IIIElle collectionnait lesbreloques, les commandant par douze douzaines, afin d’en inonder les ventes de charité, ou d’en décorer les amis qui se contentent de peu. Mais sa plus proverbiale manie consistait àdemander des adresses, à tout bout de champ, hors de propos, et presque sans jeter un regard sur l’objet qu’elle croyait désirer.Un jour, à Paris, rentrant de la promenade, on lui remit le billet d’une visiteuse, dont le bristol l’enchanta. Vite, il fallut répondre, pour savoir d’où venait lacarte-correspondance. Celle qui yavait inscrit son bonjour fit savoir, un peu embarrassée, que le mot avait été tracé, par elle, chez Madame d’Entragues elle-même, sur le premier carton venu, que lui présentait la concierge.Traits de caractère: quelques années auparavant, on avait reçu la visite d’une amie affligée de famille. Au cours de ce séjour, durant une de ces interminables séances de salon qui sont la plaie des villégiatures, Céline, qui adorait correspondre à vide, griffonnait devant son «bonheur-du-jour»; elle gribouillait (sur les feuilles blanches détachées des billets de faire-part) une lettre à Madame de Gersaint, l’amie du cœur. Tout à coup, l’épistolière poussa un cri: l’encrier venait de se renverser sur le quatorzième feuillet, bourré denunus, de l’épître envoie d’achèvement. Marie (l’invitée s’appelait ainsi), Marie, complaisante,s’élança pour parer au désastre. Tandis qu’elle rendait ce service, ses yeux furent invinciblement attirés par son nom, au milieu d’une page. Elle lut, malgré soi, elle lut ceci: «Marie est ici, avec ses cinq insupportables enfants. Ils consomment, tous les matins, onze pots de lait, neuf pots de café, et je me demande vraiment quand ils vont se décider à...»—Reliqua desunt.Le reste manquait.Quand tout fut remis en ordre, Céline acheva sa missive. Alors on entendit une voix qui s’élevait. C’était la voix de Marie. Elle disait doucement: «Céline,avez-vous beaucoup de vaches?»Deuxième trait: Charles en était à sa seconde union. La première avait été heureuse, et douloureuse à la fois. On s’aimait... vint la maladie, puis la mort. Le désespoir du veuf fut poignant. Ilexigea le moulage de sa main nouée aux doigts de la défunte. Le résultat fut un beau presse-papier de bronze patiné, que l’on fit encastrer dans le mausolée.—Ces grands mouvements, en se refroidissant, créent parfois des situations embarrassantes. Ce fut le cas. Au bout d’un temps (pas très long), le presse-papier pesa sur toute la famille. Le survivant portait bien toujours des bijoux d’émail noir et de bois durci, mais n’en songeait pas moins au remariage. Quand il fut sérieusement question de convoler, le poids de l’airain devint insupportable. Tout le monde y pensait, aucun n’en parlait. L’instinct maternel arrangea tout. Un après-midi, Céline, sans faire semblant de rien, dirigea la promenade du côté de la tombe. O merveille! Le presse-papier avait disparu. Soulagement muet auquel nul ne fit allusion, mais dontse desserra la contrainte commune. Personne n’en croyait ses yeux.Céline avait fait enlever, puisenterrercette pauvre étreinte de cuivre vert-de-grisé, ni plus ni moins que si elle eût été en os et en chair!«Ils furent heureux, et eurent beaucoup d’enfants.»
IIIElle collectionnait lesbreloques, les commandant par douze douzaines, afin d’en inonder les ventes de charité, ou d’en décorer les amis qui se contentent de peu. Mais sa plus proverbiale manie consistait àdemander des adresses, à tout bout de champ, hors de propos, et presque sans jeter un regard sur l’objet qu’elle croyait désirer.Un jour, à Paris, rentrant de la promenade, on lui remit le billet d’une visiteuse, dont le bristol l’enchanta. Vite, il fallut répondre, pour savoir d’où venait lacarte-correspondance. Celle qui yavait inscrit son bonjour fit savoir, un peu embarrassée, que le mot avait été tracé, par elle, chez Madame d’Entragues elle-même, sur le premier carton venu, que lui présentait la concierge.Traits de caractère: quelques années auparavant, on avait reçu la visite d’une amie affligée de famille. Au cours de ce séjour, durant une de ces interminables séances de salon qui sont la plaie des villégiatures, Céline, qui adorait correspondre à vide, griffonnait devant son «bonheur-du-jour»; elle gribouillait (sur les feuilles blanches détachées des billets de faire-part) une lettre à Madame de Gersaint, l’amie du cœur. Tout à coup, l’épistolière poussa un cri: l’encrier venait de se renverser sur le quatorzième feuillet, bourré denunus, de l’épître envoie d’achèvement. Marie (l’invitée s’appelait ainsi), Marie, complaisante,s’élança pour parer au désastre. Tandis qu’elle rendait ce service, ses yeux furent invinciblement attirés par son nom, au milieu d’une page. Elle lut, malgré soi, elle lut ceci: «Marie est ici, avec ses cinq insupportables enfants. Ils consomment, tous les matins, onze pots de lait, neuf pots de café, et je me demande vraiment quand ils vont se décider à...»