«Ma chère Sœur(son nom en religion n'est pas indiqué),«J'ai reçu avec les sentiments que je dois les marques de votre bonté, et je vous supplie de croire que vous n'en sauriez avoir pour personne qui honore davantage toutes les qualités que Dieu a mises en vous. Je considère les sentiments qu'il vous donne pour moi comme une bénédiction très particulière, puisqu'ils me donnent les prières d'une personne aussi bonne que vous, dans lesquelles je puis dire avec beaucoup de vérité que j'ai une confiance très parfaite. Je vous supplie de ne jamais douter que personne ne sera jamais plus parfaitement que moi,«Ma chère Sœur,Votre très humble et très affectionné serviteur,«Le Cardinal de Retz,«Arch. de Paris.—De Rome, ce 10 avril 1656.»
«Ma chère Sœur(son nom en religion n'est pas indiqué),
«J'ai reçu avec les sentiments que je dois les marques de votre bonté, et je vous supplie de croire que vous n'en sauriez avoir pour personne qui honore davantage toutes les qualités que Dieu a mises en vous. Je considère les sentiments qu'il vous donne pour moi comme une bénédiction très particulière, puisqu'ils me donnent les prières d'une personne aussi bonne que vous, dans lesquelles je puis dire avec beaucoup de vérité que j'ai une confiance très parfaite. Je vous supplie de ne jamais douter que personne ne sera jamais plus parfaitement que moi,
«Ma chère Sœur,Votre très humble et très affectionné serviteur,«Le Cardinal de Retz,
«Arch. de Paris.—De Rome, ce 10 avril 1656.»
«A la Révérende Mère sous-prieure des religieuses Carmélites du grand Couvent, à Paris (en 1656, la sous-prieure était Marthe de Jésus, MlleDu Vigean, que Retz avait dû rencontrer dans le monde).
«Ma chère Sœur,«Je suis en possession d'être obligé et à votre Ordre et à votre personne, et je vous prie de croire que personne n'aura jamais ni pour l'un ni pour l'autre des sentiments plus véritables et plus parfaits que moi. Je me croirois le plus heureux homme du monde si je pouvois trouver les occasions de vous le faire paroître par quelque service. Je les chercherai ici avec celui qui m'a rendu votre lettre, et en tous lieux je serai également,«Ma chère Sœur,«Votre très humble et très affectionné serviteur,«Le Cardinal de Retz,«Arch. de Paris.—De Rome, ce 10 avril 1656.»
«Ma chère Sœur,
«Je suis en possession d'être obligé et à votre Ordre et à votre personne, et je vous prie de croire que personne n'aura jamais ni pour l'un ni pour l'autre des sentiments plus véritables et plus parfaits que moi. Je me croirois le plus heureux homme du monde si je pouvois trouver les occasions de vous le faire paroître par quelque service. Je les chercherai ici avec celui qui m'a rendu votre lettre, et en tous lieux je serai également,
«Ma chère Sœur,«Votre très humble et très affectionné serviteur,«Le Cardinal de Retz,
«Arch. de Paris.—De Rome, ce 10 avril 1656.»
Dans les Mélanges de Clérambault, t. CXXVI, p. 451, se trouve la copie d'une lettre de Mazarin, du 3 avril 1648, aucardinal Barberini, à Rome, pour le prier d'intercéder en faveur de la béatification de la mère Madeleine de Saint-Joseph.Ibid., p. 455, autre lettre du même, sur le même sujet, au cardinal des Ursins.
Lettre de mademoiselle Claude, première femme de chambre de Madame, Marguerite de Lorraine, deuxième femme de Monsieur, duc d'Orléans, adressée le 21 octobre 1651, à la sœur Thérèse de Jésus, mademoiselle de Remenecour, qui avait été fille d'honneur de son Altesse Royale, et qui était alors novice aux Carmélites. Mademoiselle Claude répond à ce que mademoiselle de Remenecour avait écrit pour obtenir de Madame une lettre de recommandation au Pape, en faveur de la mère Madeleine:
«A Mademoiselle de Remenecour,«Ma chère Sœur, je prie Notre-Seigneur qu'il vous comble de ses bénédictions. Madame a reçu votre lettre, et aussitôt que sa santé lui permettra d'écrire, elle le fera d'un très grand cœur. Elle vous prie de dire à la Révérende Mère (en 1651 c'était la mère Agnès) que toute la communauté la recommande à cette bienheureuse Mère afin qu'elle prie Notre-Seigneur qu'il lui donne ce qui lui faut pour sa santé ou pour la résignation à sa sainte volonté. Et moi je vous prie de croire que je suis toujours la même que j'ai été de tout temps pour vous rendre service. Excusez le peu de temps qui m'empêche de vous en dire davantage, et croyez que je suis,«Ma chère Sœur,«Votre très humble et obéissante servante, etc.
«A Mademoiselle de Remenecour,
«Ma chère Sœur, je prie Notre-Seigneur qu'il vous comble de ses bénédictions. Madame a reçu votre lettre, et aussitôt que sa santé lui permettra d'écrire, elle le fera d'un très grand cœur. Elle vous prie de dire à la Révérende Mère (en 1651 c'était la mère Agnès) que toute la communauté la recommande à cette bienheureuse Mère afin qu'elle prie Notre-Seigneur qu'il lui donne ce qui lui faut pour sa santé ou pour la résignation à sa sainte volonté. Et moi je vous prie de croire que je suis toujours la même que j'ai été de tout temps pour vous rendre service. Excusez le peu de temps qui m'empêche de vous en dire davantage, et croyez que je suis,
«Ma chère Sœur,«Votre très humble et obéissante servante, etc.
Extrait d'une lettre de Mademoiselle, du 12 décembre 1655, à sœur Thérèse de Jésus, mademoiselle de Remenecour, en lui envoyant la lettre qu'on lui avait demandée pour le Pape:
«Saint-Fargeau, 12 décembre 1655.«Quoique je n'aie point encore de secrétaire, je n'ai pas voulu attendre qu'il m'en soit venu un pour faire écrire la lettre de Sa Sainteté. Je l'ai fait écrire par le premier venu. Je pense qu'elle nelaisse pas d'être bien. Au moins l'ai-je trouvée comme il faut. Vous la pouvez voir, car il n'y a qu'un cachet volant. Je vous puis bien assurer que je dis très vrai en disant que j'honore la mère Madelaine de Saint-Joseph, et que j'aime l'ordre des Carmélites, car j'ai pour elles les sentiments les plus tendres du monde, et me veux le plus grand mal qui se puisse de n'être point propre à l'être[546].«Anne Marie Louise d'Orléans.»
«Saint-Fargeau, 12 décembre 1655.
«Quoique je n'aie point encore de secrétaire, je n'ai pas voulu attendre qu'il m'en soit venu un pour faire écrire la lettre de Sa Sainteté. Je l'ai fait écrire par le premier venu. Je pense qu'elle nelaisse pas d'être bien. Au moins l'ai-je trouvée comme il faut. Vous la pouvez voir, car il n'y a qu'un cachet volant. Je vous puis bien assurer que je dis très vrai en disant que j'honore la mère Madelaine de Saint-Joseph, et que j'aime l'ordre des Carmélites, car j'ai pour elles les sentiments les plus tendres du monde, et me veux le plus grand mal qui se puisse de n'être point propre à l'être[546].
«Anne Marie Louise d'Orléans.»
Lettres autographes de la reine de Pologne, Louise Marie de Gonzague, fille du duc de Nevers et de Catherine de Lorraine, et sœur d'Anne de Gonzague, la Palatine.
«A MA CHÈRE SEUR ANNE MARIE DE JÉSUS(Mlled'Épernon),CARMÉLITE A PARIS.«Ma chère Seur, je vous puis dire avec vérité que la lettre que vous m'avez écritte m'a infiniment obligée. J'ai eu toute ma vie une inclination particulière pour votre personne, et présentement une grande estime de vos vertus. Vous ne devez point douter que votre considération ne me porte à toutes les choses que vous me témoignerez désirer de moi. Je vous laisse à penser ce que je ferai pour la V. Mère de Saint-Joseph pour laquelle j'ai de très grands sentiments. J'ai mémoire quoique confuse de l'avoir vue; mais je sais qu'elle étoit très intime amie de ma mère, et qu'elle disoit qu'en ses nécessités spirituelles elle alloit sur son cœur, qui est dans votre chapitre, l'entretenir comme si elle eût vécu; tant elles avoient l'une et l'autre de confiance. Avertissez-moi de ce qui sera nécessaire de faire et je suivrai vos désirs entièrement. Je vous conjure de prier Dieu pour moi et pour ce royaume.M.23 avril 1654.»«Ce 10 juillet 1654.«Vous devez être persuadée que vos lettres me sont toujours très agréables, et que toutes les qualités que vous possédez rendent votre personne et tout ce qui vient d'elle fort estimable. Je n'ai point eu de peine à persuader le Roi mon seigneur d'écrire au Pape; je lui ai fait voir les miracles que Dieu fait par l'intercession de cette bienheureuse Mère, je lui ai dit ce que vous m'en mandez. Il ne reste plus qu'à souhaiter que nos supplications, jointes à tant d'autres, aient la bénédiction nécessaire pour l'accomplissement de cet ouvrage. Je demandeà votre Mère prieure (en 1654, c'était Marie Madelaine de Jésus, Mllede Bains), et à sa sainte communauté des prières particulières pour les nécessités de ce royaume qui a beaucoup d'ennemis, et tous hérétiques et grands persécuteurs de notre religion. J'espère les vôtres en particulier et que vous demanderez miséricorde pour moi.«Louise Marie.»
«A MA CHÈRE SEUR ANNE MARIE DE JÉSUS(Mlled'Épernon),CARMÉLITE A PARIS.
«Ma chère Seur, je vous puis dire avec vérité que la lettre que vous m'avez écritte m'a infiniment obligée. J'ai eu toute ma vie une inclination particulière pour votre personne, et présentement une grande estime de vos vertus. Vous ne devez point douter que votre considération ne me porte à toutes les choses que vous me témoignerez désirer de moi. Je vous laisse à penser ce que je ferai pour la V. Mère de Saint-Joseph pour laquelle j'ai de très grands sentiments. J'ai mémoire quoique confuse de l'avoir vue; mais je sais qu'elle étoit très intime amie de ma mère, et qu'elle disoit qu'en ses nécessités spirituelles elle alloit sur son cœur, qui est dans votre chapitre, l'entretenir comme si elle eût vécu; tant elles avoient l'une et l'autre de confiance. Avertissez-moi de ce qui sera nécessaire de faire et je suivrai vos désirs entièrement. Je vous conjure de prier Dieu pour moi et pour ce royaume.
M.
23 avril 1654.»
«Ce 10 juillet 1654.
«Vous devez être persuadée que vos lettres me sont toujours très agréables, et que toutes les qualités que vous possédez rendent votre personne et tout ce qui vient d'elle fort estimable. Je n'ai point eu de peine à persuader le Roi mon seigneur d'écrire au Pape; je lui ai fait voir les miracles que Dieu fait par l'intercession de cette bienheureuse Mère, je lui ai dit ce que vous m'en mandez. Il ne reste plus qu'à souhaiter que nos supplications, jointes à tant d'autres, aient la bénédiction nécessaire pour l'accomplissement de cet ouvrage. Je demandeà votre Mère prieure (en 1654, c'était Marie Madelaine de Jésus, Mllede Bains), et à sa sainte communauté des prières particulières pour les nécessités de ce royaume qui a beaucoup d'ennemis, et tous hérétiques et grands persécuteurs de notre religion. J'espère les vôtres en particulier et que vous demanderez miséricorde pour moi.
«Louise Marie.»
