«Je m'appelle Marie Félice de Budos marquise de Portes, vicomtesse de Térarque et d'Estoilles, fille d'Antoine Hercules de Budos, marquis de Portes, chevalier des ordres du Roi, gouverneur du Gévaudan, hautes et basses Septvènes, et de Louise de Crussol, sa légitime épouse; je suis née à Agdes, en Languedoc; j'ai vingt-sept ans passés; j'ai du bien suffisamment pour m'entretenir selon ma condition, etc.....Je suis de Languedoc, de la ville d'Agdes, comme j'ai déjà dit; j'en suis sortie fort jeune; j'ai été quelques années dans l'abbaye de Caen, et depuis, jusques à cette heure, à Paris, excepté quelques années que j'ai demeuré à Moulins avec Mmela duchesse de Montmorency, et dans mes terres...Pendant le temps que j'ai eu la grâce de demeurer en ce saint couvent du faubourg Saint-Jacques, où elles eurent la bonté de me garder environ un an pour éprouver ma vocation dans l'incertitude où j'étois de la volonté de Dieu... (Et là Mllede Portes déclare que, sans avoir connu la mère Madeleine de Saint-Joseph, elle a vu et entendu des choses dont elle a besoin de déposer, et elle cite le témoignage de Mmela princesse de Condé)... J'ai déjà dit comme elles m'avoient fait la grâce de me souffrir environ un an avec elles; et puisque j'ai été assez peu heureuse pour en sortir, l'on peut juger que j'en parle sans préoccupation...Cette vénérable mère chérissoit tant la solitude, et l'a si bien enseignée et établie en son monastère, que plusieurs, pour avoir leur conversation continuelle dans le ciel, ont entièrement banni celles de laterre depuis quinze et seize années: et dans tout ce grand couvent, l'on n'y entend pas une parole, et il m'a toujours paru un grand désert, mais un désert dans lequel la grâce parle incessamment au cœur. Je dis ce que j'ai senti. Ce lieu m'a toujours semblé un sanctuaire rempli de tous côtés de la sainteté de Dieu, ce qui m'invitoit à l'aimer, joint à l'exemple de ces anges terrestres qui m'y portèrent sans cesse... En foi de quoi j'ai signé le présent écrit de ma main.Marie Félice de Budos.Et plus bas: C'est ainsi que j'ai déposé pour la vérité,JeMarie Félice de Budos».
«Je m'appelle Marie Félice de Budos marquise de Portes, vicomtesse de Térarque et d'Estoilles, fille d'Antoine Hercules de Budos, marquis de Portes, chevalier des ordres du Roi, gouverneur du Gévaudan, hautes et basses Septvènes, et de Louise de Crussol, sa légitime épouse; je suis née à Agdes, en Languedoc; j'ai vingt-sept ans passés; j'ai du bien suffisamment pour m'entretenir selon ma condition, etc.....
Je suis de Languedoc, de la ville d'Agdes, comme j'ai déjà dit; j'en suis sortie fort jeune; j'ai été quelques années dans l'abbaye de Caen, et depuis, jusques à cette heure, à Paris, excepté quelques années que j'ai demeuré à Moulins avec Mmela duchesse de Montmorency, et dans mes terres...
Pendant le temps que j'ai eu la grâce de demeurer en ce saint couvent du faubourg Saint-Jacques, où elles eurent la bonté de me garder environ un an pour éprouver ma vocation dans l'incertitude où j'étois de la volonté de Dieu... (Et là Mllede Portes déclare que, sans avoir connu la mère Madeleine de Saint-Joseph, elle a vu et entendu des choses dont elle a besoin de déposer, et elle cite le témoignage de Mmela princesse de Condé)... J'ai déjà dit comme elles m'avoient fait la grâce de me souffrir environ un an avec elles; et puisque j'ai été assez peu heureuse pour en sortir, l'on peut juger que j'en parle sans préoccupation...
Cette vénérable mère chérissoit tant la solitude, et l'a si bien enseignée et établie en son monastère, que plusieurs, pour avoir leur conversation continuelle dans le ciel, ont entièrement banni celles de laterre depuis quinze et seize années: et dans tout ce grand couvent, l'on n'y entend pas une parole, et il m'a toujours paru un grand désert, mais un désert dans lequel la grâce parle incessamment au cœur. Je dis ce que j'ai senti. Ce lieu m'a toujours semblé un sanctuaire rempli de tous côtés de la sainteté de Dieu, ce qui m'invitoit à l'aimer, joint à l'exemple de ces anges terrestres qui m'y portèrent sans cesse... En foi de quoi j'ai signé le présent écrit de ma main.
Marie Félice de Budos.
Et plus bas: C'est ainsi que j'ai déposé pour la vérité,
JeMarie Félice de Budos».
