The Project Gutenberg eBook ofLes Histoires merveilleuses, ou les Petits Peureux corrigésThis ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online atwww.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook.Title: Les Histoires merveilleuses, ou les Petits Peureux corrigésAuthor: A. AntoineRelease date: February 3, 2010 [eBook #31176]Most recently updated: January 6, 2021Language: FrenchCredits: Produced by Hélène de Mink and the Online DistributedProofreading Team at https://www.pgdp.net (This file wasproduced from images generously made available by theBibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) athttp://gallica.bnf.fr)*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES HISTOIRES MERVEILLEUSES, OU LES PETITS PEUREUX CORRIGÉS ***
This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online atwww.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook.
Title: Les Histoires merveilleuses, ou les Petits Peureux corrigésAuthor: A. AntoineRelease date: February 3, 2010 [eBook #31176]Most recently updated: January 6, 2021Language: FrenchCredits: Produced by Hélène de Mink and the Online DistributedProofreading Team at https://www.pgdp.net (This file wasproduced from images generously made available by theBibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) athttp://gallica.bnf.fr)
Title: Les Histoires merveilleuses, ou les Petits Peureux corrigés
Author: A. Antoine
Author: A. Antoine
Release date: February 3, 2010 [eBook #31176]Most recently updated: January 6, 2021
Language: French
Credits: Produced by Hélène de Mink and the Online DistributedProofreading Team at https://www.pgdp.net (This file wasproduced from images generously made available by theBibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) athttp://gallica.bnf.fr)
*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES HISTOIRES MERVEILLEUSES, OU LES PETITS PEUREUX CORRIGÉS ***
Note de transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
Note de transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
LES
OU
OUVRAGE
DESTINÉ A PRÉMUNIR LES ENFANS CONTRE TOUTE IDÉED'APPARITIONS, DE REVENANS, DE FANTÔMES;
ET A LEUR INSPIRER LE COURAGE NÉCESSAIRE DANSLES ÉVÉNEMENS QUI PARAISSENT SURNATURELS.
Auteur desNuits enfantines, desAnimaux célèbres, etc.
Ne craignez rien:Ce livre est un flambeau dont la douce lumièreNe doit point offusquer les regards qu'il éclaire.Demoustier.
A PARIS,A LA LIBRAIRIE D'EDUCATIONde Pierre Blanchard,Palais royal, galerie de bois, no. 249.1813.
Loke,ce philosophe qui sonda les abîmes du cœur humain et qui sut si bien dépouiller la vérité des illusions dont l'entourent notre faiblesse et l'ignorance, avoue cependant qu'il n'a jamais pu réprimer une sorte de frayeur superstitieuse qu'il éprouvait dans les ténèbres; et il attribue ce mouvement, plus fort que sa raison, aux contes de revenans dont une domestique ignorante et crédule avait bercé sonenfance. Rien n'est plus dangereux pour l'esprit neuf et curieux des enfans que ces récits insensés; trop souvent ils ont suffi pour gâter les têtes que la nature semblait avoir organisées pour l'honneur de l'espèce humaine; et quand le mal n'est pas incurable, il faut toutes les forces d'une raison éclairée pour parvenir à la guérison; encore reste-t-il toujours une impression fâcheuse de ce mal: nous le voyons par l'aveu de Loke; et si un esprit aussi supérieur n'a pu secouer entièrement les vaines terreurs du premier âge, que doit-on espérer du vulgaire des hommes?
Comme il est presque impossible aux parens les plus sages et même les plus attentifs de garantir leurs enfans des discours d'une servante imbécille, ou des récits d'une imagination malade, c'est donc à la raison qu'il faut avoir recours; avec son aide, on parvient souvent à détruire ce que la sottise et l'ignorance ont établi; mais il est nécessaire de s'y prendre de bonne heure: l'homme aime le merveilleux, il le reçoit avec avidité, et quand une fois il a commencé à en nourrir son esprit, il lui est bien difficile de revenir à la vérité qui lui paraît trop simple. C'est pour seconder les vues de ces parens sensés que j'ai composé le petit ouvrage que jeprésente: il doit plaire aux enfans par les histoires merveilleuses qu'il contient, et, ce qui est l'essentiel, il doit les porter à examiner les causes de ce qui leur paraît surnaturel; c'est là mon but.
Ce livre est le premier de ce genre que l'on ait destiné à l'enfance: ce ne sera pas sans doute une raison pour le rejeter. Je voudrais qu'une meilleure plume l'eût écrit, car il peut être utile.
Je ne crois pas nécessaire d'avertir que la religion n'a rien à y reprendre: les idées superstitieuses ne sont propres qu'à ternir sa pureté, c'est un devoir de l'en débarrasser.
Sur les côtes de la Normandie, vis-à -vis les îles de Jersey et de Guernesey, est un château gothique dont l'antiquité remonte à des siècles si éloignés, que les bonnes gens du pays croient qu'il a été bâti par les fées, et cela bien avant que les fameux hommes du Nord vinssent donner leur nom à l'ancienne Neustrie: ces fées, à ce que rapporte la tradition du pays,étaient filles d'un grand seigneur de ces cantons, célèbre magicien lui-même.
Monsieur et madame de Verseuil venaient d'hériter de ce château; et quoiqu'on fut au mois de novembre, ils avaient quitté Paris pour prendre possession de ce nouveau domaine. Albert et Victor, leurs fils, ainsi que Cécile, leur fille, avaient été du voyage; et un marin, frère de madame de Verseuil, le capitaine Forbin, était aussi arrivé au château depuis quelques jours.
Monsieur et madame de Verseuil, ainsi que le capitaine, causaient un soir auprès du feu, lorsqu'on entendit de grands cris qui partaientde l'intérieur de la maison; chacun se disposait à aller voir ce que c'était, lorsque dame Gertrude, la vieille gouvernante de madame de Verseuil, entra toute pâle, échevelée, tremblante, et pouvant à peine respirer; elle se jeta aussitôt dans un fauteuil, en disant: Ah, mon Dieu! je n'en puis plus......—Que vous est-il donc arrivé, et où sont mes enfans, demanda madame de Verseuil?—Ah, madame! reprit Gertrude, d'une voix entrecoupée, au bout du long corridor.... près de la chapelle.... vos enfans.... Allez..... allez vîte..... pour moi, je n'en puis plus.....
A ces mots, madame de Verseuil et son mari coururent au lieu qu'on leur désignait: le capitaine allait les suivre; mais dame Gertrude le retint vivement par l'habit, en le conjurant de ne pas la laisser seule.
La lumière que portait madame de Verseuil s'éteignit au milieu du corridor; mais elle et son mari n'en poursuivirent pas moins leur chemin; ils approchaient de la chapelle, lorsqu'ils entendirent leurs enfans qui s'écriaient: Pour l'amour de Dieu, ne nous faites pas de mal!—Ne craignez rien, mes enfans, c'est votre père, c'est votre mère, dirent monsieur et madame de Verseuil en les relevant; car ces pauvres petits étaient à genoux, la face prosternée contre terre.—Ah! si vous saviez ce que nous avons vu!fuyons, fuyons vîte.... et ils entraînaient leurs parens vers le salon, où le capitaine était resté auprès de dame Gertrude. En les voyant, celle-ci les prit dans ses bras et ils s'embrassèrent comme gens qui se félicitent d'avoir échappé à un grand péril.
M. de Verseuil.Je gage que la peur est encore la cause de cette grande alarme?
Gertrude.Certainement, on aurait peur à moins; car cette fois nous n'avons pas seulement vu et entendu, nous avons encore été frappés; vous en voyez la preuve, puisque l'esprit ou le lutin m'a emporté mon bonnet.... Oh! le maudit château! j'y mourrai de peur, sitoutefois quelque méchant esprit ne m'y tord pas le cou.
Mad.de Verseuil.Ah! Gertrude! pouvez-vous bien à votre âge tenir un langage semblable; vous n'êtes pas plus raisonnable que ces enfans.
