A Madame ***

Madame,

Pour une personne aussi belle qu’Alcidiane, il vous falloit sans doute, comme à cette Héroïne, une demeure inaccessible ; car puis qu’on n’abordoit à celle du Roman que par hazard, et que sans un hazard semblable on ne peut aborder chez vous ; je croy que par enchantement vos charmes ont transporté ailleurs, depuis ma sortie, la Province où j’ay eu l’honneur de vous voir ; je veux dire, Madame, qu’elle est devenuë une seconde Isle flotante, que le vent trop furieux de mes soûpirs pousse et fait reculer devant moy, à mesure que j’essaye d’en approcher. Mes Lettres mesmes pleines de soûmissions et de respects, malgré l’art et la routine des Messagers les mieux instruits n’y sçauroient aborder. Il ne me sert de rien que vos loüanges qu’elles publient, les fassent voler de toutes parts, elles ne vous peuvent rencontrer ; et je croy mesme que si par le caprice du hazard ou de la Renommée qui se charge fort souvent de ce qui s’adresse à vous, il en tomboit quelqu’une du Ciel dans vostre cheminée, elle seroit capable de faire évanoüir vostre Chasteau. Pour moy, Madame, aprés des avantures si surprenantes, je ne doute quasi plus que vostre Comté n’ait changé de Climat avec le Païs qui luy est Antipode, et j’apprehende que le cherchant dans la Carte, je ne rencontre à sa place, comme on trouve aux extremitez du Septentrion, (Cecy est une Terre où les Glaces empeschent d’aborder.) Ha ! Madame, le Soleil à qui vous ressemblez, et à qui l’ordre de l’Univers ne permet point de repos, s’est bien fixé dans les Cieux pour éclairer une victoire, où il n’avoit presque pas d’interest. Arrestez-vous pour éclairer la plus belle des vostres ; car je proteste (pourveu que vous ne fassiez plus disparoistre ce Palais enchanté, où je vous parle tous les jours en esprit) que mon entretien muet et discret ne vous fera jamais entendre que des vœux, des hommages et des adorations. Vous sçavez que mes Lettres n’ont rien qui puisse estre suspect ; Pourquoy donc apprehendez-vous la conversation d’une chose qui n’a jamais parlé ? Ha ! Madame ! s’il m’est permis d’expliquer mes soupçons, je pense que vous me refusez vostre veuë, pour ne pas communiquer plus d’une fois, un miracle avec un prophane ; Cependant vous sçavez que la conversion d’un incrédule comme moy, (c’est une qualité que vous m’avez jadis reprochée) demanderoit que je visse un tel miracle plus d’une fois. Soyez donc accessible aux témoignages de veneration que j’ay dessein de vous rendre. Vous sçavez que les Dieux reçoivent favorablement la fumée de l’encens que nous leur bruslons icy bas, et qu’il manqueroit quelque chose à leur gloire, s’ils n’estoient adorez ; Ne refusez donc pas de l’estre, car si tous attributs sont adorables, puis que vous possédez tres-éminemment les deux principaux, la Sagesse et la Beauté, vous me feriez faire un crime, m’empeschant d’adorer en vostre personne le divin caractère que les Dieux ont imprimé : Moy principalement, qui suis et seray toute ma vie,

Madame,

Vostre tres-humble Serviteur.


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