Mais les pièces les plus curieuses que possède le couvent des Carmélites sont les attestations et dépositions juridiques faites par-devant la commission apostolique. Ces dépositions sont innombrables. Il y a celles d'une foule de religieuses qui avaient connu la mère Madeleine de Saint-Joseph dans les diverses maisons de l'ordre; et nous avons déjà donné une petite partie de la déposition de la mère Agnès (plus haut, p. 346). Voici les témoignages de la reine Anne, de la princesse de Condé, et d'autres dames de la plus haute condition, qui obligées, avant de déposer, de dire qui elles sont, nous donnent les renseignements les plus précis sur elles-mêmes, et éclairent l'histoire des plus grandes familles de France, ainsi que celle des mœurs auxviiesiècle; car toutes ces pièces montrent une foi profonde et sincère, jusque dans des personnes qui ne la mettaient pas toujours en pratique.
Comme on ne pouvait pas faire comparaître la Reine régente devant un tribunal, elle écrivit la lettre suivante signée d'elle, et contre-signée du secrétaire d'État, Servien:
LETTRE DE LA REINE MÈRE AUX CARDINAUX DE LA CONGRÉGATION DES SACRÉS RITES.«Mes cousins, s'il est vrai que les saints soient les ornements de l'Église et les protecteurs du royaume, vous ne devez pas vous étonner si je fais tant d'instances[547]auprès du saint-siége pour la béatificationd'une sainte religieuse qui pendant son vivant a été l'honneur de ce royaume et qui en sera, comme je l'espère, la protectrice après sa mort. Je ne me contente pas de vous solliciter pour elle par mes lettres, mais je me sens obligée de vous rendre compte des lumières particulières que j'ai de son mérite et de sa vertu. Je l'ai souvent visitée pendant qu'elle vivoit parce que je l'aimois et l'honorois. Je peux dire aussi avec vérité qu'elle m'aimoit, qu'elle considéroit plus ma personne que ma condition, et qu'elle avoit pour moi des tendresses qu'une mère a pour sa fille, comme j'avois aussi pour elle les sentiments qu'une fille a pour sa mère. Les fréquentes et longues conversations que j'ai eues avec elle l'espace de plusieurs années m'ont donné le moyen de connoître ses excellentes qualités, et je pense pouvoir assurer que je ne me trompe point dans le jugement que je fais de sa vertu. Elle avoit beaucoup de prudence et de douceur, et il étoit bien malaisé de ne se pas rendre à une personne qui avoit tant de lumières et d'agréments. Mais parce que je sais bien que ce n'est pas ce que l'on considère davantage dans les saints, je m'arrêterai particulièrement à vous faire remarquer sa piété, son zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut des âmes, son respect envers l'Église et le saint-siége, et la charité qu'elle a eue pour ma personne.Sa piété vers Dieu paroissoit en toutes ses paroles. Il étoit le seul sujet de tous ses entretiens; et comme la bouche parle de l'abondance du cœur, elle m'entretenoit toujours de celui qui étoit l'unique objet de son amour. Elle en parloit avec beaucoup de grâce et faisoit une merveilleuse impression dans l'âme de tous ceux qui l'écoutoient. Pour moi, je vous avoue que j'en étois fort touchée, et que je ne pouvois l'entendre que je ne fusse saisie de ce respect qu'on a pour les choses saintes. L'amour qu'elle portoit à Dieu faisoit naître la douleur qu'elle souffroit quand il étoit offensé. Elle avoit une horreur étrange des impiétés et des blasphèmes, et elle m'exhortoit à employer tout mon pouvoir à les bannir de ce royaume. Elle portoit un extrême respect à la parole de Dieu et vouloit qu'on l'écoutât avec beaucoup de vénération; et parce qu'on la méprise quelquefois quand elle n'est pas annoncée avec tant de grâce, elle me disoit qu'il falloit honorerJésus-Christ en la personne de ses ministres, respecter sa parole dans leur bouche, et tenir pour assuré que les moindres d'entre eux en disoient toujours bien plus que nous n'en faisions. Mais si elle avoit tant de révérence pour la parole des prédicateurs, elle en avoit beaucoup davantage pour celle des souverains pontifes. Tout ce qui venoit de leur part lui étoit en singulière vénération, et je me souviens que quand ils ouvroient le Jubilé à Rome, elle m'exhortoit à le demander pour la France et ne pas négliger une grâce pour laquelle l'Eglise communique ses trésors à ses enfants et fournit aux pécheurs des remèdes pour tous leurs maux. De ce même principe procédoit le zèle qu'elle avoit du salut des âmes. La conversion des pécheurs faisoit le plus grand de ses soins, et comme vraie fille de J.-Christ elle accompagnoit de ses prières les prédicateurs qui travailloient à les convertir. Elle me parloit aussi souvent des peuples nouvellement revenus à la foi, m'entretenant des progrès qui se faisoient dans le Canada pour lequel elle avoit une charité particulière, conviant les personnes qui la voyoient de contribuer à cette bonne œuvre de tout leur pouvoir. Comme elle souhaitoit la conversion des infidèles, elle souhaitoit aussi celle des chrétiens et se servoit de tous les avantages que Dieu lui avoit donnés pour les réduire à leurs devoirs. Elle blâmoit les divertissements dangereux avec une force d'esprit qui en donnoit de l'horreur, et elle faisoit voir si clairement le péril qui les accompagne qu'elle obligeoit ceux qui l'écoutoient à s'en éloigner. Je lui ai cette obligation avec plusieurs autres qu'elle m'a donné de l'aversion des romans, en me faisant remarquer combien la lecture en est puérile et dommageable, combien elle dérobe de temps, et de quelles mauvaises impressions elle remplit l'esprit de tous ceux qui s'y occupent. Si elle avoit soin du salut de son prochain elle en avoit aussi de sa réputation; elle ne pouvoit souffrir la médisance, et comme elle est très opposée à la charité, elle en avoit une extrême aversion, et me recommandoit souvent d'user de mon autorité pour l'éloigner de ma cour.Je conclurai cette lettre par les principales choses qu'elle m'a dites pour mon instruction particulière, et que Dieu m'a fait la grâce de ne point oublier. Elle m'exhortoit à donner ma première pensée à Dieu quand je m'éveille, à faire en sorte que les bonnes résolutions que je prenois devant lui fussent suivies de bons effets, à m'employer dans toutes les œuvres de piété qui seroient en mon pouvoir. Elle me convioit aussi à faire tous les soirs l'examen de ma conscience, et de ne pas seulement demander pardon à Dieu de mes péchés, mais encore du mauvais emploi du temps, me représentant avec beaucoup de force et de raison les obligations qu'ont les chrétiens d'en faire un bon usage. Elle m'a aussi souvent recommandé d'assister tous les jours aux vêpres, et de me dérober des divertissements pour rendre ce petit hommage à Dieu; cet avis est si bien demeuré dans mon espritque je ne manque que le moins que je puis à le suivre, et quand j'y obéis c'est presque toujours en souvenir de celle qui me l'a donné, et avec une pensée que ma déférence lui donne quelque satisfaction. J'ai reçu de sensibles consolations dans ses entretiens, et quoiqu'il y eût grande disproportion entre nos âges et nos conditions, je ne laissois pas de trouver une grande douceur dans sa conversation. Elle exhortoit beaucoup à porter avec soumission les croix qu'il plaisoit à Dieu d'envoyer, à les recevoir avec humilité, les souffrir avec patience et les embrasser même avec joie. Elle pratiquoit courageusement les avis qu'elle donnoit aux autres; car quoiqu'elle fût très infirme et qu'elle sentit de très fâcheuses douleurs, elle étoit néanmoins toujours égale et tranquille, et l'on voyoit bien que celui pour qui elle souffroit étoit sa consolation et sa force. Ces excellentes vertus lui ont acquis l'estime générale de toute la France, et je vous puis assurer que tous ceux qui l'ont connue l'ont vue comme une sainte. J'ai un extrême regret qu'ayant eu le bien de la voir pendant sa vie, je n'aie pas eu celui d'assister à sa mort, et qu'elle soit passée de ce monde en l'autre lorsque j'étois absente de Paris; et pour m'en consoler je demandai avec grand soin quelque chose qui lui eût appartenu, et je reçus avec grand respect une image qu'elle avoit longtemps gardée en son bréviaire. Je visite assez souvent son tombeau, et en particulier je n'y manque jamais le jour qu'elle est décédée, et quelques affaires qui me surviennent je m'en défais pour lui rendre ce petit devoir. J'y ai mené plusieurs fois le Roi monsieur mon fils dans la créance que j'ai qu'il pourra obtenir de Dieu beaucoup de grâces par son intercession. Ce qui me le persuade est le grand nombre des miracles qu'elle opère tous les jours en faveur de ceux qui implorent son assistance.Quoique je vous aie dit ce que ma mémoire m'a fourni, j'ai grande confusion d'en avoir dit si peu, et de vous avoir marqué des choses qui ne répondent ni à sa sainteté ni à l'estime que tout le monde en a conçue; mais le témoignage public suppléera à mon défaut, et j'aurai la satisfaction d'avoir au moins contribué de mon suffrage pour avancer sa béatification. Je la souhaite avec toute la France, et je l'attends de la justice du saint-siége et de votre piété, me promettant qu'on ne la peut pas refuser aux merveilles que Dieu opère par sa servante. Je vous conjure d'y contribuer en votre particulier ce qui dépendra de vous, principalement pour l'accélération de l'affaire. Cependant je demeurerai,«Votre bonne Cousine.«Anne.Paris le 23mefebvrier 1655.—Servien.»
LETTRE DE LA REINE MÈRE AUX CARDINAUX DE LA CONGRÉGATION DES SACRÉS RITES.
«Mes cousins, s'il est vrai que les saints soient les ornements de l'Église et les protecteurs du royaume, vous ne devez pas vous étonner si je fais tant d'instances[547]auprès du saint-siége pour la béatificationd'une sainte religieuse qui pendant son vivant a été l'honneur de ce royaume et qui en sera, comme je l'espère, la protectrice après sa mort. Je ne me contente pas de vous solliciter pour elle par mes lettres, mais je me sens obligée de vous rendre compte des lumières particulières que j'ai de son mérite et de sa vertu. Je l'ai souvent visitée pendant qu'elle vivoit parce que je l'aimois et l'honorois. Je peux dire aussi avec vérité qu'elle m'aimoit, qu'elle considéroit plus ma personne que ma condition, et qu'elle avoit pour moi des tendresses qu'une mère a pour sa fille, comme j'avois aussi pour elle les sentiments qu'une fille a pour sa mère. Les fréquentes et longues conversations que j'ai eues avec elle l'espace de plusieurs années m'ont donné le moyen de connoître ses excellentes qualités, et je pense pouvoir assurer que je ne me trompe point dans le jugement que je fais de sa vertu. Elle avoit beaucoup de prudence et de douceur, et il étoit bien malaisé de ne se pas rendre à une personne qui avoit tant de lumières et d'agréments. Mais parce que je sais bien que ce n'est pas ce que l'on considère davantage dans les saints, je m'arrêterai particulièrement à vous faire remarquer sa piété, son zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut des âmes, son respect envers l'Église et le saint-siége, et la charité qu'elle a eue pour ma personne.
