Chapter 16

Madame,

Le feu dont vous me bruslez, a si peu de fumée, que je défie le plus severe Capuchon d’y noircir sa conscience et son humeur ; Cette chaleur celeste, pour qui tant de fois S. Xavier pensa crever son pourpoinct, n’estoit pas plus pure que la mienne, puis que je vous aime, comme il aimoit Dieu, sans vous avoir jamais veuë. Il est vray que la personne qui me parla de vous, fit de vos charmes un Tableau si achevé, que tant que dura le travail de son chef d’œuvre, je ne pû m’imaginer qu’elle vous peignoit, mais qu’elle vous produisoit. Ç’a esté sur sa caution que j’ay capitulé de me rendre, ma Lettre en est l’ostage : Traittez-la, je vous prie humainement, et agissez avec elle de bonne guerre ; car quand le droit des Gens ne vous y obligeroit pas, la prise n’est pas si peu considerable, qu’elle en puisse faire rougir le Conquerant. Je ne nie pas, à la verité, que la seule imagination des puissans traits de vos yeux, ne m’ait fait tomber les armes de ma main, et ne m’ait contraint de vous demander la vie ; Mais aussi, en verité, je pense avoir beaucoup aidé a vostre victoire ; Je combattois, comme qui vouloit estre vaincu ; Je presentois à vos assauts toûjours le costé le plus foible ; et tandis que j’encourageois ma raison au triomphe, je formois en mon ame des vœux pour sa défaite : Moy-mesme, contre moy, je vous prestois main forte, et cependant le repentir d’un dessein si temeraire me forçoit d’en pleurer. Je me persuadois que vous tiriez ces larmes de mon cœur, pour le rendre plus combustible, ayant osté l’eau d’une Maison, où vous vouliez mettre le feu ; et je me confirmois dans cette pensée, lors qu’il me venoit en memoire que le cœur est une place au contraire des autres, qu’on ne peut garder, si l’on ne la brusle. Vous ne croyez peut estre pas que je parle serieusement ; Si fait en verité ; et je vous proteste, si je ne vous vois bien-tost, que la bile et l’Amour me vont rostir d’une si belle sorte, que je laisseray aux Vers du Cimetiere l’esperance d’un maigre déjeusné. Quoy vous vous en riez : Non, non, je ne me mocque point, et je prevoy par tant de Sonnets, de Madrigaux et d’Elegies, que vous avez receus ces jours cy de moy (qui ne sçait ce que c’est de Poësie) que l’amour me destine au voyage du Royaume des Dieux, puis qu’il m’a enseigné la langue du Païs : Si toutefois quelque pitié vous émeut à differer ma mort, mandez-moy que vous me permettez de vous aller offrir ma servitude ; car si vous ne le faites, et bientost, on vous reprochera que vous avez, sans connoissance de cause, inhumainement tué de tous vos Serviteurs le plus passionné, le plus humble, et le plus obeïssant Serviteur,

de Bergerac.


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