Chapter 15

en aubes, donna chascun jour grans dons aux églyses: le premier jour donna

grant terre à l'églyse Notre-Dame de Rouen; le second jour à Notre-Dame de

Baieux; au tiers jour à l'églyse Notre-Dame d'Evreux; au quart jour à

l'églyse de Saint-Michel-en-Péril-de-Mer; au cinquiesme jour à l'églyse

Saint-Père et Saint-Oyen qui sont en la cité; au sixiesme jour, à l'églyse

St-Père et St-Acadie-de-Jumèges; et au septiesme jour donna Berneval et

toutes les appartenances à l'églyse Saint-Denis le martire, l'apostre de

France.

Au huitiesme jour qu'il ot les armes mises jus, il commença à donner à ses

princes et à ses chevaliers la terre qu'il avoit conquise: et quant les

païens virent que leur sire estoit crestien, il guerpirent les idoles et

coururent au saint baptesme d'un cuer et d'une volenté; et le conte Robert

d'Aquitaine retourna en France lié et joiant, quant il ot accompli la

besoingne pour quoy il estoit alé. Et le duc Robert, nouvellement converti,

fist grant appareil comme pour espouser la fille du roy, si l'espousa à la

loy crestienne en l'an de l'Incarnation neuf cent et douze. Après establi

ses lois et ses drois par toute Normandie et fu la terre si seure et si

bien gardée qu'il n'estoit nul qui rien y osast méfaire. [204]Une pièce de

temps vesquit Gillette, la duchesse, avec son seigneur; morte fu sans hoir,

et le duc Robert reprist, après mort, une dame qui ot nom Pompée[205] que

il avoit avant laissée. De celle avoit un fils qui Guillaume avoit nom;

vaillant et sage et bien entechié[206]. Le duc Robert qui moult estoit jà

affoibloié des travaux et des batailles ou il avoit toute sa force

dégastée, se pourpensa et ot délibération à qui il pourroit sa terre

délaissier. Lors assembla tous ses barons et les deulx princes de

Bretaingne, Alain et Berengier. Son fils Guillaume, qui moult estoit beaux

et avenant, fist venir devant tous et leur commanda que il le préissent à

seigneur et le féissent prince de toute Normandie qui, jusques à ce temps,

estoit appelée Neustrie, et leur dist en telle manière: «A moi appartient

que je le vous livre pour seigneur et à vous que vous luy portez foi et

loiauté.» Quant il ot ce dit, si parla à eulx moult doulcement et les

enseigna moult de paroles et commanda que chacun luy feist hommage en sa

présence. Après ces choses vesquit environ cinq ans et mouru vieux et

debrisié.

Note 204:

Willelmi Gemet., lib. II, c. 22.

Note 205:

Pompée

, latinè,

Poppa

. Rollo l'avoit eue pour maîtresse

avant d'épouser la princesse Gilette. Le roman de Rou dit de

Poppa

:

Liquens Berengiers ot une fille mult bele,

Pope l'apele l'en, mult est gente pucele....

Rou l'en a fait sa mie, qui mult l'a désirée;

D'ele fu né Wiliam, qui ot nom Lunge-Espée.

(

Vers

1340.)

Note 206:

Entechié.

Instruit, morigéné.

§.

ANNEE: 923.

Coment Hebert le conte de Vermendois prist par traïson, en semblanced'amour, le roy Charle-le-Simple et le mist en prison.

Incidence.

[207]Es kalendes de février furent vues en l'air compaignies

ainsi comme de gens armés: et sembloit que l'une chassast l'autre parmy

l'air; et fu signe et demonstrance des choses qui puis avindrent au

royaume; car en cel an meisme fu si grand dissencion entre le roy et les

barons que pour ces guerres meismes y ot faicte mainte occision, mais à la

parfin cessèrent ces guerres par la voulenté Nostre-Seigneur. Au tiers an

après, mourut Richart, le duc de Bourgoingne, et fu enseveli en l'abbaye

Saincte-Colombe de lez la Cité de Sens, en l'oratoire Saint-Simphorien le

martir.

Note 207:

Chronicon Lugonis Floriacensis monachi. A° 918.

[208]Entour un an après la mort le duc Richart, mut contens entre le roy

Charle-le-Simple et le prince Robert dont l'istoire a dessus parlé, qui

frère eut esté le roy Heudes. La cause de la guerre fu pour ce que Robert

disoit que il n'avoit pas eu partie du royaume qui lui estoit eschéue du

descendement de son père; un pou du royaume saisi par force; et pour ce

qu'il semblast que il peust encore mieux faire et par auctorité d'aucune

seigneurie, fist-il tant vers aucuns des évesques, en partie par losangerie

et en partie par don et en partie par menace, que il le couronnèrent, et de

ceptre et de couronne. Puis assembla son ost et vint à bataille contre le

roy à Soissons, mais en celle bataille le occirent les barons de la partie

le roy. Si ne furent pas sa gent si esbahis qu'il ne se combatisseut

forment et longuement puis encore qu'il furent certains de sa mort; mais

quant le roy s'en retournoit de celle bataille, si luy vint à l'encontre

Hebers, le conte de Vermandois; homs étoit le plus desloiaux de tous les

desloiaux; au roy parla faulcement en semblance d'amour, et le pria de

herbergier au chastel de Péronne. Le roy, qui par simplesse ne pensoit à

nul mal, si le crut et fist sa requeste; et quant le desloyaux Judas le

tint en sa forteresse, si le prist et le mist en fort prison. Tout ce

fist-il pour ce que Robert, qui en la bataille avoit esté occis, avoit sa

serour à femme; et de celle fu né Hugues-le-Grand.

