XXXIVLa conversation des jours qui suivirent s’en reprit à des motifs antérieurs et, notamment, à cette récente mésaventure ducale. Le sujet se présentait avec tant de netteté qu’il fit rendre des oracles judicieux par des personnes sans jugement. L’Étrangère, suivant sa coutume, s’accusa transcendante et catégorique. Comme entrée de jeu, elle établit d’abord que l’événement mettait en fâcheuse posture les deux Académiciens qui avaient, dit-on, présenté la Duchesse à la Société des Gens de Lettres, Messieurs Jean Richepin et Paul Hervieu. Mais cen’était qu’un détail de la question, qui reposait tout entière sur une erreur, aussi bien dans l’esprit de la dame que dans celui des familiers qui entretenaient son illusion, bonnement quelques-uns, mais les plus nombreux, par intérêt et par ruse. Cette illusion, c’était croire—ou le feindre—que toutes ces blagues avaientdu rapport avec la littérature. Les soi-disant défenseurs de cette nouvelle et regrettable attitude d’une femme qui longtemps, très longtemps, en avait eu d’autres plus appréciables, enfourchaient ce dada de bois, et le chevauchaient avec une apparente inconscience. Or, si le mensonge construit savamment, et, mis en œuvre astucieusement, doit sembler odieux (il ne s’agissait en rien de cela), l’erreur naïve, accréditée avec une complicité niaise, peut du moins donner sur les nerfs. C’était le cas. Une viergebuveuse, non de poésie, mais de thé poétique, ce qui est l’opposé, s’attelait à ce plaidoyer, avec de soi-disant preuves qui prouvaient toutes, précisément, le contraire de ce que recherchait l’avocate, laquelle pataugeait en une parfaite pétition de principe, à savoir: raisonnement sur un point de départ faux. Quoi de mieux assorti à cette définition que de comparer aux «grandes dames qui témoignèrent une sollicitude passionnée aux Lettres Françaises», une femme qui fait réciter chez soi des vers sans vigueur, par des poètes sans veine? Cela, en effet, c’était aimer les Lettres, comme Monsieur Pierre Lafitte, que Monsieur Roujon, dans un toast à jamais célèbre, proclame, lui aussi, «l’ami des Lettres», sans que cela soit bien démontré par la publication des feuilles dont le principal attrait consiste à faire deviner laquelle, de deuxbottines, appartient à tel ou tel artiste, et de deux mentons, quel est celui de telle ou telle comédienne. C’était encore aimer la langue française, comme la Marquise de Ganay chérit les pastels, pour les anéantir ou y attenter. Enfin, et en un mot, représentez-vous une personne qui, sous prétexte d’amour pour les roses, remplirait les vases de son appartement avec des chardons, des ronces et des chandelles.Non, ce que ne disait point la vierge avocate, ce que ne disait personne, peut-être parce que personne ne s’en apercevait, pas même l’héroïne de ce petit conflit, c’est que celle-ci poursuivait, avant tout, pour ne pas dire sans souci du reste, le placement par elle-même, ou quelqu’un de ses invités, d’un de ses ours, d’une de ses bêtes à Bon-Dieu, d’un de ses papillons empaillés, ou du cormoran deMonsieur Sarlovèze, ou du caniche Petto, d’hilarante mémoire, enfin de toute cette arche de Noé, à rendre jaloux Monsieur Rostand, et qui, loin de grouiller dans l’œuvre chère à Monsieur Chéramy, ne fait qu’immobiliser l’animalité de bois des ménageries enfantines.Lisez plutôt: «L’élégante assistance a beaucoup applaudi Madame Marguerite Jules Martin (excusez du peu! Serait-ce, par hasard, un pseudonyme de Mademoiselle Bartet? Ça changerait joliment les choses!) et Monsieur Paul Rameau, qui ont dit avec grand talent plusieurs poèmes et, entre autres, de la Duchesse de Rohan...»