Madame,
Vous vous plaignez d’avoir reconnu ma passion dès le premier moment que la Fortune m’obligea de vostre rencontre ; mais vous à qui vôtre miroir fait connoistre, quand il vous montre vôtre image, que le Soleil a toute sa lumière et toute son ardeur, dès l’instant qu’il paroist, quel motif avez-vous de vous plaindre d’une chose à qui ny vous ny moy ne pouvons apporter d’obstacle ? Il est essentiel à la splendeur des rayons de vôtre beauté d’illuminer les corps, comme il est naturel au mien de refleschir vers vous cette lumière que vous jettez sur moy ; et de mesme qu’il est de la puissance du feu de vos bruslans regards d’allumer une matiere disposée, il est de celle de mon cœur d’en pouvoir être consumé. Ne vous plaignez donc pas, Madame, avec injustice, de cet admirable enchaisnement, dont la Nature a joint d’une société commune les effets avec leurs causes. Cette connoissance impreveuë est une suite de l’ordre qui compose l’harmonie de l’Univers, et c’étoit une nécessité preveuë au jour natal de la Creation du Monde, que je vous visse, vous connusse, et vous aimasse ; mais parce qu’il n’y a point de cause qui ne tende à une fin, le poinct auquel nous devions unir nos ames estant arrivé, vous et moy tenterions en vain d’empêcher notre destinée. Mais admirez les mouvemens de cette predestination, ce fut à la pesche où je vous rencontray : Les filets que vous dépliastes en me regardant, ne vous annonçoient-ils pas ma prise ? et quand j’eusse évité vos filets, pouvois-je me sauver des hameçons pendus aux lignes de cette belle Lettre, que vous me fistes l’honneur de m’envoyer quelques jours après, dont chaque parole obligeante n’estoit composée de plusieurs caractères, qu’afin de me charmer : Aussi je l’ay receuë avec des respects, dont je ferois l’expression, en disant que je l’adore, si j’estois capable d’adorer quelqu’autre chose que vous. Je la baisay au moins avec beaucoup de tendresse, et je m’imaginois, en pressant mes lèvres sur vostre chere Lettre, baiser vôtre bel esprit dont elle est l’ouvrage : Mes yeux prenoient plaisir de repasser plusieurs fois sur tous les caracteres que vôtre plume avoit marquez, Insolens de leur fortune, ils attiroient chez eux toute mon ame, et par de longs regards, s’y attachoient pour se joindre à ce beau crayon de la vôtre. Vous fussiez-vous imaginée, Madame, que d’une feüille de papier, j’eusse pû faire un si grand feu ; il ne s’éteindra jamais pourtant, que le jour ne soit éteint pour moy ; que si mon ame et mon amour se partagent en deux soûpirs, quand je mourray, celui de mon amour partira le dernier. Je conjureray a l’agonie, le plus fidelle de mes Amis, de me reciter cette aimable Lettre, et lors qu’en lisant, il sera parvenu a la fin, où vous vous abaissez, jusqu’à vous dire ma Servante : Je m’écrieray jusqu’à la mort. Ha ! cela n’est pas possible, car moy-mesme j’ay toujours esté,
Madame,
Vostre.