Note 208:

Hugo Floriac. A° 922.

I.

ANNEE: 923.

Ci comence du roy Raoul, coment il fu coroné à roy et vertueusementgoverna le roïaume.

Quant Charle-le-Simple fu ainsi emprisonné par trahison, si demoura l'estat

du royaume moult périlleusement. Lors s'accorda que un sien filleul, qui

avoit nom Raoul et eut esté fils Richart, le duc de Bourgoingne, fust

couronné. A ce s'accorda Hugues-le-Grant et les autres barons de France. Si

fu cil Raoul couronné à Soissons. Grant pièce de temps demoura Charle en

prison. Maint mal et maint grief y souffri, et à la parfin mouru-il et fu

enseveli en l'églyse Saint-Foursin. Son fils Loys, que il avoit eue de

Algine, la fille au roy d'Angleterre, s'enfui à son aioul, car il se

doubtoit moult que autelle meschéance ne l'y avenist comme à son père; et

si sembloit que il feust plus seurement oultre-mer en estrange région que

en son propre royaume et entre ses gens meisimes. Vingt-sept ans régna

Charle-le-Simple. [209]Au temps du roy Raoul moult vindrent paiens en

Bourgoingne; grant partie du pays dégastèrent; François et Bourguignons

alèrent encontre, et fu celle bataille en un lieu qui a nom Kallos li

mons[210]. Mais moult y eut occis de crestiens; toutes voies eurent-il

victoire. (Le roy Raoul gouverna le royaume douze ans noblement et

vertueusement; et deffendi sainte Eglyse, et voult que le povre eust aussi

audience, en requérant son droit, comme le riche.) [211]Dessoubs ce Raoul

eut Hues-le-Grant le nom d'abbé, après son père le conte Robert, et tint

l'abbaye de Saint-Germain: et furent laiens, en son temps, trois déans: le

premier eut nom Armaire, le second Gobert et le tiers Albon. En ce temps

morut le roy Raoul. Enseveli fu en l'églyse Sainte-Colombe de Sens.

Note 209:

Ex chronico Hugonis Floriacensis, anno 926.

Note 210:

Kallos li mons.

Hugues de Fleury dit:

In monte Chalo

,

et le continuateur d'Aimoin:

Kalomonte

.

Note 211:

Aimoini continuatio, lib. V, cap. 42.

II.

ANNEEs: 931/933.

Des bones meurs Guillaume, duc de Normandie; et coment il eut victoire surtous ceulx qui le vouloient grever.

[212]Après la mort Rollo, qui en baptesme fu appelé Robert, tint la duché

de Normandie son fils Guillaume, dont l'istoire a fait là dessus mencion.

La foy crestienne gardoit de tout son pouvoir loiaument; moult lui avoit

Dieu donné de graces, car il estoit grant et bien fourmé, beau de face, les

ieus vairs et clairs. Débonnaire estoit et de ferme volenté à ses amis, et

à ses ennemis horrible et fier comme un lyon: en bataille fors comme un

géant, si n'apétiçoit pas entour lui sa seigneurie, ains la croissoit de

toutes pars: et pour ce conçurent maint des barons de France hayne et envie

contre luy. En ce temps se vouldrent soustraire de son fié et de sa

seigneurie les deulx princes de Bretaingne Alain et Berengier, qui au temps

le roy Robert, son père, luy avoient fait hommage, et se vouldrent monstrer

amis du royaume de France[213]; mais le duc entra tantost en Bretaingne; le

pays dégasta, et abati les forteresses. Tant mena Alain qui estoit

principal de cette félonie, qu'il le chasça en Angleterre, et Bérengier

fist vers luy paix.

Note 212:

Willelmi Gemetie, lib. III, cap. 1.

Note 213:

Et se vouldrent monstrer amis.

Dom Bouquet a lu:

Et sevodrent mettre nu à nu de sor le roiaume de France.

Je pense que

j'ai reproduit le véritable texte de la traduction; mais cette

traduction est mauvaise. Il falloit: Et se disposent à faire la

guerre au roi de France. «

Regi Francorum ulterius disponentesmilitare

.»

