en aubes, donna chascun jour grans dons aux églyses: le premier jour donna
grant terre à l'églyse Notre-Dame de Rouen; le second jour à Notre-Dame de
Baieux; au tiers jour à l'églyse Notre-Dame d'Evreux; au quart jour Ã
l'églyse de Saint-Michel-en-Péril-de-Mer; au cinquiesme jour à l'églyse
Saint-Père et Saint-Oyen qui sont en la cité; au sixiesme jour, à l'églyse
St-Père et St-Acadie-de-Jumèges; et au septiesme jour donna Berneval et
toutes les appartenances à l'églyse Saint-Denis le martire, l'apostre de
France.
Au huitiesme jour qu'il ot les armes mises jus, il commença à donner à ses
princes et à ses chevaliers la terre qu'il avoit conquise: et quant les
païens virent que leur sire estoit crestien, il guerpirent les idoles et
coururent au saint baptesme d'un cuer et d'une volenté; et le conte Robert
d'Aquitaine retourna en France lié et joiant, quant il ot accompli la
besoingne pour quoy il estoit alé. Et le duc Robert, nouvellement converti,
fist grant appareil comme pour espouser la fille du roy, si l'espousa à la
loy crestienne en l'an de l'Incarnation neuf cent et douze. Après establi
ses lois et ses drois par toute Normandie et fu la terre si seure et si
bien gardée qu'il n'estoit nul qui rien y osast méfaire. [204]Une pièce de
temps vesquit Gillette, la duchesse, avec son seigneur; morte fu sans hoir,
et le duc Robert reprist, après mort, une dame qui ot nom Pompée[205] que
il avoit avant laissée. De celle avoit un fils qui Guillaume avoit nom;
vaillant et sage et bien entechié[206]. Le duc Robert qui moult estoit jÃ
affoibloié des travaux et des batailles ou il avoit toute sa force
dégastée, se pourpensa et ot délibération à qui il pourroit sa terre
délaissier. Lors assembla tous ses barons et les deulx princes de
Bretaingne, Alain et Berengier. Son fils Guillaume, qui moult estoit beaux
et avenant, fist venir devant tous et leur commanda que il le préissent Ã
seigneur et le féissent prince de toute Normandie qui, jusques à ce temps,
estoit appelée Neustrie, et leur dist en telle manière: «A moi appartient
que je le vous livre pour seigneur et à vous que vous luy portez foi et
loiauté.» Quant il ot ce dit, si parla à eulx moult doulcement et les
enseigna moult de paroles et commanda que chacun luy feist hommage en sa
présence. Après ces choses vesquit environ cinq ans et mouru vieux et
debrisié.
Note 204:
Willelmi Gemet., lib. II, c. 22.
Note 205:
Pompée
, latinè,
Poppa
. Rollo l'avoit eue pour maîtresse
avant d'épouser la princesse Gilette. Le roman de Rou dit de
Poppa
:
Liquens Berengiers ot une fille mult bele,
Pope l'apele l'en, mult est gente pucele....
Rou l'en a fait sa mie, qui mult l'a désirée;
D'ele fu né Wiliam, qui ot nom Lunge-Espée.
(
Vers
1340.)
Note 206:
Entechié.
Instruit, morigéné.
§.
ANNEE: 923.
Coment Hebert le conte de Vermendois prist par traïson, en semblanced'amour, le roy Charle-le-Simple et le mist en prison.
Incidence.
[207]Es kalendes de février furent vues en l'air compaignies
ainsi comme de gens armés: et sembloit que l'une chassast l'autre parmy
l'air; et fu signe et demonstrance des choses qui puis avindrent au
royaume; car en cel an meisme fu si grand dissencion entre le roy et les
barons que pour ces guerres meismes y ot faicte mainte occision, mais à la
parfin cessèrent ces guerres par la voulenté Nostre-Seigneur. Au tiers an
après, mourut Richart, le duc de Bourgoingne, et fu enseveli en l'abbaye
Saincte-Colombe de lez la Cité de Sens, en l'oratoire Saint-Simphorien le
martir.
Note 207:
Chronicon Lugonis Floriacensis monachi. A° 918.
[208]Entour un an après la mort le duc Richart, mut contens entre le roy
Charle-le-Simple et le prince Robert dont l'istoire a dessus parlé, qui
frère eut esté le roy Heudes. La cause de la guerre fu pour ce que Robert
disoit que il n'avoit pas eu partie du royaume qui lui estoit eschéue du
descendement de son père; un pou du royaume saisi par force; et pour ce
qu'il semblast que il peust encore mieux faire et par auctorité d'aucune
seigneurie, fist-il tant vers aucuns des évesques, en partie par losangerie
et en partie par don et en partie par menace, que il le couronnèrent, et de
ceptre et de couronne. Puis assembla son ost et vint à bataille contre le
roy à Soissons, mais en celle bataille le occirent les barons de la partie
le roy. Si ne furent pas sa gent si esbahis qu'il ne se combatisseut
forment et longuement puis encore qu'il furent certains de sa mort; mais
quant le roy s'en retournoit de celle bataille, si luy vint à l'encontre
Hebers, le conte de Vermandois; homs étoit le plus desloiaux de tous les
desloiaux; au roy parla faulcement en semblance d'amour, et le pria de
herbergier au chastel de Péronne. Le roy, qui par simplesse ne pensoit Ã
nul mal, si le crut et fist sa requeste; et quant le desloyaux Judas le
tint en sa forteresse, si le prist et le mist en fort prison. Tout ce
fist-il pour ce que Robert, qui en la bataille avoit esté occis, avoit sa
serour à femme; et de celle fu né Hugues-le-Grand.
