et je te le dirai si tu veux: c'est Thorvald Kroppinskeg, et Kol.» Ceux dont il parlait étaient morts tous les deux, et ils avaient été les plus grands malfaiteurs parmi les gens de Flosi.

Alors Snorri dit à ses hommes: «Frappez d'estoc et de taille, et faites en sorte de les chasser d'ici. Ils ne tiendront pas longtemps, si les autres arrivent, et les attaquent d'en bas. Mais gardez-vous de les poursuivre, et laissez-les se tirer d'affaire tout seuls.»

On vint dire à Skapti fils de Thorod que son fils Thorstein Holmud avait suivi au combat son beau-père Gudmund le puissant. Sitôt que Skapti le sut, il vint à la hutte de Snorri le Godi: il voulait prier Snorri d'aller les séparer. Mais il n'était pas arrivé à la porte de la hutte, que la bataille s'était engagée là, plus chaude que nulle part ailleurs. Asgrim et ses hommes arrivaient d'en bas. Thorhal dit à Asgrim «Voilà, père, Skapti fils de Thorod.»--«Je le vois, mon fils» dit Asgrim. Il lança un javelot à Skapti, et il l'atteignit à la jambe, à l'endroit le plus gras. Skapti eut les deux jambes transpercées. Il tomba sur le coup sans pouvoir se relever. Ceux qui étaient là ne purent faire autre chose pour lui que de le traîner tout de son long dans la hutte d'un forgeron.

Asgrim et les siens allaient de l'avant, si hardiment que Flosi et ses hommes furent enfoncés. Ils s'enfuirent vers le Sud le long de la rivière, jusqu'aux huttes de ceux de Mödruvöll. Il y avait là dehors, devant une hutte, un homme qui s'appelait Sölvi. Il faisait cuire de la viande dans un grand chaudron; il venait de la retirer et l'eau était toute bouillante. Sölvi vint à s'apercevoir de la fuite des gens de l'Est. Ils passaient à ce moment juste devant lui. «Ce sont donc des poltrons, tous ces gens de l'Est, cria-t-il, pour fuir ainsi? Voilà Thorkel fils de Geitir, en vérité, qui s'enfuit avec eux. On a bien menti sur son compte quand on a dit qu'il était la bravoure en personne, car voici qu'il court plus fort qu'eux tous.»

Halbjörn le fort était tout près de lui: «Tu ne diras pas longtemps que nous sommes tous des poltrons» dit-il. Il le prit, le brandit en l'air, et le jeta la tête la première dans le chaudron bouillant. Sölvi mourut sur le champ.

Les autres arrivaient, poursuivant Halbjörn, et il dut reprendre la fuite.

Flosi lança un javelot à Bruni, fils de Haflidi. Il l'atteignit au milieu du corps, et le tua. Bruni était de la troupe de Gudmund le puissant. Thorstein fils de Hlenni sortit le javelot de la blessure et le renvoya à Flosi, il l'atteignit à la jambe, et lui fit une profonde blessure. Flosi tomba sur le coup, mais il se releva aussitôt. Ils reprirent leur course vers les huttes de ceux du Vatnfjord.

À ce moment, Ljot et Hal arrivèrent de l'est, passant la rivière, avec toute leur troupe. Comme ils débouchaient sur la plaine de lave, un javelot fut lancé, de la troupe de Gudmund le puissant, qui atteignit Ljot au milieu du corps. Il tomba mort. On n'a jamais su qui l'avait tué.

Flosi et les siens passaient devant les huttes de ceux du Vatnsfjord. Thorgeir Skorargeir dit à Kari, fils de Sölmund: «Voilà Eyjolf fils de Bölverk. Si tu veux, nous allons lui faire payer son anneau.»--Je ne demande pas mieux» dit Kari; il prit un javelot à un de ses hommes et le lança à Eyjolf. Le javelot atteignit Eyjolf au milieu du corps et le perça de part en part. Il tomba à terre, mort.

Alors il y eut quelque répit dans le combat. Snorri le Godi arrivait avec sa troupe. Skapti était avec lui. Ils se lancèrent au milieu d'eux, et il n'y eut pas moyen de continuer à se battre, Hal joignit sa troupe à celle de Snorri, et ils s'efforcèrent de les séparer. On fit donc une trêve qui devait durer tant que durerait le ting. Les cadavres furent ensevelis et portés à l'église, et les blessés eurent leurs blessures pansées.

Le jour suivant, les hommes allèrent au tertre de la loi. Hal de Sida se leva, et demanda qu'on fît silence pour l'écouter, ce qui fut fait aussitôt. Il parla ainsi: «Il vient de se passer ici des choses fâcheuses, en fait de morts d'hommes et d'actions en justice. Je vais montrer que je ne suis pas des plus braves, car je viens prier Asgrim, et les autres qui menaient avec lui cette affaire, de nous accorder la paix, à termes égaux.» Et il ajouta encore beaucoup de belles paroles.

Kari fils de Sölmund répondit: «Quand tous les autres entreraient en arrangement pour leurs affaires, je ne le ferai pas pour la mienne. Vous voulez que la mort des vôtres soit mise en compensation de l'incendie; mais nous, nous ne pouvons souffrir cela.» Et Thorgeir Skorargeir parla comme lui.

Alors Skapti fils de Thorod se leva et dit: «Tu aurais mieux fait, Kari, de ne pas t'enfuir d'auprès de tes beaux-frères. Tu n'aurais pas maintenant à refuser la paix que t'offrent de vaillants hommes.»

Kari répondit par un chant:

«Que me reproches-tu d'avoir pris la fuite? Souvent pour une moindre cause, les traits pleuvent comme grêle sur les boucliers. Il y en a un qui, lorsque les épées chantaient à voix haute, a été se cacher sous terre, le lâche à la barbe rouge.

«Lorsque les guerriers enfants des dieux quittaient le combat à grand peine, (les héros ce jour-là combattaient sans bouclier) il arriva malheur à Skapti. Parmi le fracas de la bataille, des gens qui faisaient cuire leur viande le tirèrent tout de son long dans leur hutte, grande était sa peur alors.

«Ils ont ri de Grim, et d'Helgi, et de Njal, qu'ils ont fait brûler. Ils auront à chercher où se cacher quand, la ting venu à sa fin, les plaines retentiront d'une autre clameur.»

Il y eut de grands éclats de rire. Snorri le Godi souriait. Il dit entre ses dents, mais de manière que bien des gens purent l'entendre:

«Skapti peut nous dire si le javelot d'Asgrim a bien touché. Holmstein a pris la fuite: il court de toutes ses forces. Quant à Thorkel, il combat à grand peine.»

Et les gens se remirent à rire, plus fort que jamais.

Hal de Sida reprit la parole: «Chacun sait, dit-il, quelle perte j'ai subie par la mort de mon fils Ljot. Beaucoup seront d'avis qu'il mérite la plus grosse amende parmi ceux qui ont été tués ici. Et pourtant voici ce que je vais faire pour arriver à un arrangement: je consens à ce qu'il ne soit pas payé d'amende pour mon fils, et à promettre néanmoins paix et fidélité à ceux qui furent mes adversaires. Je te prie donc toi, Snorri le Godi, et vous autres, les meilleurs de nos chefs, de vous employer à faire la paix entre nous.» Après cela Hal s'assit, et il se fit une grande rumeur au sujet de ses paroles; on les trouvait bonnes et chacun louait son bon vouloir.

Alors Snorri le Godi se leva, et fit un long et beau discours. Il pria Asgrim et Gissur, et les autres qui menaient cette affaire, de vouloir bien faire la paix.

Asgrim répondit: «Le jour où Flosi est entré chez moi avec sa troupe, je m'étais promis que je ne ferais jamais de paix avec lui. Pourtant, Snorri, j'y consens, pour l'amour de toi, et de nos autres amis.» Thorleif Krak et Thorgrim le grand parlèrent de même, et dirent qu'ils feraient la paix; et ils pressèrent fort leur frère Thorgeir Skorargeir de la faire aussi. Mais il s'en défendait, et disait qu'il ne se séparerait jamais de Kari. «C'est donc à Flosi de décider, dit Gissur le blanc, s'il veut faire une paix qui soit telle que quelques-uns resteront en dehors.» Flosi dit qu'il voulait bien: «Moins j'aurai, dit-il, de braves hommes contre moi, et mieux cela vaudra.»