Cécile.Maman, je t'assure que cette fois c'était tout de bon un revenant, car il nous a tous frappés bien fort.
Albert.Oui; il m'a donné plusieurs coups de poing dans le dos et dans l'estomac.
Victor.Et moi, il m'a secoué la tête, et m'a fait tomber mon chapeau.
Gertrude.Ces choses-là ne sont pas des effets de l'imagination... Oh! le maudit château!
M. de Verseuil.Je suis persuadé qu'il y a dans tout ceci quelque cause bien naturelle que vous n'avez pas approfondie; faudra-t-il que je vous répète toujours qu'il n'y a point de revenans, et qu'il n'y en a jamais eu que dans l'imagination des peureux comme vous.
Gertrude.Mais il ne s'agit pas ici d'une simple vision: en passant devant cette grande salle où sont les portraits des anciens habitans du château, nous avons entendu un bruit assez fort, comme de quelqu'un qui s'y promenait à grands pas....
Mad.de Verseuil.Vous vous êtes sauvés tout aussitôt?
Gertrude.Eh bien, pas dutout; ce qui prouve que je ne suis pas aussi peureuse qu'on le dit. Au contraire, je me suis arrêtée ainsi que les enfans; nous avons écouté, et nous avons entendu, je vous le répète, entendu très-distinctement que l'on frappait tantôt sur les meubles, tantôt sur les fenêtres. Je savais que sur mon récit vous vous moqueriez encore de moi; je résolus donc d'entr'ouvrir tout doucement la porte pour examiner: jugez de ma hardiesse!
En achevant ces mots dame Gertrude fit un bond sur sa chaise. Quelqu'un venait de sonner à la grille du château; et le timbre seul de la cloche avait fait tressaillir celle qui se vantait à l'instant d'être brave.C'était le pasteur du village qui venait rendre une visite à ses nouveaux paroissiens. Après les complimens d'usage, monsieur de Verseuil lui dit: Vous venez fort à propos dans ce moment, monsieur le Curé; nous avons besoin de renfort. Certaines personnes, ici présentes, entendent des bruits extraordinaires dans ce château, aperçoivent même des fantômes..... Jusqu'à ce jour ces revenans s'étaient montrés pacifiques, et ils se contentaient d'effrayer; mais ce soir, quelques instans seulement avant votre arrivée, ces méchans esprits se sont avisés de battre mes enfans, et d'enlever le bonnet de dame Gertrude. Elle venait de commencerle récit de cette terrible aventure.
—Si vous voulez lui permettre de continuer, dit M. le Curé, je serai curieux de l'entendre.
Encouragée par cette invitation, et espérant cette fois trouver quelqu'un de son sentiment, Gertrude reprit son récit en ces termes:
—Je disais donc que j'entr'ouvris doucement la porte de la chambre où nous entendions du bruit. Albert, cramponné après moi, tenait notre flambeau, Victor et Cécile me tiraient tant qu'ils pouvaient par mon tablier pour m'empêcher de tourner la clef.—Je pense que nous avions bien raison, dirent les petits peureux.—C'est vrai, reprit Gertrude, car à peine la porte fut-elleentrebaillée et eussé-je avancé la tête avec précaution, que l'esprit, mécontent sans doute, me sauta au visage sans que je le visse venir; il arracha mon bonnet, éteignit notre lumière, et courut après nous dans le corridor, où il nous battit tous quatre, et renversa ces pauvres petits. J'eus assez de force pour venir jusqu'ici avertir de ce qui se passait; mais certes, l'esprit peut être bien tranquille maintenant, il ne m'arrivera plus de me laisser aller à une téméraire et imprudente curiosité.
M. le Curé.Vous aviez sans doute laissé quelque fenêtre ouverte dans cette pièce?
Gertrude.Non, monsieur, aucune.
M. le Curé.Cela m'étonne. N'importe, ma bonne; je reconnais quelle espèce d'esprit s'est présentée à vous. Vous en rencontrerez peut-être encore plus d'une fois de semblables; mais n'ayez pas d'inquiétude, ils ne vous feront jamais de mal; du moins avec intention.
Gertrude.Je pensais bien que vous ne me traiteriez pas comme tout le monde me traite ici, d'ignorante, de peureuse, de visionnaire. Dites-moi, je vous prie, quels sont ces esprits qui reviennent dans ce château? ce sont sans doute ceux qui y ont mal vécu? vraisemblablement ils demandent des prières? y reviennent-ils souvent? que faut-il faire pour les éloigner de soi? Ah!de grâce, tranquillisez-moi sur tous ces points; parlez, parlez, je vous en prie.
M. le Curé.L'esprit que vous avez rencontré est un malheureux égaré qui a été autant effrayé par vous, qu'il vous a effrayée lui-même. Vous aviez un moyen bien simple de le satisfaire. Toutes les fois que vous en rencontrerez de cette nature, et que vous voudrez vous délivrer de leur présence, il faut....
En ce moment, il sembla que quelqu'un donnait un grand coup dans la porte de la chambre. Chacun ayant fait silence, on entendit dans le corridor le même bruit que Gertrude avait entendu dans la salle des portraits; on frappait avecforce aux portes et fenêtres.—C'est encore l'esprit, dirent les petits peureux!... Ah! monsieur le Curé, faites vîte ce qu'il faut pour qu'il s'éloigne.
M. le Curé.Je le veux bien. Mais si auparavant je vous le faisais connaître? vous n'en auriez pas de regret.
Les Enfans.Quoi! le faire entrer ici?
M. le Curé.Oui; si monsieur et madame veulent bien le permettre: il sortira aussitôt que l'un de nous le désirera.
Monsieur de Verseuil fit un signe de tête, et M. le Curé se leva.—Attendez un instant, s'écria Gertrude en se sauvant dans une alcovedont elle ferma bien soigneusement les rideaux. Cécile se cacha auprès de sa mère, et Victor se mit entre les genoux de son oncle. Albert fut le plus poltron; il alla se cacher avec Gertrude.
M. le Curé ayant ouvert la porte, on entendit le bruit confus qui s'avançait du fond du corridor, et l'on vit entrer dans la chambre une chauve-souris dont les agiles déployées formaient un volume assez considérable: elle fit plusieurs fois le tour de la chambre, en frappant les vitres et les boiseries; ensuite elle se posa sur une corniche au-dessus de la cheminée.
Comment! dirent les petits peureux, c'est-là l'esprit qui nous abattus? et ils appelèrent leur frère et leur bonne. Albert voyant tout le monde tranquille, s'avança sur la pointe du pied jusqu'au bord de l'alcove, puis passa tout doucement la tête entre les rideaux, et ne remarquant rien autre chose que l'espèce d'oiseau perché en face de lui, il vint enfin rire avec son frère et sa sœur de leur terreur panique; puis tous trois allèrent ensuite tirer du fond de sa cachette la pauvre Gertrude, qui tremblait de tout son corps.
M. le Curé.Vous voyez la cause de votre épouvante; voilà le terrible revenant! Cette pauvre chauve-souris aura trouvé quelque issue pour s'introduire dans la salle des portraits.
Victor.C'est moi qui en suis cause; tantôt j'ai cassé un carreau, en jouant avec ma balle.
M. le Curé.Vous pouvez maintenant tout expliquer comme moi: la chauve-souris, bien fâchée de se trouver enfermée dans la salle, a vu la clarté aussitôt que la porte a été entr'ouverte; elle s'est précipitée du côté de la lumière; elle a touché Gertrude, a fait tomber son bonnet et votre flambeau. En volant dans le corridor, elle s'est heurtée contre chacun de vous, et son choc, joint à votre frayeur, vous a renversés: il n'y a dans tout ceci rien que de très-simple. Quand il s'introduira de ces oiseaux dans la maison, ouvrez une fenêtre, et ilssortiront aussitôt. Vous allez voir que celui-ci ne demande pas mieux que de recouvrer sa liberté.