Sa piété vers Dieu paroissoit en toutes ses paroles. Il étoit le seul sujet de tous ses entretiens; et comme la bouche parle de l'abondance du cœur, elle m'entretenoit toujours de celui qui étoit l'unique objet de son amour. Elle en parloit avec beaucoup de grâce et faisoit une merveilleuse impression dans l'âme de tous ceux qui l'écoutoient. Pour moi, je vous avoue que j'en étois fort touchée, et que je ne pouvois l'entendre que je ne fusse saisie de ce respect qu'on a pour les choses saintes. L'amour qu'elle portoit à Dieu faisoit naître la douleur qu'elle souffroit quand il étoit offensé. Elle avoit une horreur étrange des impiétés et des blasphèmes, et elle m'exhortoit à employer tout mon pouvoir à les bannir de ce royaume. Elle portoit un extrême respect à la parole de Dieu et vouloit qu'on l'écoutât avec beaucoup de vénération; et parce qu'on la méprise quelquefois quand elle n'est pas annoncée avec tant de grâce, elle me disoit qu'il falloit honorerJésus-Christ en la personne de ses ministres, respecter sa parole dans leur bouche, et tenir pour assuré que les moindres d'entre eux en disoient toujours bien plus que nous n'en faisions. Mais si elle avoit tant de révérence pour la parole des prédicateurs, elle en avoit beaucoup davantage pour celle des souverains pontifes. Tout ce qui venoit de leur part lui étoit en singulière vénération, et je me souviens que quand ils ouvroient le Jubilé à Rome, elle m'exhortoit à le demander pour la France et ne pas négliger une grâce pour laquelle l'Eglise communique ses trésors à ses enfants et fournit aux pécheurs des remèdes pour tous leurs maux. De ce même principe procédoit le zèle qu'elle avoit du salut des âmes. La conversion des pécheurs faisoit le plus grand de ses soins, et comme vraie fille de J.-Christ elle accompagnoit de ses prières les prédicateurs qui travailloient à les convertir. Elle me parloit aussi souvent des peuples nouvellement revenus à la foi, m'entretenant des progrès qui se faisoient dans le Canada pour lequel elle avoit une charité particulière, conviant les personnes qui la voyoient de contribuer à cette bonne œuvre de tout leur pouvoir. Comme elle souhaitoit la conversion des infidèles, elle souhaitoit aussi celle des chrétiens et se servoit de tous les avantages que Dieu lui avoit donnés pour les réduire à leurs devoirs. Elle blâmoit les divertissements dangereux avec une force d'esprit qui en donnoit de l'horreur, et elle faisoit voir si clairement le péril qui les accompagne qu'elle obligeoit ceux qui l'écoutoient à s'en éloigner. Je lui ai cette obligation avec plusieurs autres qu'elle m'a donné de l'aversion des romans, en me faisant remarquer combien la lecture en est puérile et dommageable, combien elle dérobe de temps, et de quelles mauvaises impressions elle remplit l'esprit de tous ceux qui s'y occupent. Si elle avoit soin du salut de son prochain elle en avoit aussi de sa réputation; elle ne pouvoit souffrir la médisance, et comme elle est très opposée à la charité, elle en avoit une extrême aversion, et me recommandoit souvent d'user de mon autorité pour l'éloigner de ma cour.
Je conclurai cette lettre par les principales choses qu'elle m'a dites pour mon instruction particulière, et que Dieu m'a fait la grâce de ne point oublier. Elle m'exhortoit à donner ma première pensée à Dieu quand je m'éveille, à faire en sorte que les bonnes résolutions que je prenois devant lui fussent suivies de bons effets, à m'employer dans toutes les œuvres de piété qui seroient en mon pouvoir. Elle me convioit aussi à faire tous les soirs l'examen de ma conscience, et de ne pas seulement demander pardon à Dieu de mes péchés, mais encore du mauvais emploi du temps, me représentant avec beaucoup de force et de raison les obligations qu'ont les chrétiens d'en faire un bon usage. Elle m'a aussi souvent recommandé d'assister tous les jours aux vêpres, et de me dérober des divertissements pour rendre ce petit hommage à Dieu; cet avis est si bien demeuré dans mon espritque je ne manque que le moins que je puis à le suivre, et quand j'y obéis c'est presque toujours en souvenir de celle qui me l'a donné, et avec une pensée que ma déférence lui donne quelque satisfaction. J'ai reçu de sensibles consolations dans ses entretiens, et quoiqu'il y eût grande disproportion entre nos âges et nos conditions, je ne laissois pas de trouver une grande douceur dans sa conversation. Elle exhortoit beaucoup à porter avec soumission les croix qu'il plaisoit à Dieu d'envoyer, à les recevoir avec humilité, les souffrir avec patience et les embrasser même avec joie. Elle pratiquoit courageusement les avis qu'elle donnoit aux autres; car quoiqu'elle fût très infirme et qu'elle sentit de très fâcheuses douleurs, elle étoit néanmoins toujours égale et tranquille, et l'on voyoit bien que celui pour qui elle souffroit étoit sa consolation et sa force. Ces excellentes vertus lui ont acquis l'estime générale de toute la France, et je vous puis assurer que tous ceux qui l'ont connue l'ont vue comme une sainte. J'ai un extrême regret qu'ayant eu le bien de la voir pendant sa vie, je n'aie pas eu celui d'assister à sa mort, et qu'elle soit passée de ce monde en l'autre lorsque j'étois absente de Paris; et pour m'en consoler je demandai avec grand soin quelque chose qui lui eût appartenu, et je reçus avec grand respect une image qu'elle avoit longtemps gardée en son bréviaire. Je visite assez souvent son tombeau, et en particulier je n'y manque jamais le jour qu'elle est décédée, et quelques affaires qui me surviennent je m'en défais pour lui rendre ce petit devoir. J'y ai mené plusieurs fois le Roi monsieur mon fils dans la créance que j'ai qu'il pourra obtenir de Dieu beaucoup de grâces par son intercession. Ce qui me le persuade est le grand nombre des miracles qu'elle opère tous les jours en faveur de ceux qui implorent son assistance.
Quoique je vous aie dit ce que ma mémoire m'a fourni, j'ai grande confusion d'en avoir dit si peu, et de vous avoir marqué des choses qui ne répondent ni à sa sainteté ni à l'estime que tout le monde en a conçue; mais le témoignage public suppléera à mon défaut, et j'aurai la satisfaction d'avoir au moins contribué de mon suffrage pour avancer sa béatification. Je la souhaite avec toute la France, et je l'attends de la justice du saint-siége et de votre piété, me promettant qu'on ne la peut pas refuser aux merveilles que Dieu opère par sa servante. Je vous conjure d'y contribuer en votre particulier ce qui dépendra de vous, principalement pour l'accélération de l'affaire. Cependant je demeurerai,
«Votre bonne Cousine.«Anne.Paris le 23mefebvrier 1655.—Servien.»
Après la lettre de la reine Anne, nous donnerons ici tout entières les dépositions de la princesse de Condé et de madamede Longueville, bien qu'elles soient un peu longues et qu'elles se ressemblent; mais, nous l'avouons, nous avons transcrit avec un plaisir que d'autres partageront peut-être ces pages d'une qualité de style indéfinissable, et où les deux princesses, en voulant faire connaître la mère Madeleine, se peignent elles-mêmes involontairement:
«Je soussignée, Marguerite Charlotte de Montmorency, veuve de très haut, très puissant et très excellent prince, Messire Henry de Bourbon, prince de Condé, premier prince du sang, premier pair de France, duc d'Enghien, de Châteauroux et de Montmorency, gouverneur et lieutenant pour le Roi en ses pays de Bourgogne, Bresse et Berry, atteste et certifie que j'ai connu fort particulièrement la servante de Dieu, la Mère Magdelaine de St-Joseph, en son vivant religieuse carmélite et jadis prieure au grand couvent de l'Incarnation du faubourg Saint-Jacques lez Paris, et j'estime pour une des grandes grâces que la divine majesté m'ait faites la part que cette bonne Mère m'a donnée en son affection et en ses prières.Je rends témoignage sur la vérité que c'est la Mère Magdelaine qui m'a donné les premières pensées de l'éternité, car auparavant que de la connoître j'étois fort du monde et n'avois guère pensé de m'en retirer.Elle m'a donné plusieurs bons avis pour mon âme; mais je ne les puis déclarer étant comme ma confession.Elle me parloit fort librement sur les choses qu'elle croyoit m'être nécessaires, et je l'ai vue faire le même à la Reine avec des termes si pleins de force qu'ils faisoient impression dans les esprits, en sorte qu'on ne la quittoit point qu'avec désir de mieux servir Dieu.Elle s'insinuoit avec tant de grâce dans les esprits que non-seulement l'on ne pouvoit trouver mauvais ni avoir peine de ce qu'elle disoit, mais même on se sentoit contraint d'entrer dans son sentiment.Elle avoit quelque chose qui portoit à la respecter, ce que j'ai même remarqué en la Reine, lorsque Sa Majesté lui parloit, laquelle l'aimoit beaucoup.Cette servante de Dieu étoit grandement ennemie de la lecture des romans; elle m'a souvent parlé de n'en point lire et à ma fille, la duchesse de Longueville, aussi.Lorsqu'elle nous voyoit parler quelquefois devant le saint Sacrement, elle nous en reprenoit fortement, néanmoins dans sa douceur ordinaire. Elle ne souffroit non plus de nous voir parler durant les sermons, et lorsqu'elle entendoit quelques dames qui n'estimoient pasassez les prédicateurs, disant qu'ils n'avoient pas bien prêché ou chose semblable, elle les tançoit agréablement en sa manière et disoit: Holà! En voilà plus que vous n'en ferez; c'est la parole de Dieu.Cette grande servante de Dieu m'a parlé diverses fois sur la vanité, et en particulier sur l'impossibilité qu'il y avoit d'accorder Dieu et le monde, et de bien faire l'oraison en prenant les plaisirs et les aises de son corps.Mais ce dont il me souvient qu'elle m'a le plus parlé, c'est de supporter patiemment les afflictions de la vie et de m'en servir pour gaigner le ciel et mépriser les choses de ce monde.J'ai beaucoup reçu de consolations de ses paroles en plusieurs sujets d'afflictions que j'ai eus.Je n'ai jamais vu une religieuse plus compatissante qu'elle. Cela soulageoit fort. Je me souviens qu'à la mort de mon frère le duc de Montmorency, me voyant extrêmement touchée, elle me disoit: «Pleurez, madame, ne vous retenez pas, je pleurerai avec vous, mais il faut que le cœur soit à Dieu.» Et elle pleuroit avec moi, ce qui allégeoit ma douleur.Je n'ai jamais vu une personne plus douce qu'elle, ni qui eût une plus grande bonté. L'on ne s'ennuyoit point avec elle, car elle étoit d'une très agréable conversation, avoit le cœur gai, l'esprit excellent, l'humeur toujours égale et naturellement complaisante; mais elle ne l'étoit point aux choses où il y avoit tant soit peu d'offense de Dieu. Si, comme l'on dit, la tranquillité d'esprit et la gaieté sont des marques qu'une âme jouit de la paix des enfants de Dieu, on peut assurer qu'elle possédoit toujours cette paix intérieure par la tranquillité de son visage et la joie qui y paroissoit, accompagnée de la modestie convenable à une religieuse.Elle étoit fort bénigne et charitable envers toutes sortes de personnes, et j'ai remarqué qu'elle aimoit sensiblement ceux qui lui portoient affection, étant d'un très bon naturel. Il s'est rencontré des occasions où elle a fait sçavoir qu'elle aimoit en tout temps ses amis sans égard à ce qu'ils étoient disgraciés, et qu'elle même s'exposoit d'encourir la disgrâce des grands. J'ai expérimenté ceci lorsque après la mort de mon frère elle me reçut durant quelques jours en son monastère avec une très grande charité, quoiqu'elle sçût bien que j'étois fort mal auprès du Roi[548]. Elle s'exposa aussi à encourir la disgrâce de la reine Marie de Médicis par la réception qu'elle fit d'une dame de ses amies qu'elle avoit chassée de la cour.Elle m'a employée en diverses affaires pour le bien de son ordre, connoissant combien je l'aimois, ce qui fait que je puis rendre bontémoignage du zèle qu'elle avoit pour le maintenir en paix et dans la perfection où sainte Thérèse l'avoit mis. Je sçais qu'elle a beaucoup travaillé pour cela, particulièrement pour ramener les esprits du monastère de Bourges qui s'étoient retirés de l'obéissance des supérieurs que notre saint Père a donnés à cet ordre en France. J'y travaillois à sa prière et suivant les avis qu'elle me donnoit, feu Monsieur mon mari étant lors gouverneur du Berry. J'ai remarqué qu'elle ne disoit jamais rien de qui que ce fût contraire à la charité. Il est bien vrai qu'en cette affaire du couvent de Bourges, elle me parla du tort qu'avoit la prieure d'avoir fait soulever les religieuses contre leurs supérieurs, mais jamais elle ne me dit aucune chose des défauts particuliers de cette prieure