Gudmund le puissant prit la parole: «Je propose, pour ma part, dit-il, d'entrer en arrangement pour les meurtres commis au ting, à la condition que les poursuites au sujet de l'incendie ne seront pas réduites à néant.» Gissur le blanc et Hjalti fils de Skeggi, Asgrim fils d'Ellidagrim et Mörd fils de Valgard parlèrent dans le même sens. On entra donc en arrangement. Ils se donnèrent la main, et convinrent de s'en remettre au jugement de douze hommes. Snorri le Godi fut mis à leur tête, et tous les autres furent choisis parmi les meilleurs. Les meurtres furent mis en compensation les uns des autres et on fixa des amendes pour ceux qui étaient en plus. Puis ils prononcèrent dans l'affaire d'incendie. Ils fixèrent pour Njal une amende triple du prix d'un homme, pour Bergthora une amende double. Le meurtre de Skarphjedin fut mis en compensation du meurtre d'Höskuld, Godi de Hvitanes. Quant à Grim et à Helgi, on fixa pour chacun d'eux deux fois le prix d'un homme, et une fois le prix d'un homme pour chacun de ceux qui avaient été brûlés dans la maison de Njal. Pour le meurtre de Thord fils de Kari il n'y eut pas d'arrangement.

Flosi et les autres qui avaient eu part à l'incendie furent condamnés à quitter le pays; mais ils ne devaient partir cet été même que s'ils le voulaient bien. Si pourtant trois hivers étant passés ils n'étaient pas encore partis, la sentence portait qu'ils seraient proscrits, lui et les autres incendiaires. Et cette sentence devait être proclamée au ting d'automne ou au ting de printemps, selon que les arbitres le préféreraient. Flosi devait rester au loin pendant trois hivers. Mais Gunnar fils de Lambi, Grani fils de Gunnar, Glum fils d'Hildir, et Kol fils de Thorstein, ceux-là n'auraient jamais permission de revenir.

On demanda à Flosi s'il ne voulait pas faire rendre un jugement au sujet de sa blessure. Il répondit qu'il ne prendrait jamais d'argent pour un dommage à lui fait. On décida qu'il ne serait point payé d'amende pour Eyjolf fils de Bölverk, à cause de ses mauvaises façons d'agir.

La paix fut donc conclue dans ces termes, en se donnant la main, et elle a été toujours gardée depuis.

Asgrim et les siens firent à Snorri le Godi de riches présents. Il se fit grand honneur de sa conduite en cette affaire. Skapti eut une amende pour sa blessure. Gissur le blanc, Hjalti fils de Skeggi, et Asgrim fils d'Ellidagrim invitèrent chez eux Gudmund le puissant. Il promit d'y aller, et chacun d'eux lui donna un anneau d'or. Puis il partit pour le Nord, s'en retournant chez lui; chacun faisait son éloge pour la manière dont il s'était comporté dans cette affaire.

Thorgeir Skorargeir pria Kari de s'en revenir avec lui. Ils firent route d'abord avec Gudmund, du côté du Nord, jusqu'aux montagnes. Kari fit présent à Gudmund d'une agrafe d'or, et Thorgeir d'une ceinture d'argent, toutes deux d'un grand prix. Ils se séparèrent en grande amitié. Gudmund s'en retourna chez lui, et il ne reparaîtra plus dans la saga.

Kari et les siens quittèrent la montagne et prirent la route du Sud. Ils redescendirent dans le pays habité, et vinrent jusqu'à la Thjorsa.

Flosi et tous les gens de l'incendie faisaient route vers l'Est. Ils vinrent dans le Fljotshlid, et Flosi permit aux fils de Sigfus d'aller voir leurs domaines. À ce moment Flosi vint à apprendre que Thorgeir et Kari s'en étaient allés au Nord avec Gudmund le puissant. Il crut et les autres aussi, que leur projet était de rester dans le pays du Nord. Les fils de Sigfus lui demandèrent donc de les laisser aller du côté de l'Est, jusqu'au pied de l'Eyjafjöll, pour chercher de l'argent; car ils avaient de l'argent placé à Höfdabrekka. Flosi le leur permit, mais il leur recommanda de se tenir sur leurs gardes et d'aller aussi vite qu'ils pourraient. Puis il se remit en route, remonta le Godaland, vint à la montagne et passa au nord des glaciers de l'Eyjafjöll. Enfin, sans s'être arrêté une seule fois, il arriva dans l'Est, à Svinafell.

Nous avons dit que Hal de Sida avait voulu qu'il ne fût pas payé d'amende pour son fils, afin de rendre l'arrangement plus facile. Mais tous les hommes présents au ting s'entendirent pour lui payer une amende; et on ne rassembla pas moins de huit cents d'argent, ce qui était quatre fois le prix d'un homme. Tous les autres qui avaient été avec Flosi ne reçurent rien pour les pertes qu'ils avaient faites, et ils en furent très mécontents.

Les fils de Sigfus restèrent trois nuits chez eux. Le troisième jour ils partirent, chevauchant vers l'Est, jusqu'à Raufarfell. Ils y passèrent la nuit. Ils étaient quinze en tout, et n'avaient peur de rien. Le lendemain, ils se mirent en marche tard, pensant arriver à Höfdabrekka le soir. Ils firent halte dans le Kerlingardal et tombèrent dans un profond sommeil.

Ce jour-là, Kari fils de Sölmund et Thorgeir Skorargeir chevauchaient vers l'Est, vers le Markarfljot. Ils vinrent à Seljalandsmula, où ils rencontrèrent des femmes qui passaient. Elles les reconnurent et leur dirent: «Vous êtes moins fanfarons que les fils de Sigfus; mais vous ne prenez pas assez garde à vous.»--«Pourquoi nous parlez-vous des fils de Sigfus? dit Thorgeir. Et que savez-vous d'eux?»--«Ils ont passé la nuit à Raufarfell, dirent-elles, et ils pensent arriver ce soir dans le Mydal. Nous avons bien vu qu'ils avaient peur de vous, car ils ont demandé quand vous reviendriez dans le pays.» Là-dessus ils continuèrent leur route, et mirent leurs chevaux au galop. Thorgeir demanda: «Qu'as-tu en tête? Veux-tu que nous leur courrions sus?»--« Je ne dis pas non,» dit Kari. «Qu'allons-nous donc faire?» dit Thorgeir. «Je n'en sais rien, dit Kari. On a vu souvent des gens vivre vieux, qui n'avaient été tués qu'en paroles. Mais je sais bien ce que tu désires. Tu veux prendre huit hommes pour toi seul, et ce sera moins encore que le jour où tu en as tué sept, parmi les récifs, après être descendu auprès d'eux le long d'une corde. Toi et les tiens, vous êtes ainsi faits qu'il vous faut toujours de nouveaux exploits. Pour moi je ne peux pas moins faire que d'aller avec toi, pour en porter la nouvelle après. Allons donc, et courons leur sus, nous deux tous seuls; je vois bien que tu y es décidé.»

Ils prirent à l'Est, par le chemin d'en haut, sans passer par Holt; car Thorgeir ne voulait pas qu'on pût s'en prendre à ses frères de ce qui allait arriver. Ils chevauchèrent jusqu'au Mydal. Là ils rencontrèrent un homme qui menait un cheval chargé de paniers de tourbe. «C'est dommage, dit l'homme, que tu ne sois pas en force, ami Thorgeir.»--«Que veux-tu dire?» demanda Thorgeir. «Je veux dire, reprit l'autre, qu'il y aurait ici du gibier à chasser. Les fils de Sigfus ont passé par là, et ils vont dormir tout le long du jour dans le Kerlingardal; car ils ne vont ce soir que jusqu'à Höfdabrekka.» Et ils suivirent chacun son chemin.

Thorgeir et Kari continuèrent de s'en aller à l'Est, traversant les bruyères d'Arnastak, et ils arrivèrent sans autre incident devant la rivière du Kerlingardal. L'eau était haute; ils remontèrent le long de la rive, car ils voyaient de loin des chevaux tout sellés. Ils s'approchèrent, et virent des hommes endormis dans un creux.

Leurs javelots étaient plantés en terre, un peu plus bas. Ils prirent les javelots et les jetèrent dans la rivière. «Allons-nous les éveiller?» dit Thorgeir. «Tu le demandes, répondit Kari, et pourtant tu es bien résolu à ne pas attaquer des hommes qui dorment: ce serait commettre un meurtre honteux.» Et ils se mirent à pousser de grands cris. Les autres s'éveillèrent, sautèrent sur leurs pieds et s'emparèrent de leurs armes. Et Kari et Thorgeir ne les attaquèrent que quand ils les virent armés.

