XIX

XIXMademoiselle manifesta l’intention de porter ainsi à la scène quelques-uns de nos grands auteurs. Elle avait eu à se louer de ce moyen qui faisait fraterniser la récréation avec l’étude. Il n’allait pas sans trouble pour la vie de famille. Quoi de plus impatientant que d’entendre, comme il advint, les deux futures communiantes, à tout bout de champ, au coin de corridor, se lancer jusqu’à en faire une sorte decorbillonsous-marin, les fragments du couplet des poulpes: «la jararaca a un sifflement, l’espadon a un glaive...», etc., etc...?L’Institutrice eut beau affirmer que le procédé était excellent à plusieurs points de vue, qu’il assouplissait l’esprit, et que la phonétique y trouvait son compte, les petites interprètes de Victor Hugo se virent interdire sévèrement l’exercice de linguistique.Tout rentra dans l’ordre. Les leçons reprirent, l’instruction religieuse se poursuivit. Décidément, Mademoiselle était uneoriginale. Telle quelle, on l’accepta. Les écolières adoraient leur institutrice; même la plus jeune lui marquait une tendresse dont la mère fut jalouse.Un jour que Miss Winter avait conduit les enfants au catéchisme, toutes trois revinrent en portant un paquet fort long, dont le contenu fut étalé sur la table. C’était un ornement d’église, un ornement bleu. La couleur n’en était pas liturgique, il ne pouvait servir. Monsieurle Curé n’avait donc fait aucune difficulté de le céder, pour une somme de cinquante francs, à Mademoiselle, qui en était enchantée, projetant déjà de transformer la pale en dessous de lampe, l’étole, en réticule, et le voile, en coussin.Henriette bondit. Elle professait une aversion toute particulière pour cette forme d’utilisation des objets du culte. Cette chrétienne sincère, sinon très éclairée, lui attribuait une part de l’indifférence ou du discrédit dans lesquels sont tombées beaucoup de pratiques religieuses. Que deviennent le prestige et l’édification qui s’attachaient au calice et à l’encensoir quand on retrouve, dans le salon, ou dans l’atelier, le premier, métamorphosé en vase de fleurs, et le second, en cassolette? La Comtesse s’élevait avec force contre ces malédifiants abus. Mademoiselle ne pouvait tomber plus malavec son ornement désaffecté. Elle eut beau faire valoir qu’il était bleu, hors d’usage, et forcément voué à l’obscurité du tiroir, non moins qu’à l’interdiction de la sacristie, la Dame fut inexorable. C’était une impiété de changer en voile de fauteuil un fragment d’étoffe qui avait servi au Saint-Sacrement de l’Autel.Mademoiselle se contenta de répondre que l’impiété, et celle-là, plus notoire, avait commencé de se manifester en utilisant au Saint-Sacrement de l’Autel des robes qui avaient dansé sur des corps de Favorites. (L’étoffe était Louis-Quinze et d’une élégance qui justifiait la supposition.)A une personne d’esprit, la réflexion pouvait sembler judicieuse; mais, encore une fois, la personne d’esprit ne se trouvait pas là.Donc la Comtesse affirma qu’elle sechargeait de faire entendre raison au Curé. Elle lui renvoya l’ornement.Le prêtre retourna la somme directement à Mademoiselle, qui la refusa, l’abandonnant pour les pauvres.

XIXMademoiselle manifesta l’intention de porter ainsi à la scène quelques-uns de nos grands auteurs. Elle avait eu à se louer de ce moyen qui faisait fraterniser la récréation avec l’étude. Il n’allait pas sans trouble pour la vie de famille. Quoi de plus impatientant que d’entendre, comme il advint, les deux futures communiantes, à tout bout de champ, au coin de corridor, se lancer jusqu’à en faire une sorte decorbillonsous-marin, les fragments du couplet des poulpes: «la jararaca a un sifflement, l’espadon a un glaive...», etc., etc...?L’Institutrice eut beau affirmer que le procédé était excellent à plusieurs points de vue, qu’il assouplissait l’esprit, et que la phonétique y trouvait son compte, les petites interprètes de Victor Hugo se virent interdire sévèrement l’exercice de linguistique.Tout rentra dans l’ordre. Les leçons reprirent, l’instruction religieuse se poursuivit. Décidément, Mademoiselle était uneoriginale. Telle quelle, on l’accepta. Les écolières adoraient leur institutrice; même la plus jeune lui marquait une tendresse dont la mère fut jalouse.Un jour que Miss Winter avait conduit les enfants au catéchisme, toutes trois revinrent en portant un paquet fort long, dont le contenu fut étalé sur la table. C’était un ornement d’église, un ornement bleu. La couleur n’en était pas liturgique, il ne pouvait servir. Monsieurle Curé n’avait donc fait aucune difficulté de le céder, pour une somme de cinquante francs, à Mademoiselle, qui en était enchantée, projetant déjà de transformer la pale en dessous de lampe, l’étole, en réticule, et le voile, en coussin.Henriette bondit. Elle professait une aversion toute particulière pour cette forme d’utilisation des objets du culte. Cette chrétienne sincère, sinon très éclairée, lui attribuait une part de l’indifférence ou du discrédit dans lesquels sont tombées beaucoup de pratiques religieuses. Que deviennent le prestige et l’édification qui s’attachaient au calice et à l’encensoir quand on retrouve, dans le salon, ou dans l’atelier, le premier, métamorphosé en vase de fleurs, et le second, en cassolette? La Comtesse s’élevait avec force contre ces malédifiants abus. Mademoiselle ne pouvait tomber plus malavec son ornement désaffecté. Elle eut beau faire valoir qu’il était bleu, hors d’usage, et forcément voué à l’obscurité du tiroir, non moins qu’à l’interdiction de la sacristie, la Dame fut inexorable. C’était une impiété de changer en voile de fauteuil un fragment d’étoffe qui avait servi au Saint-Sacrement de l’Autel.Mademoiselle se contenta de répondre que l’impiété, et celle-là, plus notoire, avait commencé de se manifester en utilisant au Saint-Sacrement de l’Autel des robes qui avaient dansé sur des corps de Favorites. (L’étoffe était Louis-Quinze et d’une élégance qui justifiait la supposition.)A une personne d’esprit, la réflexion pouvait sembler judicieuse; mais, encore une fois, la personne d’esprit ne se trouvait pas là.Donc la Comtesse affirma qu’elle sechargeait de faire entendre raison au Curé. Elle lui renvoya l’ornement.Le prêtre retourna la somme directement à Mademoiselle, qui la refusa, l’abandonnant pour les pauvres.