sans nécessité; et même j'ai remarqué qu'elle en parloit avec compassion et charité pour elle, jusque-là qu'elle me pria de porter parole à cette prieure que, si elle vouloit retourner à son devoir et au monastère de l'Incarnation, les supérieurs la recevroient et qu'elle seroit traitée comme une des plus vertueuses de la maison. Cette servante de Dieu me dit: «Je suis la moindre de toutes les religieuses de l'Ordre, mais je l'assure de ce que je vous dis de la part des supérieurs.» Cette grande servante étoit si éloignée de vouloir mal aux personnes qui exerçoient sa patience, et qui disoient quelque chose d'elle mal à propos et contre la vérité, que je l'ai vue se réjouir de plusieurs choses qu'on lui avoit rapportées qui avoient été dites contre elle.Elle avoit l'esprit naturel fort bon et judicieux qui ne s'empêchoit de rien et traitoit les affaires avec grande paix sans s'en inquiéter.Son humilité nous a caché les choses extraordinaires que Dieu faisoit en elle durant sa vie; mais quoiqu'elle essayât de paroître toute commune en sa conversation, sa grâce ne laissoit pas de se faire ressentir par divers bons effets.J'ai remarqué qu'encore qu'elle parlât librement aux personnes de grande condition, néanmoins elle ne manquoit pas au respect qu'elle leur devoit, et sembloit qu'elle eût été nourrie toute sa vie à la cour, tant elle étoit civile.Les Reines l'aimoient et l'estimoient beaucoup. Je les ai vues souvent aller aux monastères dont elle étoit prieure pour la voir, et que Leurs Majestés l'entretenoient plusieurs heures de suite en particulier.Cette servante de Dieu prenoit soin de se conserver la bienveillance de Leurs Majestés pour avoir plus de moyen de les faire rendre hommage à Dieu et à la vertu, et non pour un intérêt particulier, dont elle étoit très séparée.Elle étoit très affectionnée à prier pour la paix de l'Église et du royaume, ce que j'ai particulièrement remarqué au temps de la guerre que le feu roi Louis XIII a eue contre les hérétiques rebelles et surtout au siége de La Rochelle. Elle étoit lors si occupée à prier pour le bon succès des armées du Roi et à en demander des nouvelles, qu'elle nepouvoit quasi s'occuper aux affaires particulières qu'on la prioit de recommander à Dieu. Quand elle sçut la prise de La Rochelle, elle en parut dans une grande joie et en rendit beaucoup de grâces à Dieu, me conviant à faire de même.Je sçais qu'elle avoit une affection particulière pour feu Monsieur mon mari, à cause qu'il aimoit l'Église, qu'elle prioit beaucoup Dieu pour lui, et qu'elle avoit prédit de lui qu'il seroit utile à l'Église, ce qui a été en effet en ce qu'il a soutenu ses intérêts en plusieurs rencontres, et en mourant, lorsqu'il donna sa bénédiction à ses deux fils, il les pria de se montrer vrais enfants de l'Église et d'en défendre les intérêts.Son zèle pour la conversion des âmes infidèles étoit très grand. Elle a procuré beaucoup de secours aux révérends Pères de la Compagnie de Jésus qui travailloient à laNouvelle Francepour ce sujet; et je me souviens qu'elle m'a quelquefois demandé quelque chose pour leur envoyer, et que peu devant sa mort elle fit baptiser dans l'église du monastère de l'Incarnation trois personnes de ces pays, d'où je fus marraine d'une, et ma fille la duchesse de Longueville d'une autre.Elle faisoit beaucoup faire de prières dans les besoins publics de l'Église ou du royaume, et aussi lorsque quelqu'un des amis de son Ordre étoit en peine, ou seulement des personnes qui touchoient ses amis. Je l'ai vue faire faire quantité de prières pour plusieurs, entre autres pour des personnes de condition condamnées à mourir pour divers sujets, et je ne doute pas que ses saintes prières en particulier n'aient beaucoup servi à les disposer à faire bon usage de leur affliction.Je l'ai beaucoup vue les dernières années de sa vie, durant lesquelles elle étoit accablée de maux; mais elle ne laissoit d'être gaie, ne se plaignoit point, ne paroissoit pas même être incommodée comme elle l'étoit en effet.Il est aisé à juger qu'elle étoit bien pénitente, parce qu'elle a établi dans le monastère de l'Incarnation une grande ferveur à la pénitence qui s'y voit encore à présent aussi en vigueur que pendant sa vie, dont je puis rendre témoignage y entrant souvent et en voyant plusieurs particularités. Pour ce qui est de la régularité, je rends aussi témoignage qu'elle y est gardée exactement et qu'il est aisé en voyant l'état du monastère de l'Incarnation de connoître qu'il a été sous une sainte conduite.Elle a été si exacte dans les observances de son Ordre qui pour ce que sainte Thérèse défend dans ses constitutions de recevoir des professes d'un autre Ordre dans celui de Notre-Dame du mont Carmel selon sa réforme, je sçais qu'elle a refusé l'entrée à plusieurs abbesses dans son monastère, dont l'une étoit de la maison de La Trimouille parente de feu Monsieur mon mari. Je rends encore témoignage quepour éviter les divertissements que les religieuses eussent pu avoir par l'entrée fréquente des princesses et dames de condition qui avoient permission de notre saint Père, elle a refusé d'ouvrir la porte à plusieurs qui lui offroient quelques-unes du bien et de la faveur; et depuis sa mort les religieuses à son exemple n'ont pas voulu non plus permettre l'entrée à d'autres de très grande qualité[549].Je sçais que la servante de Dieu a reçu beaucoup de filles sans dot, encore que son monastère fût fort incommodé, mais elle regardoit plus à la vocation des âmes qu'à l'intérêt temporel du monastère.Si j'avois présent à l'esprit tout ce que j'ai connu des vertus de cette sainte religieuse et des grâces extraordinaires qu'elle a reçues de Dieu, je pourrois rendre un plus ample témoignage de sa sainteté, et je souhaite beaucoup que ce peu suffise pour satisfaire à ce que je dois à son mérite et à son affection vers moi, et pour faire connoître que je l'estime beaucoup au delà de ce que j'en dis. C'est un des grands déplaisirs que j'aie eus en ma vie que de n'avoir pas eu pouvoir d'entrer dans le monastère les derniers jours de la maladie de cette grande servante de Dieu. Je n'avois lors permission que d'y entrer trois fois le mois; et lorsqu'elle tomba malade j'étois entrée ces trois fois, de sorte que je ne pus la voir pendant ce temps qu'une fois, qu'ayant su que j'étois venue au dehors du monastère pour apprendre moi-même de ses nouvelles, la pauvre Mère quoique mourante se fit porter au parloir pour me parler et me remercier de mes soins, m'assurant qu'elle prieroit Dieu pour moi et pour les miens, si Dieu lui faisoit miséricorde.Les religieuses m'ont rapporté plusieurs circonstances de son bienheureux trépas qui donnent dévotion et font bien voir que la bonne vie est suivie d'une bonne mort.Le lendemain de sa mort, qui étoit le premier jour d'un autre mois, je ne perdis point temps d'user de ma permission d'entrer dans le monastère, et m'y en allai dès le matin pour voir le corps de cette servante de Dieu que j'aimois comme ma mère, et pour assister à son enterrement. Je rends témoignage qu'encore que j'eusse peur de voir des corps morts, je n'en eus point de celui-là, et si je me trouvai un espace de temps quasi seule auprès, et même je prenois plaisir à regarder son visage, en telle sorte que je n'eusse point voulu partir de là. Elle étoit blanche et un peu rouge, et incomparablement plus belle qu'elle n'étoit en vie.Une dame qui est à moi et qui n'entra pas au monastère ce même jour, s'étant résolue de ne point approcher de la grille du chœur, où le corps étoit exposé aux yeux du peuple qui étoit dans l'église, par une grande appréhension qu'elle avoit des morts, voyant que chacun sepressoit pour aller voir le corps de cette servante de Dieu, elle s'efforça d'y aller aussi et assura qu'elle trouva ce visage si beau et attirant qu'elle ne cessa de le regarder, jusqu'à ce qu'on porta le corps en terre, sans en avoir aucune peur.Il y eut quantité de personnes qui prièrent qu'on fît toucher leur chapelet à ce corps, le regardant comme celui d'une sainte; et en effet on en passa quantité par la grille que quelques dames, qui étoient entrées avec moi dans le monastère et avec quelque autre princesse, recevoient, ce qui est une marque que l'on reconnoissoit en cette servante de Dieu quelque chose d'extraordinaire.Nous assistâmes toutes à son enterrement qui fut fait par Mgr l'éveque de Lisieux[550], par l'estime qu'il avoit d'elle durant sa vie. Cette cérémonie ne se put passer sans renouveler ma douleur de la mort de cette bonne mère, encore que je ne doutasse point qu'elle ne fût bien heureuse et qu'elle ne conservât toujours beaucoup de charité pour moi.Je rends témoignage que le jour de la Pentecôte environ six semaines après la mort de cette servante de Dieu, étant allée au monastère pour faire mes dévotions, je fus à la chambre où elle étoit décédée la prier de me continuer au ciel la charité qu'elle avoit eue pour mon âme sur la terre. Étant sortie de la chambre et parlant à la mère prieure et autres religieuses en un lieu tout contre, je fus en un instant surprise d'une grande odeur, dont je fus tout émue, et même les larmes m'en vinrent aux yeux, et je devins fort rouge, de sorte que les religieuses s'apercevant de cette émotion je leur dis que je sentois notre mère Magdelaine; car je crus que c'étoit elle, ayant ouï dire que Dieu manifestoit sa sainteté par semblables odeurs. Je m'en allai rendre grâces à Dieu devant le très Saint-Sacrement de ce qu'elle m'avoit voulu faire ainsi connoître qu'elle se souvenoit de moi, et je demeurai dans un sentiment de respect très grand vers cette servante de Dieu et créance de sa gloire.En l'année 1640, au mois de décembre, comme j'étois sur son tombeau la remerciant de quelques assistances que j'avois reçues de Dieu par son intercession, je sentis une très bonne odeur que je ne sçais à quoi comparer, mais j'assure qu'elle étoit excellente, et qu'encore que je sois sujette à me trouver mal des senteurs, celles-ci ne font pas cet effect, elles élèvent à Dieu et donnent joie et se font sentir à une personne seule, quoiqu'en compagnie de plusieurs, ce qui m'arriva encore cette fois que je dis; car les religieuses qui étoient avec moi n'y eurent aucune part.J'ai souvent ressenti son assistance depuis sa mort en divers besoins dans lesquels j'ai eu recours à son intercession.J'ai eu connoissance de plusieurs grands miracles que Dieu a opérés par l'intercession de cette sienne servante, et même j'ai vu quelques-uns de mes domestiques être guéris merveilleusement par le recours qu'ils ont eu en elle. Mon contrôleur, nommé Fermelys, ayant porté neuf mois un grand mal de côté avec jaunisse et fièvre lente dont on croyoit qu'il mourroit, en fut guéri par une neuvaine qu'il fit à la mère Magdelaine de St-Joseph, prenant de l'eau où avoit trempé du linge teint de son sang. La nourrice de ma fille, la duchesse de Longueville, fut guérie[551]à l'instant d'un furieux mal de tête par l'attouchement du coffre où est le cœur de la vénérable mère, lequel mal detête la travailloit depuis très longtemps si violemment qu'elle crioit quasi jour et nuit sans qu'aucun remède lui donnât nul soulagement. Il y en a encore quelques-uns que je serois trop longue à rapporter, et dont eux-mêmes pourroient déposer.Et pour témoignage de la vérité de tout ce que j'ai dit ci-dessus, j'ai signé de ma propre main, et à icelui faict apposer nos armes, en présence des deux notaires apostoliques et ecclésiastiques de Paris, en notre hôtel à Paris, ce 10 du mois d'avril de l'an de grâce 1647.»DÉPOSITION AUTOGRAPHE DE MADAME DE LONGUEVILLE[552].«Je Anne Geneviefve de Bourbon, princesse du sang de France, femme de très haut et très puissant prince, Henry d'Orléans, duc deLongueville et d'Estouteville, prince souverain de Neufchâteau et Valengin en Suisse, comte de Dunois, et lieutenant général pour le Roi en Normandie, âgée d'environ vingt-sept ans, certifie que dès mon enfance jusques à l'année mil six cent trente-sept, j'ai très souvent eu la bénédiction de voir la vénérable mère Magdelene de St.