Madame,
Vous sçauez que ie n’auois encore aucune connoissance des fers ou le Ciel m’auoit condamné, lors qu’à la pesche ie vous vis la première fois. Certes le hazard eût esté bien grand, que, si proche de filets, ie n’usse pas esté pris : et quand i’usse mesme échapé les filets, vôtre charmante lettre m’a fait assez connoître que ie ne me fusse pas sauué de vos lignes : elles me présentoient autant d’ameçons que de paroles et chaque parole n’étoit composée de plusieurs caracteres que pour m’ensorceler. Ie receus cette belle missiue auec des respects dont ie serois l’expression en disant que ie l’adore, si i’étois capable d’adorer quelque autre chose que vous. Ie la baisé au moins, et ie m’imaginois en la baisant, baiser vôtre esprit mesme, duquel elle étoit l’ouurage. Mes yeux prenoient plaisir de refaire inuisiblement les mesmes lettres que vôtre plume auoit marquées ; insolens de leur fortune, ils atiroient chez ceux toute mon ame et par de lons regars s’atachoient à ce beau craion de la vôtre, pour s’unir à leur Idole : mais se sentans emprisonnez, ils pleuroient, à fin que ces larmes (comme d’autres petits yeux qu’ils enuoioient à leur place) s’esquiuassent à la file, puisqu’ils ne pouuoient sortir en corps. Vous fussiez-vous imaginé qu’une feuille de papier eût fait un si grand feu. Il n’étindra iamais pourtant, que le iour ne soit éteint pour moy. Si mon esprit et ma passion se partagent en deux soupirs, quand ie mourray, celui de mon amour partira le dernier. Ie conuieray à l’agonie le plus fidelle de mes amis de me réciter cette chère lettre : et lorsqu’en lisant il sera paruenu à l’endroit ou vous protestez d’estre…… ie criray iusqu’à la mort : cela n’est pas possible,Madame, car moy mesme i’ay tousiours esté
Vôtre esclave.