de Loys, son fils. Et ce fu fait en la cité de Chartres par devant mains
barons du règne, que arcevesques que évesques que princes que abbés. Et si
fu présent aux espousailles dans Bruns, évesque de Seigne[431] qui, de par
l'apostoile, estoit légat en France. Si estoit venu avec le prince
Buiaumont pour prescier la voie du saint sépulcre. Et de ce tint il grant
concile à Poitiers, et là eut traitié de plusieurs establissemens, et
meismement de la terre d'oultre-mer. Et tant firent-il et le prince
Buiaumont qu'il encouragièrent maint preud'hommes d'aler en ce voiage. En
celle compaingnie s'en retournèrent en leur pays le légat et cil Buiaumont
et madame Constance, sa femme, à grant joie et à grant compaingnie de
chevaliers de France et d'ailleurs, qui pour eulx avoient emprise la voie.
Note 430:
Néis.
Même.
Note 431:
Seigne
, Seigni.
Dans
, «Dominus.»
De celuy prince Buiaumont eut puis la dame deulx fils: Jehan et Buiaumont;
mais cil Jehan morut en Puille, ains qu'il fust chevalier, et cil Buiaumont
qui fu prince d'Antioche après son père et chevalier merveilleux eut un
jour desconfi les Sarrasins: si comme il les enchaussoit, luy centiesme de
chevaliers tant seulement, si fu entrepris par leurs agais, comme cil qui
follement les enchaussoit et plus qu'il ne déust se fioit en sa proesce. LÃ
luy fu le chief copé, et tous ses chevaliers pris et mors; et ainsi perdi
Antioche, et Puille et la vie.
X.
ANNEE: 1107.
Coment l'apostole Pascase se conseilla au roy Phelippe et à son fils,contre l'empereur Henri, qui contrainst son père à metre jus tous lesaournemens royaux; et persécutoit saincte églyse.
Au second an que le prince Buiaumont s'en fu retourné et eut enmenée madame
Constance, sa femme, si comme vous avez oï, avint que l'apostole Paschaise
s'en vint vers les parties d'Occident à grand compaingnie de ses hommes,
que cardinaux que évesques que sages hommes de Rome, pour soy conseillier
au roy Phelippe et à Loys son fils et à l'églyse de France, d'une nouvelle
querelle, d'endroit une manière de revesteure[432], de quoy l'empereur de
Rome le travailloit et le béoit encore plus à travailler et luy et l'églyse
de Rome. Bien faisoit à croire, car il estoit homme sans pitié et sans
amour, et vers luy et vers tous autres hommes; et si cruel et si desloiaux
que il avoit déshérité son père meisme et tenu en sa propre prison, et
contraint à ce qu'il luy fist rendre ses roiaux aournemens à force, c'est
assavoir: la couronne et le septre et la lance saint Maurice; et que il ne
tendroit rien en propre de son héritage. Et pour ce que l'apostole et tous
ses consaulx se doubtoient de sa desloiauté et de la convoitise des Romains
qui, partout, sont ardens et convoiteux, leur fu-il avis que plus seure
chose seroit d'eulx conseillier au roy Phelippe et à Loys son fils et Ã
l'églyse de France, que à ceulx de la cité de Rome. Droit à Clugny s'en
vint, et de là à la Charité-sur-Loire. Là dédia et sacra l'églyse d'iceluy
priouré, à grant compaingnie d'évesques et d'autre clergie, et y furent
plusieurs barons de France, et le conte Guy de Rochefort, séneschaux de
France, qui, de la part le roy Philippe et Loys, son fils, y fu envoié; et
de par eulx, luy offri et abandonna le roiaume à sa volenté, comme à leur
père spirituel[433]. Et à ce dediement fu un cler le roy, qui Sugier avoit
nom[434]: (moine estoit de Saint-Denis en France, et puis fu-il abbé de
léans et fist tant de bien au roiaume et à l'églyse; car il eut tout le
roiaume en sa garde, au temps que le roy Loys, fils Loys-le-Gros et père au
roy Phelippe, fu oultre-mer; et ce fust cil meisme qui fist ceste istoire
si certainement comme cil qui, tousjours, fu nourri au palais et au service
le roy.) Là estoit alé, si comme nous l'avons dit, contre l'évesque de
Paris, Galon, qui l'églyse de Saint-Denis avoit traite en cause pour une
grant querelle qu'il clamoit sur elle. Et cil Sugier allégua, devant
l'apostole meisme, pour l'églyse, et deffendi sa querelle par droit et par
appertes raisons.
