XXIX

XXIXMademoiselle n’en admirait pas moins les manifestations de la Terpsichore étrangère et tout spécialement son projet d’une École de Danse, en plein air, dans un paysage sacré, parmi les murmures de la forêt et le gazouillement des sources. On verra que Miss Winter caressait, elle aussi, un rêve similaire, dans l’ordre de la Pédagogie.Mais là ne se bornaient point ses philanthropiques désirs. Une autre création qui la hantait, c’était la fondation de ce qu’elle appelait leMusée des Aveugles. Peu sensible aux plaisanteries que lui avait values cette désignation, curieusementhumanitaire, elle n’était pas davantage accessible au blâme d’une fausse interprétation, qui l’aurait accusée de manquer de respect, à l’égard de celle des infirmités qui, entre toutes, mérite la déférence émue et l’attention apitoyée. Sa bonne foi lui suffisait; aussi poursuivait-elle son but avec ardeur, avec confiance, et de nombreuses adhésions l’assuraient déjà que son appel avait été entendu, non moins que son aspiration comprise. L’instigatrice avait reçu, mieux que des promesses, des dons, pour cette association audacieuse: un dessin, d’après le Marquis de Clermont-Tonnerre, par un imitateur de Burne-Jones; le portrait de Miss Berthe Capel, par Jacques Blanche; un autre portrait, celui de Monsieur Reynaldo Hahn, au piano, et bouche bée, par Madame Lucie Lambert, pastel qui avait eu les honneurs du Salon et présentaitun remarquable exemple de ce que Baudelaire appelle «fureur stationnaire»; encore de gracieuses œuvres par Flameng, ettutti quanti, sans omettre une charmante composition du Duc de Guiche. Enfin, on avait tout lieu de croire que la générosité, bien connue, de la Comtesse René de Béarn se laisserait fléchir en faveur de l’Institut qu’une touchante devise:Art et Tâtonnementrendait, entre tous, sympathique. La noble Dame, qui partage avec Madame Moore le titre envié deMécène féminin, abandonnerait, on voulait le croire, à cette intention, la célèbre Cène de Dagnan-Bouveret, qui occupe le fond de la Byzance du Septième.L’utilité de tels dons, demanderez-vous peut-être? Sans oublier l’hommage rendu à ceux qu’il ne sied pas exclure du droit de posséder les œuvres d’art,ne peut-on admettre que le toucher d’une toile de Monticelli, par exemple, puisse offrir, avec ses reliefs, au subtil doigté des protégés de Valentin Hauÿ, une volupté d’esthétique?Mais il y a plus; les miracles de Lourdes en font foi, l’extrémité, l’excès du désir jouent un rôle effectif dans les guérisons. Pourquoi la juste soif de voir, d’admirer une peinture de Jacques Blanche ou de Dagnan-Bouveret, ne parviendrait-elle pas à rendre, ne fût-ce qu’un peu de la clarté du jour, à ce qui (toujours en trop grand nombre, hélas!...) survit, parmi nous, de Bélisaire?«Je vois!» s’écriait naguère une aveugle en écoutant la Duse clamer sonIo vede!dansLA VILLE MORTE.Celui qui devrait la vue à un tableau de Blanche commencerait-il par regretter son nouvel état?