Extrait du témoignage de Mmede Ventadour, Mllede Saint-Géran, seconde femme de Charles de Levis, duc de Ventadour, qui était Montmorency par sa mère, et neveu de Charlotte Marguerite de Montmorency, princesse de Condé. Le duc de Ventadour mourut en 1649; sa jeune veuve vécut jusqu'en 1701, et sa fille épousa le maréchal duc de Duras.
«J'ai nom Marie de la Guiche, duchesse douairière de Ventadour. Mou père avoit nom Jean François de la Guiche, seigneur de Saint-Géran, chevalier des ordres du Roi, gouverneur du Bourbonnois et maréchal de France. Ma mère avoit nom Suzanne aux Espaulles. Je suis née en une des maisons de ma mère, nommée Sainte-Marie, située dans le diocèse de Contances, en Normandie. J'ai vingt-huit ans... J'ai connu la vénérable mère Magdeleine de Saint-Joseph dès mon enfance, parce que Mmela maréchale de Saint-Géran, ma mère, me menoit avec elle lorsqu'elle la venoit voir, et la prioit de me donner sa bénédiction. Je me souviens que, quoique je fusse bien petite, elle me témoignoit beaucoup d'affection, et que sa charité et son humilité la faisoient s'abaisser jusques à entretenir et contenter un enfant comme j'étois alors. Je n'ai pas été en âge, durant sa vie, de discerner par moi-même ses incomparables vertus, mais j'en ai ouï parler à tout le monde comme d'une personne fort extraordinaire... J'ai entendu dire ces choses, et en termes encore plus forts à Mmela Princesse, de laquelle M. le duc de Ventadour, mon mari, avoit l'honneur d'être neveu, ce qui m'engageoit à être souvent auprès d'elle...Je sais qu'en l'année 1645, M. le Prince fut très grièvement malade en Allemagne, dont Mmesa mère étant affligée au dernier point alla chercher sa consolation avec Dieu, se retirant dans le couvent des Carmélites, où elle prit pour avocate, auprès de la divine Majesté, lavénérable mère Magdeleine de Saint-Joseph, à laquelle elle fit vœu que, si par son intercession notre Seigneur rendoit la santé à M. le Prince, elle feroit faire un tableau dans lequel il seroit représenté priant devant la servante de Dieu; et incontinent après, elle apprit la guérison de M. son fils, et accomplit le vœu qu'elle avoit fait. Ce tableau se garda en dedans du couvent, où je l'ai vu il n'y a pas encore longtemps[558]... On m'a conseillé à moi-même d'y recourir (à ses reliques) lorsque mon fils le duc de Ventadour étoit malade... Je la regarde comme bienheureuse, et lorsque j'entre avec les Reines dans le couvent de l'Incarnation, je vais visiter son tombeau, la suppliant de m'assister en mes besoins.C'est ainsi que j'ai déposé pour la vérité, moi Marie de la Guiche, duchesse de Ventadour.»
«J'ai nom Marie de la Guiche, duchesse douairière de Ventadour. Mou père avoit nom Jean François de la Guiche, seigneur de Saint-Géran, chevalier des ordres du Roi, gouverneur du Bourbonnois et maréchal de France. Ma mère avoit nom Suzanne aux Espaulles. Je suis née en une des maisons de ma mère, nommée Sainte-Marie, située dans le diocèse de Contances, en Normandie. J'ai vingt-huit ans... J'ai connu la vénérable mère Magdeleine de Saint-Joseph dès mon enfance, parce que Mmela maréchale de Saint-Géran, ma mère, me menoit avec elle lorsqu'elle la venoit voir, et la prioit de me donner sa bénédiction. Je me souviens que, quoique je fusse bien petite, elle me témoignoit beaucoup d'affection, et que sa charité et son humilité la faisoient s'abaisser jusques à entretenir et contenter un enfant comme j'étois alors. Je n'ai pas été en âge, durant sa vie, de discerner par moi-même ses incomparables vertus, mais j'en ai ouï parler à tout le monde comme d'une personne fort extraordinaire... J'ai entendu dire ces choses, et en termes encore plus forts à Mmela Princesse, de laquelle M. le duc de Ventadour, mon mari, avoit l'honneur d'être neveu, ce qui m'engageoit à être souvent auprès d'elle...
Je sais qu'en l'année 1645, M. le Prince fut très grièvement malade en Allemagne, dont Mmesa mère étant affligée au dernier point alla chercher sa consolation avec Dieu, se retirant dans le couvent des Carmélites, où elle prit pour avocate, auprès de la divine Majesté, lavénérable mère Magdeleine de Saint-Joseph, à laquelle elle fit vœu que, si par son intercession notre Seigneur rendoit la santé à M. le Prince, elle feroit faire un tableau dans lequel il seroit représenté priant devant la servante de Dieu; et incontinent après, elle apprit la guérison de M. son fils, et accomplit le vœu qu'elle avoit fait. Ce tableau se garda en dedans du couvent, où je l'ai vu il n'y a pas encore longtemps[558]... On m'a conseillé à moi-même d'y recourir (à ses reliques) lorsque mon fils le duc de Ventadour étoit malade... Je la regarde comme bienheureuse, et lorsque j'entre avec les Reines dans le couvent de l'Incarnation, je vais visiter son tombeau, la suppliant de m'assister en mes besoins.
