XXV

XXVMademoiselle avait un scrupule. Elle craignait que son délire Hugolâtre ne l’eût entraînée trop loin, ou du moins, de s’être mal expliquée à ce sujet. En effet, un doute pouvait planer; elle ne le voulait pas, ni qu’on pût attribuer à de la méconnaissance, ses sentiments envers notre brillant dramaturge national, pour qui elle avait du goût, sinon un culte, et que la maladroite appréciation d’un journaliste, à force de l’exalter avec excès, semblait plutôt menacer d’écrasement.Pour tout remettre au point, l’Irlandaiserésolut de confier à la Muse d’Edmond Rostand la séance littéraire dont la fête de la Marquise vint lui offrir une familiale occasion. La Comtesse, qui n’avait pas oublié le demi-scandale dela Pieuvre, songea bien à enrayer le nouveau festival; mais elle craignit de paraître peu gracieuse à l’égard de sa belle-mère; et d’un commun accord, on pensa que l’auteur choisi, justement sympathique à tant de masses, ne pouvait que se prêter à de nobles déploiements rythmiques. Seulement, Henriette, qui redoutait une nouvelle dépense de pétrole, décida que lasoiréeferait place à unematinée. Cela éviterait aux enfants la veillée tardive et serait plus commode pour Monsieur le Curé.Miss dut à cette décision de pouvoir emprunter aux Bonnes Sœurs les plus instruites de leurs petites élèvesvillageoises; ce qui lui permit de renforcer le débit et d’organiser des ensembles. Il fut, en outre, convenu que la récitation se bornerait à quelques morceaux, afin de laisser du temps pour goûter et pour faire un tour.A la déception générale, l’organisatrice ne fit pas porter son choix sur quelqu’une de ces tirades célèbres qui ont fait la fortune d’une œuvre, laquelle est, sinon dans toutes les mémoires, du moins dans toutes les bouches; par exemple, le couplet des grands nez ou celui du petit chapeau. Non, l’Étrangère, toujours dédaigneuse des routes piétinées, voulut bien, d’abord, réciter elle-même le joli sonnet intituléSylvette, avec lequel l’auteur fit offrande à Mademoiselle Reichenberg de la brochure desRomanesques. Lorsque la récitante en fut aux deux tercets, elle aigrit volontairement son timbre,déjà sûret, pour l’assortir à ce qu’elle décrivait et réaliser quelque chose du genre de ce que Gautier appelait une «transposition d’art». Voici les vers:«Et ta voix, que faut-il, Suzanne, que j’en dise?Pastille pour la soif, piquante friandise,Cristallisation rose et verte à la fois,Tortillon à la poire, ou bien à la groseille,Fraîche vrille de sucre acidulé, ta voixEst un bonbon anglais qu’on suce avec l’oreille.»Ainsi qu’il y avait lieu de le craindre, la métaphore ne fut pas goûtée; cette inauguration du Drops dans la région auditive dépassait les moyens de l’assistance; la subtilité effara. La Gouvernante n’en prit pas d’ombrage. C’était un mérite de cette nature que de reléguer le succès au second plan. Ce qui lui importait, c’était de se dévouer pour une cause, avec désintéressement et, s’il le fallait, jusqu’au martyre.Elle se contenta donc d’un murmure, qu’elle feignit de croire approbateur, et l’audition continua. Ce fut, alors, le tour de Berthe qui, déjà,disaitavec beaucoup de goût, sous la direction de sa Maîtresse. Elle détailla fort joliment, en dépit de leurs