Note 432: Suger dit: «
Super.... novis investiturœ ecclesiasticœquerelis
.»
Note 433: Le sens du latin est moins large: «
Missus occurrit, ut ei,tanquam patri spirituali, per totum regnum, ejus beneplacito,deserviret.
»
Note 434: Suger dit seulement: «
Cui consecrationi et nos ipsiinterfuimus.
»
De la Charité se parti l'apostole et s'en ala à Saint-Martin de Tours. Là ,
chanta la messe solempnellement, le jour de la mi-caresme, et porta mitre
sur son chief[435], à la guise de Rome. De là desparti et s'en ala
droitement à Saint-Denis en France, humblement et dévotement ainsi comme Ã
l'églyse Saint-Pierre de Rome. Là fu assez haultement et honorablement
receu, comme si haute personne. Mais un exemple merveilleux et remembrable
laissa aux Romains et à ceulx qui à venir estoient; car de chose
quelconque, né or né argent né garnement de pierres précieuses qui en ceste
abbaïe fust, dont l'en se doubtoit moult, ne daigna regarder, par semblant
de convoitise: tant seulement devant les corps sains se coucha et estendi
devotement, tout dégoutant de larmes, comme cil qui tout s'offroit de corps
en sacrefice à Dieu et à ses sains; et prioit à l'abbé et au couvent que
aucune partie de vestement entaint de son sanc luy fu donnée et ottroiée;
et disoit telles paroles: «Ne vous doit pas déplaire sé vous rendez aucunes
parties petites des vestemens de celuy que nous vous envoiasmes jadis en
France, de nos grés et sans murmure, pour estre apostre de France.» Là luy
vindrent à l'encontre à grant joie, le roy Phelippe et son fils Loys, et
s'inclinèrent dévotement à ses piés, en la manière que les roys seulent
faire devant le sépulcre et l'autel Saint-Pierre, les couronnes ostées et
les chiefs enclins. Et l'apostole les prist par les mains, comme les dévos
fils des apostoles, et les fist ambesdeulx séoir devant luy.
Note 435:
La mitre.
«Frygium.» C'est la
Thiare
, et non pas la
mitre que tous les évêques de France portoient. Suger affecte deux
fois de rappeler que la coiffure pontificale ne différoit de cette
des prélats françois qu'en raison de la différence de la
mode
en
deçà et au-delà des monts.
Après parla à eulx, comme sage et par grant familiarité, de l'estat de
sainte églyse, et les pria moult qu'il aidassent à saint Pierre et à son
vicaire, si comme les roys de France leurs devanciers avoient fait, comme
les roys Pepin et Charles-le-Grant et Loys, son fils, et les autres qui
après vindrent; et qu'il contrastassent aux ennemis de sainte églyse et
meismement à l'empereur Henri.
Moult volentiers reçurent ces paroles, et luy offrirent et promistrent leur
conseil et leur aide, par tous lieux et contre tous hommes mortels, et luy
abandonnèrent tout le roiaume à sa volenté. Après, luy baillèrent grant
compaingnie d'archevesques et d'évesques, et l'abbé Adam de Saint-Denis,
pour aler à l'encontre des messages de l'empereur Henri, qui à Chaalons
devoient venir à luy.
XI.
ANNEE: 1107.
Des messages l'empereur Henri et de leur légation à l'apostole. Après, dela réponse l'apostole aux messages; et coment les messages l'empereurs'empartirent à mautalent.