C'est ainsi que j'ai déposé pour la vérité, moi Marie de la Guiche, duchesse de Ventadour.»
Extrait de la déposition de Mmela duchesse d'Épernon, nièce de Richelieu, belle-mère de Mlled'Épernon, sœur Anne Marie de Jésus.
«J'ai nom Marie du Cambout, native d'Angers, âgée environ de trente-deux ans. Mon père s'appeloit Charles du Cambout, marquis de Pont-Château, chevalier des ordres du Roi, lieutenant-général pour Sa Majesté en Basse-Bretagne, et gouverneur de la ville et château de Brest. Ma mère avoit nom Philippe de Burge.Je commençai de connoître la vénérable mère Magdeleine de Saint-Joseph en l'année 1633 ou environ, dans l'occasion que j'entrois quelquefois avec feu Mmela princesse de Condé dans le couvent de l'Incarnation. J'ai eu l'honneur d'entretenir plusieurs fois cette servante de Dieu, et même d'avoir mangé quelquefois avec elle en compagnie de Mmela Princesse et de Mllede Bourbon, sa fille. Le sujet ordinaire des entretiens que j'ai eus avec elle étoit les matières de dévotion, à quoi elle portoit toujours ceux avec qui elle conversoit. Je sais que les Reines de France et d'Angleterre la visitoient souvent et faisoient grand état de sa conversation. Notre Reine en toutes choses témoignoit pour elle un grand respect, et la faisoit toujours asseoir auprès de soi. Elle s'en servoit aussi pour attirer les dames de sa cour à la vertu et à la piété. Il me souvient encore d'en avoir entendu parler à quantité d'autres personnes de qualité en des termes pleins de respect, entre autres à Mademoiselle, qui m'a témoigné y avoir une grande dévotion.Je sais que le corps de cette servante de Dieu a été inhumé dans lecloître pour y avoir entré et avoir visité souventes fois son sépulchre. J'ai même vu la Reine aller visiter ledit tombeau, et s'y mettre dévotement à genoux. J'ai vu aussi Mademoiselle lui rendre les mêmes respects... Entre autres, je sais que Mmela marquise de Polignac, Mmed'Amboise, parente de M. le duc d'Espernon, Mlled'Espernon, lorsqu'elle étoit encore dans le monde, y ont eu souvent recours, etc.Elle nous portoit toujours à la piété, nous y exhortoit puissamment; sur quoi il me souvient qu'un jour étant dans le caveau, la Reine appela Mlled'Espernon pour être instruite de la mère Magdeleine, laquelle lui parla en présence de la Reine et après en particulier en des termes si pieux qu'elle en fut extrêmement touchée, et l'interrogea encore après en particulier si elle lisoit des romans, lui en fit quitter la lecture, et lui fit acheter les œuvres de Grenade, etc.Ainsi j'ai déposé pour la vérité, moi Marie du Cambout, duchesse d'Espernon.»
«J'ai nom Marie du Cambout, native d'Angers, âgée environ de trente-deux ans. Mon père s'appeloit Charles du Cambout, marquis de Pont-Château, chevalier des ordres du Roi, lieutenant-général pour Sa Majesté en Basse-Bretagne, et gouverneur de la ville et château de Brest. Ma mère avoit nom Philippe de Burge.
Je commençai de connoître la vénérable mère Magdeleine de Saint-Joseph en l'année 1633 ou environ, dans l'occasion que j'entrois quelquefois avec feu Mmela princesse de Condé dans le couvent de l'Incarnation. J'ai eu l'honneur d'entretenir plusieurs fois cette servante de Dieu, et même d'avoir mangé quelquefois avec elle en compagnie de Mmela Princesse et de Mllede Bourbon, sa fille. Le sujet ordinaire des entretiens que j'ai eus avec elle étoit les matières de dévotion, à quoi elle portoit toujours ceux avec qui elle conversoit. Je sais que les Reines de France et d'Angleterre la visitoient souvent et faisoient grand état de sa conversation. Notre Reine en toutes choses témoignoit pour elle un grand respect, et la faisoit toujours asseoir auprès de soi. Elle s'en servoit aussi pour attirer les dames de sa cour à la vertu et à la piété. Il me souvient encore d'en avoir entendu parler à quantité d'autres personnes de qualité en des termes pleins de respect, entre autres à Mademoiselle, qui m'a témoigné y avoir une grande dévotion.