Note 208:
Hugo Floriac. A° 922.
I.
ANNEE: 923.
Ci comence du roy Raoul, coment il fu coroné à roy et vertueusementgoverna le roïaume.
Quant Charle-le-Simple fu ainsi emprisonné par trahison, si demoura l'estat
du royaume moult périlleusement. Lors s'accorda que un sien filleul, qui
avoit nom Raoul et eut esté fils Richart, le duc de Bourgoingne, fust
couronné. A ce s'accorda Hugues-le-Grant et les autres barons de France. Si
fu cil Raoul couronné à Soissons. Grant pièce de temps demoura Charle en
prison. Maint mal et maint grief y souffri, et à la parfin mouru-il et fu
enseveli en l'églyse Saint-Foursin. Son fils Loys, que il avoit eue de
Algine, la fille au roy d'Angleterre, s'enfui à son aioul, car il se
doubtoit moult que autelle meschéance ne l'y avenist comme à son père; et
si sembloit que il feust plus seurement oultre-mer en estrange région que
en son propre royaume et entre ses gens meisimes. Vingt-sept ans régna
Charle-le-Simple. [209]Au temps du roy Raoul moult vindrent paiens en
Bourgoingne; grant partie du pays dégastèrent; François et Bourguignons
alèrent encontre, et fu celle bataille en un lieu qui a nom Kallos li
mons[210]. Mais moult y eut occis de crestiens; toutes voies eurent-il
victoire. (Le roy Raoul gouverna le royaume douze ans noblement et
vertueusement; et deffendi sainte Eglyse, et voult que le povre eust aussi
audience, en requérant son droit, comme le riche.) [211]Dessoubs ce Raoul
eut Hues-le-Grant le nom d'abbé, après son père le conte Robert, et tint
l'abbaye de Saint-Germain: et furent laiens, en son temps, trois déans: le
premier eut nom Armaire, le second Gobert et le tiers Albon. En ce temps
morut le roy Raoul. Enseveli fu en l'églyse Sainte-Colombe de Sens.
Note 209:
Ex chronico Hugonis Floriacensis, anno 926.
Note 210:
Kallos li mons.
Hugues de Fleury dit:
In monte Chalo
,
et le continuateur d'Aimoin:
Kalomonte
.
Note 211:
Aimoini continuatio, lib. V, cap. 42.
II.
ANNEEs: 931/933.
Des bones meurs Guillaume, duc de Normandie; et coment il eut victoire surtous ceulx qui le vouloient grever.
[212]Après la mort Rollo, qui en baptesme fu appelé Robert, tint la duché
de Normandie son fils Guillaume, dont l'istoire a fait là dessus mencion.
La foy crestienne gardoit de tout son pouvoir loiaument; moult lui avoit
Dieu donné de graces, car il estoit grant et bien fourmé, beau de face, les
ieus vairs et clairs. Débonnaire estoit et de ferme volenté à ses amis, et
à ses ennemis horrible et fier comme un lyon: en bataille fors comme un
géant, si n'apétiçoit pas entour lui sa seigneurie, ains la croissoit de
toutes pars: et pour ce conçurent maint des barons de France hayne et envie
contre luy. En ce temps se vouldrent soustraire de son fié et de sa
seigneurie les deulx princes de Bretaingne Alain et Berengier, qui au temps
le roy Robert, son père, luy avoient fait hommage, et se vouldrent monstrer
amis du royaume de France[213]; mais le duc entra tantost en Bretaingne; le
pays dégasta, et abati les forteresses. Tant mena Alain qui estoit
principal de cette félonie, qu'il le chasça en Angleterre, et Bérengier
fist vers luy paix.
Note 212:
Willelmi Gemetie, lib. III, cap. 1.
Note 213:
Et se vouldrent monstrer amis.
Dom Bouquet a lu:
Et sevodrent mettre nu à nu de sor le roiaume de France.
Je pense que
j'ai reproduit le véritable texte de la traduction; mais cette
traduction est mauvaise. Il falloit: Et se disposent à faire la
guerre au roi de France. «
Regi Francorum ulterius disponentesmilitare
.»