Thorgeir Skorargeir courut à Thorkel fils de Sigfus. En même temps un homme accourait vers lui par derrière. Mais avant qu'il eût pu lui faire aucun mal, Thorgeir avait levé des deux mains sa hache Rimmugygi. Du sommet de la hache, il atteignit à la tête celui qui était derrière lui, et fit voler son crâne en éclats. L'homme tomba à terre, mort. Alors, ramenant sa hache en avant, Thorgeir frappa Thorkel à l'épaule et lui enleva un bras. Thorkel tomba mort à son tour.

Pendant ce temps, fondaient sur Kari Mörd fils de Sigfus, Sigurd, fils de Lambi, et Lambi, fils de Sigurd. Lambi courut à Kari par derrière, et lui lança un javelot. Kari le vit. Il sauta en l'air, en écartant les jambes. Le javelot s'enfonça en terre. Kari retomba sur la hampe et la brisa. Il tenait d'une main un javelot, de l'autre son épée. Il n'avait point de bouclier. De la main droite il lança son javelot à Sigurd fils de Lambi. Il l'atteignit à la poitrine, et le javelot sortit entre les deux épaules, Lambi tomba: il était mort sur le coup. De la main gauche, Kari donna un coup d'épée à Mörd fils de Sigfus: il l'atteignit à la hanche, et lui brisa l'épine du dos. Mörd tomba mort, la face contre terre. Alors Kari, tournant sur ses talons comme une toupie, se trouva en face de Lambi fils de Sigurd. Mais Lambi ne vit rien de mieux à faire que de prendre la fuite.

Et voici que Thorgeir s'avança contre Leidolf le fort. Ils frappèrent tous deux en même temps: et Leidolf porta un si grand coup, qu'il trancha un morceau du bouclier de Thorgeir. Thorgeir avait frappé en tenant à deux mains sa hache Rimmugygi. La corne d'en bas entra dans le bouclier de Leidolf, et le fendit en deux; la corne d'en haut, lui brisa la clavicule et s'enfonça dans sa poitrine. Kari arrivait au même moment. D'un coup d'épée il enleva la jambe de Leidolf, par le milieu de la cuisse, Leidolf tomba; il était mort.

«Courons à nos chevaux, dit Ketil de Mörk. Ces hommes sont trop forts pour nous: il n'y à rien à faire contre eux.» Ils coururent à leurs chevaux et sautèrent en selle. «Allons-nous les poursuivre? dit Thorgeir. Nous pourrons en tuer encore quelques uns.»--«Il y en a un qui s'en va le dernier et que je ne veux pas tuer, dit Kari; c'est Ketil de Mörk; nous avons pour femmes les deux sœurs, et puis, il s'est conduit jusqu'ici mieux que les autres dans cette affaire.» Ils montèrent à cheval, et chevauchèrent sans s'arrêter jusqu'à Holt. Thorgeir dit à ses frères de s'en aller dans l'Est, à Skoga; ils avaient là un autre domaine, et Thorgeir ne voulait pas qu'on pût dire que ses frères avaient rompu la paix. Il eut soin d'avoir beaucoup de monde auprès de lui, et il n'y avait jamais à Holt moins de trente hommes prêts à combattre.

Il y avait grande joie chez Thorgeir. Les gens étaient d'avis qu'il avait beaucoup grandi en gloire et en renommée, et aussi Kari. Et on garda longtemps la mémoire de cette poursuite qu'ils avaient faite, comme quoi ils avaient attaqué, à eux deux, quinze hommes, tué cinq d'entre eux, et mis en fuite les dix autres.

Il faut revenir à Ketil. Ils coururent lui et les siens, si vite qu'ils purent, jusqu'à Svinafell, où ils contèrent quel fâcheux voyage ils avaient fait. «Il fallait s'y attendre, dit Flosi; que ceci vous soit une leçon, et tâchez à l'avenir de vous mieux tenir sur vos gardes.»

Flosi était le plus joyeux des hommes, et c'était un plaisir d'être son hôte. On disait de lui qu'il avait plus que personne tout ce qui fait un grand chef.

Il passa l'été chez lui, et aussi l'hiver qui suivit. Cet hiver-là, après la fête de Jol, Hal de Sida arriva de l'Est avec Kol son fils. Flosi eut grande joie de le voir. Ils parlaient souvent ensemble de cette affaire de l'incendie. Flosi disait que lui et les siens avaient payé bien cher. Hal répondit que c'était à prévoir, dans une affaire comme la leur. Flosi lui demanda quel conseil il lui donnerait. «Je te conseille, répondit Hal, de faire la paix, avec Thorgeir, s'il y a moyen. Mais il sera difficile de l'amener à une paix quelconque.»--«Crois-tu que par là nous en aurons fini avec les meurtres?» dit Flosi. «Je ne crois pas, dit Hal; mais tu auras affaire à moins forte partie si Kari est seul. Si tu ne fais pas la paix avec Thorgeir, ce sera ta mort.»--«Quelle sorte de paix lui offrirons-nous?» dit Flosi. «Dure va te sembler, dit Hal, la seule paix qu'il acceptera. Il ne fera la paix qu'à une condition, c'est qu'il n'aura rien à payer pour les meurtres dont il est l'auteur, et qu'on lui paiera, au contraire, le prix du meurtre de Njal et de ses fils, à lui pour sa tierce part.»--«C'est une paix dure» dit Flosi. «Pas pour toi, dit Hal, car ce n'est pas à toi de venger les fils de Sigfus. C'est à leurs frères qu'il appartient de porter plainte pour leur meurtre, et à Hamund Halti, pour celui de son fils Leidolf. Je crois que tu arriveras à faire ta paix avec Thorgeir; car je vais aller chez lui avec toi, et il est probable qu'il me recevra bien. Quant à tous ceux qui ont part à cette querelle, qu'ils se gardent de rester tranquilles dans leurs domaines du Fljotshlid, s'ils ne sont pas compris dans la paix; car ce serait leur mort, de l'humeur dont est Thorgeir.»

On envoya chercher les fils de Sigfus, pour leur proposer la chose. Et voici comme se terminèrent l'entretien et les harangues de Hal: ils trouvèrent bon tout ce qu'il avait conseillé, et dirent qu'ils voulaient bien faire la paix. Grani, fils de Gunnar, et Gunnar fils de Lambi, dirent tous deux: «Si Kari reste seul, il ne tiendra qu'à nous de faire en sorte qu'il n'ait pas moins peur de nous, que nous de lui.»--«Ne parlez pas ainsi, dit Hal; vous verrez qu'il en coûte d'avoir affaire à lui, et vous aurez à payer cher avant d'en avoir fini.» Et ils n'en dirent pas davantage.

Hal de Sida et son fils Kol se mirent en route vers l'Ouest. Ils étaient six en tout. Ils traversèrent la plaine de Lomagnup, puis les bruyères d'Arnarstak, et vinrent, sans s'être arrêtés, dans le Mydal. Là ils demandèrent si Thorgeir était chez lui à Holt. On leur dit qu'il y était. Les gens demandèrent à Hal où il allait. Il dit qu'il allait à Holt. Et les gens furent d'avis qu'il y allait sans doute pour le bon motif. Hal resta là quelque temps, et ses hommes firent manger leurs chevaux; après quoi, ils se remirent en selle et arrivèrent à Solheima vers le soir; ils y passèrent la nuit. Le jour d'après ils vinrent à Holt.

Thorgeir était dehors, Kari aussi, et leurs hommes; car ils savaient la venue de Hal. Hal était couvert d'un manteau bleu, et il avait à la main une petite hache incrustée d'argent. Quand il entra dans l'enclos avec ses hommes, Thorgeir vint à leur rencontre; il l'aida à descendre de cheval, et Kari et lui le baisèrent tous deux; le mettant entre eux deux, ils le conduisirent dans la salle, le firent asseoir sur un siège élevé, au milieu du banc du fond, et lui demandèrent de leur dire les nouvelles. Il passa la nuit là.

Le lendemain matin, Hal entra en conversation avec Thorgeir, et lui demanda s'il voulait faire la paix; il lui dit quelle sorte de paix les autres lui offraient, et il lui parla avec beaucoup de bonnes paroles et de bon vouloir. «Tu dois savoir, répondit Thorgeir, que je n'ai pas voulu faire de paix avec les hommes de l'incendie.»--«C'était tout autre chose alors, dit Hal vous étiez encore dans la chaleur du combat. Et vous avez tué, vous aussi, bien du monde depuis.»--«Oui, cela doit vous sembler suffisant, dit Thorgeir; mais quelle sorte de paix offrez-vous à Kari?»--«Nous lui offrirons une paix honorable pour lui, dit Hal, s'il veut bien l'accepter.»