Je sais que le corps de cette servante de Dieu a été inhumé dans lecloître pour y avoir entré et avoir visité souventes fois son sépulchre. J'ai même vu la Reine aller visiter ledit tombeau, et s'y mettre dévotement à genoux. J'ai vu aussi Mademoiselle lui rendre les mêmes respects... Entre autres, je sais que Mmela marquise de Polignac, Mmed'Amboise, parente de M. le duc d'Espernon, Mlled'Espernon, lorsqu'elle étoit encore dans le monde, y ont eu souvent recours, etc.
Elle nous portoit toujours à la piété, nous y exhortoit puissamment; sur quoi il me souvient qu'un jour étant dans le caveau, la Reine appela Mlled'Espernon pour être instruite de la mère Magdeleine, laquelle lui parla en présence de la Reine et après en particulier en des termes si pieux qu'elle en fut extrêmement touchée, et l'interrogea encore après en particulier si elle lisoit des romans, lui en fit quitter la lecture, et lui fit acheter les œuvres de Grenade, etc.
Ainsi j'ai déposé pour la vérité, moi Marie du Cambout, duchesse d'Espernon.»
Extrait du témoignage de madame la duchesse de Mortemart, mère de madame de Thianges, de madame de Montespan, et de l'abbesse de Fontevrauld:
«Je m'appelle Diane de Gransaigne, et suis née en Poitou, âgée d'environ quarante-six ans. Mon père avoit nom Jean de Gransaigne, et étoit seigneur de Marsillac. Ma mère s'appeloit Catherine de la Brodière. Je suis femme de M. le duc de Mortemart, chevalier des ordres du Roi, premier gentilhomme de sa chambre, conseiller en ses conseils, comte de Maure, et prince de Tonné Charente, etc.J'ai commencé à connoître la mère Magdeleine de Saint-Joseph vers l'année 1624 que j'étois fille d'honneur de la Reine, et elle étoit prieure au couvent de l'Incarnation au faubourg Saint-Jacques. La Reine ma maîtresse allant souvent audit monastère visiter cette servante de Dieu par l'estime qu'elle en faisoit, j'allois avec Sa Majesté; je voyois aussi cette vénérable mère, et l'entendois parler. Ladite Majesté l'aimoit beaucoup, et parloit d'elle très avantageusement, ce que j'ai vu faire aussi à feue madame la Princesse, à madame de Montmorency (Félice des Ursins, femme du maréchal de Montmorency, décapité en 1632), à M. le comte de Maure, à madame la marquise de Vins, etc.Je sais que depuis (sa mort) le Roi et la Reine sont entrés plusieurs fois dans ledit couvent pour visiter son tombeau, et que diverses personnes de condition ont fait empressement pour entrer dans le monastère avec leurs Majestés pour visiter le sépulcre de la vénérable mère, et moi-même j'ai visité souventes fois ledit sépulcre, et l'infirmerie où est morte cette servante de Dieu, etc.Il est véritable que Dieu a honoré la mère Magdeleine de Saint-Josephdu don de prophétie, de celui d'extase et de discernement des esprits. Mademoiselle de Bonœil, qui a été comme moi fille d'honneur de la Reine et depuis s'est rendue religieuse sous la conduite de cette servante de Dieu[559], m'a dit que lui étant allée demander place pour être reçue dans son monastère, et lui exposant la crainte qu'elle avoit qu'étant avec le grand monde elle perdît sa vocation si elle ne la recevoit promptement, cette servante de Dieu lui répondit que, puisqu'elle ne pouvoit encore entrer dans le monastère, ses parents y étant absolument opposés, Dieu la garderoit, et lui promit qu'elle auroit soin d'elle; ce qu'elle éprouva fort peu de temps après. Car étant un soir à un grand bal devant le Roi, et fort attentive à regarder toutes les belles choses qui y étoient, elle vit intérieurement cette bonne mère présente devant elle avec grande douceur et gravité, qui lui fit entendre qu'elle n'étoit pas pour ces choses-là ni ces choses-là pour elle, et lui ôta tout le plaisir qu'elle pouvoit y prendre.Je sais que les Reines, Marie de Médicis, la Reine à présent régnante et celle d'Angleterre, ont honoré cette servante de Dieu de leur affection pendant leur vie et de leur piété après sa mort, comme ont fait aussi feue madame la Princesse et plusieurs autres princesses et dames de qualité de cette cour, etc.C'est ainsi que j'ai déposé pour la vérité, moiDiane de Gransaigne.»
«Je m'appelle Diane de Gransaigne, et suis née en Poitou, âgée d'environ quarante-six ans. Mon père avoit nom Jean de Gransaigne, et étoit seigneur de Marsillac. Ma mère s'appeloit Catherine de la Brodière. Je suis femme de M. le duc de Mortemart, chevalier des ordres du Roi, premier gentilhomme de sa chambre, conseiller en ses conseils, comte de Maure, et prince de Tonné Charente, etc.