M. de Forbin.Permettez, monsieur le Curé; je serais d'avis d'attrapper cette bête et de la mettre un instant entre les mains de ces petits poltrons, pour les convaincre encore davantage, et les guérir de leur sotte frayeur.
Ceci fut une partie de jeux pour les enfans, qui les divertit beaucoup. Quand on eut bien caressé cette chauve-souris, on ouvrit une fenêtre, et elle ne se fit pas prier pour gagner les champs.
Cécile.Nous voyons que, dans cette circonstance, nous avons eu tort d'avoir peur; mais cependanton raconte des histoires certaines de revenans?
Mad.de Verseuil.Ecoute ma fille: si la chauve-souris s'était échappée aussitôt après l'alarme qu'elle vous a donnée, vous auriez toujours voulu attribuer votre aventure à une cause surnaturelle; vous auriez aussi raconté, comme une chose certaine, que vous aviez été battus par un esprit.
M. le Curé.Toutes les histoires d'apparitions de spectres, de fantômes, de revenans, n'ont point d'autres fondemens que la peur et l'ignorance. Dans ces événemens tout n'est pas faux ni imaginaire, il y a du vrai; et ce vrai, dont les causes naturelles sont inconnuesaux peureux qui ne cherchent pas à les découvrir, se transforme pour eux en une chose merveilleuse; alors un incident fort simple passe dans leur imagination pour un prodige. Pourquoi voudriez-vous que Dieu permit aux morts de venir ainsi tourmenter les vivans?
Gertrude.Cela ne serait sans doute que pour demander des prières?
M. le Curé.Eh! dites-moi, je vous prie, quelle vertu pourraient avoir auprès de Dieu des prières arrachées par la frayeur? Pensez-vous qu'il n'y ait que le très-petit nombre de ceux qui, soi-disant, reviennent demander ces prières qui en aient besoin? PourquoiDieu, Dieu la bonté même, n'accorderait-il pas cette faveur à tous ceux à qui elle est nécessaire? Non, mes enfans, ce système n'est point d'accord avec les lois de la divinité. Dans des temps de superstition, l'intérêt de quelques individus a enfanté ces sortes de prodiges; l'ignorance et la crédulité y ont fait ajouter foi; et la frayeur en a ensuite créé un nombre infini d'imaginaires.
C'est ainsi que du temps de Saint-Louis, les religieux que ce monarque avait établis à Gentilly, voyant de leurs fenêtres le palais de Vauvert, bâti par le roi Robert, abandonné par ses successeurs, et dont on pouvait faire un monastère commodeet agréable, s'avisèrent d'un stratagème pour en devenir possesseurs. On n'entendit plus dans ce palais que des hurlemens affreux. On y voyait des spectres traînant des chaînes, et toutes sortes de fantômes. Un monstre vert semblait toujours prêt à s'élancer la nuit sur les passans. Que faire d'un pareil château? Les chartreux le demandèrent à Saint-Louis: il le leur donna avec toutes les terres qui en dépendaient; et, dès ce moment, les revenans n'y reparurent plus. Aujourd'hui qu'on est plus éclairé, on sentirait que c'est blesser la religion que de mettre ainsi en jeu les morts et l'enfer; et l'on punirait ceux qui chercheraient à surprendre la crédulité du peuple.
Albert.Ne serait-ce pas par suite de cet événement que la rue d'Enferreçut son nom?
M. le Curé.Précisément: je connais un peu ce qui concerne votre grande ville; je l'ai habitée long-temps; j'y ai même été témoin d'un exemple terrible de ce que peut causer une frayeur irréfléchie; mais je vous réserve ce récit pour un autre moment.
M. de Forbin.Les anciens, dans des circonstances importantes, ont quelquefois dû à de semblables moyens préparés d'avance, le succès des plus grandes entreprises. Jules-César étant prêt à passer le Rubicon, un homme d'une taille extraordinaire apparut tout à coup à la têtede l'armée; et saisissant la trompette d'un soldat, il sonna la charge et s'élança dans le fleuve. «Amis! dit Jules-César à ses soldats, allons où les présages des dieux et l'injustice de nos ennemis nous appellent.»
Victor.Jules-César connaissait donc cet homme?
M. de Forbin.Sans doute; en général habile et qui sait combien le merveilleux peut influer sur le cœur des hommes, il l'avait choisi secrètement, et lui avait ordonné de jouer ce rôle pour enflammer ses troupes.
Une apparition bien plus compliquée, mise en action par un roi d'Ecosse, ranima le courage et la gloire de ses peuples. Les Pictes,dans une guerre contre les Ecossais, tuèrent le roi lui-même, et défirent la plupart de sa noblesse. Cenethus, fils du roi d'Ecosse, désirant de venger la mort de son père, exhorta les seigneurs de son royaume à reprendre les armes, et à attaquer les Pictes; mais il ne réussit point à les déterminer, parce qu'ils songeaient aux malheurs récens de la dernière guerre. Cenethus voyant qu'il ne pouvait par la persuasion les porter à venger la mort de leur roi et leur propre honneur, eut recours à l'artifice: feignant de vouloir être éclairé sur les affaires de l'état, il manda les chefs du royaume pour assister au conseil, et les fit loger dans son château.
Une nuit, à peine ces seigneurs étaient-ils endormis, qu'un fantôme horrible pénétra dans la chambre de chacun d'eux, tenant en main une espèce d'épée flamboyante, et leur dit d'une voix sourde, mais assurée, qu'il était envoyé de Dieu pour leur ordonner la guerre contre les Pictes, et que la victoire leur était assurée: ce fantôme disparut aussitôt.
Dès le matin, les princes vinrent trouver le roi, à qui chacun communiqua sa vision: Cenethus parut étonné, et leur confia qu'il en avait eu une semblable. La guerre fut aussitôt résolue; et les Ecossais, enhardis par la promesse qui leur avait été faite qu'ils remporteraientla victoire, assaillirent les Pictes avec tant d'ardeur que non-seulement ils gagnèrent la bataille, mais qu'ils les exterminèrent entièrement.
Cécile.Puisque tous ces seigneurs, des peuples et des armées entières croyaient à la réalité de ces apparitions, il nous est bien pardonnable d'avoir cru aussi aux revenans.
M. de Verseuil.C'était pardonnable dans ces temps-là , parce que les lumières de la raison n'étaient le partage que de quelques êtres privilégiés. Mais aujourd'hui que les connaissances sont répandues presque dans toutes les classes de la société, on doit ranger de tellesidées avec les contes de fées, de sorciers, et autres fables semblables.
Albert.Tu nous as dit qu'il n'avait jamais existé de fées, et que la construction de ce château qu'on prétend être leur ouvrage, est un vieux conte comme ceux du Petit Poucet et du Chat botté; mais les sorciers ne sont pas des êtres imaginaires, car j'ai entendu parler de gens qu'on accusait de l'être, et qui ont été condamnés au feu.
M. de Verseuil.Il est vrai que l'on a cru aux sorciers et que l'on a brûlé des malheureux qui passaient pour tels: c'était le déplorable effet de l'ignorance du temps.
M. le Curé.Oui, mes petits amis, il fut un temps où l'onn'entendait parler que de sorciers; c'était une manie; on les poursuivait en justice, on les condamnait au feu, et, jusque dans les flammes, ces fanatiques soutenaient l'esprit de leur rôle.
Cécile.Comment! ils aimaient mieux se laisser brûler que de dire la vérité?
M. le Curé.Je conçois que cela a droit de vous étonner; mais ces gens, après avoir passé pour des êtres extraordinaires, ne voulaient pas décheoir de l'opinion qu'ils avaient donnée d'eux; ils étaient glorieux de leur titre, et le soutenaient jusqu'à la mort. Il y a mieux, plus on poursuivait les sorciers, plus ils se multipliaient.
Cécile.Je ne comprends pas encore cela. S'il n'y avait que la mort à espérer, pourquoi donc cette fureur?