Kari prit la parole: «Je t'en prie, dit-il, ami Thorgeir, accepte la paix qu'on te propose; il n'y a rien de meilleur que ce qui est bon.»--«Ce serait mal fait à moi, dit Thorgeir, de faire la paix en me séparant de toi, à moins que tu ne consentes à une paix semblable à celle que je ferai moi-même.»--«Je ne veux pas de paix, dit Kari. Je suis d'avis qu'à présent nous avons vengé l'incendie. Mais mon fils est toujours sans vengeance, et je crois que c'est à moi seul de le venger, et de voir ce que j'ai à faire.» Mais Thorgeir refusait toujours de faire la paix, jusqu'au moment où Kari lui dit qu'il ne serait plus son ami s'il ne la faisait pas.

Alors Thorgeir donna la main à Hal, comme tenant la place de Flosi et des siens, et s'engagea à faire trêve pour préparer la paix. Et Hal fit en retour la même promesse, au nom de Flosi et des fils de Sigfus. Avant de se séparer, Thorgeir donna à Hal un anneau d'or et un manteau d'écarlate; Kari lui donna un collier d'argent, auquel pendaient trois croix d'or. Hal les remercia de leurs présents, et s'en alla comblé d'honneurs. Il vint sans s'arrêter jusqu'à Svinafell. Flosi lui fit bon accueil. Hal conta à Flosi toute son ambassade, et ce qu'ils s'étaient dit, lui et Thorgeir; comme quoi Thorgeir n'avait voulu faire la paix, que lorsque Kari était venu l'en prier, disant qu'il ne serait pas son ami s'il ne la faisait pas; et comment Kari, lui, avait refusé de la faire. «Kari n'a pas son pareil, dit Flosi; et je voudrais avoir le cœur aussi bien placé que lui.»

Hal et ses hommes restèrent quelque temps chez Flosi. Au moment convenu, ils montèrent à cheval pour se rendre à l'entrevue; elle eut lieu à Höfdabrekka, ainsi qu'il avait été décidé. Thorgeir arriva de son côté, venant de l'Ouest, et on traita de la paix. Tout se passa comme Hal avait dit. Avant de rien conclure, Thorgeir déclara que Kari demeurerait chez lui tant qu'il voudrait «et nul des deux partis ne pourra, dit-il, faire du mal à l'autre dans ma maison. J'entends aussi ne pas réclamer d'argent à chacun de mes adversaires en particulier; mais je veux, Flosi, que tu me répondes de la somme entière, et que tu réclames ensuite leur part à tes compagnons. Je veux encore que la sentence rendue au ting au sujet de l'incendie soit exécutée de point en point, et que Flosi me paie sa tierce part en monnaie sans entaille.» Flosi consentit à tout, sur le champ. Thorgeir n'abandonna ni l'exil de Flosi, ni le bannissement moindre pour les autres.

Alors Flosi et Hal s'en retournèrent chez eux, dans l'Est. «Garde bien cette paix, dit Hal à Flosi, et remplis-en les conditions: ton départ pour l'étranger, ton pèlerinage à Rome, et les amendes à payer. Et on dira que tu es un vaillant homme, si grand que soit le méfait que tu as commis, quand tu auras accompli de point en point tout ce que tu as promis de faire.» Flosi dit qu'ainsi ferait-il. Et Hal s'en retourna chez lui, dans l'Est. Mais Flosi rentra à Svinafell, et il resta chez lui quelque temps.

Thorgeir Skorargeir retourna chez lui au sortir de l'entrevue. Kari lui demanda si la paix était faite. Thorgeir dit qu'elle était faite et conclue. Et Kari alla chercher son cheval pour s'en aller. «Tu n'as pas besoin de partir, dit Thorgeir; il a été convenu, dans la paix que nous avons faite, que tu aurais toujours le droit de rester ici, aussi longtemps que tu voudrais.»--«Cela ne sera pas, cousin, répondit Kari; dès que j'aurais tué quelqu'un, ils diraient tous que tu es de moitié avec moi, et je ne veux pas de cela. Mais je te demanderai une chose, c'est de consentir à ce que je remette entre tes mains mes biens et ceux de ma femme, Helga fille de Njal, et aussi ceux de mes filles. De la sorte, mes ennemis ne pourront pas s'en emparer.» Thorgeir dit qu'il ferait comme Kari voulait, et Kari, lui donnant la main, lui fit remise de tous ses biens.

Après cela, Kari partit. Il avait deux chevaux, ses armes et ses vêtements, et quelque monnaie d'or et d'argent. Il prit à l'ouest, par Seljalandsmula, remonta le Markarfljot, et vint dans le pays de Thorsmörk. Il y avait là trois domaines, tous trois appelés Mörk. Dans celui du milieu demeurait un homme nommé Björn, qu'on appelait Björn le blanc. Il était fils de Kadal fils de Bjalfi. Bjalfi avait été l'affranchi d'Asgerd, mère de Njal, et de Holtathorir. Björn avait une femme nommée Valgerd. Elle était fille de Thorbrand fils d'Asbrand. Sa mère s'appelait Gudlaug. Elle était sœur d'Hamund père de Gunnar de Hlidarenda. On l'avait mariée à Björn pour son argent, et elle ne faisait pas grand cas de lui. Ils avaient eu pourtant des enfants ensemble. Il y avait abondance de toutes choses dans leur maison, Björn se vantait sans cesse, ce que sa femme ne pouvait souffrir. Il avait la vue perçante et le pied agile.

C'est là que Kari arriva, pour être l'hôte de Björn. Björn et sa femme le reçurent à bras ouverts. Il passa la nuit chez eux. Au matin, ils se mirent à parler ensemble. Kari dit à Björn: «Je viens te demander de me prendre chez toi. Il me semble que j'y serais bien. Je désire aussi que tu viennes avec moi dans mes expéditions, car tu as la vue perçante et le pied agile; et je crois que tu n'aurais pas peur dans le danger.»--«Certes, dit Björn, je ne manque ni de bons yeux, ni de bravoure, ni de tout ce qui fait les vaillants hommes. Mais tu n'es venu ici, sans doute, que parce que tout autre refuge t'était fermé. Pourtant j'écouterai ta prière, et je ne te traiterai pas comme le premier venu. Je te promets de t'aider en quelque façon que tu le désires.»

Sa femme était là qui l'entendait: «Le diable emporte tes vantardises et ton bavardage, dit-elle. Pourquoi nous dis-tu de semblables menteries? Je suis prête à donner à Kari sa nourriture, et aussi toute autre chose qui pourra être pour son bien. Mais toi, Kari, ne te fie pas trop à la bravoure de Björn, car j'ai peur qu'il ne fasse autrement qu'il ne dit.»--«Ce n'est pas la première fois que tu m'injuries, dit Björn, mais je sais bien, malgré tout, que je ne reculerai jamais devant personne. La preuve, c'est qu'il y en a peu qui me cherchent querelle, car ils n'oseraient.»

Kari resta caché là quelque temps, et peu de gens vinrent à le savoir. On croyait qu'il était allé dans le pays du Nord, chez Gudmund le puissant; car Kari avait fait dire par Björn à ses voisins qu'il l'avait rencontré sur le chemin, remontant vers le Godaland, pour aller de là, vers le Nord, à Gasasand, et de là chez Gudmund le puissant, à Mödruvöll. Et ce bruit se répandit dans tout le pays.

Il faut revenir à Flosi. Il dit aux hommes de l'incendie, ses compagnons: «Il n'est pas bon que nous restions tranquilles plus longtemps. Il nous faut penser à notre voyage, et aux amendes à payer, afin de remplir en vaillants hommes les conditions de la paix que nous avons faite. Il nous faut aussi trouver un vaisseau dans un endroit qui nous convienne.» Les autres le prièrent de s'en occuper, Flosi reprit: «Il faut nous en aller dans l'Est, jusqu'au Hornafjord; il y a là un vaisseau à l'ancre, qui est à Eyjolf Nef, un homme de Thrandheim. Il est venu ici prendre femme, mais il n'arrivera pas à faire son mariage s'il ne s'établit pas dans le pays. Nous lui achèterons son vaisseau; nous avons peu de fret, mais beaucoup de monde. Le vaisseau est grand, et nous tiendra tous.» Et ils n'en dirent pas plus long.