«Ah! que cetentre autresest, pour moi, plein de charmes!...» s’écriait l’Irlandaise, faisant allusion auquoi qu’on diede Molière. «Croyez-moi, c’est à lui que la France reconnaissante et laLittérature obligée doivent le Chambard poétique. Sans lui, on ne nous donnerait à entendre ni Halst, ni Ott, ni Bédarieux, ni Riberolles, ni Nastorg, ni Alibert, ni Boutilleau, ni Boutello, dont les œuvres, jusqu’à ce jour, victimes de la conspiration du silence, jouent, au cours de ces réunions, le rôle du pain à chanter qui fait avaler la pilule. Et cette pilule-là, c’est l’inévitable fragment deLande Fleurie!»Peut-être bien tout de même entrait-il, dans ce dessein, quelque chose defraternel; mais alors, seulement par raccroc. L’auteuresse connaissait par expérience la démangeaison de faire entendre ce qui ne mérite pas d’être entendu; et, du même coup, elle se l’évitait à soi-même, cependant qu’elle l’épargnait à ses coadjuteurs en incapacité littéraire et en infélicité poétique.Les vrais poètes se passent très bien de dégoiser leurs œuvres; celles-ci contiennent une vertu qui suffit à ceux-là, leur permet d’attendre le légitime succès et la finale réussite. Mais les œuvres qui ne contiennent rien, il faut bien en combler le vide par des bravos fallacieux, pour donner le change sur ce néant.Certaine incidente du plaidoyer qu’elle avait cité ne trouva pas davantage grâce devant Miss Winter. Il parlait avec un mépris évident des «Duchesses d’Amérique et de Judée, des Comtesses du Pont et du Rant...» Or, ces Duchesses-là, et des deux sortes, nul ne l’ignore et ne songe à l’en blâmer, sont des meilleures amies de la maîtresse de la maison; cependant que, pour la circonstance, Madame dePontde Gault s’unit à elles, et, peut-être bien, Madame deRantzde Saint-Brisson. La vierge avocate enfut donc pour ses frais et pouvait même se vanter d’avoir gaffé, comme font les amis plus empressés qu’adroits, qui manœuvrent un pavé pour débarrasser d’une mouche.Miss conclut l’entretien en condamnant la défenderesse aux dépens et en décernant à l’accusée le titre, d’ailleurs non sans charme, ni sans agrément, de l’«Aubernon couronnée».La nuit porta conseil. Un retour sur le leitmotiv desinvitations après décèstrouva, le jour suivant, Mademoiselle de meilleure humeur. Elle convint que le groupe, parmi lequel la Duchesse invitait le défunt à prendre place, rendait, seul, l’engagement indigne d’un tel hôte, littérairement s’entend, cela va de soi. Si, au contraire, la Dame s’était contentée de donner une réception en l’honneur de l’Ombre de Verlaine, qu’elle y eûtajouté quelques Ombres fameuses, son attitude aurait paru digne de se voir assimiler à celle de Louis de Bavière qui, les soirs qu’il faisait organiser, pour soi, une audition Wagnérienne, prétendait que les grands spectres du passé envahissaient le reste de la salle. Un des poètes chers à la Gouvernante avait noté cela, dans une pièce qui méritait au moins le titre de mystérieuse.C’est égal, si l’on avait invité l’Ombre de Mademoiselle Vacaresco, elle aurait eu du corps, même de la rondeur; et si l’on y avait joint l’Ombre de Monsieur Crottinet, qu’est-ce qui serait resté?...On en était à ce point d’interrogation, quand le facteur remit une lettre à la bavarde. Ce pli contenait des potins de Paris et, notamment, cette nouvelle qu’un poème de la Duchesse de Rohan, intituléLe Radeau, allait être récité dans une matinée à bénéfice; mais, à cause du bruit qui se faisait, par anticipation, autour deChantecleret de son bestiaire, le Comité souhaitait obtenir de l’Auteuresse la permission de modifier légèrement, pour la circonstance, le titre de la poésie et de l’orthographier:Le Rat d’eau.Tout faisait espérer que la bonne grâce, bien connue, de la grande Dame se plierait, sans difficulté, à cette modification sans importance.La lettre renfermait encore uninstantanéqui semblait avoir été rédigé par le Diable Boiteux ou l’Ange du Bizarre, le Roi Midas ou le Roi Freiligrath, la Reine Baba ou le Pape des Papous. Il comparait la Duchesse de Rohan à...Virgile, et ajoutait qu’elle s’était fait «une âme à la Pierre Loti». Vraiment, il y avait ça...qui se compliquait encore. L’Aïeule se trouvait avoir certain petit-fils («cet âge est sans pitié») évidemment le plus terrible des enfants terribles, puisqu’il couronnait de roses sa bonne-maman, fleurs sans doute empoisonnées, car à peine en était-elle ceinte que grand’mère se mettait à dégoiser du Musset, dans le parc, pour donner la réplique à son gendre, qui se trouvait être le «parrain de Max Dearly». Il y avait encore ça. Qu’est-ce que Jérôme Bosch aurait pu inventer de plus, le peintre des cauchemars?...Visions terrifiantes, que couronnait, à son tour, un regret à l’adresse de Mam’zelle Vacaresco, seule jugée capable de supporter sans broncher