J'ai commencé à connoître la mère Magdeleine de Saint-Joseph vers l'année 1624 que j'étois fille d'honneur de la Reine, et elle étoit prieure au couvent de l'Incarnation au faubourg Saint-Jacques. La Reine ma maîtresse allant souvent audit monastère visiter cette servante de Dieu par l'estime qu'elle en faisoit, j'allois avec Sa Majesté; je voyois aussi cette vénérable mère, et l'entendois parler. Ladite Majesté l'aimoit beaucoup, et parloit d'elle très avantageusement, ce que j'ai vu faire aussi à feue madame la Princesse, à madame de Montmorency (Félice des Ursins, femme du maréchal de Montmorency, décapité en 1632), à M. le comte de Maure, à madame la marquise de Vins, etc.
Je sais que depuis (sa mort) le Roi et la Reine sont entrés plusieurs fois dans ledit couvent pour visiter son tombeau, et que diverses personnes de condition ont fait empressement pour entrer dans le monastère avec leurs Majestés pour visiter le sépulcre de la vénérable mère, et moi-même j'ai visité souventes fois ledit sépulcre, et l'infirmerie où est morte cette servante de Dieu, etc.
Il est véritable que Dieu a honoré la mère Magdeleine de Saint-Josephdu don de prophétie, de celui d'extase et de discernement des esprits. Mademoiselle de Bonœil, qui a été comme moi fille d'honneur de la Reine et depuis s'est rendue religieuse sous la conduite de cette servante de Dieu[559], m'a dit que lui étant allée demander place pour être reçue dans son monastère, et lui exposant la crainte qu'elle avoit qu'étant avec le grand monde elle perdît sa vocation si elle ne la recevoit promptement, cette servante de Dieu lui répondit que, puisqu'elle ne pouvoit encore entrer dans le monastère, ses parents y étant absolument opposés, Dieu la garderoit, et lui promit qu'elle auroit soin d'elle; ce qu'elle éprouva fort peu de temps après. Car étant un soir à un grand bal devant le Roi, et fort attentive à regarder toutes les belles choses qui y étoient, elle vit intérieurement cette bonne mère présente devant elle avec grande douceur et gravité, qui lui fit entendre qu'elle n'étoit pas pour ces choses-là ni ces choses-là pour elle, et lui ôta tout le plaisir qu'elle pouvoit y prendre.
Je sais que les Reines, Marie de Médicis, la Reine à présent régnante et celle d'Angleterre, ont honoré cette servante de Dieu de leur affection pendant leur vie et de leur piété après sa mort, comme ont fait aussi feue madame la Princesse et plusieurs autres princesses et dames de qualité de cette cour, etc.
C'est ainsi que j'ai déposé pour la vérité, moiDiane de Gransaigne.»
Extrait du témoignage de madame la duchesse de Lesdiguières:
«Je m'appelle Anne de la Magdeleine; je suis née en cette ville de Paris, et j'ai environ 39 ans. Mon père s'appeloit Léonor de la Magdeleine, marquis de Ragni, et étoit lieutenant du Roi en Charolois, Bresse et Buget, commandant les armées de Sa Majesté. Ma mère avoit nom Hippolite de Gondy. Je suis femme de M. le duc de Lesdiguières, pair de France et gouverneur pour le Roi en Dauphiné, chevalier des ordres du Roi. Je me confesse par la grâce de Dieu tous les ans à Pâques à M. Charlon, pénitencier de Notre-Dame, et communie dans Saint-Paul qui est ma paroisse....La ville de Paris, comme j'ai dit, est le lieu de ma naissance; j'y ai demeuré jusqu'à l'âge de 15 à 16 ans, et depuis que j'ai été mariée à M. le duc de Lesdiguières, j'y ai fait plusieurs voyages et j'y ai demeuré à divers temps environ 5 à 6 ans. J'ai commencé à connoître la mère Magdeleine de Saint-Joseph environ l'année 1628 aucouvent de l'Incarnation dont elle étoit alors supérieure, auquel temps madame la marquise de Ragny ma mère et madame la marquise de Magnelay ma tante m'y ont menée plusieurs fois y allant la voir pour recevoir le profit et le fruit de ses bons conseils et de ses pieuses instructions. Dès ce temps-là cette bonne mère me témoigna beaucoup de tendresse, ce qui a été cause que je l'ai connue ensuite très particulièrement, et entretenue fort souvent de différentes choses qui regardoient la conduite de ma vie et mon salut, dont sa bonté tout extraordinaire me faisoit connoître qu'elle étoit très soigneuse par des discours tout remplis d'une charité tout à fait chrétienne et merveilleuse. Toutes ces pieuses considérations avoient tant de force pour lors sur mon esprit, et je me sentois si puissamment touchée, quand je faisois réflexion sur la difficulté qu'il y avoit de servir Dieu parmi les honneurs et dans la pompe des mondains, que dans ces