À quelque temps de là, ils partirent pour le pays de l'Est, et vinrent sans s'arrêter à Bjarnanes, sur le Hornafjord. Ils y trouvèrent Eyjolf; il avait passé là tout l'hiver, chez un homme du pays. Flosi y trouva bon accueil, et il y passa la nuit, lui et ses gens. Le lendemain, Flosi offrit au propriétaire du vaisseau de le lui acheter. L'autre répondit qu'il ne refuserait pas l'offre, s'il pouvait avoir en échange ce qu'il voulait. Flosi demanda quelle sorte de paiement il voulait avoir. Eyjolf répondit qu'il voulait de la terre, et qui fût dans le voisinage. Et il dit à Flosi le marché qu'il débattait avec son hôte. Flosi promit de lui donner un coup d'épaule pour conclure son marché, et il fut convenu qu'ensuite il lui achèterait son vaisseau. L'homme de l'Est en eut grande joie. Flosi lui offrit des terres à Borgarhöfn.

Eyjolf vint donc trouver son hôte et lui fit sa demande, en présence de Flosi. Flosi dit un mot pour lui, et le marché fut conclu, Flosi céda à l'homme de l'Est des terres à Borgarhöfn; il eut en échange son vaisseau, et ils se donnèrent la main là-dessus. Flosi reçut d'Eyjolf, avec le vaisseau, pour vingt cents de marchandises, qui furent comprises dans le marché. Après quoi Flosi remonta à cheval et s'en alla.

Flosi était si aimé de ses hommes qu'il avait d'eux tout ce qu'il voulait avoir en fait de provisions, soit comme prêt, soit comme don.

Flosi rentra donc à Svinafell et resta chez lui quelque temps. Il envoya Kol fils de Thorstein et Gunnar fils de Lambi dans l'Est au Hornafjord, pour s'occuper du vaisseau, le mettre en état, dresser des huttes, mettre les marchandises en sacs et faire tout le nécessaire.

Il faut parler maintenant des fils de Sigfus. Ils dirent à Flosi qu'ils voulaient s'en aller à l'Ouest, dans le Fljotshlid, pour s'occuper de leurs domaines, et y prendre des marchandises, et autres choses dont ils avaient besoin. «Il n'y a plus à prendre garde à Kari, dirent-ils, s'il est, comme on l'a raconté, dans le pays du Nord.»--« Je ne sais, répondit Flosi, s'il faut se fier à ces bruits là, et si on a dit vrai au sujet du voyage de Kari. Des choses m'ont souvent paru mieux prouvées, qui n'étaient pas vraies du tout. Mon avis est que vous marchiez en troupe nombreuse, que vous vous sépariez le moins possible, et que vous vous teniez sur vos gardes, du mieux que vous pourrez. Rappelle-toi, Ketil de Mörk, le songe que je t'ai conté, et que j'ai tenu secret, à ta prière; beaucoup de ceux qui vont partir avec toi, ont été appelés alors.» Ketil répondit: «La vie des hommes suit son cours ainsi que le veut la destinée; mais toi, grand bien te fasse pour ton avertissement.» Et ils n'en dirent pas davantage.

Les fils de Sigfus se préparèrent au départ, et aussi ceux qui devaient aller avec eux. Ils étaient dix-huit en tout. Avant de partir, ils embrassèrent Flosi. Il leur souhaita bon voyage, disant qu'il y en avait parmi eux qu'il ne reverrait jamais. Mais ils ne changèrent pas d'avis, et se mirent en route. Flosi les avait priés d'aller chercher ses marchandises dans le Medalland, pour les porter dans le pays de l'Est. Ils avaient à en prendre aussi à Landbrot et à Skogahverfi. Après cela, ils vinrent à Skaptartunga, passèrent la montagne, et, prenant au Nord du Jökul d'Eyjafjöll, descendirent dans le Godaland. De là, par les bois, ils vinrent à Thorsmörk.

Björn de Mörk vit cette troupe d'hommes qui s'approchait; il vint à leur rencontre, et ils se souhaitèrent le bonjour. Les fils de Sigfus demandèrent des nouvelles de Kari fils de Sölmund. «J'ai rencontré Kari, dit Björn, il y a déjà longtemps. Il chevauchait vers le Nord, par le Gasasand, et il s'en allait à Mödruvöll chez Gudmund le puissant. Il m'a semblé qu'il avait grand'peur de vous, car il est tout seul à présent.»--«Il aura bien plus peur encore, dit Grani fils de Gunnar. Et il le verra bien, quand il viendra à portée de nos javelots. Il n'est plus à craindre pour nous, maintenant que tous les siens l'ont abandonné.» Ketil de Mörk lui dit de se taire et de laisser là ses grands mots. Björn leur demanda quand ils reviendraient. «Nous resterons, répondirent-ils, environ une semaine dans le Fljotshlid» et ils lui dirent quel jour ils comptaient repasser la montagne. Ils se séparèrent là-dessus.

Les fils de Sigfus arrivèrent dans leurs domaines, où leurs gens les reçurent avec beaucoup de joie. Ils y passèrent près d'une semaine.

Björn cependant revient chez lui trouver Kari; il lui conte le voyage des fils de Sigfus, et leurs projets pour le retour. «Tu t'es montré dans cette occasion un ami fidèle » dit Kari. «Quand j'ai promis ma foi et mon aide à quelqu'un, dit Björn, je veux qu'on doute de tout le monde plutôt que de moi.»--«Ce serait trop fort aussi, si tu étais un traître,» dit sa femme.

Kari passa encore six nuits chez eux.

Voici que Kari parle à Björn: « Montons à cheval, lui dit-il, et allons-nous en à l'Est, par la montagne. Nous descendrons à Skaptartunga et nous passerons sans nous laisser voir par le district qu'habitent les gens de Flosi; je voudrais trouver passage sur un vaisseau dans l'Alptafjord.»--«C'est un voyage bien chanceux, dit Björn; peu de gens auraient le courage de l'entreprendre, sauf toi et moi. »--«Si tu ne te montres pas un compagnon fidèle pour Kari, lui dit sa femme, sache que jamais plus tu n'entreras dans mon lit et que mes parents feront le partage de nos biens.»--«Ma femme, répondit Björn, songe à autre chose, si tu veux un moyen de te séparer de moi; car je vais me rendre témoignage à moi-même, et montrer quel rude champion je suis quand il s'agit de porter de grands coups.»

Ils partirent le jour même, et passèrent la montagne, sans prendre jamais le chemin battu. Ils descendirent à Skaptartunga, et vinrent au bord de la Skapta, passant au-dessus des domaines qui sont là. Ils menèrent leurs chevaux dans un creux, et se mirent en embuscade de manière qu'on ne pouvait les voir. «Que ferons-nous, dit Kari à Björn, s'ils arrivent sur nous, en descendant la montagne?»--«N'avons-nous pas le choix entre deux choses? dit Björn: Ou bien nous en aller vers le Nord, le long des rochers, et les laisser passer; ou bien attendre pour voir si quelques-uns d'entre eux resteraient en arrière, et alors, les attaquer.» Ils parlèrent longtemps de la sorte: tantôt Björn disait qu'il fallait fuir au plus vite, tantôt qu'il fallait attendre et leur tenir tête. Et Kari s'en amusait très fort.

Il faut parler maintenant des fils de Sigfus. Ils quittèrent leurs domaines le jour qu'ils avaient dit à Björn. Ils vinrent à Mörk, et frappèrent à la porte, disant qu'ils voulaient parler à Björn. Sa femme vint à la porte et les salua. Ils demandèrent où était Björn. Elle dit qu'il était descendu dans la plaine qui est sous l'Eyjafjöll, pour s'en aller dans l'Est, à Holt: «car il a de l'argent à toucher là-bas» ajouta-t-elle. Ils le crurent, car ils savaient que Björn avait de l'argent placé là. Ils reprirent leur route vers l'Est, passant la montagne, et marchèrent sans s'arrêter jusqu'à Skaptartunga. Ils descendirent la Skapta, et firent halte à l'endroit que Kari avait prévu. Là ils se séparèrent. Ketil de Mörk prit à l'Est, vers le Medalland, et huit hommes avec lui. Les autres se couchèrent pour dormir, et ne s'aperçurent de rien qu'au moment où Kari et Björn arrivèrent sur eux.

Il y avait là un petit promontoire qui s'avançait dans la rivière. Kari s'y plaça et dit à Björn de se mettre derrière son dos, et de ne pas trop s'avancer, mais de l'aider du mieux qu'il pourrait. «Je n'aurais jamais pensé, dit Björn, qu'un autre homme dût me servir de bouclier. Mais au point où nous en sommes, c'est à toi de décider. Je suis assez rusé et assez agile pour t'être de secours et je ne laisserai pas de faire quelque dommage à nos ennemis.»