difficultés verbales, les strophes à Catulle Mendès:«Ces vers légers, qu’ils sont profonds;Qu’ils sont tendres, ces vers bouffons!Vraiment, nous nous ébouriffons.Et que tu dises Eleutho,Ou quelque belle de Watteau,Ou Jeanne, du dernier bateau;Que ton marteau d’or pur concasseDu sucre, sur quelque cocasse,Ou que, dans une dédicace,Tu divinises la SarahQue Paris perdit, mais qu’il r’a,La seule qui toujours sera...Tu fais toujours, divin pervers,Loucher tous les poètes versLa perfection de ton vers,Car il est le tissu qui, tulle(Mot vraiment ailé), s’intituleMoins léger que ton vers, Catulle!La taille même de Brandès,Elle est, dans sa souplesse d’S,Moins souple que ton vers, Mendès!»Malheureusement, encore une fois, le succès ne répondit pas à l’entreprise. Les pirouettes du modernisme, les clowneries prosodiques trouvaient réfractaire cet orchestre châtelain. Mais, déjà, la pauvrette, froidement accueillie par un parterre en méfiance, était formée au stoïcisme, grâce à l’Institutrice qui lui avait tenu de forts raisonnements sur l’incompréhension des foules. Lebisfit défaut. On s’obstina. La scène fut envahie par les jeunes villageoises. Chacune d’elles portait à la main un feuillet sur lequel avaient été copiés les vers composés, cette fois, pour Mariani, parl’homme de Cambo. Mademoiselle, accompagnée de ses deux petites élèves, occupait le centre du groupe. Tout à coup, dans un étonnanttutti, qui aurait fait honneur à Habeneck, avec l’ombre de qui sa remplaçante rivalisait, battant la mesure, de l’ivoire d’un coupe-papier, les voix se mirent à scander:A MARIANIdont j’ai toujours un flacon sur ma table de travail.Celui-là n’a rien bu de péremptoire, quiN’aBu qu’un kola banal ou qu’un vague quinquiNa!Ni bisque ni piment, pour qui se mariaNiGingembre n’ont jamais valu le MariaNiEt c’est pourquoi je chanterai, Mariani,QueTon vin est digestif, réconfortant, toni-Que;Et sans fin je ferai répéter à l’échoQu’àTout élixir, toujours, je préfère ton Co-Ca!L’unisson retentit si parfait, si sonore, avec les dessus et les basses de son clavier de voix, les unes aiguës, d’autres plus rudes, mais toutes juvéniles et fraîches—des voix qui avaient gardé les chèvres—que l’impression fut saisissante. L’hésitation fléchit, la résistance céda; une seconde audition fut requise. Elle n’enleva pas moins l’assemblée, d’ailleurs restreinte, mais dont les voisins qui étaient venus s’y joindre, puis les parents des jeunes paysannes, sans omettre les serviteurs de la maison, grossissaient le nombre et l’importance.Des flots de chocolat à l’eau noyèrent le triomphe; mais il fallut encore une sérieuse, presque sévère intervention dela Comtesse, pour empêcher, à force de récidives et de répétitions, par les interprètes en liberté, l’air de bravoure, de tourner en scie.La Marquise se plaignit un peu de n’avoir pas entendu plutôt le joli passage où se trouve ce vers:«Écoutez, les Gascons, c’est toute la Gascogne!...»et qui avait été récité aux familles, le jour de la distribution des prix des Demoiselles de Bonduwe.Miss Winter riposta qu’elle n’aimait pas les sentiers battus, que chacun avait son système d’éducation et qu’il ne fallait pas compter la voir entrer en lutte avec l’Institution Bellemanières.

XXVMademoiselle avait un scrupule. Elle craignait que son délire Hugolâtre ne l’eût entraînée trop loin, ou du moins, de s’être mal expliquée à ce sujet. En effet, un doute pouvait planer; elle ne le voulait pas, ni qu’on pût attribuer à de la méconnaissance, ses sentiments envers notre brillant dramaturge national, pour qui elle avait du goût, sinon un culte, et que la maladroite appréciation d’un journaliste, à force de l’exalter avec excès, semblait plutôt menacer d’écrasement.Pour tout remettre au point, l’Irlandaiserésolut de confier à la Muse d’Edmond Rostand la séance littéraire dont la fête de la Marquise vint lui offrir une familiale occasion. La Comtesse, qui n’avait pas oublié le demi-scandale dela Pieuvre, songea bien à enrayer le nouveau festival; mais elle craignit de paraître peu gracieuse à l’égard de sa belle-mère; et d’un commun accord, on pensa que l’auteur choisi, justement sympathique à tant de masses, ne pouvait que se prêter à de nobles déploiements rythmiques. Seulement, Henriette, qui redoutait une nouvelle dépense de pétrole, décida que lasoiréeferait place à unematinée. Cela éviterait aux enfants la veillée tardive et serait plus commode pour Monsieur le Curé.Miss dut à cette décision de pouvoir emprunter aux Bonnes Sœurs les plus instruites de leurs petites élèvesvillageoises; ce qui lui permit de renforcer le débit et d’organiser des ensembles. Il fut, en outre, convenu que la récitation se bornerait à quelques morceaux, afin de laisser du temps pour goûter et pour faire un tour.A la déception générale, l’organisatrice ne fit pas porter son choix sur quelqu’une de ces tirades célèbres qui ont fait la fortune d’une œuvre, laquelle est, sinon dans toutes les mémoires, du moins dans toutes les bouches; par exemple, le couplet des grands nez ou celui du petit chapeau. Non, l’Étrangère, toujours dédaigneuse des routes piétinées, voulut bien, d’abord, réciter elle-même le joli sonnet intituléSylvette, avec lequel l’auteur fit offrande à Mademoiselle Reichenberg de la brochure desRomanesques. Lorsque la récitante en fut aux deux tercets, elle aigrit volontairement son timbre,déjà sûret, pour l’assortir à ce qu’elle décrivait et réaliser quelque chose du genre de ce que Gautier appelait une «transposition d’art». Voici les vers:«Et ta voix, que faut-il, Suzanne, que j’en dise?Pastille pour la soif, piquante friandise,Cristallisation rose et verte à la fois,Tortillon à la poire, ou bien à la groseille,Fraîche vrille de sucre acidulé, ta voixEst un bonbon anglais qu’on suce avec l’oreille.»Ainsi qu’il y avait lieu de le craindre, la métaphore ne fut pas goûtée; cette inauguration du Drops dans la région auditive dépassait les moyens de l’assistance; la subtilité effara. La Gouvernante n’en prit pas d’ombrage. C’était un mérite de cette nature que de reléguer le succès au second plan. Ce qui lui importait, c’était de se dévouer pour une cause, avec désintéressement et, s’il le fallait, jusqu’au martyre.Elle se contenta donc d’un murmure, qu’elle feignit de croire approbateur, et l’audition continua. Ce fut, alors, le tour de Berthe qui, déjà,disaitavec beaucoup de goût, sous la direction de sa Maîtresse. Elle détailla fort joliment, en dépit de leurs difficultés verbales, les strophes à Catulle Mendès:«Ces vers légers, qu’ils sont profonds;Qu’ils sont tendres, ces vers bouffons!Vraiment, nous nous ébouriffons.Et que tu dises Eleutho,Ou quelque belle de Watteau,Ou Jeanne, du dernier bateau;Que ton marteau d’or pur concasseDu sucre, sur quelque cocasse,Ou que, dans une dédicace,Tu divinises la SarahQue Paris perdit, mais qu’il r’a,La seule qui toujours sera...Tu fais toujours, divin pervers,Loucher tous les poètes versLa perfection de ton vers,Car il est le tissu qui, tulle(Mot vraiment ailé), s’intituleMoins léger que ton vers, Catulle!La taille même de Brandès,Elle est, dans sa souplesse d’S,Moins souple que ton vers, Mendès!»Malheureusement, encore une fois, le succès ne répondit pas à l’entreprise. Les pirouettes du modernisme, les clowneries prosodiques trouvaient réfractaire cet orchestre châtelain. Mais, déjà, la pauvrette, froidement accueillie par un parterre en méfiance, était formée au stoïcisme, grâce à l’Institutrice qui lui avait tenu de forts raisonnements sur l’incompréhension des foules. Lebisfit défaut. On s’obstina. La scène fut envahie par les jeunes villageoises. Chacune d’elles portait à la main un feuillet sur lequel avaient été copiés les vers composés, cette fois, pour Mariani, parl’homme de Cambo. Mademoiselle, accompagnée de ses deux petites élèves, occupait le centre du groupe. Tout à coup, dans un étonnanttutti, qui aurait fait honneur à Habeneck, avec l’ombre de qui sa remplaçante rivalisait, battant la mesure, de l’ivoire d’un coupe-papier, les voix se mirent à scander:A MARIANIdont j’ai toujours un flacon sur ma table de travail.Celui-là n’a rien bu de péremptoire, quiN’aBu qu’un kola banal ou qu’un vague quinquiNa!Ni bisque ni piment, pour qui se mariaNiGingembre n’ont jamais valu le MariaNiEt c’est pourquoi je chanterai, Mariani,QueTon vin est digestif, réconfortant, toni-Que;Et sans fin je ferai répéter à l’échoQu’àTout élixir, toujours, je préfère ton Co-Ca!L’unisson retentit si parfait, si sonore, avec les dessus et les basses de son clavier de voix, les unes aiguës, d’autres plus rudes, mais toutes juvéniles et fraîches—des voix qui avaient gardé les chèvres—que l’impression fut saisissante. L’hésitation fléchit, la résistance céda; une seconde audition fut requise. Elle n’enleva pas moins l’assemblée, d’ailleurs restreinte, mais dont les voisins qui étaient venus s’y joindre, puis les parents des jeunes paysannes, sans omettre les serviteurs de la maison, grossissaient le nombre et l’importance.Des flots de chocolat à l’eau noyèrent le triomphe; mais il fallut encore une sérieuse, presque sévère intervention dela Comtesse, pour empêcher, à force de récidives et de répétitions, par les interprètes en liberté, l’air de bravoure, de tourner en scie.La Marquise se plaignit un peu de n’avoir pas entendu plutôt le joli passage où se trouve ce vers:«Écoutez, les Gascons, c’est toute la Gascogne!...»et qui avait été récité aux familles, le jour de la distribution des prix des Demoiselles de Bonduwe.Miss Winter riposta qu’elle n’aimait pas les sentiers battus, que chacun avait son système d’éducation et qu’il ne fallait pas compter la voir entrer en lutte avec l’Institution Bellemanières.