M. le Curé.Tous les prétendus sorciers n'étaient pas pris; il n'y avait que les plus maladroits ou les plus entêtés qui s'exposaient assez pour cela. Les autres vivaient à leur aise et en fainéans des largesses que répandaient sur eux, et à pleines mains, les insensés qui croyaient à leur prétendue science. Du moment qu'on ne les a plus persécutés, le métier a perdu son crédit, et les sorciers de ces temps-là ne comptent plus de successeurs aujourd'hui que parmi ces pauvres hères qui tirent les cartes et disent la bonneaventure pour quelques sous dans nos places publiques. Il est permis à tout le monde d'être sorcier comme cela.
M. de Forbin.On rencontre cependant encore quelquefois des drôles qui veulent jouer le rôle de sorcier avec toute sa burlesque dignité. J'ai vu il y a quelques années un vieux pâtre, nommé Rocafiol, qui vint fixer son domicile dans un des faubourgs de Montpellier, où il exerçait la profession de médecin-sorcier. Une troupe imbécile et crédule accourait tous les jours des extrémités de la ville et même des lieux circonvoisins pour consulter le devin. J'eus la curiosité d'aller visiter cegrotesque personnage dans son manoir mystérieux: au fond d'une cabane obscure et enfumée, je vis un vieillard assis dans un fauteuil antique; son front sillonné, sa barbe longue et blanche, ses habits, ou plutôt ses haillons de mille couleurs, offraient un coup d'œil dont un comédien aurait pu très-bien tirer parti. Quand tout était préparé, on faisait entrer l'un après l'autre les malades qui venaient exposer leurs infirmités. Cet Esculape d'un nouveau genre leur répondait:On vous a ensorcelé, je romprai le charme; faites des habits et du linge neufs; apportez ici ceux dont vous vous êtes servi jusqu'à ce jour; je brûlerai le tout samedià minuit, dans les champs, je battrai la souche, je forcerai celui qui vous tourmente à se taire, et mille autres balivernes de cette espèce; sa recette était la même pour tout le monde.
Rien n'égalait le désintéressement de ce Rocafiol; il n'acceptait ni cadeaux ni honoraires: cette générosité était sans doute admirable dans un gueux; mais la police, qui est sorcière aussi, s'est occupée de son sort; elle a fait faire des fouilles chez les revendeurs de nippes, et comme vous pouvez bien le penser, chacun a reconnu les effets qu'il avait donnés pour être brûlés. Vous croyez peut-être que Rocafiol fut déconcerté, qu'il laissatomber son masque de sorcier pour avouer franchement son charlatanisme? Point du tout; il soutint que les effets avaient été réellement brûlés par lui; mais que sans doute quelque sorcier, ayant un pouvoir au-dessus du sien, les avait fait renaître de leurs cendres pour le perdre.
Victor.C'est précisément comme les génies de nos contes de fées, qui sont toujours opposés les uns des autres, avec une puissance plus ou moins étendue.
M. le Curé.Eh bien, dans d'autres temps, au lieu de se borner à renfermer cet homme comme un escroc, on lui aurait fait son procès comme sorcier, et il estprobable qu'il eût mieux aimé mourir avec sa réputation que de se démentir. Je vais vous parler d'un homme respectable qui n'est nullement à comparer avec le malheureux dont il vient d'être question. J'ai étudié à l'ancienne Université de Helmstedt, sous un savant professeur, M. Beireis, qui passait aux yeux de beaucoup de monde pour un sorcier, parce qu'il possédait quelques secrets de chimie. Un jour il parut à la table du duc de Brunswick, vêtu d'un bel habit de draps gros bleu. Au milieu du dîner, on s'aperçoit que son habit est devenu violet, et avant qu'on se fût levé de table, il était d'une superbecouleur écarlate. Depuis cette expérience, M. Beireis devint un objet de la curiosité publique; et il se plut à confirmer les gens crédules dans l'idée qu'il était magicien.
Albert.Comment! il est possible qu'un habit change ainsi trois fois de couleur, sans qu'on y touche?
M. de Forbin.La physique et la chimie donnent les moyens de faire quantité d'expériences aussi curieuses.
M. de Verseuil.Je me souviens d'une aventure assez plaisante arrivée à Bâle, après l'exécution d'un chaudronnier qui fut pendu comme sorcier. Il avait été ensuiteexposé à des fourches patibulaires peu distantes de la ville. Le lendemain de l'exécution, un paysan qui s'était hâté de nuit d'aller au marché de la ville, étant arrivé avant que les portes fussent ouvertes, alla se reposer sous un arbre, sans se douter qu'il était près du gibet. L'obscurité de la nuit n'était pas encore dissipée, lorsque d'autres hommes qui se rendaient aussi à la ville, passant devant les fourches patibulaires et sachant que le chaudronnier y était exposé, l'un d'eux, pour faire le plaisant, se mit à crier s'il voulait venir avec eux. Le paysan qui était dessous l'arbre, croyant qu'on s'adressait à lui, et étant bien aise de trouver compagnie, répondit:volontiers, attendez-moi, nous irons ensemble. A ces mots, le questionneur et tous ceux qui étaient avec lui s'enfuirent épouvantés, et racontèrent dans la ville que le pendu leur avait parlé; ce qui établit encore bien mieux sa réputation de sorcellerie.
M. le Curé.Remarquez bien, mes petits amis, que presque toutes les aventures de revenans arrivent la nuit, parce que dans l'obscurité, la crainte nous fait voir et entendre bien des choses qui ne sont pas, ou nous empêche de remarquer d'où provient ce que nous voyons et entendons. Dans ces circonstances, quand notre imagination n'est pas fortementprémunie contre la peur, elle grossit nos visions, et devient elle-même la source de nos alarmes.
M. de Verseuil.Toutes les fois, mes enfans, que quelque chose se présentera à vous d'une manière surnaturelle, songez bien que c'est ou une illusion de vos sens, ou qu'il y a des causes dont vous ne voyez que les effets. Je veux vous donner tant de preuves à cet égard, que vous ne soyez jamais tentés de vous laisser aller à des idées aussi contraires à la raison, que nuisibles à la santé. A votre âge, ces frayeurs sinistres non-seulement étouffent le courage de l'âme, mais en outre paralysent le développement des forces du corps. L'homme peureux,craintif, ne jouira jamais pleinement de son existence.
Victor.Cela est bien vrai; car je ne vois jamais approcher la nuit sans en ressentir de la peine. Si je suis seul, j'éprouve du malaise, je n'ose remuer. Quand je suis couché, le moindre bruit me fait frissonner; mes yeux semblent toujours apercevoir des fantômes; je crois sentir que l'on me touche; mon cœur bat avec force, la respiration me manque, il me serait impossible alors de parler, et je souffre comme si j'étais bien malade. Mon frère et ma sœig;ur sont tout comme moi.
M. de Forbin.Corbleu! Comment voulez-vous devenir des hommes, si cela continue!
Albert.Oh, quant à moi, mon oncle, l'aventure de ce soir m'a déjà bien raffermi, et j'espère me débarrasser tout-à -fait de cette vilaine peur.
M. le Curé.Je serai charmé de contribuer à votre guérison; et j'espère, avant trois jours, vous voir assez raisonnables pour ne pas craindre de vous mettre en rapport avec certain spectre qui est chez moi, et dont la familiarité vous délivrera de la peur de tous les autres.
Les Enfans.Un spectre!
M. le Curé.Oui, vraiment; un spectre avec lequel j'ai fait connaissance il y a long-temps, et quim'a l'obligation de se trouver encore ici-bas.
Cécile.Quoi! il est visible chez vous? Nous ne l'avons pas vu lorsque nous y avons été?
M. le Curé.C'est un revenant de Paris où il est né, où il est mort. Je lui permets quelquefois de faire des absences de chez moi; il n'est revenu dans ma maison que ce soir.