un pareil spectacle. On s’en doutait un peu.Mademoiselle fondit en larmes.Tout de même, le lendemain, elle écrivit pour avoir le volume qui avaitinspiré l’instantané, alléchée soudain, à l’espoir d’y retrouver du Jérôme Bosch. Elle fut déçue par d’assommantes compilations sur le passé comme sur l’avenir de la Mingrélie, qui sentaient, d’une lieue, la collaboration de famille et prétendaient donner du poids à... ce qui n’en avait pas.Là-dessus, la pauvre dame, bien persuadée de faire concurrence au délicieux livre de la Princesse Bibesco, saupoudrait de vieux ana Bonapartistes, et de quelques blagues, des compliments à l’adresse des buffets.Ça ne valait pas le voyage. Décidément, seuls, les vers de la Duchesse de Rohan méritaient d’être lus. Mademoiselle se le tint pour dit.
XXXIVLa conversation des jours qui suivirent s’en reprit à des motifs antérieurs et, notamment, à cette récente mésaventure ducale. Le sujet se présentait avec tant de netteté qu’il fit rendre des oracles judicieux par des personnes sans jugement. L’Étrangère, suivant sa coutume, s’accusa transcendante et catégorique. Comme entrée de jeu, elle établit d’abord que l’événement mettait en fâcheuse posture les deux Académiciens qui avaient, dit-on, présenté la Duchesse à la Société des Gens de Lettres, Messieurs Jean Richepin et Paul Hervieu. Mais cen’était qu’un détail de la question, qui reposait tout entière sur une erreur, aussi bien dans l’esprit de la dame que dans celui des familiers qui entretenaient son illusion, bonnement quelques-uns, mais les plus nombreux, par intérêt et par ruse. Cette illusion, c’était croire—ou le feindre—que toutes ces blagues avaientdu rapport avec la littérature. Les soi-disant défenseurs de cette nouvelle et regrettable attitude d’une femme qui longtemps, très longtemps, en avait eu d’autres plus appréciables, enfourchaient ce dada de bois, et le chevauchaient avec une apparente inconscience. Or, si le mensonge construit savamment, et, mis en œuvre astucieusement, doit sembler odieux (il ne s’agissait en rien de cela), l’erreur naïve, accréditée avec une complicité niaise, peut du moins donner sur les nerfs. C’était le cas. Une viergebuveuse, non de poésie, mais de thé poétique, ce qui est l’opposé, s’attelait à ce plaidoyer, avec de soi-disant preuves qui prouvaient toutes, précisément, le contraire de ce que recherchait l’avocate, laquelle pataugeait en une parfaite pétition de principe, à savoir: raisonnement sur un point de départ faux. Quoi de mieux assorti à cette définition que de comparer aux «grandes dames qui témoignèrent une sollicitude passionnée aux Lettres Françaises», une femme qui fait réciter chez soi des vers sans vigueur, par des poètes sans veine? Cela, en effet, c’était aimer les Lettres, comme Monsieur Pierre Lafitte, que Monsieur Roujon, dans un toast à jamais célèbre, proclame, lui aussi, «l’ami des Lettres», sans que cela soit bien démontré par la publication des feuilles dont le principal attrait consiste à faire deviner laquelle, de deuxbottines, appartient à tel ou tel artiste, et de deux mentons, quel est celui de telle ou telle comédienne. C’était encore aimer la langue française, comme la Marquise de Ganay chérit les pastels, pour les anéantir ou y attenter. Enfin, et en un mot, représentez-vous une personne qui, sous prétexte d’amour pour les roses, remplirait les vases de son appartement avec des chardons, des ronces et des chandelles.Non, ce que ne disait point la vierge avocate, ce que ne disait personne, peut-être parce que personne ne s’en apercevait, pas même l’héroïne de ce petit conflit, c’est que celle-ci poursuivait, avant tout, pour ne pas dire sans souci du reste, le placement par elle-même, ou quelqu’un de ses invités, d’un de ses ours, d’une de ses bêtes à Bon-Dieu, d’un de ses papillons empaillés, ou du cormoran deMonsieur Sarlovèze, ou du caniche Petto, d’hilarante mémoire, enfin de toute cette arche de Noé, à rendre jaloux Monsieur Rostand, et qui, loin de grouiller dans l’œuvre chère à Monsieur Chéramy, ne fait qu’immobiliser l’animalité de bois des ménageries enfantines.Lisez plutôt: «L’élégante assistance a beaucoup applaudi Madame Marguerite Jules Martin (excusez du peu! Serait-ce, par hasard, un pseudonyme de Mademoiselle Bartet? Ça changerait joliment les choses!) et Monsieur Paul Rameau, qui ont dit avec grand talent plusieurs poèmes et, entre autres, de la Duchesse de Rohan...»