-Joseph au monastère de l'Incarnation à Paris, le premier de l'ordre de Notre-Dame du mont Carmel en France selon la réforme de Sainte-Thérèse, duquel elle a été prieure plusieurs années.Je sais qu'elle étoit fort régulière dans les observances de la religion, tant par ce que je lui ai vu pratiquer que par le bon règlement que j'ai toujours reconnu et que je reconnois encore dans le monastère de l'Incarnation de Paris qu'elle a gouverné en qualité de prieure par diverses fois; et je puis rendre témoignage, par la particulière connoissance que j'ai de ce monastère où j'entre plus qu'en pas un autre, qu'elle y a établi une grande perfection, et que c'est la maison religieuse la plus exacte et régulière que je connoisse.J'ai vu en particulier le zèle de cette servante de Dieu pour la régularité par le refus qu'elle fit de recevoir madame l'abbesse du Lis, qui l'est à présent de Jouarre, en l'ordre des Carmélites, à cause que sainte Thérèse défend dans les constitutions d'y recevoir des professes de quelque autre ordre.Je sais aussi qu'elle empêcha des dames de considération d'user de la permission qu'elles avoient de notre saint Père le Pape pour entrer quelquefois dans le monastère de l'Incarnation, pour éviter que les entrées si fréquentes de personnes séculières ne fissent quelque tort aux religieuses qui font si particulière profession de solitude et d'imiter les anciens pères hermites du mont Carmel dont elles sont descendues.Je lui ai souvent ouï parler de la condition religieuse avec grande estime, et la mettre au-dessus des plus grandes de la terre. Elle estimoit fort la pénitence, et y affectionnoit les personnes du monde. Elle m'en a parlé diverses fois et d'être soigneuse de mortifier mon esprit et mes sens en leur retranchant leurs plaisirs superflus.Elle m'a aussi grand nombre de fois exhortée à ne point lire de romans, à quoi elle me voyoit affectionnée, que je ne puis dire combien elle m'en a parlé, me montrant que cette lecture étoit fort préjudiciable à l'âme, et même indigne d'une personne de ma condition, et enfin elle me les fit quitter[553].Elle me portoit beaucoup à fuir la vanité, non pas à ne me treuver aux lieux où elle savoit bien que je ne pouvois éviter d'aller, mais elleme disoit qu'au milieu des divertissements du monde je devois être soigneuse de m'élever à Dieu et de lui demander qu'il me préservât de prendre part à la vanité qui y règne.Elle n'aimoit point qu'on dît qu'un sermon n'étoit pas beau, et disoit qu'il y en avoit toujours assez pour profiter si on étoit bien disposé.Elle parloit à la Reine et aux princesses avec une certaine majesté et authorité, qu'il sembloit qu'elle eût droit de les enseigner et reprendre, comme elle le faisoit très à propos dans les occasions. C'étoit toujours néanmoins avec un grand respect, et d'une majesté si pleine de grâce qu'on ne pouvoit treuver mauvais ce qu'elle disoit. Elle se faisoit extrêmement aimer de ceux avec qui elle conversoit; on sentoit une inclination vers elle toute particulière, et une si grande confiance en elle qu'on lui disoit toutes choses avec une entière ouverture de cœur. Elle entroit dans les sentiments des autres, leur ouvrant son cœur plein d'une véritable charité, et par cela donnoit grande ouverture vers elle.Pour moi, je lui eusse découvert mes plus secrètes pensées, et l'ai très souvent fait selon mes besoins, sur quoi elle m'a donné de très saints conseil et beaucoup d'assistance. Je ne me lassois point de l'entendre parler, ni d'être avec elle; car je l'aimois comme ma propre mère, et l'estimois une sainte par la connoissance particulière que j'avois de sa grande charité vers moi[554]et de ses grandes vertus. Souvent je me suis trouvée bien heureuse qu'elle m'eût donné sa bénédiction.Elle avoit une douceur, une gaieté, une égalité et une patience admirables dans ses continuelles infirmités, et cela paroissoit tant en elle qu'il n'y a personne qui l'ait connue qui n'en puisse rendre le même témoignage.Je me souviens de l'avoir vue agir sans s'émouvoir dans une affaire très importante pour son ordre[555]où elle eut beaucoup de sujet d'exercer sa patience envers quelques personnes; et pendant tout ce temps je ne lui ai jamais ouï dire une parole contre ceux qui la persécutaient, ni témoigner aucune aigreur vers eux; elle les excusoit toujours et en parloit avec compassion, grande douceur et charité, amoindrissant leur faute autant qu'elle pouvoit.J'ai aussi remarqué lorsqu'on parloit en sa présence au désavantage de quelqu'un, qui que ce fût, si il arrivoit qu'elle ne le pût excuser, elle en témoignoit compassion et rejetoit la faute sur la fragilité de lanature et non sur la malice de la personne, et elle imprimoit cette disposition d'excuse dans ceux qui l'entendoient, les portant non-seulement par ses exhortations, mais comme par une participation de sa grâce, à être dans cette véritable charité.J'ai ouï dire qu'elle faisoit plusieurs charités aux pauvres, et je suis témoin qu'elle eut soin, pour le temporel et le spirituel, de deux petites Canadiennes et d'une femme iroquoise que les Pères Jésuites avoient fait venir à Paris; elle les fit baptiser et me porta à être la marraine de la femme iroquoise.J'ai expérimenté en moi-même et j'ai vu en beaucoup d'autres, qu'elle avoit un grand désir de servir les âmes dans leurs besoins et les aider à suivre les voies du salut.J'ai connu qu'elle pénétroit les secrets de Dieu sur les âmes, et je me souviens en particulier d'une personne de ma connoissance qui avoit de très grands désirs de se retirer du monde; elle en communiqua diverses fois avec cette servante de Dieu, sans qu'elle approuvât ou désapprouvât ses désirs; mais elle l'exhortoit seulement à s'exercer dans la vertu et perfection qui se peut pratiquer en toute condition, parce qu'elle voyoit par une lumière surnaturelle qui ne pouvoit venir que de Dieu que les désirs de cette dame n'auroient pas leur effet, dont pourtant elle ne lui disoit rien. Cette personne remarquoit bien que la servante de Dieu avoit une inclination et un désir ardent qu'elle fût religieuse, mais elle lui voyoit réprimer par une lumière qui ne pouvoit être humaine, et agir non pas conformément à ce désir, mais selon que la prudence divine lui dictoit; ce que je sçais avec une entière certitude, cette personne se confiant en moi comme en elle-même. Elle s'est depuis engagée dans le monde[556], et se souvient toujours du sage procédé de cette grande servante de Dieu.J'ai toujours ouï parler d'elle comme d'un des plus grands esprits qu'il y eût. Tous ceux qui la connoissoient ne doutoient point de cela, et pour mon particulier tout ce que j'ai vu de sa conduite m'a fait faire le même jugement.Elle avoit une grande déférence au sens d'autrui et étoit extrêmement humble. Je l'ai vue baiser les pieds des religieuses par humilité; et depuis qu'elle fut hors de charge, je l'ai vue souvent rendre de grands respects à la mère prieure et à la mère sous-prieure qui étoient ses filles, les ayant reçues et élevées dans la religion.J'ai remarqué qu'elle avoit une grande dévotion au St.-Sacrement, qu'elle étoit le plus qu'elle pouvoit en sa présence, et pour cela je l'ai vue quitter plusieurs fois Madame ma mère et d'autres princesses qui étoient entrées dans le monastère et qui aimoient fort de l'entretenir.Elle m'a parlé souvent sur le saint sacrifice de la messe et des dispositions que nous devons avoir pour y assister. J'ai connu par ses actions et par ses paroles qu'elle avoit un grand amour de Dieu. Elle portoit les âmes à avoir toujours Notre-Seigneur Jésus-Christ présent, et à le prendre pour règle de toute leur conduite et actions.Elle m'a quelquefois parlé en particulier d'honorer le cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de lui demander qu'il sanctifiât tous les mouvements du mien par ceux du sien très saint et divin; et j'ai connu, par tout ce qu'elle m'en a dit, qu'elle avoit une dévotion et très particulière application à ce très sacré cœur du Fils de Dieu.Pour ce qui est de la dévotion à la très sainte Vierge, c'est une des choses dont elle m'a plus parlé, et n'est pas croyable les soins qu'elle a pris de m'y affectionner, tant à recourir souvent à elle qu'à pratiquer diverses choses, faire des dévotions particulières en son honneur, et enfin l'honorer par toutes sortes de voies, ce qui m'a fait connoître qu'elle y avoit une rare dévotion.Je l'ai vue porter un très grand respect au saint bois de la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je l'ai vue aussi fort dévote aux Saints dont elle honoroit beaucoup les images et les reliques; et à son exemple les religieuses du monastère de l'Incarnation leur rendent de grands honneurs, et sont fort désireuses d'en avoir quantité qu'elles tiennent avec grande révérence. Elle m'a souvent exhortée à la dévotion envers saint Joseph.Sa piété paroissoit en toutes choses, particulièrement à faire embellir l'église et l'autel où repose le très Saint-Sacrement, qu'elle faisoit orner le mieux qui lui étoit possible.Je me souviens qu'elle reprenoit des dames quand elle les voyoit parler devant le Saint-Sacrement.Lorsque cette servante de Dieu tomba malade de sa dernière maladie et que je la sçus à l'extrémité, je fis plusieurs prières et des vœux pour demander à Dieu qu'il ne la retirât pas si tôt de ce monde où elle étoit si utile pour la gloire et le bien de son Ordre, et pour mon particulier il me sembloit qu'en la perdant je faisois une perte irréparable. Madame ma mère et moi eûmes beaucoup de déplaisir de ne pouvoir entrer au monastère pour la voir, parce que nous y étions entrées ce mois-là les trois fois qui nous étoient lors permises. Cette servante de Dieu prit la peine de venir au parloir deux ou trois jours avant sa mort pour voir Madame ma mère et moi, et nous témoigna à toutes deux une grande affection.Quand j'appris la nouvelle de sa mort, je fus extrêmement touchée et autant que si c'eût été ma propre mère; je la pleurai beaucoup, et Madame ma mère aussi, par l'estime que je faisois de sa sainteté.Je désirois d'avoir quelque chose qui lui eût appartenu, et la mère prieure me donna un de ses petits reliquaires que j'ai toujours gardé depuis.Le lendemain de sa mort, comme c'étoit un autre mois, j'entrai au couvent pour assister à son enterrement. J'y vis venir beaucoup de monde pour la voir, et qui paroissoit venir non tant par curiosité que par dévotion; ils passoient leurs chapelets par la grille pour les faire toucher à son corps, et demandoient par dévotion des fleurs qui étoient près elle. Son visage étoit si beau, si doux, et si élevant à Dieu que je ne pouvois me lasser de la regarder, et je me sentois si fort attirée auprès de ce saint corps que je ne l'eusse point quitté si Madame ma mère, qui craignoit que je me fisse mal parce que je pleurois fort, ne m'en eût fait sortir.J'ai remarqué qu'encore que les religieuses fussent extrêmement touchées et affligées de cette perte, elles la portèrent dans une constance si grande que j'en fus étonnée.Quelque temps après sa mort, comme je parlois d'elle avec deux demoiselles en une chapelle de chez Mmede Brienne, il y en eut une qui dit qu'elle avoit une feuille de tulipe, qu'elle avoit prise sur son corps le jour de son enterrement, qu'elle avoit senti plusieurs fois exhaler une très bonne odeur. Je lui demandai pour voir si je la sentirois; d'abord je ne sentis rien, ni ces deux demoiselles non plus; mais dans le désir que j'avois de participer à ces odeurs, nous dîmes l'antienne des vierges en son honneur, et au même instant une de ces demoiselles et moi sentîmes cette feuille avoir une excellente odeur que je ne saurois comparer à aucun parfum de la terre, et celle qui nous l'avoit donnée et qui l'avoit sentie plusieurs fois ne sentit rien pour lors. Cette odeur élevoit à Dieu et nous donna une grande joie.Une autre fois étant dans le couvent des Carmélites, je sentis l'odeur de cette servante de Dieu par deux diverses fois, et Madame ma mère un autre jour étant assise proche de la chambre où elle étoit décédée, elle se retourna et dit qu'elle sentoit fort bon, nous demandant si nous ne sentions rien, et au même temps, je la vis rougir et les larmes aux yeux; nous étions lors plusieurs qui la suivions et ne sentions rien du tout[557].J'ai eu depuis sa mort recours à elle en divers besoins et l'ai priéesouvent avec grande confiance, me souvenant de la grande charité qu'elle avoit pour moi pendant sa vie sur terre; j'ai grand nombre de fois visité son tombeau par dévotion, et j'y ai vu souvent Madame ma mère et même la Reine et le Roi quelquefois.J'ai entendu dire qu'il s'est fait quantité de miracles en divers endroits de la France par son intercession, et j'ai parlé à quelques personnes qui m'ont dit en avoir reçu guérison.Je n'ai rien dit en tout ce que dessus que je n'affirme par serment comme très véritable. En foi de quoi, je l'ai signé de mon seing, en présence de deux notaires apostoliques et fait sceller de nos armes à notre hôtel à Paris, ce dix-huit de juillet mil six cent quarante-sept.«Ainsi signé,Anne de Bourbon(«Scellé de son sceau et de ses armes.»)