Victor.Mais vous disiez qu'il n'en existait pas?
M. le Curé.Non, il n'existe ni spectres ni fantômes qui reviennent pour effrayer et tourmenter ceux qui ne les recherchent pas; mais j'ai recherché celui dont je parle, il me doit sa conservation,et il n'apparaît devant les étrangers que lorsque je le veux.
Gertrude ouvrait de grands yeux pour regarder M. le Curé; et il lui passait bien des idées par la tête.
Dix heures sonnèrent en ce moment à l'horloge du château; le pasteur se leva pour se retirer.—Nous serons bien contens d'aller chez vous demain, dirent les enfans, si l'on veut nous le permettre. Cette intention de leur part fit grand plaisir à M. de Verseuil; elle lui annonçait l'heureuse disposition de ses enfans à maîtriser leurs vaines craintes; la veille, ils n'auraient pas eu le courage de songer seulement à entrer chezM. le Curé, si on leur eût dit qu'il y avait un revenant.
D'après cette simple annonce, Gertrude se promit bien à elle-même de n'y jamais mettre les pieds.
Les enfans reconduisirent le pasteur jusqu'à la grille du château, et traversèrent ensuite les cours et les corridors sans songer qu'ils n'étaient accompagnés de personne.—Bien! très-bien! dit M. de Forbin, nous en ferons des hommes; il y a tout lieu d'espérer à présent.
Les enfans étaient venus de grand matin souhaiter le bonjour à leur mère, et lui demander si elle leur permettrait d'aller chez monsieur le Curé; elle le leur avait accordé, pourvu qu'ils obtinssent aussi la permission de leur père; ils allèrent aussitôt la lui demander.
Madame de Verseuil exprimait à Gertrude toute sa joie de l'heureux changement qui s'était opéré dansle caractère craintif de ses enfans.—Tenez, madame, lui dit celle-ci, je ne veux pas parler; tant mieux s'ils sont guéris. Quant à moi, je ne dormirai tranquille que quand je serai de retour à Paris.
Mad.de Verseuil.Comment! l'aventure d'hier ne t'a pas entièrement rassurée?
Gertrude.Il s'en faut; et depuis hier, il s'est passé bien d'autres choses.
Mad.de Verseuil.Que s'est-il donc passé?
Gertrude.J'ai eu une belle peur cette nuit! Qu'on vienne me dire que les morts ne reviennent pas, surtout dans des maisons comme celle-ci! Oh le maudit château! je voudrais bien en être dehors.
Mad.de Verseuil.Quoi! M. le Curé ne t'a pas convaincue que tes frayeurs étaient chimériques?
Gertrude.M. le Curé lui-même m'a bien donné à penser.
Mad.de Verseuil.Et qu'as-tu donc pensé, ma pauvre Gertrude?
Gertrude.J'ai pensé qu'en sa qualité de prêtre, il a beaucoup de pouvoir sur les esprits, qu'il aura conjuré celui d'hier, et nous l'aura fait apparaître sous la forme d'une chauve-souris.
Mad.de Verseuil.Oh! Gertrude, que vous êtes peu raisonnable!
Gertrude.Cela vous plaît à dire, madame. Au contraire, je réfléchis. Pourquoi le spectre, qu'il a maintenant chez lui, n'y est-il que depuis hier soir? parce que ce n'est que de ce moment que la prétendue chauve-souris a quitté ces lieux.
Mad.de Verseuil.Mais ne vois-tu pas que cette annonce d'un revenant chez lui n'est qu'une plaisanterie pour exciter la curiosité de mes enfans, ou quelque moyen ingénieux qu'il veut employer pour les rendre plus hardis? Ne l'avons-nous pas tenue entre nos mains, cette chauve-souris? Or, les esprits, rapporte-t-on, ne sont pas palpables.
Gertrude.Au surplus, cette nuit, c'était bien pire que la chauve-souris.
Mad.de Verseuil.Qu'est-il donc arrivé cette nuit?
Gertrude.Oh bien, madame, puisque vous voulez que je vous le dise, le voici: je dormais bien profondément, lorsque j'ai été réveillée par le bruit de quelqu'un qui se promenait dans les corridors; j'ai entendu ouvrir et fermer des portes, on a été sans doute dans le parc, puis on est revenu. Le vent faisait entendre un sifflement aigu, toutes les fenêtres tremblaient je crois autant que moi. Personne de la maison ne serait tenté je pense d'aller dans cette saison se promener ainsi la nuit.
Mad.de Verseuil.Tiens, écoute cette histoire: Une femmede beaucoup d'esprit du temps de Louis XIV, madame Deshoulières, se trouvait chez des amis à leur campagne; prévenue qu'un fantôme venait chaque nuit se promener dans l'un des appartemens du château, elle eut la curiosité de vouloir s'en convaincre par elle-même, et assez de fermeté pour approfondir cette aventure. Depuis long-temps, personne n'osait habiter l'appartement en question: elle s'y rendit après le souper, et se coucha bien tranquillement. Au milieu de la nuit, elle entendit ouvrir sa porte; on s'avança dans sa chambre d'un pas lourd et pesant; on renversa une table qui était près du lit, et on remua lesrideaux: il y avait de quoi être effrayé. Cependant madame Deshoulières surmonta toute crainte; et allongeant ses deux mains pour sentir si le spectre avait une forme palpable, elle rencontra deux oreilles longues et velues. Ces deux oreilles lui donnaient beaucoup à penser; mais continuant à vérifier, elle reconnut que le fantôme n'était autre chose qu'un gros chien assez pacifique, qui, n'aimant point à coucher à l'air, avait l'adresse de pénétrer dans l'intérieur de la maison par un carreau brisé, et venait coucher dans cette chambre, dont la serrure ne fermait pas bien. Le chien de la cour ne serait-il pas ton revenant de cette nuit?
Gertrude.Non, madame, ce n'est pas cela; demandez à Gérard, votre concierge, à qui l'esprit a parlé.
Mad.de Verseuil.Il lui a parlé!
Gertrude.Oui, madame; et il en est encore tout malade. Il y a précisément un an à pareil jour que son père est mort. Eh bien, vers minuit, il est venu frapper aux carreaux de la fenêtre, et a crié à son fils:Gérard, songe à moi, n'oublie pas ce que je t'ai demandé.Avant de mourir, ce brave homme lui a recommandé de faire dire tous les ans une messe pour le repos de son âme, et d'acquitter une petite dette qu'illaissait. Malheureusement Gérard a négligé de la payer; c'est sans doute pour cela que son père est revenu.
Mad.de Verseuil.Gérard aura rêvé ce qu'il t'a rapporté.
Gertrude.Non, madame, il a bien entendu la voix du défunt, et Brigitte sa femme, l'a entendue de même.
M. de Verseuil entra chez sa femme avec les enfans, et un instant après, M. de Forbin arriva.—Ma sœur, dit-il, c'est aujourd'hui la fête de ma petite Cécile; comme je suis bien content d'elle, je vais lui donner de jolis livres que j'ai fait venir de Paris. Gertrude, allez voir si Gérard a étéles chercher chez le libraire, à la ville voisine. Gertrude revint un instant après dire que Gérard avait oublié sa commission; mais qu'il venait de partir sur-le-champ.
M. de Forbin.Le maraud l'a donc fait exprès?
Gertrude.Pardonnez-lui, monsieur; car c'est bien excusable d'après ce qui lui est arrivé.
M. de Forbin.Qu'est-ce donc?
Mad.de Verseuil.C'est une grande aventure qui n'est pas très-claire; je vous conterai cela.
M. de Forbin.Je devais d'autant moins m'attendre à cet oubli, qu'hier au moment de me mettre au lit, craignant que ce nigaud manquât de mémoire, je suis descenduexprès pour lui rappeler ma commission.
Mad.de Verseuil.Sur le minuit?
M. de Forbin.Minuit sonnait comme je remontais.
Mad.de Verseuil.Vous avez frappé à sa porte?