À ce moment, les autres se levèrent tous, et coururent à eux, Modulf fils de Ketil fut le plus prompt; il pointa sa lance sur Kari. Kari s'était couvert de son bouclier; la lance y entra, et y resta enfoncée. Kari fit tourner son bouclier, si vite que la lance se brisa. En même temps il levait son épée pour frapper Modulf, Modulf levait aussi la sienne. L'épée de Kari tomba sur la poignée de celle de Modulf, et rebondit sur la main qui la tenait. Le bras fut emporté, l'épée et la main tombèrent à terre. La pointe de l'épée s'était enfoncée dans les côtes de Modulf. Il tomba, il était mort sur le coup.

Grani fils de Gunnar saisit un javelot et le lança à Kari. Mais Kari frappant de son bouclier contre terre l'y laissa enfoncé. Alors, de la main gauche, il prit le javelot au vol et le renvoya à Grani. Puis, de la même main gauche il reprit son bouclier, Grani avait le sien devant lui. Le javelot passa au travers, et entra dans la cuisse de Grani au-dessous des boyaux, après quoi il s'enfonça en terre. Et Grani ne fut débarrassé du javelot que quand ses compagnons vinrent l'en arracher, après quoi ils le portèrent dans un creux, et le couvrirent de leurs boucliers.

Un homme courut à Kari, l'épée levée. Il voulait le frapper de côté, et lui enlever une jambe. Björn lui emporta le bras d'un coup d'épée, puis il revint d'un saut à sa place derrière Kari, et les autres ne purent lui faire de mal. Alors Kari, brandissant son épée, frappa l'homme de côté, et il le coupa en deux par le milieu du corps. À ce moment Lambi fils de Sigurd courut à Kari, levant son épée. Kari tourna son bouclier de biais, de sorte que le coup ne put y mordre. Puis il planta son épée dans la poitrine de Lambi et la pointe ressortit entre les épaules, Lambi tomba mort.

Thorstein fils de Geirleif courut à Kari, pour le prendre de flanc. Kari brandit son épée, et, le frappant de côté au travers des épaules, le coupa en deux. Après cela il en tua encore un, Gunnar de Skal, un vaillant homme. Björn en avait blessé trois qui voulaient frapper Kari, mais il ne s'était jamais assez avancé pour courir le moindre risque. Il ne fut pas blessé, ni Kari non plus, dans cette rencontre. Mais tous ceux qui échappèrent étaient blessés.

Ils coururent à leurs chevaux, les lancèrent à bride abattue, le long de la Skapta. Si grande était leur frayeur qu'ils n'entrèrent dans aucun domaine, et n'osèrent s'arrêter nulle part pour dire la nouvelle. Kari et Björn poussèrent de grands cris en les voyant s'enfuir. «Courez bien, gens de l'incendie» disait Björn. Ils vinrent dans le pays de l'Est, passèrent à Skogahverfi, et ne s'arrêtèrent qu'arrivés à Svinafell.

Flosi n'était pas chez lui quand ils arrivèrent. Il ne fut donc pas porté plainte contre Kari. Mais chacun fut d'avis que les autres s'étaient couverts de honte.

Kari vint à Skal, et là, il se déclara l'auteur des meurtres qui avaient été commis. Il dit la mort du maître du domaine et de cinq autres, et la blessure de Grani. «Si nous le laissons vivre, ajouta-t-il, il faut le porter chez lui.»--«Je n'ai pas le cœur de le tuer, dit Björn, à cause de notre parenté; il l'aurait pourtant bien mérité.» Ceux qui étaient là dirent que peu de gens mordraient jamais la poussière de la main de Björn. «Il ne tient qu'à moi, dit Björn, de faire mordre la poussière à tous les hommes de Sida.» Les autres dirent que ce serait dommage. Et là-dessus, Kari et Björn s'en allèrent.

Kari demanda à Björn: «Qu'allons-nous faire à présent? Montre-moi ta sagesse.»--«Es-tu d'avis, dit Björn, de faire ce qu'il y a de plus sage?»--«Oui certes,» dit Kari. «Alors nous aurons vite fait de nous décider, dit Björn; et nous allons les attraper tous comme des sots. Il faut faire semblant de nous en aller au Nord, par la montagne. Sitôt que nous serons cachés derrière une hauteur, nous tournerons bride et nous descendrons la Skapta. Nous choisirons un bon endroit et nous nous y tiendrons cachés pendant qu'ils seront le plus lancés, s'ils courent après nous.»--«Faisons cela, dit Kari; j'y avais déjà pensé.»--«Tu vois, dit Björn, que je ne suis pas le premier venu, aussi bien pour la sagesse que pour la bravoure.»

Kari et Björn firent donc comme ils avaient dit, et descendirent le long de la Skapta. Ils vinrent à l'endroit où la rivière se partage: un des bras va vers l'Est, l'autre vers le Sud-Est. Ils prirent le long du bras du milieu et vinrent sans s'arrêter dans le Medalland, au marais qu'on appelle Kringlumyr. Tout le sol est couvert de lave aux alentours de ce marais. Kari dit à Björn de s'occuper des chevaux, et de faire bonne garde, «car j'ai grand sommeil» ajouta-t-il. Björn prit soin des chevaux, et Kari se coucha par terre.

Il n'avait pas dormi longtemps quand Björn le réveilla. Il avait détaché les chevaux, et il les amenait tout près de Kari. «Tu es bien heureux de m'avoir, lui dit-il. Un autre, qui n'eût pas été aussi brave que moi, se serait enfui en te laissant là; car voici tes ennemis qui arrivent, et il faut te préparer à les recevoir.»

Kari se plaça sous un rocher qui s'avançait. «Où me mettrai-je, moi?» dit Björn. «Tu as deux choses à faire, répondit Kari. Ou bien place-toi derrière moi, et tu auras mon bouclier pour te couvrir, si cela peut t'être utile; ou bien monte à cheval et va t'en, le plus vite que tu pourras.»--«Je ne ferai pas cela, dit Björn, pour plusieurs raisons: la première, c'est que les mauvaises langues pouvaient dire que j'ai pris la fuite par manque de courage, si je te laissais là. La seconde, c'est que je sais bien quelle capture je serais pour eux. Ils se mettraient deux ou trois à ma poursuite, et je ne t'aurais ni servi ni aidé en rien. J'aime bien mieux rester près de toi, et me défendre tant que je pourrai.»

Ils n'avaient pas attendu longtemps, que des chevaux chargés débouchèrent sur le marais; trois hommes les conduisaient. «Ils ne nous voient pas» dit Kari. «Laissons les passer» dit Björn. Les hommes passèrent sans les voir.

Et voici que les six autres arrivèrent au galop. Ils sautèrent tous à terre, et vinrent droit à Kari et à Björn. Glum fils d'Hildir fut le premier. Il pointa sa lance sur Kari. Kari tourna sur ses talons; Glum le manqua, et sa lance s'enfonça dans le rocher. Björn le vit, et frappant sur la lance, la brisa à la hampe. Alors Kari brandissant son épée de côté frappa Glum à la jambe. Il l'emporta tout entière à la hauteur de la cuisse, Glum mourut sur le coup.

À ce moment, coururent à Kari les deux fils de Thorbrand, Vjebrand et Asbrand. Kari vint à Vjebrand et lui passa son épée au travers du corps. Après quoi il emporta d'un coup les deux jambes d'Asbrand. Au même instant, Kari et Björn furent blessés tous deux. Alors Ketil de Mörk courut à Kari, la lance en avant. Kari sauta en l'air, et la lance s'enfonça dans le sol. Kari retomba sur la hampe, et la brisa. Puis il saisit Ketil à bras-le-corps. Björn accourut: il voulait le tuer. «Laisse-le, dit Kari. Je veux faire grâce à Ketil. Et quand j'aurais encore, Ketil, ta vie en mon pouvoir, je ne te tuerai jamais.» Ketil ne répondit rien. Il s'en alla rejoindre ses compagnons, et dit la nouvelle à ceux qui ne la savaient pas encore. On la répéta aux chefs du district. Et les chefs rassemblèrent une armée nombreuse. Ils remontèrent le long de toutes les rivières, et s'enfoncèrent bien avant dans la montagne, du côté du Nord. Ils cherchèrent pendant trois jours. Après quoi ils s'en retournèrent, et chacun rentra dans sa maison.

Ketil et ses compagnons étaient retournés dans l'Est, à Svinafell. Ils dirent la nouvelle à Flosi. Flosi fut d'avis qu'ils avaient fait là un triste voyage. «Je ne sais, dit-il, quand viendra la fin de tout ceci; mais Kari n'a pas son pareil parmi tous les hommes d'Islande.»

