LXV

LXVCette même matinée offrit encore à Miss un sujet d’amusement. Il y avait là une Dame Chilienne surchargée de bijoux énormes qu’elle portait, d’ailleurs, sans affectation, parce qu’elle les avait, et qu’il faut bien se faire honneur de ce qu’on a. Survint une petite personne, à la fois entravée et agitée, dont toute la parure consistait en un pendentif genre faux Lalique. D’un coup de monocle circulaire, elle avisa notre bijoutière et résolut de lui en remontrer (Henriette aurait dit «boucher un coin») dans le sens de l’éclat. Donc, elle se mit à lui dégoiser,séance tenante, un Gotha de facture, au cours duquel s’entre-choquaient des prénoms et des principautés, des duchés et des particules. Il y avait des morganatiques et des médiatisés, desAnna, desMarie, desRoseet jusqu’à desViolette. Une fois asséné ce coup de caveçon pseudo-aristocratique, la petite personne s’éloigna, fière de son effet, sûre de son fait.La Chilienne qui, pendant ce temps-là, roulait de ses cabochons et clignait de ses facettes, demeurait à la fois indifférente et effarée: «Pourquoi est-ce qu’elle m’a dit tout ça?» conclut-elle simplement dans l’oreille de sa voisine. Celle-ci, qui était maligne, songeait, avec cet intérieur tutoiement qui fait justice des écrins: «Elle t’a dit tout ça pour les beaux yeux de tes pierres. Son pendentif n’étant pas de force àlutter avec tes solitaires, elle t’a sorti ce qu’elle considère comme des carats sociaux dont, malheureusement, plusieurs sont entoc.»Mademoiselle faisait encore son profit d’une histoire de peintre, un peintre dont François Premier n’aurait peut-être pas ramassé le pinceau, mais dont le Baron de Nucingen et le Père Grandet auraient écouté les conseils. Les hésitations de sa brosse cherchaient à se consoler avec les erreurs de sa plume. Celle-ci, donc, s’étant exercée à propos d’une troupe de ballets étrangers, rendit hommage de son mieux (qui était le moindre) à tous les sujets, sauf un, qui était le premier, dont le mérite lui échappait au point qu’il s’abstint de le mentionner. Entre-temps, des voix autorisées ayant proclamé cette grande artiste, notre Grassou, qui avait omis de la nommer,résolut de la peindre et entreprit de la «raser» (toujours selon le vocabulaire d’Henriette) pour obtenir des séances, lesquelles devaient débuter par des photographies.La Dame vint, posa devant l’appareil qui devait fournir au peintre lespositifséléments d’un chef-d’œuvre... et, deux jours après,reçut la note du photographe, qu’elle régla (sic!). Comble de dommage et de déveine, ces photographies, assez niaises pour représenter une Arabe dans une attitude Égyptienne, avaient été prises devant un buste, qui avait tout l’air d’être celui du dieu des Vents!Notre institutrice en disponibilité, qui recueillait, en vue d’une prochaine éducation, des exemples de valeur morale, nota celui-ci, dans son calepin, au-dessous de cette rubrique appropriée:Exquise Délicatesse.Une autre rubrique était encore la suivante:Suprême Éloge. «Quelle est, disait l’Étrangère, sous cette inspiration, la plus belle louange qui se puisse adresser à un propriétaire faisant les honneurs de sa nouvelle résidence? Serait-ce, par exemple, de dire: «Vous voici enfin logé conformément à votre mérite...» ou bien: «Que ce cadre est digne de vous!» Grave erreur! Le compliment qui, pour sembler un peu inverse, n’en apparaît pas moins comme le plus complet, parce qu’il émane véritablement de la sincérité, de l’émotion, de l’élan, sera celui-ci: «Voilà ce qu’il nous aurait fallu!»C’est ainsi qu’un frère, renseigné sur les effrayants résultats d’une opération faite à son frère, s’était écrié, non pas: «Comme il a dû souffrir!» mais: «Il faudra que je me surveille!»Ceci fut encore conté. Sollicitée pour une entreprise de charité, une dame-auteur riche et pingre avait répondu: «Je vous donnerai mon talent.» Elle n’en avait point. Une autre dame, en tête d’un petit bouquin de vers offert à un homme de génie, avait écrit: «Devant qui je suis sans orgueil.»—Pourquoi en aurait-elle eu?On voit que la visiteuse n’avait pas perdu son temps à ce thé philosophique.Il en fut de même à certain dîner chic où elle figurait en guise de bout de table. Miss entendit une invitée de marque dire, de leur hôte, que c’était un Abailard naturel qui aurait pu jouer le rôle des chapons, sans le secours du couteau, et garder le sérail sans plus de cérémonie. Il en résultait que la patronne aurait, elle-même, pu jouer le rôle delaVestale, sans Spontini, et d’Iphigénie, sans Tauride.L’Irlandaise, qui avait la bosse de la reconnaissance, jugea que, du fait d’une telle conviée, c’était mal remercier d’avoir été invitée à «bouffer» dans la pâte tendre.En faisant choix de cette expression, L’Insulaire députa, dans la direction du Vert-Marais, un souvenir à la fois ironique et attendri.