M. de Forbin.Non; mais à sa croisée.
Mad.de Verseuil.Et que lui avez-vous dit?
M. de Forbin.Je lui ai dit qu'il songe à moi; qu'il n'oublie pas ce que je lui avais demandé. Mais à quoi bon toutes ces questions?
Mad.de Verseuil.Je vais vous l'expliquer, tandis que Gertrudeapprêtera le déjeûner; car je pense qu'elle serait trop confuse si j'en faisais le récit devant elle; n'est-ce pas, Gertrude? Oh! le maudit château! le maudit château! répéta madame de Verseuil, en riant de tout son cœur.
Elle fit alors le détail de tout ce que la gouvernante de son côté, et le concierge du sien, avaient imaginé d'après la sortie nocturne du capitaine; et chacun rit beaucoup de cette nouvelle terreur panique de la pauvre Gertrude.
Vous voyez, dit M. de Verseuil, que voilà une seconde apparition qui n'aurait pas manqué d'ajouter à la réputation de ce château. C'est ainsi qu'on forge des histoires,lorsqu'on s'abandonne à la peur sans réfléchir.
Je me souviens, dit M. de Forbin, d'une autre peur que je fis un jour, sans le vouloir, à un pauvre diable. Pendant un séjour que je fis à Paris, je pris un logement garni; et j'étais un matin dans mon lit à réfléchir que j'avais eu tort de laisser ma clef à la porte d'entrée, parce qu'il serait facile de me prendre divers effets qui étaient dans une petite antichambre. Tandis que ces idées me roulaient par la tête, un menuisier montait chargé d'un cercueil pour un homme qui venait de mourir dans une chambre voisine. Le menuisier croyant entrer chez le mort,ouvre ma porte, et dit en entrant: «Voilà une bonne redingote pour l'hiver.» Je crus qu'on me volait. Ah, coquin! tu oses te moquer de moi! dis-je en sautant hors du lit. Cet homme me voyant paraître nu en chemise, laissa tomber son cercueil, et se sauva à toutes jambes, ne doutant pas qu'il n'eut le mort à ses trousses.
Albert.Le quiproquo de cet homme dût bien vous amuser?
M. de Forbin.En revanche, une autre fois, il m'arriva une aventure de spectre qui aurait eu de quoi m'effrayer, si j'avais été craintif. Mais cela me rappelle que M. le Curé doit vous en faire voir un de sa connaissance; allons le trouver.
Cécile.Mon oncle, dites-nous, auparavant votre aventure?
M. de Forbin.Vous le voulez? la voici: En passant à Grenoble, comme militaire, je fus logé chez des bourgeois. J'entendis la nuit marcher à grands pas dans ma chambre, quelqu'un qui traînait des chaînes. En prêtant l'oreille, je distinguai qu'on allait du côté de la cheminée. On remua les cendres où j'avais enterré un tison; ce qui fit une lumière, à la faveur de laquelle j'aperçus un grand homme sec, qui avait les joues creuses, un regard effroyable, et des chaînes aux mains et aux pieds. Ce spectre s'approcha ensuite d'une table où il y avait deux pistoletschargés; il en prit un, le banda en le regardant, puis le remit brusquement sur la table; après quoi il vint droit à mon lit, et me dit d'une voix lugubre et terrible: que fais-tu là ?—Je tâche de dormir, lui répondis-je. Et toi, que viens-tu faire ici?—Je veux me coucher; retire-toi. Et il se mit à me pousser comme s'il eut voulu me jeter hors du lit. Je ne savais trop que penser de cette scène, lorsque j'entendis du monde crier dans la cour: le fou est échappé. Je me jetai alors sur ce grand diable de corps, que je tins embrassé de toutes mes forces, jusqu'à ce qu'on fût venu me délivrer d'un si vilain camarade. C'était un fou maniaque,père du maître de la maison, et qui s'était échappé du corps de logis où on le tenait renfermé habituellement.
Dans une pareille circonstance, lorsque le spectre serait venu à vous, dites-moi, enfans, qu'auriez-vous fait?—J'aurais crié bien fort, pour appeler du secours, dit Cécile.—Je me serais saisi des chaînes qu'il avait aux mains, pour l'empêcher d'agir contre moi, dit Victor.—Ma foi, dit Albert, j'aurais sauté sur mes pistolets, et l'ajustant aussitôt, je lui aurais conseillé de décamper au plus vite, ou sinon....—Bien! mes enfans, reprit le Capitaine. Je crois que M. le Curé peut maintenant vous faire apparaîtreles plus méchans lutins..... Allons le voir.
Ce fut une grande partie de plaisir pour nos trois petits peureux. Ils n'étaient pas encore très-fermes; mais la curiosité l'emportait sur la crainte. Ils avaient néanmoins résolu entre eux de faire bonne contenance, telle chose qu'ils vîssent ou entendîssent, et ils s'étaient promis de ne point se quitter.
Ils trouvèrent M. le Curé avec un jeune homme de dix-huit ans, environ, qu'il présenta comme son neveu, étudiant en chirurgie près la Faculté de Paris. M. de Forbin fit bien rire M. le Curé, en lui apprenant l'effroi qu'il avait causé la nuit à Gérard et à dame Gertrude—Ilfaut convenir, dit M. le Curé, que le hasard rapproche quelquefois un concours de circonstances qui semblent tellement liées ensemble, qu'elles doivent nécessairement surprendre au premier coup d'œil. Gérard pensait sans doute à son père au moment où vous vîntes lui parler, et vos paroles se trouvèrent telles qu'aurait pu les proférer le défunt. Que Gérard se soit donc laissé aller d'abord à la surprise, cela se conçoit; mais s'il avait seulement demandé qui lui parlait ainsi, vous répondiez, et tout le prestige était détruit. C'est parce que les gens craintifs, ignorans, ne font jamais de recherches, qu'il circule tantd'histoires qui ont quelque apparence de vérité. A votre arrivée, je rapportais à Ernest, mon neveu, notre aventure de la chauve-souris, et il allait à son tour me raconter un trait qui lui est personnel.
On pria M. Ernest de faire part de ce trait; voici ce qu'il dit: Un jour une domestique de chez mon père étant descendue à la cave, en remonta avec une frayeur sans égale, s'écriant qu'elle venait d'y voir un spectre. On se moqua d'elle; et les plus hardis d'entre quelques voisins descendirent pour vérifier ce rapport; mais ils remontèrent aussi promptement, et avec autant de frayeur que cette pauvre servante. Le bruit courut dans la maison,et se répandit bientôt dans tout le quartier que nous avions un revenant dans notre cave. On y venait en foule pour le voir, et chacun s'en retournait convaincu. J'arrivai sur ces entrefaites; je descendis aussi à la cave; je vis comme tout le monde un grand corps pâle et décharné, debout, absolument nu, et dont les yeux à demi fermés étaient effrayans. Personne n'osait approcher, et l'on me crut perdu lorsqu'on me vit avancer. Je remuai un tonneau pour parvenir à ce corps, il fit un mouvement, tout le monde s'enfuit, et je restai seul avec ce spectre qui était tombé dans mes bras.
Victor.Ah! mon Dieu, qu'est-ceque c'était que ce spectre, et d'où venait-il?
Ernest.C'était réellement un mort. Le chariot de l'Hôtel-Dieu qui transporte au cimetière ceux qui décèdent dans cet hôpital, ayant versé la nuit précédente près de notre maison, et les corps étant tombés sur le pavé, celui-ci avait passé par le soupirail de la cave, et comme il était tombé entre deux tonnes, il se tenait droit. Cette découverte détruisait toutes les conjectures qu'on avait pu former; mais telle est la faiblesse humaine, que nous fûmes les seuls qui restâmes dans cette maison; tous les autres habitans la quittèrent, personne n'osant plus descendre dans les caves.
