A Pinsk.
La semaine dernière je reçus de Lucile invitation de venir passer avec elle et sa mère quelques jours à la campagne. J'y volai à l'instant sur les ailes de l'amour.
Tu ne saurais t'imaginer combien ma belle s'est remise en si peu de temps.
Le plaisir et la joie ont été ses seuls médecins; mais quelle n'est pas leur puissance! Déjà ils ont essuyé ses larmes et ramené les ris sur ses lèvres. Déjà ils ont éteint la fièvre dans ses veines, rendu à ses organes leur souplesse et la vigueur à tout son corps. Par leur vertu, son teint commence à se ranimer, ses yeux à reprendre leur feu, sa peau à recouvrer sa fraîcheur: on la dirait rajeunie. Bientôt je verrai ses grâces se ranimer, ses charmes éclore de nouveau et sa beauté sortir radieuse des nuages dont le chagrin l'avait enveloppée.
Depuis que le sort s'est ainsi cruellement joué de mes vœux, je commence à jouir de quelques moments tranquilles.
Après l'affreuse situation, où m'avait mise la crainte de perdre Lucile, je sens mieux le plaisir de la posséder. On dirait, cher Panin, que le dieu des amants mesure toujours leur bonheur à leurs peines.
Mais quels sont ces liens secrets qui m'attachent ainsi à cette fille? Quel est ce charme invincible qui me force à la contempler sans cesse, et ne me fait trouver du plaisir qu'à ses côtés?
Je ne suis cependant pas tout à fait sans inquiétudes. Le souvenir de mes peines passées est encore présent à mon esprit. Quelquefois en suspens entre l'espérance et la crainte, je contemple en silence mon bonheur: je me demande si ce n'est point un songe; je tremble que quelque accident imprévu ne vienne encore changer en pleurs les transports de ma joie.
Non, cher Panin, je ne serai pleinement heureux que lorsque ma Lucile me sera unie par des nœuds indissolubles.
De …, le 21 avril 1771.