Quant l'apostole eut jà demouré à Chaalons, ne sçai quans jours, si
vindrent les messages l'empereur Henri, et pristrent leur hostel Ã
Saint-Mange[436], dehors de la cité, et laissèrent illecques Almaubert, le
chancelier, par cui conseil l'empereur ouvroit le plus. Et tous les autres
vindrent à la court de l'apostole à grant compaingnie et à grant bobant; et
arneischiés et atournés à merveilles orgueilleusement de lorains[437] et
d'autres appareils. Ces messages furent l'archevesque de Trèves, l'évesque
d'Antatense,[438] l'évesque de Moustier[439] et plusieurs contes, tous
d'Allemaingne; et avec eulx, le duc Welphons, devant qui l'en portoit une
espée toute nue. Si estoient à merveille corsus, gros et gras, curieux et
noiseux en paroles. Si sembloit mieux que eulx tous fussent venus pour
tencier et pour menacier, que pour besoingne desrenier[440] par mesure et
par raison. L'archevesque de Trèves conta leur parole; home sage et amesuré
et qui savoit bien langue françoise. Sagement conta la besoingne pourquoy
il estoient là envoié de par l'empereur; et de par luy, aporta à l'apostole
et à toute la court salus et services, sauve la droiture de l'empire. Après
commença la parole si comme ele luy eut esté enchargiée.
Note 436:
Saint-Mange
ou
Saint-Memmie
, faubourg de Châlons. De lÃ
les noms propres de
Mangin
,
Mangeart
et
Magineau
si communs en
Champagne.
Note 437:
Lorains.
Harnois de chevaux.
Note 438:
Antatense.
Halberstadt.
Note 439:
Moustier.
Munster.
Note 440:
Desrenier.
Exposer par raisons. Discuter.
Lors commença à parler en tele manière: «Cogneue chose est que ce
appartient à l'empire dès le temps à nos ancesseurs et nos sains pères, qui
ont esté au lieu monsieur Saint-Père, au siège de Rome, si comme dès le
temps le grant Grégoire et les autres après jusques à ore, que en toutes
élections soit gardé et tenu cil ordre: que ainçois que l'élection soit
espandue né magnifestée, qu'il soit fait assavoir à l'empereur; et sé il
voit que la personne soit convenable à ce, l'en doit prendre de luy
asseurement et ottroy. Après ce, doit estre mené en la congrégacion des
évesques et du clergié où il doit estre esleu selon les sains canons, et Ã
la requeste du peuple, et par l'élection du clergié, et par l'assentement
de l'empereur. Et puis quant il sera sacré franchement, non pas par
simonie, si doit estre ramené à l'empereur pour revestir-le du régale, si
comme de l'anel et de la croce, et pour luy faire hommage et féauté; et si
n'est mie merveilles, car autrement ne se peust-il saisir de chastel né de
cité né des marches né d'autres dignités qui soient de l'empire, et sé
monsieur l'apostole se veult ainsi souffrir, si tienne sainte églyse en
paix et en prospérité à l'onneur de Dieu, et de ses droitures telles comme
il doit avoir en l'empire et au règne.»
A ce respondi l'apostole sagement, par la parole l'évesque de Plaisance qui
parla en telle manière: «Sainte églyse, qui est rachetée et franchie du
précieux sanc Nostre-Seigneur Jésus-Christ, ne convient mie de rechief
ramener à servage, en ce que elle ne puisse eslire prélat, sans le conseil
de l'empereur et que elle se mette en servitude; mise arrière et oubliée la
précieuse mort de Jésus-Christ, par cui elle fu franchie de toutes
subjeccions et de tous servages. Que ce serait jà avenu sé il convenoit
qu'il fust par luy revestu de la croce et de l'anel, comme ces choses
appartiennent à l'autel plus que à luy qui d'eulx se veult saisir et
entremettre contre Dieu; et plus, que ses mains, qui sont sacrées au corps
et au sanc Nostre-Seigneur proprement, sé par ce lien les convenoit
sousmettre aux mains qui sont soilliées et ensanglantées et pecheresses de
glaive et de bataille; par teles mesprison abaisseroit trop ses ordres et
sa sainte unction.»