moments heureux je ne respirois plus que pour le ciel, et faisois des résolutions secrètes de quitter toutes choses et renoncer au mariage pour me vouer totalement à Dieu. En un mot cette grande servante de Dieu avoit tellement détaché mes affections du monde que je n'avois plus que du dégoût pour toutes les choses qui y pouvoient flatter le plus mes sens et mon imagination, et elle me sut si bien gaigner le cœur que je croyois que le plus grand bonheur que je pouvois espérer en la terre étoit d'être toujours avec elle; de sorte que j'étois toute prête d'entrer dans le cloître et lui demander l'habit de religieuse, si ma mère ne m'avoit empêchée de retourner au couvent après qu'elle eut appris mon dessein, etc.La Reine d'à présent, à l'exemple de la Reine mère défunte, l'a été fort souvent visiter et est toujours retournée de ses visites édifiée et consolée, sans oublier aussi la Reine d'Angleterre, feue madame la duchesse d'Orléans, madame la princesse de Condé, mesdames les duchesses de Longueville, de Guise, de Vendôme, de Retz, d'Aiguillon, mesdames la marquise de Magnelay, de Ragni et plusieurs autres dames de la cour, etc., etc.Mesdames les princesses de Condé et de Longueville, qui la regrettoient comme leur mère spirituelle, ont assisté avec beaucoup de zèle et dévotion à son enterrement... J'ai été à mon retour de la campagne visiter par diverses fois son tombeau. J'y ai vu aussi aller la Reine très souvent accompagnée de tout ce qu'il y avoit de personnes de la plus grande condition à la cour, et je me souviens d'avoir ouï dire qu'elle a obligé par ses fréquentes exhortations madame la Princesse, mesdames les duchesses de Longueville et d'Aiguillon, d'aller aux prisons, de visiter les hôpitaux, de faire l'aumône aux pauvres, et de les secourir dans leurs nécessités, etc.J'ai ainsi déposé pour la vérité, jeAnne de la Madeleine, duchesse de Lesdiguières.»
«Je m'appelle Anne de la Magdeleine; je suis née en cette ville de Paris, et j'ai environ 39 ans. Mon père s'appeloit Léonor de la Magdeleine, marquis de Ragni, et étoit lieutenant du Roi en Charolois, Bresse et Buget, commandant les armées de Sa Majesté. Ma mère avoit nom Hippolite de Gondy. Je suis femme de M. le duc de Lesdiguières, pair de France et gouverneur pour le Roi en Dauphiné, chevalier des ordres du Roi. Je me confesse par la grâce de Dieu tous les ans à Pâques à M. Charlon, pénitencier de Notre-Dame, et communie dans Saint-Paul qui est ma paroisse....
La ville de Paris, comme j'ai dit, est le lieu de ma naissance; j'y ai demeuré jusqu'à l'âge de 15 à 16 ans, et depuis que j'ai été mariée à M. le duc de Lesdiguières, j'y ai fait plusieurs voyages et j'y ai demeuré à divers temps environ 5 à 6 ans. J'ai commencé à connoître la mère Magdeleine de Saint-Joseph environ l'année 1628 aucouvent de l'Incarnation dont elle étoit alors supérieure, auquel temps madame la marquise de Ragny ma mère et madame la marquise de Magnelay ma tante m'y ont menée plusieurs fois y allant la voir pour recevoir le profit et le fruit de ses bons conseils et de ses pieuses instructions. Dès ce temps-là cette bonne mère me témoigna beaucoup de tendresse, ce qui a été cause que je l'ai connue ensuite très particulièrement, et entretenue fort souvent de différentes choses qui regardoient la conduite de ma vie et mon salut, dont sa bonté tout extraordinaire me faisoit connoître qu'elle étoit très soigneuse par des discours tout remplis d'une charité tout à fait chrétienne et merveilleuse. Toutes ces pieuses considérations avoient tant de force pour lors sur mon esprit, et je me sentois si puissamment touchée, quand je faisois réflexion sur la difficulté qu'il y avoit de servir Dieu parmi les honneurs et dans la pompe des mondains, que dans ces moments heureux je ne respirois plus que pour le ciel, et faisois des résolutions secrètes de quitter toutes choses et renoncer au mariage pour me vouer totalement à Dieu. En un mot cette grande servante de Dieu avoit tellement détaché mes affections du monde que je n'avois plus que du dégoût pour toutes les choses qui y pouvoient flatter le plus mes sens et mon imagination, et elle me sut si bien gaigner le cœur que je croyois que le plus grand bonheur que je pouvois espérer en la terre étoit d'être toujours avec elle; de sorte que j'étois toute prête d'entrer dans le cloître et lui demander l'habit de religieuse, si ma mère ne m'avoit empêchée de retourner au couvent après qu'elle eut appris mon dessein, etc.