«Je soussignée, Marguerite Charlotte de Montmorency, veuve de très haut, très puissant et très excellent prince, Messire Henry de Bourbon, prince de Condé, premier prince du sang, premier pair de France, duc d'Enghien, de Châteauroux et de Montmorency, gouverneur et lieutenant pour le Roi en ses pays de Bourgogne, Bresse et Berry, atteste et certifie que j'ai connu fort particulièrement la servante de Dieu, la Mère Magdelaine de St-Joseph, en son vivant religieuse carmélite et jadis prieure au grand couvent de l'Incarnation du faubourg Saint-Jacques lez Paris, et j'estime pour une des grandes grâces que la divine majesté m'ait faites la part que cette bonne Mère m'a donnée en son affection et en ses prières.
Je rends témoignage sur la vérité que c'est la Mère Magdelaine qui m'a donné les premières pensées de l'éternité, car auparavant que de la connoître j'étois fort du monde et n'avois guère pensé de m'en retirer.
Elle m'a donné plusieurs bons avis pour mon âme; mais je ne les puis déclarer étant comme ma confession.
Elle me parloit fort librement sur les choses qu'elle croyoit m'être nécessaires, et je l'ai vue faire le même à la Reine avec des termes si pleins de force qu'ils faisoient impression dans les esprits, en sorte qu'on ne la quittoit point qu'avec désir de mieux servir Dieu.
Elle s'insinuoit avec tant de grâce dans les esprits que non-seulement l'on ne pouvoit trouver mauvais ni avoir peine de ce qu'elle disoit, mais même on se sentoit contraint d'entrer dans son sentiment.
Elle avoit quelque chose qui portoit à la respecter, ce que j'ai même remarqué en la Reine, lorsque Sa Majesté lui parloit, laquelle l'aimoit beaucoup.
Cette servante de Dieu étoit grandement ennemie de la lecture des romans; elle m'a souvent parlé de n'en point lire et à ma fille, la duchesse de Longueville, aussi.
Lorsqu'elle nous voyoit parler quelquefois devant le saint Sacrement, elle nous en reprenoit fortement, néanmoins dans sa douceur ordinaire. Elle ne souffroit non plus de nous voir parler durant les sermons, et lorsqu'elle entendoit quelques dames qui n'estimoient pasassez les prédicateurs, disant qu'ils n'avoient pas bien prêché ou chose semblable, elle les tançoit agréablement en sa manière et disoit: Holà! En voilà plus que vous n'en ferez; c'est la parole de Dieu.
Cette grande servante de Dieu m'a parlé diverses fois sur la vanité, et en particulier sur l'impossibilité qu'il y avoit d'accorder Dieu et le monde, et de bien faire l'oraison en prenant les plaisirs et les aises de son corps.
Mais ce dont il me souvient qu'elle m'a le plus parlé, c'est de supporter patiemment les afflictions de la vie et de m'en servir pour gaigner le ciel et mépriser les choses de ce monde.
J'ai beaucoup reçu de consolations de ses paroles en plusieurs sujets d'afflictions que j'ai eus.
Je n'ai jamais vu une religieuse plus compatissante qu'elle. Cela soulageoit fort. Je me souviens qu'à la mort de mon frère le duc de Montmorency, me voyant extrêmement touchée, elle me disoit: «Pleurez, madame, ne vous retenez pas, je pleurerai avec vous, mais il faut que le cœur soit à Dieu.» Et elle pleuroit avec moi, ce qui allégeoit ma douleur.
Je n'ai jamais vu une personne plus douce qu'elle, ni qui eût une plus grande bonté. L'on ne s'ennuyoit point avec elle, car elle étoit d'une très agréable conversation, avoit le cœur gai, l'esprit excellent, l'humeur toujours égale et naturellement complaisante; mais elle ne l'étoit point aux choses où il y avoit tant soit peu d'offense de Dieu. Si, comme l'on dit, la tranquillité d'esprit et la gaieté sont des marques qu'une âme jouit de la paix des enfants de Dieu, on peut assurer qu'elle possédoit toujours cette paix intérieure par la tranquillité de son visage et la joie qui y paroissoit, accompagnée de la modestie convenable à une religieuse.
Elle étoit fort bénigne et charitable envers toutes sortes de personnes, et j'ai remarqué qu'elle aimoit sensiblement ceux qui lui portoient affection, étant d'un très bon naturel. Il s'est rencontré des occasions où elle a fait sçavoir qu'elle aimoit en tout temps ses amis sans égard à ce qu'ils étoient disgraciés, et qu'elle même s'exposoit d'encourir la disgrâce des grands. J'ai expérimenté ceci lorsque après la mort de mon frère elle me reçut durant quelques jours en son monastère avec une très grande charité, quoiqu'elle sçût bien que j'étois fort mal auprès du Roi[548]. Elle s'exposa aussi à encourir la disgrâce de la reine Marie de Médicis par la réception qu'elle fit d'une dame de ses amies qu'elle avoit chassée de la cour.
Elle m'a employée en diverses affaires pour le bien de son ordre, connoissant combien je l'aimois, ce qui fait que je puis rendre bontémoignage du zèle qu'elle avoit pour le maintenir en paix et dans la perfection où sainte Thérèse l'avoit mis. Je sçais qu'elle a beaucoup travaillé pour cela, particulièrement pour ramener les esprits du monastère de Bourges qui s'étoient retirés de l'obéissance des supérieurs que notre saint Père a donnés à cet ordre en France. J'y travaillois à sa prière et suivant les avis qu'elle me donnoit, feu Monsieur mon mari étant lors gouverneur du Berry. J'ai remarqué qu'elle ne disoit jamais rien de qui que ce fût contraire à la charité. Il est bien vrai qu'en cette affaire du couvent de Bourges, elle me parla du tort qu'avoit la prieure d'avoir fait soulever les religieuses contre leurs supérieurs, mais jamais elle ne me dit aucune chose des défauts particuliers de cette prieure sans nécessité; et même j'ai remarqué qu'elle en parloit avec compassion et charité pour elle, jusque-là qu'elle me pria de porter parole à cette prieure que, si elle vouloit retourner à son devoir et au monastère de l'Incarnation, les supérieurs la recevroient et qu'elle seroit traitée comme une des plus vertueuses de la maison. Cette servante de Dieu me dit: «Je suis la moindre de toutes les religieuses de l'Ordre, mais je l'assure de ce que je vous dis de la part des supérieurs.» Cette grande servante étoit si éloignée de vouloir mal aux personnes qui exerçoient sa patience, et qui disoient quelque chose d'elle mal à propos et contre la vérité, que je l'ai vue se réjouir de plusieurs choses qu'on lui avoit rapportées qui avoient été dites contre elle.
Elle avoit l'esprit naturel fort bon et judicieux qui ne s'empêchoit de rien et traitoit les affaires avec grande paix sans s'en inquiéter.
Son humilité nous a caché les choses extraordinaires que Dieu faisoit en elle durant sa vie; mais quoiqu'elle essayât de paroître toute commune en sa conversation, sa grâce ne laissoit pas de se faire ressentir par divers bons effets.
J'ai remarqué qu'encore qu'elle parlât librement aux personnes de grande condition, néanmoins elle ne manquoit pas au respect qu'elle leur devoit, et sembloit qu'elle eût été nourrie toute sa vie à la cour, tant elle étoit civile.
Les Reines l'aimoient et l'estimoient beaucoup. Je les ai vues souvent aller aux monastères dont elle étoit prieure pour la voir, et que Leurs Majestés l'entretenoient plusieurs heures de suite en particulier.
Cette servante de Dieu prenoit soin de se conserver la bienveillance de Leurs Majestés pour avoir plus de moyen de les faire rendre hommage à Dieu et à la vertu, et non pour un intérêt particulier, dont elle étoit très séparée.
Elle étoit très affectionnée à prier pour la paix de l'Église et du royaume, ce que j'ai particulièrement remarqué au temps de la guerre que le feu roi Louis XIII a eue contre les hérétiques rebelles et surtout au siége de La Rochelle. Elle étoit lors si occupée à prier pour le bon succès des armées du Roi et à en demander des nouvelles, qu'elle nepouvoit quasi s'occuper aux affaires particulières qu'on la prioit de recommander à Dieu. Quand elle sçut la prise de La Rochelle, elle en parut dans une grande joie et en rendit beaucoup de grâces à Dieu, me conviant à faire de même.
