A Mademoiselle de St Denis

LETTRES

Monsieur,

Ie ne me plains pas tant du mal que vous auez pris la peine de me faire, que de celui qu’on ma fait de vôtre part. En me quitant, vous laissâtes chez moy une insolente qui, sous ombre qu’elle se dit vôtre idée, se vante d’auoir sur moy puissance de vie et de mort. Encore, elle encherit tiranniquement sur vôtre empire. Car, au lieu que vous ne me blessiez iamais, si ce n’étoit par mégarde, et que j’obtenois de vôtre pitié l’apareil aussi-tôt que la plaie étoit faite, l’inhumaine prend plaisir à déchirer les blessures que vous m’auiez fermées, et à m’en creuser de nouuelles, qu’elle sçait bien ne pouuoir guérir : peut estre vous absentez-vous de moy pendant mon suplice, comme le Roy s’éloigne des lieux où l’on exécute des criminels, à fin de n’estre point importuné de leur grace. Hélas ! à quoy tant de précautions ; vous connoissez trop bien la force de vos coups, pour apréhender que ie r’echape. La médecine qui parle de toutes les maladies, n’a rien écrit de la mienne, à cause qu’elle entrait [en traite] comme les pouuant guerir, et l’amour est un mal incurable. Quelqu’un moins proche de la mort, apuiroit son discours d’hiperboles. Il vous diroit que vous auez pris son cœur, et que le cœur étant la cause de la vie, il ne peut viure ; à tort et sans cause, un autre protesteroit qu’il se seroit desia sacrifié pour vous, mais qu’il pensa que ç’eût esté rendre l’augure de vos victoires trop funeste, s’il vous eût immolé une victime, où l’on n’eût point trouué de cœur ; un autre encore auroit exagêre sa passion d’autre sorte. Mais moy qui suis prêt de partir pour l’examen, ie dois penser à rendre plutôt qu’à faire des comptes. Receuez donc cet acte de foy que ie fais à l’agonie. Premièrement, ie ne suis point atée puisque ie vous adore ; ie crûs fermement que Dieu s’étoit incarné aussitôt qu’on me dit que vous étiez née d’une femme ; les prières, les vœux et les respects que ie rens à saint Denis témoignent assez la vénéracion que ie porte aux saints ; l’espérance de vôtre possession n’a jamais enflé ma nature, que ie ne me soit trouué conuaincu de la resurection de la chair. Enfin pour m’assurer de la vie éternelle, j’ordonne à mes heritiers de placer mes os dans l’église de ma paroisse, non pas au cimetière, parce que hors l’Eglise il ni à point de salut. Mourant ainsi, ie ne puis faire une mauuaise fin, quand mesme ie ferois tomber ici mal à propos que ie suis,

Monsieur,

Vôtre seruiteur.


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