«Ah! que cetentre autresest, pour moi, plein de charmes!...» s’écriait l’Irlandaise, faisant allusion auquoi qu’on diede Molière. «Croyez-moi, c’est à lui que la France reconnaissante et laLittérature obligée doivent le Chambard poétique. Sans lui, on ne nous donnerait à entendre ni Halst, ni Ott, ni Bédarieux, ni Riberolles, ni Nastorg, ni Alibert, ni Boutilleau, ni Boutello, dont les œuvres, jusqu’à ce jour, victimes de la conspiration du silence, jouent, au cours de ces réunions, le rôle du pain à chanter qui fait avaler la pilule. Et cette pilule-là, c’est l’inévitable fragment deLande Fleurie!»Peut-être bien tout de même entrait-il, dans ce dessein, quelque chose defraternel; mais alors, seulement par raccroc. L’auteuresse connaissait par expérience la démangeaison de faire entendre ce qui ne mérite pas d’être entendu; et, du même coup, elle se l’évitait à soi-même, cependant qu’elle l’épargnait à ses coadjuteurs en incapacité littéraire et en infélicité poétique.Les vrais poètes se passent très bien de dégoiser leurs œuvres; celles-ci contiennent une vertu qui suffit à ceux-là, leur permet d’attendre le légitime succès et la finale réussite. Mais les œuvres qui ne contiennent rien, il faut bien en combler le vide par des bravos fallacieux, pour donner le change sur ce néant.Certaine incidente du plaidoyer qu’elle avait cité ne trouva pas davantage grâce devant Miss Winter. Il parlait avec un mépris évident des «Duchesses d’Amérique et de Judée, des Comtesses du Pont et du Rant...» Or, ces Duchesses-là, et des deux sortes, nul ne l’ignore et ne songe à l’en blâmer, sont des meilleures amies de la maîtresse de la maison; cependant que, pour la circonstance, Madame dePontde Gault s’unit à elles, et, peut-être bien, Madame deRantzde Saint-Brisson. La vierge avocate enfut donc pour ses frais et pouvait même se vanter d’avoir gaffé, comme font les amis plus empressés qu’adroits, qui manœuvrent un pavé pour débarrasser d’une mouche.Miss conclut l’entretien en condamnant la défenderesse aux dépens et en décernant à l’accusée le titre, d’ailleurs non sans charme, ni sans agrément, de l’«Aubernon couronnée».La nuit porta conseil. Un retour sur le leitmotiv desinvitations après décèstrouva, le jour suivant, Mademoiselle de meilleure humeur. Elle convint que le groupe, parmi lequel la Duchesse invitait le défunt à prendre place, rendait, seul, l’engagement indigne d’un tel hôte, littérairement s’entend, cela va de soi. Si, au contraire, la Dame s’était contentée de donner une réception en l’honneur de l’Ombre de Verlaine, qu’elle y eûtajouté quelques Ombres fameuses, son attitude aurait paru digne de se voir assimiler à celle de Louis de Bavière qui, les soirs qu’il faisait organiser, pour soi, une audition Wagnérienne, prétendait que les grands spectres du passé envahissaient le reste de la salle. Un des poètes chers à la Gouvernante avait noté cela, dans une pièce qui méritait au moins le titre de mystérieuse.C’est égal, si l’on avait invité l’Ombre de Mademoiselle Vacaresco, elle aurait eu du corps, même de la rondeur; et si l’on y avait joint l’Ombre de Monsieur Crottinet, qu’est-ce qui serait resté?...On en était à ce point d’interrogation, quand le facteur remit une lettre à la bavarde. Ce pli contenait des potins de Paris et, notamment, cette nouvelle qu’un poème de la Duchesse de Rohan, intituléLe Radeau, allait être récité dans une matinée à bénéfice; mais, à cause du bruit qui se faisait, par anticipation, autour deChantecleret de son bestiaire, le Comité souhaitait obtenir de l’Auteuresse la permission de modifier légèrement, pour la circonstance, le titre de la poésie et de l’orthographier:Le Rat d’eau.Tout faisait espérer que la bonne grâce, bien connue, de la grande Dame se plierait, sans difficulté, à cette modification sans importance.La lettre renfermait encore uninstantanéqui semblait avoir été rédigé par le Diable Boiteux ou l’Ange du Bizarre, le Roi Midas ou le Roi Freiligrath, la Reine Baba ou le Pape des Papous. Il comparait