—Reliqua desunt.Le reste manquait.Quand tout fut remis en ordre, Céline acheva sa missive. Alors on entendit une voix qui s’élevait. C’était la voix de Marie. Elle disait doucement: «Céline,avez-vous beaucoup de vaches?»Deuxième trait: Charles en était à sa seconde union. La première avait été heureuse, et douloureuse à la fois. On s’aimait... vint la maladie, puis la mort. Le désespoir du veuf fut poignant. Ilexigea le moulage de sa main nouée aux doigts de la défunte. Le résultat fut un beau presse-papier de bronze patiné, que l’on fit encastrer dans le mausolée.—Ces grands mouvements, en se refroidissant, créent parfois des situations embarrassantes. Ce fut le cas. Au bout d’un temps (pas très long), le presse-papier pesa sur toute la famille. Le survivant portait bien toujours des bijoux d’émail noir et de bois durci, mais n’en songeait pas moins au remariage. Quand il fut sérieusement question de convoler, le poids de l’airain devint insupportable. Tout le monde y pensait, aucun n’en parlait. L’instinct maternel arrangea tout. Un après-midi, Céline, sans faire semblant de rien, dirigea la promenade du côté de la tombe. O merveille! Le presse-papier avait disparu. Soulagement muet auquel nul ne fit allusion, mais dontse desserra la contrainte commune. Personne n’en croyait ses yeux.Céline avait fait enlever, puisenterrercette pauvre étreinte de cuivre vert-de-grisé, ni plus ni moins que si elle eût été en os et en chair!«Ils furent heureux, et eurent beaucoup d’enfants.»
Elle collectionnait lesbreloques, les commandant par douze douzaines, afin d’en inonder les ventes de charité, ou d’en décorer les amis qui se contentent de peu. Mais sa plus proverbiale manie consistait àdemander des adresses, à tout bout de champ, hors de propos, et presque sans jeter un regard sur l’objet qu’elle croyait désirer.
Un jour, à Paris, rentrant de la promenade, on lui remit le billet d’une visiteuse, dont le bristol l’enchanta. Vite, il fallut répondre, pour savoir d’où venait lacarte-correspondance. Celle qui yavait inscrit son bonjour fit savoir, un peu embarrassée, que le mot avait été tracé, par elle, chez Madame d’Entragues elle-même, sur le premier carton venu, que lui présentait la concierge.
Traits de caractère: quelques années auparavant, on avait reçu la visite d’une amie affligée de famille. Au cours de ce séjour, durant une de ces interminables séances de salon qui sont la plaie des villégiatures, Céline, qui adorait correspondre à vide, griffonnait devant son «bonheur-du-jour»; elle gribouillait (sur les feuilles blanches détachées des billets de faire-part) une lettre à Madame de Gersaint, l’amie du cœur. Tout à coup, l’épistolière poussa un cri: l’encrier venait de se renverser sur le quatorzième feuillet, bourré denunus, de l’épître envoie d’achèvement. Marie (l’invitée s’appelait ainsi), Marie, complaisante,s’élança pour parer au désastre. Tandis qu’elle rendait ce service, ses yeux furent invinciblement attirés par son nom, au milieu d’une page. Elle lut, malgré soi, elle lut ceci: «Marie est ici, avec ses cinq insupportables enfants. Ils consomment, tous les matins, onze pots de lait, neuf pots de café, et je me demande vraiment quand ils vont se décider à...»—Reliqua desunt.Le reste manquait.
Quand tout fut remis en ordre, Céline acheva sa missive. Alors on entendit une voix qui s’élevait. C’était la voix de Marie. Elle disait doucement: «Céline,avez-vous beaucoup de vaches?»
Deuxième trait: Charles en était à sa seconde union. La première avait été heureuse, et douloureuse à la fois. On s’aimait... vint la maladie, puis la mort. Le désespoir du veuf fut poignant. Ilexigea le moulage de sa main nouée aux doigts de la défunte. Le résultat fut un beau presse-papier de bronze patiné, que l’on fit encastrer dans le mausolée.—Ces grands mouvements, en se refroidissant, créent parfois des situations embarrassantes. Ce fut le cas. Au bout d’un temps (pas très long), le presse-papier pesa sur toute la famille. Le survivant portait bien toujours des bijoux d’émail noir et de bois durci, mais n’en songeait pas moins au remariage. Quand il fut sérieusement question de convoler, le poids de l’airain devint insupportable. Tout le monde y pensait, aucun n’en parlait. L’instinct maternel arrangea tout. Un après-midi, Céline, sans faire semblant de rien, dirigea la promenade du côté de la tombe. O merveille! Le presse-papier avait disparu. Soulagement muet auquel nul ne fit allusion, mais dontse desserra la contrainte commune. Personne n’en croyait ses yeux.
Céline avait fait enlever, puisenterrercette pauvre étreinte de cuivre vert-de-grisé, ni plus ni moins que si elle eût été en os et en chair!
«Ils furent heureux, et eurent beaucoup d’enfants.»