M. de Forbin.Voyez comme on se rend esclave, et par conséquent malheureux, par un caractère faible et craintif.
M. le Curé.Etant vicaire d'une paroisse de Paris, j'ai participé à un événement bien extraordinaire, qui fut causé par un enchaînement singulier de circonstances. Un fossoyeur ayant vu ensevelir un homme de qualité auquel, d'après ses dernières volontés, on avait laissé au doigt un anneau d'un grand prix, résolut de le lui dérober. Etouffant le cri de sa conscience qui lui ordonne de ne point violer l'asile des morts, il se rend dans le caveau où l'on avait laissé ce cercueil qu'on devait placer le jourmême dans une tombe particulière qu'on préparait dans une chapelle de l'église. Il s'était muni d'une lanterne sourde, et de quelques outils propres à son opération. Ayant vu cet homme ouvrir la porte d'entrée des souterrains, et n'ignorant pas la particularité de l'anneau, je conçus des soupçons. J'avais un moyen de m'en assurer en entr'ouvrant la trappe qui donnait de l'église dans les caveaux de sépulture. Je m'y pris avec assez de précaution pour n'être pas entendu. J'aperçois mon voleur; il ouvre le cercueil, et détachant le linceuil, qui enveloppe le cadavre, il s'empare de la main pour retirer l'anneau funeste qui l'a tenté; lesdoigts étaient enflés, il n'en pouvait venir à bout; je lui vois prendre son couteau et couper le doigt, où était le diamant. «Malheureux! lui criai-je de toute ma force, qu'ose-tu faire là !»
Il crut sans doute entendre une voix surnaturelle; ces mots le glacèrent d'épouvante. En faisant quelques mouvemens, il renversa sa lanterne, et sa lumière s'éteignit. Je ne distinguai plus rien; mais je l'entendis reclouer le cercueil. Je me rendis à la porte des souterrains pour l'attendre à la sortie; une demi-heure s'étant écoulée, et ne le voyant pas venir, je pris de la lumière, et je descendis. Je trouvai ce malheureux renversé sur lecercueil, et ayant perdu connaissance. Je le rappelai à lui: Vous avez fait une vilaine action, lui dis-je, et vous n'êtes pas sans doute sans vous en repentir; suivez-moi et ne craignez rien de ma part. Ses forces n'étaient pas encore revenues, je voulus l'aider à se relever... dans ce moment ma lumière fut éteinte.—C'est en vain que je veux fuir, me dit-il, celui que j'ai dépouillé me retient toujours; je suis perdu!—Et il s'évanouit de nouveau. J'essayai de l'entraîner; mais il était effectivement retenu. J'allai chercher le suisse; et nous reconnûmes que ce malheureux en refermant le cercueil dans l'obscurité, avait cloué le pan deson habit entre deux planches; voilà ce qui lui avait fait imaginer qu'il était arrêté par la vengeance divine.
Tandis que je lui donnais des secours, le suisse ouvrait le cercueil; jugez de sa surprise! La dernière heure n'était pas encore sonnée pour celui qu'on avait descendu dans le tombeau; l'action de notre voleur l'avait tiré de sa léthargie, et se trouvant à moitié désenseveli, il commença à ouvrir les yeux, à remuer les bras. J'admirai les moyens que la providence avait pris pour soustraire cet homme au sort fatal qui l'attendait. Pendant ce temps-là le fossoyeur revint à lui. Lorsqu'en ouvrant lesyeux, il rencontra ceux du prétendu mort fixés sur lui, il en conçut une telle épouvante que sa raison en fut aliénée pour toujours.
Ernest.Si vous n'étiez pas venu au secours de cet homme, il pouvait périr dans cette situation; une frayeur considérable arrête la circulation du sang, le fait refluer vers le cœur, et peut nous étouffer. Dans un monastère du Frioul, un frère nommé Roch ayant remarqué un religieux qui allait toutes les nuits faire sa prière devant une Statue de Saint-Dominique, ôta cette statue de sa niche, et s'étant revêtu d'un habillement semblable à celui du saint, il se mit dans lamême niche à sa place, tenant en main une discipline. Le religieux vint, suivant sa coutume faire sa prière, le frère déguisé le menaça, en remuant sa discipline. Le religieux eut peur et s'enfuit; frère Roch le poursuivit; le religieux ressentit alors une si terrible frayeur qu'il tomba évanoui. C'était le moment où les religieux venaient chanter l'office. Frère Roch alla au plus vîte remettre la statue sur son piédestal, et accourut comme les autres au secours de celui qui était saisi de peur. On trouva que ses cheveux avaient blanchi en un instant, et il mourut peu de jours après sans avoir parlé. Frère Roch, fort repentant, raconta lui-mêmecette histoire à Thomas Campanelle, qui la rapporte.
M. le Curé.On ne doit jamais chercher à effrayer personne; les imprudens qui s'en avisent peuvent en devenir eux-mêmes les victimes. J'ai connu à Paris un cordonnier qui faisait profession de veiller auprès des morts; et tout en remplissant cette fonction, il travaillait quand il était pressé d'ouvrage. Des jeunes gens qui demeuraient dans une maison où il y avait un mort, résolurent d'effrayer le gardien: ils déplacèrent donc le cercueil, et le déposèrent dans un coin; puis l'un d'eux se mit sous le drap mortuaire à la place. Le cordonnier vint pour faire sa veillée,et apporta en même temps de l'ouvrage. Tout en travaillant, cet homme se mit à frédonner quelques airs. Alors le jeune homme caché sous le drap, prenant un ton de voix sépulcrale, dit: «On ne chante point quand on veille les morts.» Le cordonnier ne fit pas grande attention à cette voix, parce qu'il s'imagina que c'était une illusion, et il continua. Mais comme un instant après on répéta les mêmes paroles, notre veilleur prit une forme, et la lança avec force sur le cercueil, en disant: «On ne parle point quand on est mort.» Le malheureux jeune homme caché là fut frappé à la tempe, et tué roide. Les autresjeunes gens qui attendaient toujours la scène que devait produire l'effroi du cordonnier, n'entendant rien et ne voyant point revenir leur camarade, s'informèrent, et furent désespérés quand ils connurent le funeste résultat de leur démarche plus qu'inconséquente.
Les enfans regardaient de tous côtés s'ils ne verraient rien paraître, et ils étaient attentifs au moindre bruit.—Je vois, leur dit M. le Curé, ce qui occupe votre esprit; mais soyez tranquille, vous ne verrez rien en ce moment.
Albert.C'est bien dommage; nous vous promettons de ne pas avoir peur.
M. le Curé.J'aime à le croire; mais il me faut une certitude que je ne puis acquérir que par diverses épreuves que vous aurez à subir auparavant. Que vous n'ayez pas peur à présent, cela se conçoit, il fait jour et vous êtes en compagnie; or, dans ces deux hypothèses, on ne voit jamais de revenant, parce que nos sensations se soutiennent avec force, et par conséquent l'imagination ne saurait prendre le dessus; ce qui vous démontre clairement, mes petits amis, que toutes les prétendues apparitions ne sont que des visions de personnes dont le cerveau est troublé par l'effroi.
M. de Forbin.J'aperçois de cette fenêtre le cimetière du village.Voyez-vous ce charnier où sont rangés tous ces ossemens? Que diriez-vous, si vous voyiez tout à coup une de ces têtes se déranger de sa place, et venir de votre côté?
Les Enfans.Il faut avouer, mon oncle, que cela serait effrayant.
M. de Forbin.Ce prodige est pourtant arrivé à Paris. Vous connaissez le marché des Innocens?
Cécile.Oui; cette grande place où il y a une belle fontaine, et qui est remplie de marchands de légumes et de fruits.