[214]Après ce lui sourdi autre guerre de ses gens meismes; car Riulphe,
l'un de ses princes, le cuida chascier de Normandie. Grant gens assembla,
le fleuve de Seine trespassa soudainement, et dedens la cité de Rouen
assist le duc Guillaume qui dedens estoit à peu de gens, comme cil qui pas
ne s'en prenoit garde. Si pensoit à ce le traître qu'il l'occiroit et se
mettroit en saisine de la terre. [215]Et quant le duc se vit ainsi
entreprins des siens meismes, il se commença à pourpenser quel conseil il
pourroit prendre qui fust à son honneur et à sa sauveté, et par quoy il
chastoyast les siens de telle présomption. En la fin issi hors par
l'enticement Bothone[216] un sien amy qui assez luy disoit de laides
paroles pour luy encouragier. A tout trois cens chevaliers armés courut sus
ses ennemis; parmy les tentes se feri et fist d'eulx moult grant occision.
Et les autres s'enfuyrent et se rependirent parmi les bois et là où il se
peurent le miex sauver. Et Riulphe, qui vit la desconfiture de sa gent, se
mist avec ceulx qui fuyoient et eschappa en telle manière. Après la
bataille nombra le duc sa gent et trouva qu'il n'en y avoit nuls perdus. Le
lieu où telle desconfiture fu est encore aujourd'huy appelé
Le Pré de labataille
[217].
Note 214:
Villelm. Gemet., lib. III, c. 2.
Ce Riulphe étoit comte
de Cotentin.--Wace, vers 2120:
Riouf fu uns Normanz qui mult se fist doter,
Quens fu et sage et pros, bien sout mal en arrier;
Quais fu de Costentin entre Vire et la mer.
Note 215:
Id.-- id.-- c. 3.
Note 216: Bothone. «A quodam Bothone procuratore suo indecenter
lacessitus.
Les poètes françois Wace et Beneoît de Sainte-More
entrent dans d'autres détails sur
Bothon
. Il étoit, dit Beneoît,
comte du Bessin, et fut le
maître
du jeune Guillaume Longue-Epée.
Beneoît ne cite que les reproches de Bernart le Danois, mais Wace
nous a conservé ceux de Boton:
Willame, dist Boton, tu dis grant avillance,
Encore n'as feru né d'espée né de lance,
Et jà t'en veille fuir, mult as dit grant enfance....
Cuars es, dist Boton, par le cors saint Fiacre, etc.
(Vers 2175.)
Note 217:
Le pré de la bataille.
M. Le Prévost, dans les notes du
roman de Rou, a remarqué que jusqu'à la fin du XVIIIème siècle on
avoit continué de désigner sous ce nom le boulevard occidental de
Rouen.
Au retourner de celle bataille, luy vint un message de Fescanp qui luy dist
qu'il avoit un nouvel fils d'une noble dame qui avoit nom Sporte, qu'il
avoit espousée. Moult fu lié de ces nouvelles; tantôt manda à Herie,
l'évesque de Baieux, que il le baptisast ès sains fons et que il luy méist
nom Richart. L'évesque, qui moult en fu lié, fist son commandement et puis
envoia l'enfant pour nourrir à Fescanp.
Pour les victoires que le duc avoit de ses ennemis, estoit jà la renommée
de luy espandue par diverses régions, si que les contes et les barons du
royaume venoient de diverses parties et hantoient sa court; et il les
honoroit tant et donnoit de si beaux dons que quant il se partoient de lui
il s'en alloient en grant liesce. De la renommée de luy furent si esmeus le
duc Hues et Guillaume le conte de Poitiers, et le conte Herbert, que il
vindrent à luy en la forest de Lyons, où il se déduisoit en chasces de
bestes sauvages moult lyement; à grant appareil les reçut tant comme il
vouldrent demourer avec luy. Souvent disputèrent de moult de besoingnes et
de maintes ordenances de choses temporeles. Entre ces choses et ces paroles
luy requist Guillaume le conte de Poitiers une sienne seur qui avoit nom
Gellot par mariage; et le duc luy octroia volentiers par le conseil
Hues-le-Grant. Là meisme l'espousa à grant feste et puis l'enmena en son
pays.
Pour la noblesse du duc et pour sa grant renommée desiroit moult aussi le
conte Herbert que il eust à faire à luy et que hoirs ississent de luy qui
fussent de son lignage. Tant parla le duc Hues de ceste besoingne, que le
conte Herbert luy donna sa fille, et le duc Guillaume la prist et l'espousa
et puis la mena à Rouen à grant compaingnie de sa gent.
Ci fine du roy Raoul et du bon duc Guillaume de Normendie.
CI COMENCENT LES GESTES
DU ROY LOYS, FILS
CHARLE-LE-SIMPLE.
I.
ANNEE: 936.
Coment le duc Guillaume de Normandie et les barons de France envoièrent enAngleterre querre Loys, le fils Charle-le-Simple; et coment il fu coroné enla cité de Laon.
(En ce temps n'avoit en France point de roy, car le roy Loys et la royne