la Duchesse de Rohan à...Virgile, et ajoutait qu’elle s’était fait «une âme à la Pierre Loti». Vraiment, il y avait ça...qui se compliquait encore. L’Aïeule se trouvait avoir certain petit-fils («cet âge est sans pitié») évidemment le plus terrible des enfants terribles, puisqu’il couronnait de roses sa bonne-maman, fleurs sans doute empoisonnées, car à peine en était-elle ceinte que grand’mère se mettait à dégoiser du Musset, dans le parc, pour donner la réplique à son gendre, qui se trouvait être le «parrain de Max Dearly». Il y avait encore ça. Qu’est-ce que Jérôme Bosch aurait pu inventer de plus, le peintre des cauchemars?...Visions terrifiantes, que couronnait, à son tour, un regret à l’adresse de Mam’zelle Vacaresco, seule jugée capable de supporter sans broncher un pareil spectacle. On s’en doutait un peu.Mademoiselle fondit en larmes.Tout de même, le lendemain, elle écrivit pour avoir le volume qui avaitinspiré l’instantané, alléchée soudain, à l’espoir d’y retrouver du Jérôme Bosch. Elle fut déçue par d’assommantes compilations sur le passé comme sur l’avenir de la Mingrélie, qui sentaient, d’une lieue, la collaboration de famille et prétendaient donner du poids à... ce qui n’en avait pas.Là-dessus, la pauvre dame, bien persuadée de faire concurrence au délicieux livre de la Princesse Bibesco, saupoudrait de vieux ana Bonapartistes, et de quelques blagues, des compliments à l’adresse des buffets.Ça ne valait pas le voyage. Décidément, seuls, les vers de la Duchesse de Rohan méritaient d’être lus. Mademoiselle se le tint pour dit.
La conversation des jours qui suivirent s’en reprit à des motifs antérieurs et, notamment, à cette récente mésaventure ducale. Le sujet se présentait avec tant de netteté qu’il fit rendre des oracles judicieux par des personnes sans jugement. L’Étrangère, suivant sa coutume, s’accusa transcendante et catégorique. Comme entrée de jeu, elle établit d’abord que l’événement mettait en fâcheuse posture les deux Académiciens qui avaient, dit-on, présenté la Duchesse à la Société des Gens de Lettres, Messieurs Jean Richepin et Paul Hervieu. Mais cen’était qu’un détail de la question, qui reposait tout entière sur une erreur, aussi bien dans l’esprit de la dame que dans celui des familiers qui entretenaient son illusion, bonnement quelques-uns, mais les plus nombreux, par intérêt et par ruse. Cette illusion, c’était croire—ou le feindre—que toutes ces blagues avaientdu rapport avec la littérature. Les soi-disant défenseurs de cette nouvelle et regrettable attitude d’une femme qui longtemps, très longtemps, en avait eu d’autres plus appréciables, enfourchaient ce dada de bois, et le chevauchaient avec une apparente inconscience. Or, si le mensonge construit savamment, et, mis en œuvre astucieusement, doit sembler odieux (il ne s’agissait en rien de cela), l’erreur naïve, accréditée avec une complicité niaise, peut du moins donner sur les nerfs. C’était le cas. Une viergebuveuse, non de poésie, mais de thé poétique, ce qui est l’opposé, s’attelait à ce plaidoyer, avec de soi-disant preuves qui prouvaient toutes, précisément, le contraire de ce que recherchait l’avocate, laquelle pataugeait en une parfaite pétition de principe, à savoir: raisonnement sur un point de départ faux. Quoi de mieux assorti à cette définition que de comparer aux «grandes dames qui témoignèrent une sollicitude passionnée aux Lettres Françaises», une femme qui fait réciter chez soi des vers sans vigueur, par des poètes sans veine? Cela, en effet, c’était aimer les Lettres, comme Monsieur Pierre Lafitte, que Monsieur Roujon, dans un toast à jamais célèbre, proclame, lui aussi, «l’ami des Lettres», sans que cela soit bien démontré par la publication des feuilles dont le principal attrait consiste à faire deviner laquelle, de deuxbottines, appartient à tel ou tel artiste, et de deux mentons, quel est celui de telle ou telle comédienne. C’était encore aimer la langue française, comme la Marquise de Ganay chérit les pastels, pour les anéantir ou y attenter. Enfin, et en un mot, représentez-vous une personne qui, sous prétexte d’amour pour les roses, remplirait les vases de son appartement avec des chardons, des ronces et des chandelles.