Je sçais qu'elle avoit une affection particulière pour feu Monsieur mon mari, à cause qu'il aimoit l'Église, qu'elle prioit beaucoup Dieu pour lui, et qu'elle avoit prédit de lui qu'il seroit utile à l'Église, ce qui a été en effet en ce qu'il a soutenu ses intérêts en plusieurs rencontres, et en mourant, lorsqu'il donna sa bénédiction à ses deux fils, il les pria de se montrer vrais enfants de l'Église et d'en défendre les intérêts.
Son zèle pour la conversion des âmes infidèles étoit très grand. Elle a procuré beaucoup de secours aux révérends Pères de la Compagnie de Jésus qui travailloient à laNouvelle Francepour ce sujet; et je me souviens qu'elle m'a quelquefois demandé quelque chose pour leur envoyer, et que peu devant sa mort elle fit baptiser dans l'église du monastère de l'Incarnation trois personnes de ces pays, d'où je fus marraine d'une, et ma fille la duchesse de Longueville d'une autre.
Elle faisoit beaucoup faire de prières dans les besoins publics de l'Église ou du royaume, et aussi lorsque quelqu'un des amis de son Ordre étoit en peine, ou seulement des personnes qui touchoient ses amis. Je l'ai vue faire faire quantité de prières pour plusieurs, entre autres pour des personnes de condition condamnées à mourir pour divers sujets, et je ne doute pas que ses saintes prières en particulier n'aient beaucoup servi à les disposer à faire bon usage de leur affliction.
Je l'ai beaucoup vue les dernières années de sa vie, durant lesquelles elle étoit accablée de maux; mais elle ne laissoit d'être gaie, ne se plaignoit point, ne paroissoit pas même être incommodée comme elle l'étoit en effet.
Il est aisé à juger qu'elle étoit bien pénitente, parce qu'elle a établi dans le monastère de l'Incarnation une grande ferveur à la pénitence qui s'y voit encore à présent aussi en vigueur que pendant sa vie, dont je puis rendre témoignage y entrant souvent et en voyant plusieurs particularités. Pour ce qui est de la régularité, je rends aussi témoignage qu'elle y est gardée exactement et qu'il est aisé en voyant l'état du monastère de l'Incarnation de connoître qu'il a été sous une sainte conduite.
Elle a été si exacte dans les observances de son Ordre qui pour ce que sainte Thérèse défend dans ses constitutions de recevoir des professes d'un autre Ordre dans celui de Notre-Dame du mont Carmel selon sa réforme, je sçais qu'elle a refusé l'entrée à plusieurs abbesses dans son monastère, dont l'une étoit de la maison de La Trimouille parente de feu Monsieur mon mari. Je rends encore témoignage quepour éviter les divertissements que les religieuses eussent pu avoir par l'entrée fréquente des princesses et dames de condition qui avoient permission de notre saint Père, elle a refusé d'ouvrir la porte à plusieurs qui lui offroient quelques-unes du bien et de la faveur; et depuis sa mort les religieuses à son exemple n'ont pas voulu non plus permettre l'entrée à d'autres de très grande qualité[549].
Je sçais que la servante de Dieu a reçu beaucoup de filles sans dot, encore que son monastère fût fort incommodé, mais elle regardoit plus à la vocation des âmes qu'à l'intérêt temporel du monastère.
Si j'avois présent à l'esprit tout ce que j'ai connu des vertus de cette sainte religieuse et des grâces extraordinaires qu'elle a reçues de Dieu, je pourrois rendre un plus ample témoignage de sa sainteté, et je souhaite beaucoup que ce peu suffise pour satisfaire à ce que je dois à son mérite et à son affection vers moi, et pour faire connoître que je l'estime beaucoup au delà de ce que j'en dis. C'est un des grands déplaisirs que j'aie eus en ma vie que de n'avoir pas eu pouvoir d'entrer dans le monastère les derniers jours de la maladie de cette grande servante de Dieu. Je n'avois lors permission que d'y entrer trois fois le mois; et lorsqu'elle tomba malade j'étois entrée ces trois fois, de sorte que je ne pus la voir pendant ce temps qu'une fois, qu'ayant su que j'étois venue au dehors du monastère pour apprendre moi-même de ses nouvelles, la pauvre Mère quoique mourante se fit porter au parloir pour me parler et me remercier de mes soins, m'assurant qu'elle prieroit Dieu pour moi et pour les miens, si Dieu lui faisoit miséricorde.
Les religieuses m'ont rapporté plusieurs circonstances de son bienheureux trépas qui donnent dévotion et font bien voir que la bonne vie est suivie d'une bonne mort.
Le lendemain de sa mort, qui étoit le premier jour d'un autre mois, je ne perdis point temps d'user de ma permission d'entrer dans le monastère, et m'y en allai dès le matin pour voir le corps de cette servante de Dieu que j'aimois comme ma mère, et pour assister à son enterrement. Je rends témoignage qu'encore que j'eusse peur de voir des corps morts, je n'en eus point de celui-là, et si je me trouvai un espace de temps quasi seule auprès, et même je prenois plaisir à regarder son visage, en telle sorte que je n'eusse point voulu partir de là. Elle étoit blanche et un peu rouge, et incomparablement plus belle qu'elle n'étoit en vie.
Une dame qui est à moi et qui n'entra pas au monastère ce même jour, s'étant résolue de ne point approcher de la grille du chœur, où le corps étoit exposé aux yeux du peuple qui étoit dans l'église, par une grande appréhension qu'elle avoit des morts, voyant que chacun sepressoit pour aller voir le corps de cette servante de Dieu, elle s'efforça d'y aller aussi et assura qu'elle trouva ce visage si beau et attirant qu'elle ne cessa de le regarder, jusqu'à ce qu'on porta le corps en terre, sans en avoir aucune peur.
Il y eut quantité de personnes qui prièrent qu'on fît toucher leur chapelet à ce corps, le regardant comme celui d'une sainte; et en effet on en passa quantité par la grille que quelques dames, qui étoient entrées avec moi dans le monastère et avec quelque autre princesse, recevoient, ce qui est une marque que l'on reconnoissoit en cette servante de Dieu quelque chose d'extraordinaire.
Nous assistâmes toutes à son enterrement qui fut fait par Mgr l'éveque de Lisieux[550], par l'estime qu'il avoit d'elle durant sa vie. Cette cérémonie ne se put passer sans renouveler ma douleur de la mort de cette bonne mère, encore que je ne doutasse point qu'elle ne fût bien heureuse et qu'elle ne conservât toujours beaucoup de charité pour moi.
Je rends témoignage que le jour de la Pentecôte environ six semaines après la mort de cette servante de Dieu, étant allée au monastère pour faire mes dévotions, je fus à la chambre où elle étoit décédée la prier de me continuer au ciel la charité qu'elle avoit eue pour mon âme sur la terre. Étant sortie de la chambre et parlant à la mère prieure et autres religieuses en un lieu tout contre, je fus en un instant surprise d'une grande odeur, dont je fus tout émue, et même les larmes m'en vinrent aux yeux, et je devins fort rouge, de sorte que les religieuses s'apercevant de cette émotion je leur dis que je sentois notre mère Magdelaine; car je crus que c'étoit elle, ayant ouï dire que Dieu manifestoit sa sainteté par semblables odeurs. Je m'en allai rendre grâces à Dieu devant le très Saint-Sacrement de ce qu'elle m'avoit voulu faire ainsi connoître qu'elle se souvenoit de moi, et je demeurai dans un sentiment de respect très grand vers cette servante de Dieu et créance de sa gloire.
En l'année 1640, au mois de décembre, comme j'étois sur son tombeau la remerciant de quelques assistances que j'avois reçues de Dieu par son intercession, je sentis une très bonne odeur que je ne sçais à quoi comparer, mais j'assure qu'elle étoit excellente, et qu'encore que je sois sujette à me trouver mal des senteurs, celles-ci ne font pas cet effect, elles élèvent à Dieu et donnent joie et se font sentir à une personne seule, quoiqu'en compagnie de plusieurs, ce qui m'arriva encore cette fois que je dis; car les religieuses qui étoient avec moi n'y eurent aucune part.
J'ai souvent ressenti son assistance depuis sa mort en divers besoins dans lesquels j'ai eu recours à son intercession.
J'ai eu connoissance de plusieurs grands miracles que Dieu a opérés par l'intercession de cette sienne servante, et même j'ai vu quelques-uns de mes domestiques être guéris merveilleusement par le recours qu'ils ont eu en elle. Mon contrôleur, nommé Fermelys, ayant porté neuf mois un grand mal de côté avec jaunisse et fièvre lente dont on croyoit qu'il mourroit, en fut guéri par une neuvaine qu'il fit à la mère Magdelaine de St-Joseph, prenant de l'eau où avoit trempé du linge teint de son sang. La nourrice de ma fille, la duchesse de Longueville, fut guérie[551]à l'instant d'un furieux mal de tête par l'attouchement du coffre où est le cœur de la vénérable mère, lequel mal detête la travailloit depuis très longtemps si violemment qu'elle crioit quasi jour et nuit sans qu'aucun remède lui donnât nul soulagement. Il y en a encore quelques-uns que je serois trop longue à rapporter, et dont eux-mêmes pourroient déposer.
Et pour témoignage de la vérité de tout ce que j'ai dit ci-dessus, j'ai signé de ma propre main, et à icelui faict apposer nos armes, en présence des deux notaires apostoliques et ecclésiastiques de Paris, en notre hôtel à Paris, ce 10 du mois d'avril de l'an de grâce 1647.»
DÉPOSITION AUTOGRAPHE DE MADAME DE LONGUEVILLE[552].
«Je Anne Geneviefve de Bourbon, princesse du sang de France, femme de très haut et très puissant prince, Henry d'Orléans, duc deLongueville et d'Estouteville, prince souverain de Neufchâteau et Valengin en Suisse, comte de Dunois, et lieutenant général pour le Roi en Normandie, âgée d'environ vingt-sept ans, certifie que dès mon enfance jusques à l'année mil six cent trente-sept, j'ai très souvent eu la bénédiction de voir la vénérable mère Magdelene de St.-Joseph au monastère de l'Incarnation à Paris, le premier de l'ordre de Notre-Dame du mont Carmel en France selon la réforme de Sainte-Thérèse, duquel elle a été prieure plusieurs années.
Je sais qu'elle étoit fort régulière dans les observances de la religion, tant par ce que je lui ai vu pratiquer que par le bon règlement que j'ai toujours reconnu et que je reconnois encore dans le monastère de l'Incarnation de Paris qu'elle a gouverné en qualité de prieure par diverses fois; et je puis rendre témoignage, par la particulière connoissance que j'ai de ce monastère où j'entre plus qu'en pas un autre, qu'elle y a établi une grande perfection, et que c'est la maison religieuse la plus exacte et régulière que je connoisse.
J'ai vu en particulier le zèle de cette servante de Dieu pour la régularité par le refus qu'elle fit de recevoir madame l'abbesse du Lis, qui l'est à présent de Jouarre, en l'ordre des Carmélites, à cause que sainte Thérèse défend dans les constitutions d'y recevoir des professes de quelque autre ordre.
Je sais aussi qu'elle empêcha des dames de considération d'user de la permission qu'elles avoient de notre saint Père le Pape pour entrer quelquefois dans le monastère de l'Incarnation, pour éviter que les entrées si fréquentes de personnes séculières ne fissent quelque tort aux religieuses qui font si particulière profession de solitude et d'imiter les anciens pères hermites du mont Carmel dont elles sont descendues.
Je lui ai souvent ouï parler de la condition religieuse avec grande estime, et la mettre au-dessus des plus grandes de la terre. Elle estimoit fort la pénitence, et y affectionnoit les personnes du monde. Elle m'en a parlé diverses fois et d'être soigneuse de mortifier mon esprit et mes sens en leur retranchant leurs plaisirs superflus.