LXVCette même matinée offrit encore à Miss un sujet d’amusement. Il y avait là une Dame Chilienne surchargée de bijoux énormes qu’elle portait, d’ailleurs, sans affectation, parce qu’elle les avait, et qu’il faut bien se faire honneur de ce qu’on a. Survint une petite personne, à la fois entravée et agitée, dont toute la parure consistait en un pendentif genre faux Lalique. D’un coup de monocle circulaire, elle avisa notre bijoutière et résolut de lui en remontrer (Henriette aurait dit «boucher un coin») dans le sens de l’éclat. Donc, elle se mit à lui dégoiser,séance tenante, un Gotha de facture, au cours duquel s’entre-choquaient des prénoms et des principautés, des duchés et des particules. Il y avait des morganatiques et des médiatisés, desAnna, desMarie, desRoseet jusqu’à desViolette. Une fois asséné ce coup de caveçon pseudo-aristocratique, la petite personne s’éloigna, fière de son effet, sûre de son fait.La Chilienne qui, pendant ce temps-là, roulait de ses cabochons et clignait de ses facettes, demeurait à la fois indifférente et effarée: «Pourquoi est-ce qu’elle m’a dit tout ça?» conclut-elle simplement dans l’oreille de sa voisine. Celle-ci, qui était maligne, songeait, avec cet intérieur tutoiement qui fait justice des écrins: «Elle t’a dit tout ça pour les beaux yeux de tes pierres. Son pendentif n’étant pas de force àlutter avec tes solitaires, elle t’a sorti ce qu’elle considère comme des carats sociaux dont, malheureusement, plusieurs sont entoc.»Mademoiselle faisait encore son profit d’une histoire de peintre, un peintre dont François Premier n’aurait peut-être pas ramassé le pinceau, mais dont le Baron de Nucingen et le Père Grandet auraient écouté les conseils. Les hésitations de sa brosse cherchaient à se consoler avec les erreurs de sa plume. Celle-ci, donc, s’étant exercée à propos d’une troupe de ballets étrangers, rendit hommage de son mieux (qui était le moindre) à tous les sujets, sauf un, qui était le premier, dont le mérite lui échappait au point qu’il s’abstint de le mentionner. Entre-temps, des voix autorisées ayant proclamé cette grande artiste, notre Grassou, qui avait omis de la nommer,résolut de la peindre et entreprit de la «raser» (toujours selon le vocabulaire d’Henriette) pour obtenir des séances, lesquelles devaient débuter par des photographies.La Dame vint, posa devant l’appareil qui devait fournir au peintre lespositifséléments d’un chef-d’œuvre... et, deux jours après,reçut la note du photographe, qu’elle régla (sic!). Comble de dommage et de déveine, ces photographies, assez niaises pour représenter une Arabe dans une attitude Égyptienne, avaient été prises devant un buste, qui avait tout l’air d’être celui du dieu des Vents!Notre institutrice en disponibilité, qui recueillait, en vue d’une prochaine éducation, des exemples de valeur morale, nota celui-ci, dans son calepin, au-dessous de cette rubrique appropriée:Exquise Délicatesse.Une autre rubrique était encore la suivante:Suprême Éloge. «Quelle est, disait l’Étrangère, sous cette inspiration, la plus belle louange qui se puisse adresser à un propriétaire faisant les honneurs de sa nouvelle résidence? Serait-ce, par exemple, de dire: «Vous voici enfin logé conformément à votre mérite...» ou bien: «Que ce cadre est digne de vous!» Grave erreur! Le compliment qui, pour sembler un peu inverse, n’en apparaît pas moins comme le plus complet, parce qu’il émane véritablement de la sincérité, de l’émotion, de l’élan, sera celui-ci: «Voilà ce qu’il nous aurait fallu!»C’est ainsi qu’un frère, renseigné sur les effrayants résultats d’une opération faite à son frère, s’était écrié, non pas: «Comme il a dû souffrir!» mais: «Il faudra que je me surveille!»Ceci fut encore conté. Sollicitée pour une entreprise de charité, une dame-auteur riche et pingre avait répondu: «Je vous donnerai mon talent.» Elle n’en avait point. Une autre dame, en tête d’un petit bouquin de vers offert à un homme de génie, avait écrit: «Devant qui je suis sans orgueil.»—Pourquoi en aurait-elle eu?On voit que la visiteuse n’avait pas perdu son temps à ce thé philosophique.Il en fut de même à certain dîner chic où elle figurait en guise de bout de table. Miss entendit une invitée de marque dire, de leur hôte, que c’était un Abailard naturel qui aurait pu jouer le rôle des chapons, sans le secours du couteau, et garder le sérail sans plus de cérémonie. Il en résultait que la patronne aurait, elle-même, pu jouer le rôle delaVestale, sans Spontini, et d’Iphigénie, sans Tauride.L’Irlandaise, qui avait la bosse de la reconnaissance, jugea que, du fait d’une telle conviée, c’était mal remercier d’avoir été invitée à «bouffer» dans la pâte tendre.En faisant choix de cette expression, L’Insulaire députa, dans la direction du Vert-Marais, un souvenir à la fois ironique et attendri.