Non, ce que ne disait point la vierge avocate, ce que ne disait personne, peut-être parce que personne ne s’en apercevait, pas même l’héroïne de ce petit conflit, c’est que celle-ci poursuivait, avant tout, pour ne pas dire sans souci du reste, le placement par elle-même, ou quelqu’un de ses invités, d’un de ses ours, d’une de ses bêtes à Bon-Dieu, d’un de ses papillons empaillés, ou du cormoran deMonsieur Sarlovèze, ou du caniche Petto, d’hilarante mémoire, enfin de toute cette arche de Noé, à rendre jaloux Monsieur Rostand, et qui, loin de grouiller dans l’œuvre chère à Monsieur Chéramy, ne fait qu’immobiliser l’animalité de bois des ménageries enfantines.
Lisez plutôt: «L’élégante assistance a beaucoup applaudi Madame Marguerite Jules Martin (excusez du peu! Serait-ce, par hasard, un pseudonyme de Mademoiselle Bartet? Ça changerait joliment les choses!) et Monsieur Paul Rameau, qui ont dit avec grand talent plusieurs poèmes et, entre autres, de la Duchesse de Rohan...»
«Ah! que cetentre autresest, pour moi, plein de charmes!...» s’écriait l’Irlandaise, faisant allusion auquoi qu’on diede Molière. «Croyez-moi, c’est à lui que la France reconnaissante et laLittérature obligée doivent le Chambard poétique. Sans lui, on ne nous donnerait à entendre ni Halst, ni Ott, ni Bédarieux, ni Riberolles, ni Nastorg, ni Alibert, ni Boutilleau, ni Boutello, dont les œuvres, jusqu’à ce jour, victimes de la conspiration du silence, jouent, au cours de ces réunions, le rôle du pain à chanter qui fait avaler la pilule. Et cette pilule-là, c’est l’inévitable fragment deLande Fleurie!»
Peut-être bien tout de même entrait-il, dans ce dessein, quelque chose defraternel; mais alors, seulement par raccroc. L’auteuresse connaissait par expérience la démangeaison de faire entendre ce qui ne mérite pas d’être entendu; et, du même coup, elle se l’évitait à soi-même, cependant qu’elle l’épargnait à ses coadjuteurs en incapacité littéraire et en infélicité poétique.
Les vrais poètes se passent très bien de dégoiser leurs œuvres; celles-ci contiennent une vertu qui suffit à ceux-là, leur permet d’attendre le légitime succès et la finale réussite. Mais les œuvres qui ne contiennent rien, il faut bien en combler le vide par des bravos fallacieux, pour donner le change sur ce néant.
Certaine incidente du plaidoyer qu’elle avait cité ne trouva pas davantage grâce devant Miss Winter. Il parlait avec un mépris évident des «Duchesses d’Amérique et de Judée, des Comtesses du Pont et du Rant...» Or, ces Duchesses-là, et des deux sortes, nul ne l’ignore et ne songe à l’en blâmer, sont des meilleures amies de la maîtresse de la maison; cependant que, pour la circonstance, Madame dePontde Gault s’unit à elles, et, peut-être bien, Madame deRantzde Saint-Brisson. La vierge avocate enfut donc pour ses frais et pouvait même se vanter d’avoir gaffé, comme font les amis plus empressés qu’adroits, qui manœuvrent un pavé pour débarrasser d’une mouche.