Mademoiselle manifesta l’intention de porter ainsi à la scène quelques-uns de nos grands auteurs. Elle avait eu à se louer de ce moyen qui faisait fraterniser la récréation avec l’étude. Il n’allait pas sans trouble pour la vie de famille. Quoi de plus impatientant que d’entendre, comme il advint, les deux futures communiantes, à tout bout de champ, au coin de corridor, se lancer jusqu’à en faire une sorte decorbillonsous-marin, les fragments du couplet des poulpes: «la jararaca a un sifflement, l’espadon a un glaive...», etc., etc...?

L’Institutrice eut beau affirmer que le procédé était excellent à plusieurs points de vue, qu’il assouplissait l’esprit, et que la phonétique y trouvait son compte, les petites interprètes de Victor Hugo se virent interdire sévèrement l’exercice de linguistique.

Tout rentra dans l’ordre. Les leçons reprirent, l’instruction religieuse se poursuivit. Décidément, Mademoiselle était uneoriginale. Telle quelle, on l’accepta. Les écolières adoraient leur institutrice; même la plus jeune lui marquait une tendresse dont la mère fut jalouse.

Un jour que Miss Winter avait conduit les enfants au catéchisme, toutes trois revinrent en portant un paquet fort long, dont le contenu fut étalé sur la table. C’était un ornement d’église, un ornement bleu. La couleur n’en était pas liturgique, il ne pouvait servir. Monsieurle Curé n’avait donc fait aucune difficulté de le céder, pour une somme de cinquante francs, à Mademoiselle, qui en était enchantée, projetant déjà de transformer la pale en dessous de lampe, l’étole, en réticule, et le voile, en coussin.

Henriette bondit. Elle professait une aversion toute particulière pour cette forme d’utilisation des objets du culte. Cette chrétienne sincère, sinon très éclairée, lui attribuait une part de l’indifférence ou du discrédit dans lesquels sont tombées beaucoup de pratiques religieuses. Que deviennent le prestige et l’édification qui s’attachaient au calice et à l’encensoir quand on retrouve, dans le salon, ou dans l’atelier, le premier, métamorphosé en vase de fleurs, et le second, en cassolette? La Comtesse s’élevait avec force contre ces malédifiants abus. Mademoiselle ne pouvait tomber plus malavec son ornement désaffecté. Elle eut beau faire valoir qu’il était bleu, hors d’usage, et forcément voué à l’obscurité du tiroir, non moins qu’à l’interdiction de la sacristie, la Dame fut inexorable. C’était une impiété de changer en voile de fauteuil un fragment d’étoffe qui avait servi au Saint-Sacrement de l’Autel.

Mademoiselle se contenta de répondre que l’impiété, et celle-là, plus notoire, avait commencé de se manifester en utilisant au Saint-Sacrement de l’Autel des robes qui avaient dansé sur des corps de Favorites. (L’étoffe était Louis-Quinze et d’une élégance qui justifiait la supposition.)

A une personne d’esprit, la réflexion pouvait sembler judicieuse; mais, encore une fois, la personne d’esprit ne se trouvait pas là.

Donc la Comtesse affirma qu’elle sechargeait de faire entendre raison au Curé. Elle lui renvoya l’ornement.

Le prêtre retourna la somme directement à Mademoiselle, qui la refusa, l’abandonnant pour les pauvres.


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