Cette même matinée offrit encore à Miss un sujet d’amusement. Il y avait là une Dame Chilienne surchargée de bijoux énormes qu’elle portait, d’ailleurs, sans affectation, parce qu’elle les avait, et qu’il faut bien se faire honneur de ce qu’on a. Survint une petite personne, à la fois entravée et agitée, dont toute la parure consistait en un pendentif genre faux Lalique. D’un coup de monocle circulaire, elle avisa notre bijoutière et résolut de lui en remontrer (Henriette aurait dit «boucher un coin») dans le sens de l’éclat. Donc, elle se mit à lui dégoiser,séance tenante, un Gotha de facture, au cours duquel s’entre-choquaient des prénoms et des principautés, des duchés et des particules. Il y avait des morganatiques et des médiatisés, desAnna, desMarie, desRoseet jusqu’à desViolette. Une fois asséné ce coup de caveçon pseudo-aristocratique, la petite personne s’éloigna, fière de son effet, sûre de son fait.

La Chilienne qui, pendant ce temps-là, roulait de ses cabochons et clignait de ses facettes, demeurait à la fois indifférente et effarée: «Pourquoi est-ce qu’elle m’a dit tout ça?» conclut-elle simplement dans l’oreille de sa voisine. Celle-ci, qui était maligne, songeait, avec cet intérieur tutoiement qui fait justice des écrins: «Elle t’a dit tout ça pour les beaux yeux de tes pierres. Son pendentif n’étant pas de force àlutter avec tes solitaires, elle t’a sorti ce qu’elle considère comme des carats sociaux dont, malheureusement, plusieurs sont entoc.»

