Chapter 18

Madame,

Suis-je condamné de pleurer encore bien longtemps ? Hé je vous prie, ma belle Maistresse, au nom de vôtre bon Ange, faites-moy cette amitié, de me découvrir là-dessus vôtre intention, afin que j’aille de bonne heure retenir place aux Quinze Vingts parce que je prévoy que de vôtre courtoisie, je suis prédestiné a mourir aveugle. Ouy aveugle (car vôtre ambition ne se contenteroit pas que je fusse simplement borgne). N’avez-vous pas fait deux alambics de mes deux yeux, par où vous avez trouvé l’invention de distiler ma vie, et de la convertir en eau toute claire ? En verité, je soupçonnerois (si ma mort vous estoit utile, et si ce n’estoit la seule chose que je ne puis obtenir de vostre pitié) que vous n’épuisiez ces sources d’eau, qui sont chez moy, que pour me brusler plus facilement ; et je commence d’en croire quelque chose, depuis que j’ay pris garde, que plus mes yeux tirent d’humide de mon cœur, plus il brusle : Il faut bien dire que mon Pere ne forma pas mon corps du mesme argile, dont celuy du premier homme fut composé ; mais qu’il le tailla sans doute d’une pierre de chaux, puis que l’humidité des larmes que je répands m’a tantost consommé : Mais consommé, croiriez-vous bien, Madame, de quelle façon ? je n’oserois plus marcher dans les ruës embrasé comme je suis, que les enfans ne m’environnent de fusées, parce que je leur semble une figure échappée d’un feu d’artifice, ny à la Campagne, qu’on ne me prenne pour un de ces Ardens, qui traisnent les Gens à la riviere. Enfin vous pouvez connoistre tout ce que cela veut dire ; c’est, Madame, que si vous ne revenez bien-tost, vous entendrez dire à vostre retour, quand vous demanderez où je demeure, que je demeure aux Tuilleries, et que mon nom c’est la beste à feu qu’on fait voir aux Badauts pour de l’argent. Alors vous serez bien honteuse, d’avoir un Amant Salemandre, et le regret de voir brusler dés ce Monde,

Madame,

Vostre Serviteur.


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