La Reine d'à présent, à l'exemple de la Reine mère défunte, l'a été fort souvent visiter et est toujours retournée de ses visites édifiée et consolée, sans oublier aussi la Reine d'Angleterre, feue madame la duchesse d'Orléans, madame la princesse de Condé, mesdames les duchesses de Longueville, de Guise, de Vendôme, de Retz, d'Aiguillon, mesdames la marquise de Magnelay, de Ragni et plusieurs autres dames de la cour, etc., etc.
Mesdames les princesses de Condé et de Longueville, qui la regrettoient comme leur mère spirituelle, ont assisté avec beaucoup de zèle et dévotion à son enterrement... J'ai été à mon retour de la campagne visiter par diverses fois son tombeau. J'y ai vu aussi aller la Reine très souvent accompagnée de tout ce qu'il y avoit de personnes de la plus grande condition à la cour, et je me souviens d'avoir ouï dire qu'elle a obligé par ses fréquentes exhortations madame la Princesse, mesdames les duchesses de Longueville et d'Aiguillon, d'aller aux prisons, de visiter les hôpitaux, de faire l'aumône aux pauvres, et de les secourir dans leurs nécessités, etc.
J'ai ainsi déposé pour la vérité, jeAnne de la Madeleine, duchesse de Lesdiguières.»
Extrait de la déposition de la duchesse de Châtillon:
«J'ai nom Isabelle Angélique de Montmorency. Je suis natifve de la ville de Paris. Je suis âgée de trente-deux ans, fille d'Henry François de Montmorency, comte de Bouteville et autres lieux, et d'Isabelle Angélique de Vienne, sa légitime épouse. Je suis veufve de Gaspard de Coligny, duc de Chastillon.Je n'ai point été nourrie à Paris, j'ai quasi toujours demeuré aux champs; et de plus j'étois si jeune lorsque la vénérable mère vivoit que je ne puis rien dire des particularités de sa vie...Je sçais que depuis sa mort toutes sortes de personnes ont recours à elle et qu'il se fait quantité de miracles par son intercession, et entre autres M. Fermelys[560], qui étoit contrôleur de feue madame la princesse de Condé, a été guéri d'une griève maladie par de l'eau où il avoit trempé du linge teint du sang de la servante de Dieu.Je sçais pour l'avoir vu que feue madame la princesse de Condé avoit une telle confiance au pouvoir que cette vénérable mère avoit auprès de Dieu que, dès que messieurs ses enfants étaient malades ou en péril dans les armées, elle faisoit des vœux pour eux à la vénérable Mère et faisoit dire quantité de messes en son honneur pour obtenir leur guérison et leur conservation.Je sçais que pendant que M. le prince de Condé étoit en Allemagne en 1645 et qu'il eut une grande maladie, madame la princesse sa mère fit un vœu à la vénérable mère pour la guérison de monseigneur son fils, qui étoit de faire un tableau de la servante de Dieu et monseigneur le prince à ses pieds, ce qui s'est exécuté comme elle l'avoit promis[561].Je sçais que par la grande estime qu'elle avoit de la sainteté de la vénérable mère, elle en portoit toujours des reliques, c'est-à-dire quelque chose qui lui eût touché, ou du linge trempé de son sang. Elle avoit aussi une image de la servante de Dieu. Je sçais aussi que, comme madame la princesse de Condé sçut qu'il y avoit une personne de piété qui faisoit accommoder l'église du grand couvent des Carmélites, elle manda qu'on lui gardât une chapelle parce qu'elle la vouloit faire elle-même accommoder pour y pouvoir mettre le corps de la vénérable mère lorsque notre saint Père permettroit de le lever.Durant le temps que madame la Princesse étoit à Chastillon elle m'a parlé grand nombre de fois de la vénérable mère, et m'a dit qu'elle avoit senti dans le couvent des Carmélites où est son corps des senteurs extraordinaires, qu'il n'y avoit point moyen de les exprimer qu'en disant que c'étoient des odeurs de sainteté et toutes célestes. Elle m'adit aussi plusieurs fois que jamais personne n'avoit parlé de Dieu en des termes si touchants et si pleins d'efficace pour porter les âmes à l'aimer, et qu'elle étoit obligée de dire qu'elle lui avoit fait connoître que les plus grandes choses de la terre sont si petites devant Dieu que c'est une grande folie d'y avoir de l'attache.Durant le séjour qu'elle a fait dans ma maison de Chastillon, j'ai remarqué qu'elle ne se pouvoit lasser de parler de la vénérable mère; ce qui l'obligea à me dire que c'étoit par ses avis qu'elle s'étoit mise à la piété, et que souvent la servante de Dieu lui avoit conseillé d'aller visiter les hôpitaux, les prisons, et de donner beaucoup d'aumônes, et elle m'a dit qu'elle l'avoit fait exactement durant sa vie, et je dois rendre témoignage que depuis elle le continuoit ayant été diverses fois avec elle aux prisons et aux hôpitaux. La grande estime qu'elle avoit de sa sainteté lui a fait désirer d'être enterrée à ses pieds, et je lui ai ouï dire quelque temps avant sa mort qu'elle tenoit à grand bonheur de ressusciter avec la vénérable mère et d'être en même lieu qu'elle à ce grand jour. Je sçais qu'il y a grand concours de peuple et de personnes de grande condition qui vont au grand couvent des Carmélites demander de l'eau où il a trempé du linge teint du sang de la vénérable mère, et que cela fait des guérisons miraculeuses.De tout ce que j'ai déposé ici il y a bruit et renommée publique.C'est ainsi que j'ai déposé pour la vérité moiIsabelle Angeliquede Montmorency.»