Mademoiselle avait un scrupule. Elle craignait que son délire Hugolâtre ne l’eût entraînée trop loin, ou du moins, de s’être mal expliquée à ce sujet. En effet, un doute pouvait planer; elle ne le voulait pas, ni qu’on pût attribuer à de la méconnaissance, ses sentiments envers notre brillant dramaturge national, pour qui elle avait du goût, sinon un culte, et que la maladroite appréciation d’un journaliste, à force de l’exalter avec excès, semblait plutôt menacer d’écrasement.

Pour tout remettre au point, l’Irlandaiserésolut de confier à la Muse d’Edmond Rostand la séance littéraire dont la fête de la Marquise vint lui offrir une familiale occasion. La Comtesse, qui n’avait pas oublié le demi-scandale dela Pieuvre, songea bien à enrayer le nouveau festival; mais elle craignit de paraître peu gracieuse à l’égard de sa belle-mère; et d’un commun accord, on pensa que l’auteur choisi, justement sympathique à tant de masses, ne pouvait que se prêter à de nobles déploiements rythmiques. Seulement, Henriette, qui redoutait une nouvelle dépense de pétrole, décida que lasoiréeferait place à unematinée. Cela éviterait aux enfants la veillée tardive et serait plus commode pour Monsieur le Curé.

Miss dut à cette décision de pouvoir emprunter aux Bonnes Sœurs les plus instruites de leurs petites élèvesvillageoises; ce qui lui permit de renforcer le débit et d’organiser des ensembles. Il fut, en outre, convenu que la récitation se bornerait à quelques morceaux, afin de laisser du temps pour goûter et pour faire un tour.

A la déception générale, l’organisatrice ne fit pas porter son choix sur quelqu’une de ces tirades célèbres qui ont fait la fortune d’une œuvre, laquelle est, sinon dans toutes les mémoires, du moins dans toutes les bouches; par exemple, le couplet des grands nez ou celui du petit chapeau. Non, l’Étrangère, toujours dédaigneuse des routes piétinées, voulut bien, d’abord, réciter elle-même le joli sonnet intituléSylvette, avec lequel l’auteur fit offrande à Mademoiselle Reichenberg de la brochure desRomanesques. Lorsque la récitante en fut aux deux tercets, elle aigrit volontairement son timbre,déjà sûret, pour l’assortir à ce qu’elle décrivait et réaliser quelque chose du genre de ce que Gautier appelait une «transposition d’art». Voici les vers:

«Et ta voix, que faut-il, Suzanne, que j’en dise?Pastille pour la soif, piquante friandise,Cristallisation rose et verte à la fois,

Tortillon à la poire, ou bien à la groseille,Fraîche vrille de sucre acidulé, ta voixEst un bonbon anglais qu’on suce avec l’oreille.»

Ainsi qu’il y avait lieu de le craindre, la métaphore ne fut pas goûtée; cette inauguration du Drops dans la région auditive dépassait les moyens de l’assistance; la subtilité effara. La Gouvernante n’en prit pas d’ombrage. C’était un mérite de cette nature que de reléguer le succès au second plan. Ce qui lui importait, c’était de se dévouer pour une cause, avec désintéressement et, s’il le fallait, jusqu’au martyre.