Mademoiselle faisait encore son profit d’une histoire de peintre, un peintre dont François Premier n’aurait peut-être pas ramassé le pinceau, mais dont le Baron de Nucingen et le Père Grandet auraient écouté les conseils. Les hésitations de sa brosse cherchaient à se consoler avec les erreurs de sa plume. Celle-ci, donc, s’étant exercée à propos d’une troupe de ballets étrangers, rendit hommage de son mieux (qui était le moindre) à tous les sujets, sauf un, qui était le premier, dont le mérite lui échappait au point qu’il s’abstint de le mentionner. Entre-temps, des voix autorisées ayant proclamé cette grande artiste, notre Grassou, qui avait omis de la nommer,résolut de la peindre et entreprit de la «raser» (toujours selon le vocabulaire d’Henriette) pour obtenir des séances, lesquelles devaient débuter par des photographies.

La Dame vint, posa devant l’appareil qui devait fournir au peintre lespositifséléments d’un chef-d’œuvre... et, deux jours après,reçut la note du photographe, qu’elle régla (sic!). Comble de dommage et de déveine, ces photographies, assez niaises pour représenter une Arabe dans une attitude Égyptienne, avaient été prises devant un buste, qui avait tout l’air d’être celui du dieu des Vents!

Notre institutrice en disponibilité, qui recueillait, en vue d’une prochaine éducation, des exemples de valeur morale, nota celui-ci, dans son calepin, au-dessous de cette rubrique appropriée:Exquise Délicatesse.

Une autre rubrique était encore la suivante:Suprême Éloge. «Quelle est, disait l’Étrangère, sous cette inspiration, la plus belle louange qui se puisse adresser à un propriétaire faisant les honneurs de sa nouvelle résidence? Serait-ce, par exemple, de dire: «Vous voici enfin logé conformément à votre mérite...» ou bien: «Que ce cadre est digne de vous!» Grave erreur! Le compliment qui, pour sembler un peu inverse, n’en apparaît pas moins comme le plus complet, parce qu’il émane véritablement de la sincérité, de l’émotion, de l’élan, sera celui-ci: «Voilà ce qu’il nous aurait fallu!»

C’est ainsi qu’un frère, renseigné sur les effrayants résultats d’une opération faite à son frère, s’était écrié, non pas: «Comme il a dû souffrir!» mais: «Il faudra que je me surveille!»

Ceci fut encore conté. Sollicitée pour une entreprise de charité, une dame-auteur riche et pingre avait répondu: «Je vous donnerai mon talent.» Elle n’en avait point. Une autre dame, en tête d’un petit bouquin de vers offert à un homme de génie, avait écrit: «Devant qui je suis sans orgueil.»—Pourquoi en aurait-elle eu?

On voit que la visiteuse n’avait pas perdu son temps à ce thé philosophique.

Il en fut de même à certain dîner chic où elle figurait en guise de bout de table. Miss entendit une invitée de marque dire, de leur hôte, que c’était un Abailard naturel qui aurait pu jouer le rôle des chapons, sans le secours du couteau, et garder le sérail sans plus de cérémonie. Il en résultait que la patronne aurait, elle-même, pu jouer le rôle delaVestale, sans Spontini, et d’Iphigénie, sans Tauride.

L’Irlandaise, qui avait la bosse de la reconnaissance, jugea que, du fait d’une telle conviée, c’était mal remercier d’avoir été invitée à «bouffer» dans la pâte tendre.

En faisant choix de cette expression, L’Insulaire députa, dans la direction du Vert-Marais, un souvenir à la fois ironique et attendri.


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