Quant les messages oïrent ceste response, si commencèrent à frémyr de
mautalent et dire contre l'apostole; et en manière de Tyois[441] noisier et
faire grant tumulte: et s'il osassent, il eussent dict et faicte violence Ã
luy et à sa gent; si dirent à la parfin: «Ne sera or pas ci terminée ceste
querelle, mais à Rome aux espées tranchans.» Si s'en partirent à tant.
Note 441:
Tyois.
Allemands.
Tout maintenant envoia l'apostole aucuns sages hommes et esprouvés, Ã
Almaubert, le chancelier, pour le prier et requerre que ses messages
fussent oïs et qu'il se penassent d'abaissier ce couroux et de mettre paix
au règne et à l'empire; et quant les messages qui ces paroles oïrent les
lui eurent portées, si s'en partirent, et tantost l'apostole s'en ala Ã
Troies et là assembla un grant concile qu'il avoit fait semondre grant
pièce devant. Après ce concile retourna à Rome en prospérité, à grant amour
et à grant grace des François, qui moult l'avoient servi et honnoré; et Ã
grant paour et à grant haine des Tyois qui moult l'avoient grevé et
traveillié.
XII.
ANNEE: 1111.
Coment l'empereur assembla grant ost et entra en la cité de Rome, commeami, faintement. Et coment il prist l'apostole en chantant sa messe et lescardinaux, et comme icel tirant et anemi desloyal mist main à l'apostole etle traitta vilainement.
Entour un an après ce que l'apostole s'en fust retourné, assembla
l'empereur un merveilleux ost, bien de trente mil chevaliers, et chevaucha
à Rome par grant force et par grant cruauté, comme cil qui en celle voie ne
s'esjoïssoit fors que quant il véoit occision et sanc espandre. Quant il fu
là venu, si faint son cuer par grant traïson et par grant guile, et fist
semblant paisible, né oncques ne parla de la querelle de revesteure qu'il
clamoit devant seur l'apostoile, et commença à promettre à faire moult de
bien à l'églyse et à la cité; et puis si blandi moult et pria que on le
laissast entrer en la cité, car autrement n'i pouvoit-il entrer. Et le
desloiaux qui ne béoit fors à la traïson, ne doubta pas à décevoir le
souverain du monde et toute saincte églyse, et le roi des rois à qui la
querelle estoit toute.
Taudis, s'espandi la renommée par la cité que l'empereur vouloit clamer
quitte cette grant querelle qu'il clamoit sur l'apostole, qui si estoit
contraire à Dieu et à saincte églyse. Lors commencièrent tous à faire plus
grant joie que nul ne pourroit cuider; et le clergié et les chevaliers de
Rome s'efforcièrent tous comment il le pourroient plus honorablement
recevoir. L'apostole et les cardinaux montèrent à grant compagnie
d'évesques et de prélas, tous couvers leurs chevaux de blanches couvertures
et tous parés et acesmés de riches aournemens, et luy alèrent à l'encontre
et grant suite de peuple de Rome. Adonc, prist l'apostole aucuns de ses
cardinaux et les envoia devant soy pour prendre le serement de l'empereur
qu'il rendroit paix à l'églyse Saint-Père, et à son vicaire et à la cité,
et qu'il clamoit quitte tout le contens de celle revesteure. Ainsi
s'entrencontrèrent l'apostole et l'empereur en un lieu que l'en dit la
Monjoie de Rome, et de ce lieu voit-on l'églyse des apostres. Et ilecques
de rechief furent fais cil seremens, et après ce le jura tierce fois, et
porche de l'églyse, de sa main nue et une partie de ses plus hauts barons.