XXIXMademoiselle n’en admirait pas moins les manifestations de la Terpsichore étrangère et tout spécialement son projet d’une École de Danse, en plein air, dans un paysage sacré, parmi les murmures de la forêt et le gazouillement des sources. On verra que Miss Winter caressait, elle aussi, un rêve similaire, dans l’ordre de la Pédagogie.Mais là ne se bornaient point ses philanthropiques désirs. Une autre création qui la hantait, c’était la fondation de ce qu’elle appelait leMusée des Aveugles. Peu sensible aux plaisanteries que lui avait values cette désignation, curieusementhumanitaire, elle n’était pas davantage accessible au blâme d’une fausse interprétation, qui l’aurait accusée de manquer de respect, à l’égard de celle des infirmités qui, entre toutes, mérite la déférence émue et l’attention apitoyée. Sa bonne foi lui suffisait; aussi poursuivait-elle son but avec ardeur, avec confiance, et de nombreuses adhésions l’assuraient déjà que son appel avait été entendu, non moins que son aspiration comprise. L’instigatrice avait reçu, mieux que des promesses, des dons, pour cette association audacieuse: un dessin, d’après le Marquis de Clermont-Tonnerre, par un imitateur de Burne-Jones; le portrait de Miss Berthe Capel, par Jacques Blanche; un autre portrait, celui de Monsieur Reynaldo Hahn, au piano, et bouche bée, par Madame Lucie Lambert, pastel qui avait eu les honneurs du Salon et présentaitun remarquable exemple de ce que Baudelaire appelle «fureur stationnaire»; encore de gracieuses œuvres par Flameng, ettutti quanti, sans omettre une charmante composition du Duc de Guiche. Enfin, on avait tout lieu de croire que la générosité, bien connue, de la Comtesse René de Béarn se laisserait fléchir en faveur de l’Institut qu’une touchante devise:Art et Tâtonnementrendait, entre tous, sympathique. La noble Dame, qui partage avec Madame Moore le titre envié deMécène féminin, abandonnerait, on voulait le croire, à cette intention, la célèbre Cène de Dagnan-Bouveret, qui occupe le fond de la Byzance du Septième.L’utilité de tels dons, demanderez-vous peut-être? Sans oublier l’hommage rendu à ceux qu’il ne sied pas exclure du droit de posséder les œuvres d’art,ne peut-on admettre que le toucher d’une toile de Monticelli, par exemple, puisse offrir, avec ses reliefs, au subtil doigté des protégés de Valentin Hauÿ, une volupté d’esthétique?Mais il y a plus; les miracles de Lourdes en font foi, l’extrémité, l’excès du désir jouent un rôle effectif dans les guérisons. Pourquoi la juste soif de voir, d’admirer une peinture de Jacques Blanche ou de Dagnan-Bouveret, ne parviendrait-elle pas à rendre, ne fût-ce qu’un peu de la clarté du jour, à ce qui (toujours en trop grand nombre, hélas!...) survit, parmi nous, de Bélisaire?«Je vois!» s’écriait naguère une aveugle en écoutant la Duse clamer sonIo vede!dansLA VILLE MORTE.Celui qui devrait la vue à un tableau de Blanche commencerait-il par regretter son nouvel état?

Mademoiselle n’en admirait pas moins les manifestations de la Terpsichore étrangère et tout spécialement son projet d’une École de Danse, en plein air, dans un paysage sacré, parmi les murmures de la forêt et le gazouillement des sources. On verra que Miss Winter caressait, elle aussi, un rêve similaire, dans l’ordre de la Pédagogie.

Mais là ne se bornaient point ses philanthropiques désirs. Une autre création qui la hantait, c’était la fondation de ce qu’elle appelait leMusée des Aveugles. Peu sensible aux plaisanteries que lui avait values cette désignation, curieusementhumanitaire, elle n’était pas davantage accessible au blâme d’une fausse interprétation, qui l’aurait accusée de manquer de respect, à l’égard de celle des infirmités qui, entre toutes, mérite la déférence émue et l’attention apitoyée. Sa bonne foi lui suffisait; aussi poursuivait-elle son but avec ardeur, avec confiance, et de nombreuses adhésions l’assuraient déjà que son appel avait été entendu, non moins que son aspiration comprise. L’instigatrice avait reçu, mieux que des promesses, des dons, pour cette association audacieuse: un dessin, d’après le Marquis de Clermont-Tonnerre, par un imitateur de Burne-Jones; le portrait de Miss Berthe Capel, par Jacques Blanche; un autre portrait, celui de Monsieur Reynaldo Hahn, au piano, et bouche bée, par Madame Lucie Lambert, pastel qui avait eu les honneurs du Salon et présentaitun remarquable exemple de ce que Baudelaire appelle «fureur stationnaire»; encore de gracieuses œuvres par Flameng, ettutti quanti, sans omettre une charmante composition du Duc de Guiche. Enfin, on avait tout lieu de croire que la générosité, bien connue, de la Comtesse René de Béarn se laisserait fléchir en faveur de l’Institut qu’une touchante devise:Art et Tâtonnementrendait, entre tous, sympathique. La noble Dame, qui partage avec Madame Moore le titre envié deMécène féminin, abandonnerait, on voulait le croire, à cette intention, la célèbre Cène de Dagnan-Bouveret, qui occupe le fond de la Byzance du Septième.

L’utilité de tels dons, demanderez-vous peut-être? Sans oublier l’hommage rendu à ceux qu’il ne sied pas exclure du droit de posséder les œuvres d’art,ne peut-on admettre que le toucher d’une toile de Monticelli, par exemple, puisse offrir, avec ses reliefs, au subtil doigté des protégés de Valentin Hauÿ, une volupté d’esthétique?

Mais il y a plus; les miracles de Lourdes en font foi, l’extrémité, l’excès du désir jouent un rôle effectif dans les guérisons. Pourquoi la juste soif de voir, d’admirer une peinture de Jacques Blanche ou de Dagnan-Bouveret, ne parviendrait-elle pas à rendre, ne fût-ce qu’un peu de la clarté du jour, à ce qui (toujours en trop grand nombre, hélas!...) survit, parmi nous, de Bélisaire?

«Je vois!» s’écriait naguère une aveugle en écoutant la Duse clamer sonIo vede!dansLA VILLE MORTE.

Celui qui devrait la vue à un tableau de Blanche commencerait-il par regretter son nouvel état?


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