Elle m'a aussi grand nombre de fois exhortée à ne point lire de romans, à quoi elle me voyoit affectionnée, que je ne puis dire combien elle m'en a parlé, me montrant que cette lecture étoit fort préjudiciable à l'âme, et même indigne d'une personne de ma condition, et enfin elle me les fit quitter[553].
Elle me portoit beaucoup à fuir la vanité, non pas à ne me treuver aux lieux où elle savoit bien que je ne pouvois éviter d'aller, mais elleme disoit qu'au milieu des divertissements du monde je devois être soigneuse de m'élever à Dieu et de lui demander qu'il me préservât de prendre part à la vanité qui y règne.
Elle n'aimoit point qu'on dît qu'un sermon n'étoit pas beau, et disoit qu'il y en avoit toujours assez pour profiter si on étoit bien disposé.
Elle parloit à la Reine et aux princesses avec une certaine majesté et authorité, qu'il sembloit qu'elle eût droit de les enseigner et reprendre, comme elle le faisoit très à propos dans les occasions. C'étoit toujours néanmoins avec un grand respect, et d'une majesté si pleine de grâce qu'on ne pouvoit treuver mauvais ce qu'elle disoit. Elle se faisoit extrêmement aimer de ceux avec qui elle conversoit; on sentoit une inclination vers elle toute particulière, et une si grande confiance en elle qu'on lui disoit toutes choses avec une entière ouverture de cœur. Elle entroit dans les sentiments des autres, leur ouvrant son cœur plein d'une véritable charité, et par cela donnoit grande ouverture vers elle.
Pour moi, je lui eusse découvert mes plus secrètes pensées, et l'ai très souvent fait selon mes besoins, sur quoi elle m'a donné de très saints conseil et beaucoup d'assistance. Je ne me lassois point de l'entendre parler, ni d'être avec elle; car je l'aimois comme ma propre mère, et l'estimois une sainte par la connoissance particulière que j'avois de sa grande charité vers moi[554]et de ses grandes vertus. Souvent je me suis trouvée bien heureuse qu'elle m'eût donné sa bénédiction.
Elle avoit une douceur, une gaieté, une égalité et une patience admirables dans ses continuelles infirmités, et cela paroissoit tant en elle qu'il n'y a personne qui l'ait connue qui n'en puisse rendre le même témoignage.
Je me souviens de l'avoir vue agir sans s'émouvoir dans une affaire très importante pour son ordre[555]où elle eut beaucoup de sujet d'exercer sa patience envers quelques personnes; et pendant tout ce temps je ne lui ai jamais ouï dire une parole contre ceux qui la persécutaient, ni témoigner aucune aigreur vers eux; elle les excusoit toujours et en parloit avec compassion, grande douceur et charité, amoindrissant leur faute autant qu'elle pouvoit.
J'ai aussi remarqué lorsqu'on parloit en sa présence au désavantage de quelqu'un, qui que ce fût, si il arrivoit qu'elle ne le pût excuser, elle en témoignoit compassion et rejetoit la faute sur la fragilité de lanature et non sur la malice de la personne, et elle imprimoit cette disposition d'excuse dans ceux qui l'entendoient, les portant non-seulement par ses exhortations, mais comme par une participation de sa grâce, à être dans cette véritable charité.
J'ai ouï dire qu'elle faisoit plusieurs charités aux pauvres, et je suis témoin qu'elle eut soin, pour le temporel et le spirituel, de deux petites Canadiennes et d'une femme iroquoise que les Pères Jésuites avoient fait venir à Paris; elle les fit baptiser et me porta à être la marraine de la femme iroquoise.
J'ai expérimenté en moi-même et j'ai vu en beaucoup d'autres, qu'elle avoit un grand désir de servir les âmes dans leurs besoins et les aider à suivre les voies du salut.
J'ai connu qu'elle pénétroit les secrets de Dieu sur les âmes, et je me souviens en particulier d'une personne de ma connoissance qui avoit de très grands désirs de se retirer du monde; elle en communiqua diverses fois avec cette servante de Dieu, sans qu'elle approuvât ou désapprouvât ses désirs; mais elle l'exhortoit seulement à s'exercer dans la vertu et perfection qui se peut pratiquer en toute condition, parce qu'elle voyoit par une lumière surnaturelle qui ne pouvoit venir que de Dieu que les désirs de cette dame n'auroient pas leur effet, dont pourtant elle ne lui disoit rien. Cette personne remarquoit bien que la servante de Dieu avoit une inclination et un désir ardent qu'elle fût religieuse, mais elle lui voyoit réprimer par une lumière qui ne pouvoit être humaine, et agir non pas conformément à ce désir, mais selon que la prudence divine lui dictoit; ce que je sçais avec une entière certitude, cette personne se confiant en moi comme en elle-même. Elle s'est depuis engagée dans le monde[556], et se souvient toujours du sage procédé de cette grande servante de Dieu.
J'ai toujours ouï parler d'elle comme d'un des plus grands esprits qu'il y eût. Tous ceux qui la connoissoient ne doutoient point de cela, et pour mon particulier tout ce que j'ai vu de sa conduite m'a fait faire le même jugement.
Elle avoit une grande déférence au sens d'autrui et étoit extrêmement humble. Je l'ai vue baiser les pieds des religieuses par humilité; et depuis qu'elle fut hors de charge, je l'ai vue souvent rendre de grands respects à la mère prieure et à la mère sous-prieure qui étoient ses filles, les ayant reçues et élevées dans la religion.
J'ai remarqué qu'elle avoit une grande dévotion au St.-Sacrement, qu'elle étoit le plus qu'elle pouvoit en sa présence, et pour cela je l'ai vue quitter plusieurs fois Madame ma mère et d'autres princesses qui étoient entrées dans le monastère et qui aimoient fort de l'entretenir.Elle m'a parlé souvent sur le saint sacrifice de la messe et des dispositions que nous devons avoir pour y assister. J'ai connu par ses actions et par ses paroles qu'elle avoit un grand amour de Dieu. Elle portoit les âmes à avoir toujours Notre-Seigneur Jésus-Christ présent, et à le prendre pour règle de toute leur conduite et actions.
Elle m'a quelquefois parlé en particulier d'honorer le cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de lui demander qu'il sanctifiât tous les mouvements du mien par ceux du sien très saint et divin; et j'ai connu, par tout ce qu'elle m'en a dit, qu'elle avoit une dévotion et très particulière application à ce très sacré cœur du Fils de Dieu.
Pour ce qui est de la dévotion à la très sainte Vierge, c'est une des choses dont elle m'a plus parlé, et n'est pas croyable les soins qu'elle a pris de m'y affectionner, tant à recourir souvent à elle qu'à pratiquer diverses choses, faire des dévotions particulières en son honneur, et enfin l'honorer par toutes sortes de voies, ce qui m'a fait connoître qu'elle y avoit une rare dévotion.
Je l'ai vue porter un très grand respect au saint bois de la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je l'ai vue aussi fort dévote aux Saints dont elle honoroit beaucoup les images et les reliques; et à son exemple les religieuses du monastère de l'Incarnation leur rendent de grands honneurs, et sont fort désireuses d'en avoir quantité qu'elles tiennent avec grande révérence. Elle m'a souvent exhortée à la dévotion envers saint Joseph.
Sa piété paroissoit en toutes choses, particulièrement à faire embellir l'église et l'autel où repose le très Saint-Sacrement, qu'elle faisoit orner le mieux qui lui étoit possible.
Je me souviens qu'elle reprenoit des dames quand elle les voyoit parler devant le Saint-Sacrement.
Lorsque cette servante de Dieu tomba malade de sa dernière maladie et que je la sçus à l'extrémité, je fis plusieurs prières et des vœux pour demander à Dieu qu'il ne la retirât pas si tôt de ce monde où elle étoit si utile pour la gloire et le bien de son Ordre, et pour mon particulier il me sembloit qu'en la perdant je faisois une perte irréparable. Madame ma mère et moi eûmes beaucoup de déplaisir de ne pouvoir entrer au monastère pour la voir, parce que nous y étions entrées ce mois-là les trois fois qui nous étoient lors permises. Cette servante de Dieu prit la peine de venir au parloir deux ou trois jours avant sa mort pour voir Madame ma mère et moi, et nous témoigna à toutes deux une grande affection.
Quand j'appris la nouvelle de sa mort, je fus extrêmement touchée et autant que si c'eût été ma propre mère; je la pleurai beaucoup, et Madame ma mère aussi, par l'estime que je faisois de sa sainteté.Je désirois d'avoir quelque chose qui lui eût appartenu, et la mère prieure me donna un de ses petits reliquaires que j'ai toujours gardé depuis.
Le lendemain de sa mort, comme c'étoit un autre mois, j'entrai au couvent pour assister à son enterrement. J'y vis venir beaucoup de monde pour la voir, et qui paroissoit venir non tant par curiosité que par dévotion; ils passoient leurs chapelets par la grille pour les faire toucher à son corps, et demandoient par dévotion des fleurs qui étoient près elle. Son visage étoit si beau, si doux, et si élevant à Dieu que je ne pouvois me lasser de la regarder, et je me sentois si fort attirée auprès de ce saint corps que je ne l'eusse point quitté si Madame ma mère, qui craignoit que je me fisse mal parce que je pleurois fort, ne m'en eût fait sortir.
J'ai remarqué qu'encore que les religieuses fussent extrêmement touchées et affligées de cette perte, elles la portèrent dans une constance si grande que j'en fus étonnée.
Quelque temps après sa mort, comme je parlois d'elle avec deux demoiselles en une chapelle de chez Mmede Brienne, il y en eut une qui dit qu'elle avoit une feuille de tulipe, qu'elle avoit prise sur son corps le jour de son enterrement, qu'elle avoit senti plusieurs fois exhaler une très bonne odeur. Je lui demandai pour voir si je la sentirois; d'abord je ne sentis rien, ni ces deux demoiselles non plus; mais dans le désir que j'avois de participer à ces odeurs, nous dîmes l'antienne des vierges en son honneur, et au même instant une de ces demoiselles et moi sentîmes cette feuille avoir une excellente odeur que je ne saurois comparer à aucun parfum de la terre, et celle qui nous l'avoit donnée et qui l'avoit sentie plusieurs fois ne sentit rien pour lors. Cette odeur élevoit à Dieu et nous donna une grande joie.
Une autre fois étant dans le couvent des Carmélites, je sentis l'odeur de cette servante de Dieu par deux diverses fois, et Madame ma mère un autre jour étant assise proche de la chambre où elle étoit décédée, elle se retourna et dit qu'elle sentoit fort bon, nous demandant si nous ne sentions rien, et au même temps, je la vis rougir et les larmes aux yeux; nous étions lors plusieurs qui la suivions et ne sentions rien du tout[557].
J'ai eu depuis sa mort recours à elle en divers besoins et l'ai priéesouvent avec grande confiance, me souvenant de la grande charité qu'elle avoit pour moi pendant sa vie sur terre; j'ai grand nombre de fois visité son tombeau par dévotion, et j'y ai vu souvent Madame ma mère et même la Reine et le Roi quelquefois.
J'ai entendu dire qu'il s'est fait quantité de miracles en divers endroits de la France par son intercession, et j'ai parlé à quelques personnes qui m'ont dit en avoir reçu guérison.
Je n'ai rien dit en tout ce que dessus que je n'affirme par serment comme très véritable. En foi de quoi, je l'ai signé de mon seing, en présence de deux notaires apostoliques et fait sceller de nos armes à notre hôtel à Paris, ce dix-huit de juillet mil six cent quarante-sept.
«Ainsi signé,Anne de Bourbon(«Scellé de son sceau et de ses armes.»)
Extrait du témoignage de la marquise de Portes pour la mère Madeleine de Saint-Joseph: