Chapter 17

Madame,

Bien loin d’avoir perdu le cœur quand je vous fis hommage de ma liberté, je me trouve au contraire depuis ce jour là, le cœur beaucoup plus grand : Je pense qu’il s’est multiplié, et que comme s’il n’estoit pas assez d’un pour tous vos coups, il s’est efforcé de se reproduire en toutes mes arteres, où je le sens palpiter, afin d’estre present en plus de lieux, et de devenir luy seul, le seul objet de tous vos traits. Cependant, Madame, la franchise, ce tresor precieux pour qui Rome autrefois a risqué l’Empire du monde ; Cette charmante liberté, vous me l’avez ravie ; et rien de ce qui chez l’ame se glisse par les sens, n’en a fait la conqueste : Vôtre esprit seul meritoit cette gloire ; sa vivacité, sa douceur, son etenduë, et sa force, valoient bien que je l’abandonnasse à de si nobles fers : Cette belle et grande ame élevée dans un Ciel, si fort au dessus de la raisonnable, et si proche de l’intelligible, qu’elle en possede éminemment tout le beau ; Et je dirois mesme beaucoup du Souverain Créateur qui l’a formée, si de tous les attributs, qui sont essentiels à sa perfection, il ne manquoit en elle celuy de misericordieuse ; Oüy, si l’on peut imaginer dans une Divinité quelque défaut, je vous accuse de celuy-là. Ne vous souvient-il pas de ma derniere visite, où me plaignant de vos rigueurs, vous me promistes au sortir de chez vous, que je vous retrouverois plus humaine, si vous me retrouviez plus discret, et que je vinsse, en me disant adieu, le lendemain, parce que vous aviez resolu d’en faire l’épreuve ? Mais helas ! demander l’espace d’un jour, pour appliquer le remede à des blessures qui sont au cœur ! N’est-ce pas attendre, pour secourir un malade, qu’il ait cessé de vivre ? et ce qui m’étonne encore davantage, c’est que vous défiant que ce miracle ne puisse arriver, vous fuyez de chez vous pour éviter ma rencontre funeste : Hé bien ! Madame, hé bien ! fuyez-moy, cachez-vous, mesme de mon souvenir ; on doit prendre la fuite, et l’on se doit cacher quand on a fait un meurtre. Que dis-je, grands Dieux : Ha ! Madame, excusez la fureur d’un desesperé ; Non, non, paroissez, c’est une Loy pour les hommes, qui n’est pas faite pour vous, car il est inoüy que les Souverains ayent jamais rendu compte de la mort de leurs Esclaves ; Ouy je dois estimer mon sort très-glorieux, d’avoir merité que vous prissiez la peine de causer sa ruine ; car du moins puis que vous avez daigné me haïr, ce sera un témoignage à la posterité, que je ne vous estois pas indifferent. Aussi la mort dont vous avez crû me punir, me cause de la joye ; Et si vous avez de la peine à comprendre quelle peut estre cette joye, c’est la satisfaction secrete que je ressens d’estre mort pour vous, en vous faisant ingrate : Ouy, Madame, je suis mort, et je prevois que vous aurez bien de la difficulté a concevoir, comment il se peut faire si ma mort est veritable, que moy même je vous en mande la nouvelle : Cependant il n’est rien de plus vray ; mais apprenez que l’homme a deux trépas à souffrir sur la terre, l’un violent, qui est l’Amour, et l’autre naturel qui nous rejoint à l’indolence de la matiere ; Et cette mort qu’on appelle Amour, est d’autant plus cruelle, qu’en commençant d’aimer, on commence aussi-tost à mourir. C’est le passage reciproque de deux ames qui se cherchent, pour animer en commun ce qu’elles aiment, et dont une moitié ne peut estre separée de sa moitié, sans mourir, comme il est arrivé

Madame,

A vostre fidelle Serviteur.


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