Il faut revenir à Björn et à Kari. Ils chevauchaient traversant la plaine, et menèrent leurs chevaux sur une colline couverte d'avoine sauvage. Ils leur coupèrent de l'avoine, de peur qu'ils ne vinssent à mourir de faim. Kari tombait toujours si juste qu'il partit de là au moment même où les autres cessaient leur poursuite. Il traversa le district pendant la nuit, gravit la montagne, et suivit en tout le même chemin qu'ils avaient pris d'abord, pour s'en aller dans l'Est. Il ne s'arrêta pas avant d'être arrivé à Midmörk.

Björn dit à Kari: «Il faut que tu fasses de grandes louanges de moi devant ma femme; car elle ne croira pas un mot de ce que je dirai; et c'est de grande importance pour moi. Tu me revaudras par là tout le secours que je t'ai prêté.»--«Ainsi ferai-je» dit Kari. Et ils entrèrent dans le domaine. La maîtresse du lieu leur fit bon accueil, et leur demanda les nouvelles. «Le danger est plus grand que jamais, ma femme» répondit Björn. Elle ne répondit pas, et sourit. «Et quelle aide Björn t'a-t-il donnée?» dit-elle à Kari. «Le dos est sans défense, répondit Kari, s'il n'y a pas là un frère; Björn m'a donné bonne aide. Il a blessé trois hommes, et il est blessé lui-même. Il a fait pour moi tout ce qu'il pouvait faire.» Ils passèrent là trois nuits.

Après cela, ils vinrent à Holt, chez Thorgeir, et lui dirent la nouvelle en secret; car elle n'était pas encore arrivée jusqu'à lui. Thorgeir remercia Kari, et il était facile de voir que cela lui donnait grande joie. Il demanda à Kari s'il pensait qu'il lui restât encore quelque chose à faire. Kari répondit: «Je veux tuer encore Gunnar fils de Lambi, et Kol fils de Thorstein, si je peux mettre la main sur eux. Alors nous en aurons tué quinze, avec les cinq que nous avons tués, toi et moi. Mais j'ai une prière à te faire» dit Kari. Thorgeir répondit qu'il ferait tout ce que Kari lui demanderait. «Je désire, dit Kari, que tu prennes chez toi cet homme qui s'appelle Björn, et qui était avec moi quand j'ai tué les autres; que tu fasses un échange avec lui, en lui donnant ici près un domaine en plein rapport; et que tu le gardes sous ta protection, de telle sorte qu'on ne puisse tirer aucune vengeance de lui. C'est chose facile pour un chef tel que toi.»--«Ainsi ferai-je» dit Thorgeir. Il donna à Björn un domaine en bon état, à Asolfskala, et se chargea de faire valoir son domaine de Mörk. Thorgeir s'occupa lui-même de faire porter à Asolfskala tous les biens et meubles de Björn. Il fit un arrangement pour lui dans toutes les affaires où il était mêlé, en sorte que Björn se trouva en paix avec tout le monde. Et Björn se crut plus grand homme que jamais.

Kari partit, et vint sans s'arrêter à Tunga, chez Asgrim fils d'Ellidagrim. Asgrim fit très grand accueil à Kari qui lui conta par le menu tous les combats qu'il avait livrés. Asgrim s'en montra joyeux, et demanda à Kari ce qu'il comptait faire. Kari répondit: «Je vais m'en aller à l'étranger, et les poursuivre; je serai sur leurs talons, et je les tuerai, si je peux les joindre.» Asgrim dit que Kari n'avait pas son pareil en bravoure.

Il passa quelques nuits chez Asgrim. Après quoi il s'en alla chez Gissur le blanc. Gissur le reçut à bras ouverts, et Kari resta chez lui quelque temps. Il dit à Gissur qu'il voulait descendre au rivage, à Eyra. Gissur lui fit présent au départ d'une bonne épée, Kari descendit donc à Eyra et prit passage sur le vaisseau de Kolbein le noir. Kolbein était des îles Orkneys. C'était un grand ami de Kari, le plus brave et le plus hardi des hommes. Il reçut Kari à bras ouverts, et lui dit qu'un même sort les frapperait tous deux.

Il faut revenir à Flosi, qui s'en va dans l'Est, au Hornafjord. Presque tous ses hommes étaient venus avec lui. Ils amenèrent dans l'Est leurs marchandises et leurs vivres, et tout le bagage qu'ils avaient à emporter. Après quoi ils mirent leur vaisseau en état, et se préparèrent à partir. Flosi resta là jusqu'à ce que tout fût prêt, et dès qu'ils eurent bon vent, ils firent voile vers le large.

Ils furent longtemps en pleine mer, car le temps était mauvais, et ils naviguaient sans savoir où ils allaient. Il arriva un jour qu'ils reçurent trois grosses lames. Flosi dit qu'il devait y avoir une terre dans le voisinage, et que c'étaient des brisants. La brume était épaisse. Le vent s'éleva, et une grande tempête fondit sur eux. Avant qu'ils eussent le temps de se reconnaître, une nuit, ils furent jetés au rivage. Les hommes se sauvèrent, mais le vaisseau fut mis en pièces, et ils ne purent rien sauver de leurs marchandises. Ils tâchèrent de se réchauffer, et le jour suivant, ils montèrent sur une hauteur. Le temps s'était mis au beau. Flosi demanda si quelqu'un de ses hommes connaissait ce pays. Il y en avait deux qui étaient déjà venus là; «Nous reconnaissons bien cette terre, dirent-ils; c'est Hrossey, une des Orkneys.»--«Nous aurions pu trouver un meilleur endroit pour aborder, dit Flosi; car Helgi fils de Njal, que j'ai tué, était l'homme du jarl Sigurd fils de Hlödvir.» Ils cherchèrent un creux pour s'y cacher, et se couvrirent de mousse. Ils restèrent là quelque temps. Mais bientôt Flosi dit: «Nous ne pouvons pas rester là couchés jusqu'à ce que les gens du pays nous découvrent.» Ils se levèrent donc, et tinrent conseil. «Allons tous, dit Flosi, nous livrer au jarl. Nous n'avons pas autre chose à faire; il a déjà d'ailleurs notre vie dans les mains, s'il veut la prendre.»

Alors ils s'en allèrent tous. Flosi leur défendit de dire à personne qui ils étaient, ni où ils allaient, avant qu'il n'eût parlé au jarl. Ils marchèrent droit devant eux, et finirent par trouver des gens qui leur montrèrent où habitait le jarl. Ils entrèrent et se trouvèrent devant lui. Flosi le salua, ainsi firent tous les autres. Le jarl demanda quelle sorte d'hommes ils étaient. Flosi se nomma, et dit quel district d'Islande il habitait. Le jarl avait déjà entendu parler de l'incendie. Il sut donc tout de suite quels hommes il avait devant lui. «Quelles nouvelles me donneras-tu, dit-il à Flosi, d'Helgi, fils de Njal, et mon homme?»--«La nouvelle que je t'en donnerai, dit Flosi, c'est que je lui ai coupé la tête.»--«Emparez-vous d'eux,» dit le jarl. Et ainsi fut fait.

À ce moment arrivait Thorstein, fils de Hal de Sida. Flosi avait pour femme sa sœur Steinvör, et Thorstein était un des hommes du jarl Sigurd. Quand il vit qu'on s'était emparé de Flosi, il vint devant le jarl, et offrit pour Flosi tous les biens qu'il possédait. Le jarl était dans une grande colère, et pendant longtemps rien ne put le toucher. À la fin, d'autres vaillants hommes étant venus parler pour Flosi avec Thorstein (car Thorstein avait des amis qui le soutenaient fort, et beaucoup se mirent de son côté) le jarl consentit à faire la paix, et il donna la vie à Flosi et à tous les siens. Puis, selon la coutume des grands chefs, il prit Flosi à son service, à la place d'Helgi fils de Njal. Flosi devint donc l'homme du jarl Sigurd, et il fut bientôt en grande faveur auprès de lui.

Kari et Kolbein le noir firent voile d'Eyra, un demi-mois après que Flosi fut sorti du Hornafjord. Ils eurent bon vent, et ne furent pas longtemps en mer. Ils débarquèrent à Fridarey. C'est une île entre Hjaltland et les Orkneys. Kari logea chez un homme qui s'appelait Dagvid le blanc. Dagvid dit à Kari tout ce qu'il savait du voyage de Flosi. C'était un grand ami de Kari, et Kari passa chez lui tout l'hiver. Ils eurent là des nouvelles de l'Ouest, et de tout ce qui se passait cet hiver-là à Hrossey.

