IVL’abnégation de Céline fut d’autant plus méritoire, en la circonstance, que sa nature, toute portée à l’ordre étriqué, au rangement des armoires, aux économies de chandelles, ne dut pas renoncer sans peine à l’objet, ensemble artiste et humain, qu’elle immolait à la maternité et qu’elle sacrifiait à la terre. Nécessité fait loi; mais, encore une fois, il y eut presque une action d’éclat, une victoire de tempérament dans cette réaction obscure.L’exposé de certains détails le mettra mieux en lumière. Une telle châtelaineavait réussi, on ne sait comment, à trouver un acquéreur pour les vieux journaux; elle ficelait, par paquets de cent, les timbres ordinaires, oblitérés, et recevait pour cela, d’un teinturier qui en extrayait la couleur, un sou, quand la collection dépassait plusieurs mille; elle retournait les enveloppes, décollait, puis recollait leurs bords, et les employait, sous cette nouvelle forme, en inscrivant l’adresse au revers. Aussi se montra-t-elle réfractaire à l’usage des enveloppes doublées, mal commodes pour ce trafic.Notez qu’elle n’était pasavare; elle étaitutilisatrice. Son fils, qui l’aimait pourtant bien, ne put s’empêcher de rire, lorsqu’il découvrit, au fond d’un tiroir, une boîte sur laquelle la bonne dame avait tracé, de son écriture vieillotte: «Petits bouts de ficelle,ne pouvant servir à rien.»Est-il vrai qu’une telle femme ne fût pas avare? Voici, du moins, comment elle conciliait la charité et l’économie. Du temps qu’elle avait de bons yeux, elle se levait aussi tôt que la Grande Catherine, laquelle, on le sait, allumait elle-même son feu, et faillit, un jour, griller un ramoneur qui croyait pouvoir, de si bon matin, vaquer, sans danger, à sa besogne charbonneuse. Céline piquait alors des paillettes sur des abat-jour et des éventails, où elles contournaient, suivant un procédé repris auXVIIIesiècle, de menues gravures pseudo Louis XVI. Elle avait trouvé une débitante qui lui écoulait ça, prélevait un gain et tondait sur la fourniture. Céline, elle, alimentait ses aumônes avec ces profits, très consciencieusement, d’ailleurs. Jamais elle n’aurait fait communiquer sa bourse de don et sa bourse de jeu. Peucasuiste, elle vivait en bon ménage avec un sophisme. Elle ne donnait pasdu sien, comme nous le recommande l’Évangile; elle donnait l’argent des autres, et se croyait en règle, parce que c’était lefruit de son travail; oubliant qu’un tel geste n’est beau que s’il vient de ceux qui sontsans ressources.En un mot, elle prétendait utiliser la sueur d’un front qui n’avait jamais connu cette noble couronne.
IVL’abnégation de Céline fut d’autant plus méritoire, en la circonstance, que sa nature, toute portée à l’ordre étriqué, au rangement des armoires, aux économies de chandelles, ne dut pas renoncer sans peine à l’objet, ensemble artiste et humain, qu’elle immolait à la maternité et qu’elle sacrifiait à la terre. Nécessité fait loi; mais, encore une fois, il y eut presque une action d’éclat, une victoire de tempérament dans cette réaction obscure.L’exposé de certains détails le mettra mieux en lumière. Une telle châtelaineavait réussi, on ne sait comment, à trouver un acquéreur pour les vieux journaux; elle ficelait, par paquets de cent, les timbres ordinaires, oblitérés, et recevait pour cela, d’un teinturier qui en extrayait la couleur, un sou, quand la collection dépassait plusieurs mille; elle retournait les enveloppes, décollait, puis recollait leurs bords, et les employait, sous cette nouvelle forme, en inscrivant l’adresse au revers. Aussi se montra-t-elle réfractaire à l’usage des enveloppes doublées, mal commodes pour ce trafic.Notez qu’elle n’était pasavare; elle étaitutilisatrice. Son fils, qui l’aimait pourtant bien, ne put s’empêcher de rire, lorsqu’il découvrit, au fond d’un tiroir, une boîte sur laquelle la bonne dame avait tracé, de son écriture vieillotte: «Petits bouts de ficelle,ne pouvant servir à rien.»Est-il vrai qu’une telle femme ne fût pas avare? Voici, du moins, comment elle conciliait la charité et l’économie. Du temps qu’elle avait de bons yeux, elle se levait aussi tôt que la Grande Catherine, laquelle, on le sait, allumait elle-même son feu, et faillit, un jour, griller un ramoneur qui croyait pouvoir, de si bon matin, vaquer, sans danger, à sa besogne charbonneuse. Céline piquait alors des paillettes sur des abat-jour et des éventails, où elles contournaient, suivant un procédé repris auXVIIIesiècle, de menues gravures pseudo Louis XVI. Elle avait trouvé une débitante qui lui écoulait ça, prélevait un gain et tondait sur la fourniture. Céline, elle, alimentait ses aumônes avec ces profits, très consciencieusement, d’ailleurs. Jamais elle n’aurait fait communiquer sa bourse de don et sa bourse de jeu. Peucasuiste, elle vivait en bon ménage avec un sophisme. Elle ne donnait pasdu sien, comme nous le recommande l’Évangile; elle donnait l’argent des autres, et se croyait en règle, parce que c’était lefruit de son travail; oubliant qu’un tel geste n’est beau que s’il vient de ceux qui sontsans ressources.En un mot, elle prétendait utiliser la sueur d’un front qui n’avait jamais connu cette noble couronne.
L’abnégation de Céline fut d’autant plus méritoire, en la circonstance, que sa nature, toute portée à l’ordre étriqué, au rangement des armoires, aux économies de chandelles, ne dut pas renoncer sans peine à l’objet, ensemble artiste et humain, qu’elle immolait à la maternité et qu’elle sacrifiait à la terre. Nécessité fait loi; mais, encore une fois, il y eut presque une action d’éclat, une victoire de tempérament dans cette réaction obscure.
L’exposé de certains détails le mettra mieux en lumière. Une telle châtelaineavait réussi, on ne sait comment, à trouver un acquéreur pour les vieux journaux; elle ficelait, par paquets de cent, les timbres ordinaires, oblitérés, et recevait pour cela, d’un teinturier qui en extrayait la couleur, un sou, quand la collection dépassait plusieurs mille; elle retournait les enveloppes, décollait, puis recollait leurs bords, et les employait, sous cette nouvelle forme, en inscrivant l’adresse au revers. Aussi se montra-t-elle réfractaire à l’usage des enveloppes doublées, mal commodes pour ce trafic.
Notez qu’elle n’était pasavare; elle étaitutilisatrice. Son fils, qui l’aimait pourtant bien, ne put s’empêcher de rire, lorsqu’il découvrit, au fond d’un tiroir, une boîte sur laquelle la bonne dame avait tracé, de son écriture vieillotte: «Petits bouts de ficelle,ne pouvant servir à rien.»
Est-il vrai qu’une telle femme ne fût pas avare? Voici, du moins, comment elle conciliait la charité et l’économie. Du temps qu’elle avait de bons yeux, elle se levait aussi tôt que la Grande Catherine, laquelle, on le sait, allumait elle-même son feu, et faillit, un jour, griller un ramoneur qui croyait pouvoir, de si bon matin, vaquer, sans danger, à sa besogne charbonneuse. Céline piquait alors des paillettes sur des abat-jour et des éventails, où elles contournaient, suivant un procédé repris auXVIIIesiècle, de menues gravures pseudo Louis XVI. Elle avait trouvé une débitante qui lui écoulait ça, prélevait un gain et tondait sur la fourniture. Céline, elle, alimentait ses aumônes avec ces profits, très consciencieusement, d’ailleurs. Jamais elle n’aurait fait communiquer sa bourse de don et sa bourse de jeu. Peucasuiste, elle vivait en bon ménage avec un sophisme. Elle ne donnait pasdu sien, comme nous le recommande l’Évangile; elle donnait l’argent des autres, et se croyait en règle, parce que c’était lefruit de son travail; oubliant qu’un tel geste n’est beau que s’il vient de ceux qui sontsans ressources.
En un mot, elle prétendait utiliser la sueur d’un front qui n’avait jamais connu cette noble couronne.