Elle se contenta donc d’un murmure, qu’elle feignit de croire approbateur, et l’audition continua. Ce fut, alors, le tour de Berthe qui, déjà,disaitavec beaucoup de goût, sous la direction de sa Maîtresse. Elle détailla fort joliment, en dépit de leurs difficultés verbales, les strophes à Catulle Mendès:

«Ces vers légers, qu’ils sont profonds;Qu’ils sont tendres, ces vers bouffons!Vraiment, nous nous ébouriffons.

Et que tu dises Eleutho,Ou quelque belle de Watteau,Ou Jeanne, du dernier bateau;

Que ton marteau d’or pur concasseDu sucre, sur quelque cocasse,Ou que, dans une dédicace,

Tu divinises la SarahQue Paris perdit, mais qu’il r’a,La seule qui toujours sera...

Tu fais toujours, divin pervers,Loucher tous les poètes versLa perfection de ton vers,

Car il est le tissu qui, tulle(Mot vraiment ailé), s’intituleMoins léger que ton vers, Catulle!

La taille même de Brandès,Elle est, dans sa souplesse d’S,Moins souple que ton vers, Mendès!»

Malheureusement, encore une fois, le succès ne répondit pas à l’entreprise. Les pirouettes du modernisme, les clowneries prosodiques trouvaient réfractaire cet orchestre châtelain. Mais, déjà, la pauvrette, froidement accueillie par un parterre en méfiance, était formée au stoïcisme, grâce à l’Institutrice qui lui avait tenu de forts raisonnements sur l’incompréhension des foules. Lebisfit défaut. On s’obstina. La scène fut envahie par les jeunes villageoises. Chacune d’elles portait à la main un feuillet sur lequel avaient été copiés les vers composés, cette fois, pour Mariani, parl’homme de Cambo. Mademoiselle, accompagnée de ses deux petites élèves, occupait le centre du groupe. Tout à coup, dans un étonnanttutti, qui aurait fait honneur à Habeneck, avec l’ombre de qui sa remplaçante rivalisait, battant la mesure, de l’ivoire d’un coupe-papier, les voix se mirent à scander:

A MARIANI

dont j’ai toujours un flacon sur ma table de travail.

Celui-là n’a rien bu de péremptoire, quiN’aBu qu’un kola banal ou qu’un vague quinquiNa!Ni bisque ni piment, pour qui se mariaNiGingembre n’ont jamais valu le MariaNiEt c’est pourquoi je chanterai, Mariani,QueTon vin est digestif, réconfortant, toni-Que;Et sans fin je ferai répéter à l’échoQu’àTout élixir, toujours, je préfère ton Co-Ca!

Celui-là n’a rien bu de péremptoire, qui

N’a

Bu qu’un kola banal ou qu’un vague quinqui

Na!

Ni bisque ni piment, pour qui se maria

Ni

Gingembre n’ont jamais valu le Maria

Ni

Et c’est pourquoi je chanterai, Mariani,

Que

Ton vin est digestif, réconfortant, toni-

Que;

Et sans fin je ferai répéter à l’écho

Qu’à

Tout élixir, toujours, je préfère ton Co-

Ca!

L’unisson retentit si parfait, si sonore, avec les dessus et les basses de son clavier de voix, les unes aiguës, d’autres plus rudes, mais toutes juvéniles et fraîches—des voix qui avaient gardé les chèvres—que l’impression fut saisissante. L’hésitation fléchit, la résistance céda; une seconde audition fut requise. Elle n’enleva pas moins l’assemblée, d’ailleurs restreinte, mais dont les voisins qui étaient venus s’y joindre, puis les parents des jeunes paysannes, sans omettre les serviteurs de la maison, grossissaient le nombre et l’importance.

Des flots de chocolat à l’eau noyèrent le triomphe; mais il fallut encore une sérieuse, presque sévère intervention dela Comtesse, pour empêcher, à force de récidives et de répétitions, par les interprètes en liberté, l’air de bravoure, de tourner en scie.

La Marquise se plaignit un peu de n’avoir pas entendu plutôt le joli passage où se trouve ce vers:

«Écoutez, les Gascons, c’est toute la Gascogne!...»

et qui avait été récité aux familles, le jour de la distribution des prix des Demoiselles de Bonduwe.

Miss Winter riposta qu’elle n’aimait pas les sentiers battus, que chacun avait son système d’éducation et qu’il ne fallait pas compter la voir entrer en lutte avec l’Institution Bellemanières.


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