Le jarl Sigurd avait invité chez lui, pour la fête de Jol, son beau-frère le jarl Gilli, des îles du Sud. Gilli avait pour femme Svanlaug, sœur du jarl Sigurd. Il vint en même temps chez le jarl Sigurd un roi qui s'appelait Sigtryg. Il venait d'Irlande. Il était fils d'Olaf Kvaran; et sa mère s'appelait Kormlöd. C'était la plus belle femme qu'on pût voir, et elle faisait bien toutes choses quand on ne la laissait pas décider, mais les gens disaient qu'elle menait tout de travers quand c'était elle qui décidait. Elle avait été mariée d'abord à un roi nommé Brjan, et ils s'étaient séparés; Brjan était le meilleur des rois. Il avait sa résidence à Kunjattaborg. Son frère était Ulf le terrible, le plus vaillant champion et homme de guerre qu'on pût voir. Le roi Brjan avait un fils adoptif, nommé Kerthjalfad. Il était fils du roi Kylf, qui fit de grandes guerres au roi Bryan, fut chassé par lui de son pays, et entra dans un cloître. Quand le roi Brjan s'en alla dans les pays du Sud, il retrouva le roi Kylf, et ils firent la paix. Le roi Brjan prit chez lui le fils de Kylf, Kerthjalfad, et il l'aimait plus que ses propres fils. Kerthjalfad était arrivé à l'âge d'homme, au temps dont nous parlons, et c'était l'homme le plus hardi qu'on pût voir.

L'un des fils du roi Brjan s'appelait Dungad, un autre Margad, le troisième Takt, que nous appelons Tann. C'était le plus jeune des trois. Les fils aînés du roi Brjan étaient déjà des hommes, les plus braves qu'on pût voir. Kormlöd n'était pas la mère des enfants du roi Brjan. Elle avait été en si grand courroux contre Brjan après leur séparation, qu'elle aurait voulu le voir mort.

Le roi Brjan pardonnait jusqu'à trois fois le même crime à ceux qui avaient été proscrits de son royaume; s'ils recommençaient encore, alors il les faisait juger selon les lois. On peut juger à cela quel bon roi il était.

Kormlöd pressait fort son fils Sigtryg de tuer le roi Brjan. C'est pour cela qu'elle l'avait envoyé chez le jarl Sigurd, demander du secours. Le roi Sigtryg arriva aux Orkneys pour la fête de Jol. Le jarl Gilli y vint aussi, comme nous l'avons dit plus haut. Voici comme les hommes étaient placés dans la salle: le roi Sigtryg était assis au milieu, sur un siège élevé; aux deux côtés du roi, étaient les deux jarls. Les hommes du roi Sigtryg et du jarl Gilli, avaient pris place après Gilli, du côté du dedans; Flosi et Thorstein, fils de Hal de Sida, étaient assis du côté du dehors, en partant du jarl Sigurd. Toute la salle était pleine.

Le roi Sigtryg et le jarl Gilli voulurent entendre le récit de l'incendie, et tout ce qui s'en était suivi, Gunnar fils de Lambi fut choisi pour le raconter, et on apporta un siège pour lui.

À ce moment là, Kari et Kolbein avec Dagvid le blanc arrivèrent à l'improviste à Hrossey. Ils vinrent tout de suite à terre, laissant quelques hommes pour garder le vaisseau. Kari et ses compagnons allèrent droit à la demeure du jarl, et s'approchèrent de la salle comme les hommes étaient à boire. Il se trouvait justement que Gunnar racontait l'incendie. Kari et les siens écoutèrent du dehors. C'était le jour même de la fête.

Le roi Sigtryg demanda: «Et Skarphjedin, comment s'est-il comporté dans les flammes?»--«Bien d'abord, dit Gunnar; mais il a fini par pleurer» et il continuait à raconter l'histoire à sa manière, et il riait aux éclats. Kari n'y put tenir. Il entra dans la salle en courant, l'épée levée, et il chanta:

«Ils se sont vantés, les vaillants hommes, d'avoir brûlé Njal. Ont-ils su quelle vengeance nous en avons tirée? Ils ont été payés de leur exploit, ces rudes guerriers, et les corbeaux ont eu de la chair à manger.»

Puis, s'élançant à travers la salle, il abattit son épée sur le cou de Gunnar. La tête vola sur la table, devant le roi et les jarls; la table et les vêtements des jarls furent inondés de sang.

Le jarl Sigurd reconnut l'homme qui avait fait ce meurtre. Il cria: «Emparez-vous de Kari et tuez-le.» Kari avait été l'homme du jarl Sigurd, et nul n'avait plus d'amis que lui; personne ne se leva, malgré l'ordre du jarl. «On pourrait dire, seigneur, dit Kari, que c'est pour vous que j'ai fait ce que je viens de faire, et pour venger votre homme, Helgi fils de Njal.» Flosi prit la parole: «Kari, dit-il, n'a pas fait cela sans motif; car il n'y a point de paix conclue entre lui et nous. Ce qu'il a fait, il avait le droit de le faire.» Kari s'en alla, sans que personne se mît à sa poursuite. Il se rembarqua, et ses compagnons avec lui.

Le temps était beau. Ils firent voile au Sud, vers Katanes, et débarquèrent à Thrasvik, chez un homme puissant, nommé Skeggi. Ils restèrent chez lui longtemps.

Les autres, aux Orkneys, nettoyèrent la table et emportèrent le mort. On vint dire au jarl que Kari et les siens avaient fait voile au Sud, vers l'Écosse. «C'est un vaillant homme, dit le roi Sigtryg, celui qui a fait cela si hardiment, sans y songer à deux fois.»--«Kari n'a pas son pareil, répondit le jarl Sigurd, en hardiesse et en audace.» Alors Flosi à son tour conta l'histoire de l'incendie. Il parla bien de tous, et on crut ce qu'il disait.

Le roi Sigtryg vint à parler au jarl Sigurd de la demande qu'il avait à faire. Il le pria de venir avec lui combattre le roi Brjan. Le jarl s'en défendit longtemps. À la fin il consentit, à condition qu'il aurait en mariage la mère de Sigtryg, et qu'il deviendrait roi en Irlande, s'ils tuaient Brjan. Tout le monde voulut détourner le jarl Sigurd de partir, mais cela ne servit de rien. On se sépara sur la promesse que fit Sigurd de venir; Sigtryg lui promit en échange sa mère et un royaume. Il fut convenu que le jarl Sigurd se trouverait à Dublin avec toute son armée, le dimanche des Rameaux.

Le roi Sigtryg revint en Irlande, et dit à sa mère Kormlöd que le jarl s'était engagé à venir, et aussi ce qu'il lui avait promis pour cela. Elle s'en montra contente, mais elle lui dit qu'il fallait rassembler encore plus de monde. Sigtryg lui demanda où on pourrait chercher de l'aide. «Il y a, dit-elle, deux pirates au large, à l'ouest de l'île de Mön: ils ont trente vaisseaux, et ce sont des guerriers si terribles que nul ne peut leur résister. L'un s'appelle Uspak, l'autre Brodir. Va les trouver, et n'épargne rien pour les amener à venir avec toi, quelque prix qu'ils y mettent.»

Le roi Sigtryg se mit donc à la recherche des pirates, et il les trouva au large de Mön. Il fit sans tarder sa demande, mais Brodir refusa de venir, tant que Sigtryg ne lui eut pas promis sa mère et le royaume de Brjan. Il fut convenu qu'on tiendrait la chose secrète, et que le jarl Sigurd n'en saurait rien. Brodir promit de se trouver à Dublin avec son armée, le Dimanche des Rameaux.

Le roi Sigtryg revint trouver sa mère, et lui dit ce qui s'était passé.

Cependant Uspak et Brodir s'étaient mis à parler ensemble. Brodir répéta à Uspak tout ce qu'ils avaient dit, Sigtryg et lui, et il le pria de venir avec lui combattre le roi Brjan, disant que c'était pour lui de grande importance. Uspak répondit qu'il ne voulait pas se mettre en guerre avec un si bon roi. Alors ils entrèrent en colère tous deux, et séparèrent en deux leur flotte. Uspak avait dix vaisseaux, mais Brodir en avait vingt.

Uspak était païen, mais c'était le plus sage des hommes. Il mena ses vaisseaux dans le détroit; Brodir resta au large.

Brodir avait été chrétien; et il avait été consacré pour servir la messe comme diacre; mais il avait renié sa foi, et il était devenu un apostat. Il sacrifiait à des démons païens, et faisait toutes sortes de sorcelleries. Il avait une armure que le fer n'entamait pas. Il était grand et fort, et il avait une chevelure noire, si longue, qu'il la rentrait dans sa ceinture.


Back to IndexNext