Miss conclut l’entretien en condamnant la défenderesse aux dépens et en décernant à l’accusée le titre, d’ailleurs non sans charme, ni sans agrément, de l’«Aubernon couronnée».
La nuit porta conseil. Un retour sur le leitmotiv desinvitations après décèstrouva, le jour suivant, Mademoiselle de meilleure humeur. Elle convint que le groupe, parmi lequel la Duchesse invitait le défunt à prendre place, rendait, seul, l’engagement indigne d’un tel hôte, littérairement s’entend, cela va de soi. Si, au contraire, la Dame s’était contentée de donner une réception en l’honneur de l’Ombre de Verlaine, qu’elle y eûtajouté quelques Ombres fameuses, son attitude aurait paru digne de se voir assimiler à celle de Louis de Bavière qui, les soirs qu’il faisait organiser, pour soi, une audition Wagnérienne, prétendait que les grands spectres du passé envahissaient le reste de la salle. Un des poètes chers à la Gouvernante avait noté cela, dans une pièce qui méritait au moins le titre de mystérieuse.
C’est égal, si l’on avait invité l’Ombre de Mademoiselle Vacaresco, elle aurait eu du corps, même de la rondeur; et si l’on y avait joint l’Ombre de Monsieur Crottinet, qu’est-ce qui serait resté?...
On en était à ce point d’interrogation, quand le facteur remit une lettre à la bavarde. Ce pli contenait des potins de Paris et, notamment, cette nouvelle qu’un poème de la Duchesse de Rohan, intituléLe Radeau, allait être récité dans une matinée à bénéfice; mais, à cause du bruit qui se faisait, par anticipation, autour deChantecleret de son bestiaire, le Comité souhaitait obtenir de l’Auteuresse la permission de modifier légèrement, pour la circonstance, le titre de la poésie et de l’orthographier:Le Rat d’eau.
Tout faisait espérer que la bonne grâce, bien connue, de la grande Dame se plierait, sans difficulté, à cette modification sans importance.
La lettre renfermait encore uninstantanéqui semblait avoir été rédigé par le Diable Boiteux ou l’Ange du Bizarre, le Roi Midas ou le Roi Freiligrath, la Reine Baba ou le Pape des Papous. Il comparait la Duchesse de Rohan à...Virgile, et ajoutait qu’elle s’était fait «une âme à la Pierre Loti». Vraiment, il y avait ça...qui se compliquait encore. L’Aïeule se trouvait avoir certain petit-fils («cet âge est sans pitié») évidemment le plus terrible des enfants terribles, puisqu’il couronnait de roses sa bonne-maman, fleurs sans doute empoisonnées, car à peine en était-elle ceinte que grand’mère se mettait à dégoiser du Musset, dans le parc, pour donner la réplique à son gendre, qui se trouvait être le «parrain de Max Dearly». Il y avait encore ça. Qu’est-ce que Jérôme Bosch aurait pu inventer de plus, le peintre des cauchemars?...
Visions terrifiantes, que couronnait, à son tour, un regret à l’adresse de Mam’zelle Vacaresco, seule jugée capable de supporter sans broncher un pareil spectacle. On s’en doutait un peu.
Mademoiselle fondit en larmes.
Tout de même, le lendemain, elle écrivit pour avoir le volume qui avaitinspiré l’instantané, alléchée soudain, à l’espoir d’y retrouver du Jérôme Bosch. Elle fut déçue par d’assommantes compilations sur le passé comme sur l’avenir de la Mingrélie, qui sentaient, d’une lieue, la collaboration de famille et prétendaient donner du poids à... ce qui n’en avait pas.
Là-dessus, la pauvre dame, bien persuadée de faire concurrence au délicieux livre de la Princesse Bibesco, saupoudrait de vieux ana Bonapartistes, et de quelques blagues, des compliments à l’adresse des buffets.
Ça ne valait pas le voyage. Décidément, seuls, les vers de la Duchesse de Rohan méritaient d’être lus. Mademoiselle se le tint pour dit.