[214]Après ce lui sourdi autre guerre de ses gens meismes; car Riulphe,

l'un de ses princes, le cuida chascier de Normandie. Grant gens assembla,

le fleuve de Seine trespassa soudainement, et dedens la cité de Rouen

assist le duc Guillaume qui dedens estoit à peu de gens, comme cil qui pas

ne s'en prenoit garde. Si pensoit à ce le traître qu'il l'occiroit et se

mettroit en saisine de la terre. [215]Et quant le duc se vit ainsi

entreprins des siens meismes, il se commença à pourpenser quel conseil il

pourroit prendre qui fust à son honneur et à sa sauveté, et par quoy il

chastoyast les siens de telle présomption. En la fin issi hors par

l'enticement Bothone[216] un sien amy qui assez luy disoit de laides

paroles pour luy encouragier. A tout trois cens chevaliers armés courut sus

ses ennemis; parmy les tentes se feri et fist d'eulx moult grant occision.

Et les autres s'enfuyrent et se rependirent parmi les bois et là où il se

peurent le miex sauver. Et Riulphe, qui vit la desconfiture de sa gent, se

mist avec ceulx qui fuyoient et eschappa en telle manière. Après la

bataille nombra le duc sa gent et trouva qu'il n'en y avoit nuls perdus. Le

lieu où telle desconfiture fu est encore aujourd'huy appelé

Le Pré de labataille

[217].

Note 214:

Villelm. Gemet., lib. III, c. 2.

Ce Riulphe étoit comte

de Cotentin.--Wace, vers 2120:

Riouf fu uns Normanz qui mult se fist doter,

Quens fu et sage et pros, bien sout mal en arrier;

Quais fu de Costentin entre Vire et la mer.

Note 215:

Id.-- id.-- c. 3.

Note 216: Bothone. «A quodam Bothone procuratore suo indecenter

lacessitus.

Les poètes françois Wace et Beneoît de Sainte-More

entrent dans d'autres détails sur

Bothon

. Il étoit, dit Beneoît,

comte du Bessin, et fut le

maître

du jeune Guillaume Longue-Epée.

Beneoît ne cite que les reproches de Bernart le Danois, mais Wace

nous a conservé ceux de Boton:

Willame, dist Boton, tu dis grant avillance,

Encore n'as feru né d'espée né de lance,

Et jà t'en veille fuir, mult as dit grant enfance....

Cuars es, dist Boton, par le cors saint Fiacre, etc.

(Vers 2175.)

Note 217:

Le pré de la bataille.

M. Le Prévost, dans les notes du

roman de Rou, a remarqué que jusqu'à la fin du XVIIIème siècle on

avoit continué de désigner sous ce nom le boulevard occidental de

Rouen.

Au retourner de celle bataille, luy vint un message de Fescanp qui luy dist

qu'il avoit un nouvel fils d'une noble dame qui avoit nom Sporte, qu'il

avoit espousée. Moult fu lié de ces nouvelles; tantôt manda à Herie,

l'évesque de Baieux, que il le baptisast ès sains fons et que il luy méist

nom Richart. L'évesque, qui moult en fu lié, fist son commandement et puis

envoia l'enfant pour nourrir à Fescanp.

Pour les victoires que le duc avoit de ses ennemis, estoit jà la renommée

de luy espandue par diverses régions, si que les contes et les barons du

royaume venoient de diverses parties et hantoient sa court; et il les

honoroit tant et donnoit de si beaux dons que quant il se partoient de lui

il s'en alloient en grant liesce. De la renommée de luy furent si esmeus le

duc Hues et Guillaume le conte de Poitiers, et le conte Herbert, que il

vindrent à luy en la forest de Lyons, où il se déduisoit en chasces de

bestes sauvages moult lyement; à grant appareil les reçut tant comme il

vouldrent demourer avec luy. Souvent disputèrent de moult de besoingnes et

de maintes ordenances de choses temporeles. Entre ces choses et ces paroles

luy requist Guillaume le conte de Poitiers une sienne seur qui avoit nom

Gellot par mariage; et le duc luy octroia volentiers par le conseil

Hues-le-Grant. Là meisme l'espousa à grant feste et puis l'enmena en son

pays.

Pour la noblesse du duc et pour sa grant renommée desiroit moult aussi le

conte Herbert que il eust à faire à luy et que hoirs ississent de luy qui

fussent de son lignage. Tant parla le duc Hues de ceste besoingne, que le

conte Herbert luy donna sa fille, et le duc Guillaume la prist et l'espousa

et puis la mena à Rouen à grant compaingnie de sa gent.

Ci fine du roy Raoul et du bon duc Guillaume de Normendie.

CI COMENCENT LES GESTES

DU ROY LOYS, FILS

CHARLE-LE-SIMPLE.

I.

ANNEE: 936.

Coment le duc Guillaume de Normandie et les barons de France envoièrent enAngleterre querre Loys, le fils Charle-le-Simple; et coment il fu coroné enla cité de Laon.

(En ce temps n'avoit en France point de roy, car le roy Loys et la royne


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