M. de Forbin.Eh bien! par une bizarre destinée, l'on va chercher le soutien de la vie dans un lieu jadis consacré à la mort. Cen'est qu'en 1786 qu'on transporta dans des cimetières hors de la ville l'innombrable quantité d'ossemens que contenait celui-ci. Ce transport se faisait ordinairement la nuit. Un soir, pendant qu'on chargeait la voiture funèbre d'ossemens, et que l'on confondait les têtes froides du riche, du pauvre, du savant et du sot, on vit à la lueur des flambeaux une de ces têtes remuer, se tourner en plusieurs sens, et faire deux ou trois bonds. Les intrépides fossoyeurs sentent leurs cheveux se dresser sur leurs têtes; ils reculent d'effroi.
Victor.Comment cette tête marchait toute seule?
M. de Forbin.Non pas touteseule précisément, car il s'était logé dedans un gros rat que l'on vit sortir un instant après; et les éclats de rire succédèrent à la frayeur.
Albert.Je vois qu'il ne faut en effet s'effrayer de rien: c'était bien là le cas ou jamais de croire aux événemens surnaturels.
M. de Forbin.A coup sûr, s'il n'y avait eu là qu'une seule personne, et qu'elle eût été effrayée, elle se serait sauvée. Après avoir vu la tête se mouvoir, elle n'eut pas vu le rat en sortir; et par conséquent, elle serait demeurée convaincue que cet événement tenait du prodige.
Victor.J'ai lu dans l'histoire de France, par Daniel, que Charles IX étant à la chasse dans la forêt de Lions, en Normandie, on vit paraître un spectre de feu, qui épouvanta tellement tous ceux de la suite du roi, qu'ils s'enfuirent et le laissèrent seul. Ce prince, tirant son épée, piqua droit à ce feu extraordinaire, et le spectre disparut aussitôt.
M. de Forbin.Il ne faut attribuer ces effets singuliers qu'à des causes purement physiques; ce sont des exhalaisons qui sortent de terre et s'enflamment. Il est des pays où l'on voit très-souvent de ces espèces de prodiges. Dans la Libye, par exemple, où l'air est ordinairementfort tranquille, il s'y forme par les exhalaisons, des nuages qui, n'étant point dissipés par les vents, s'épaississent et prennent diverses figures: si l'on fuit, ou si l'on donne quelque mouvement à l'air, ou s'il se trouve une rivière ou un ruisseau dans ce canton, ces exhalaisons épaissies suivent le cours de l'eau ou le mouvement de ceux qui fuient; et si elles les atteignent, elles les enveloppent et les glacent de frayeur. Les habitans de ces pays ne s'en mettent point fort en peine; mais on conçoit que les étrangers qui ignorent les causes qui produisent ces nuages, peuvent en être effrayés, et les prennent pour des spectres.
M. le Curé.Nous voyons quelquefois dans nos campagnes, et surtout dans les temps de chaleur et d'orage, de petites flammes qui vont et qui viennent au gré de l'air, et qu'on nommentfeux follets. Les gens peu instruits sont persuadés que ce sont des esprits espiègles ou malicieux: c'est tout simplement de l'air inflammable qui s'est dégagé de la terre, et particulièrement des terrains marécageux.
Cécile.Je vois aussi quelquefois des étoiles se détacher du ciel, et tomber sur la terre comme une fusée.
M. de Forbin.Ce ne sont pas des étoiles; mais de simples exhalaisonssulfureuses qui s'enflamment, filent et meurent dans l'air. Quand ça tombe jusqu'à terre, on ne trouve qu'une matière blanche et visqueuse, qui est le résidu de ce qui a brûlé dans les airs. Sur les mers, on voit dans les temps orageux, de petites flammes qui s'attachent aux pavillons, aux cordages et aux mâts des vaisseaux, et qu'on appellefeux Saint-Elme; elles sont produites par le fluide électrique répandu dans l'air, et qui, étant poussé avec impétuosité et rencontrant des corps isolés, tels que des vaisseaux, se manifeste alors sous la forme de petites flammes, principalement dans les endroits où il y a du fer, que lamatière électrique pénètre très-aisément.
J'ai vu sur les mers deux phénomènes qui frappent l'imagination et donnent lieu à des contes fondés sur les effets surnaturels: l'un, qu'on appellemirage, est un effet attribué généralement à la disposition des couches de l'atmosphère: les rivages opposés semblent se rapprocher; les mâts des vaisseaux paraissent renversés; on croit apercevoir dans l'air, pendant les jours très-chauds, des bois, des châteaux, des troupeaux, des hommes, etc. L'autre phénomène est d'un aspect non moins merveilleux; il a de quoi étonner, et présente un tableau vraimentmagique. Au milieu des ténèbres de la nuit, on se voit entouré d'une lumière qui se répand sur les eaux, ou se joue autour du navire. Quelquefois la mer toute entière, aussi loin que l'œil peut l'embrasser, paraît être en feu, et des corps lumineux y nagent sous des formes diverses.
Victor.Ah! mon oncle! que cela doit être beau à voir!
M. de Forbin.Des gens simples et pusillanimes sont quelquefois effrayés des effets de cette phosphorescence des eaux. J'en ai vu qui en sont tombés malades de peur. Cependant tout cela s'explique par les principes de la saine physique.
Ernest.La connaissance des causes physiques n'étant pas à la portée du vulgaire, il s'extasie ou s'effraie facilement. Des curieux regardant avec un flambeau dans un vieux sépulcre qu'on venait d'ouvrir dans l'école de médecine de Pise, les vapeurs grasses causées par la corruption des cadavres s'enflammèrent à l'approche du flambeau, au grand étonnement des assistans, qui crièrent,miracle. La même chose arriva à Rome, en ouvrant le tombeau de Boniface VIII. Quelquefois aussi les vapeurs grasses qu'exhalent les cadavres, soit dans les cimetières, soit sur les champs de bataille, excitées par une forte chaleur, s'enflamment.Il faut attribuer à une cause semblable ce qui arriva dans le siècle dernier à Febourg, secrétaire du roi de Danemarck; cet homme ayant été pendu, il parut, dit-on, pendant la nuit une flamme sur sa tête. Le peuple qui ne voit que des prodiges dans les choses qui lui paraissent extraordinaires, augura que cet homme était mort innocent des crimes qu'on lui imputait.
Albert.Mais j'ai pourtant lu dans plusieurs livres une histoire bien authentique d'un revenant; je veux parler dugrand Veneurde la forêt de Fontainebleau: c'est un fantôme que l'on dit avoir souvent apparu aux rois lorsqu'ils allaientà la chasse. Il se fit voir pour la dernière fois du temps d'Henri IV, dans un moment où le roi revenait de la chasse très-mécontent de n'avoir rien pris. Ce monarque entendit tout à coup un grand bruit de chiens et de chevaux, et des fanfares qui semblaient annoncer une grande chasse plus heureuse que la sienne. Le comte de Soissons, prince du sang, se détacha avec plusieurs personnes pour aller voir ce que c'était; ce seigneur rapporta qu'il avait vu, mais de fort loin, un grand homme noir à la tête d'un nombreux équipage de chasse, et que ce mystérieux personnage criait de temps en temps,entendez-vous, oum'attendez-vous, ou bienamendez-vous. Le grand Sully y fut, dit-on, lui-même attrapé. Un jour, ayant cru entendre le roi revenir de la chasse, il sortit de son cabinet pour aller lui communiquer une affaire importante; mais Henri IV était à plus de quatre lieues de là . Il se trouva que c'était legrand Veneurqui chassait aux environs du château.
M. le Curé.La plupart des historiens qui rapportent ce fait n'en parlent que sur la foi d'autrui, et en hommes superstitieux ou qui craignaient de choquer les opinions du temps; ils racontent simplement ce que le vulgaire en pensait. Sully, l'autorité la plus respectable, enparle aussi dans sesmémoires; mais vous remarquerez de quelle maniere. «On cherche, dit-il, de quelle nature pouvait être ce prestige, vu si souvent et par tant d'yeux, dans la forêt de Fontainebleau: c'était un fantôme environné d'une meute de chiens, dont on entendait les cris, et qu'on voyait de loin, mais qui disparaissait lorsqu'on s'en approchait.»