«J'ai nom Isabelle Angélique de Montmorency. Je suis natifve de la ville de Paris. Je suis âgée de trente-deux ans, fille d'Henry François de Montmorency, comte de Bouteville et autres lieux, et d'Isabelle Angélique de Vienne, sa légitime épouse. Je suis veufve de Gaspard de Coligny, duc de Chastillon.
Je n'ai point été nourrie à Paris, j'ai quasi toujours demeuré aux champs; et de plus j'étois si jeune lorsque la vénérable mère vivoit que je ne puis rien dire des particularités de sa vie...
Je sçais que depuis sa mort toutes sortes de personnes ont recours à elle et qu'il se fait quantité de miracles par son intercession, et entre autres M. Fermelys[560], qui étoit contrôleur de feue madame la princesse de Condé, a été guéri d'une griève maladie par de l'eau où il avoit trempé du linge teint du sang de la servante de Dieu.
Je sçais pour l'avoir vu que feue madame la princesse de Condé avoit une telle confiance au pouvoir que cette vénérable mère avoit auprès de Dieu que, dès que messieurs ses enfants étaient malades ou en péril dans les armées, elle faisoit des vœux pour eux à la vénérable Mère et faisoit dire quantité de messes en son honneur pour obtenir leur guérison et leur conservation.
Je sçais que pendant que M. le prince de Condé étoit en Allemagne en 1645 et qu'il eut une grande maladie, madame la princesse sa mère fit un vœu à la vénérable mère pour la guérison de monseigneur son fils, qui étoit de faire un tableau de la servante de Dieu et monseigneur le prince à ses pieds, ce qui s'est exécuté comme elle l'avoit promis[561].
Je sçais que par la grande estime qu'elle avoit de la sainteté de la vénérable mère, elle en portoit toujours des reliques, c'est-à-dire quelque chose qui lui eût touché, ou du linge trempé de son sang. Elle avoit aussi une image de la servante de Dieu. Je sçais aussi que, comme madame la princesse de Condé sçut qu'il y avoit une personne de piété qui faisoit accommoder l'église du grand couvent des Carmélites, elle manda qu'on lui gardât une chapelle parce qu'elle la vouloit faire elle-même accommoder pour y pouvoir mettre le corps de la vénérable mère lorsque notre saint Père permettroit de le lever.
Durant le temps que madame la Princesse étoit à Chastillon elle m'a parlé grand nombre de fois de la vénérable mère, et m'a dit qu'elle avoit senti dans le couvent des Carmélites où est son corps des senteurs extraordinaires, qu'il n'y avoit point moyen de les exprimer qu'en disant que c'étoient des odeurs de sainteté et toutes célestes. Elle m'adit aussi plusieurs fois que jamais personne n'avoit parlé de Dieu en des termes si touchants et si pleins d'efficace pour porter les âmes à l'aimer, et qu'elle étoit obligée de dire qu'elle lui avoit fait connoître que les plus grandes choses de la terre sont si petites devant Dieu que c'est une grande folie d'y avoir de l'attache.
Durant le séjour qu'elle a fait dans ma maison de Chastillon, j'ai remarqué qu'elle ne se pouvoit lasser de parler de la vénérable mère; ce qui l'obligea à me dire que c'étoit par ses avis qu'elle s'étoit mise à la piété, et que souvent la servante de Dieu lui avoit conseillé d'aller visiter les hôpitaux, les prisons, et de donner beaucoup d'aumônes, et elle m'a dit qu'elle l'avoit fait exactement durant sa vie, et je dois rendre témoignage que depuis elle le continuoit ayant été diverses fois avec elle aux prisons et aux hôpitaux. La grande estime qu'elle avoit de sa sainteté lui a fait désirer d'être enterrée à ses pieds, et je lui ai ouï dire quelque temps avant sa mort qu'elle tenoit à grand bonheur de ressusciter avec la vénérable mère et d'être en même lieu qu'elle à ce grand jour. Je sçais qu'il y a grand concours de peuple et de personnes de grande condition qui vont au grand couvent des Carmélites demander de l'eau où il a trempé du linge teint du sang de la vénérable mère, et que cela fait des guérisons miraculeuses.
De tout ce que j'ai déposé ici il y a bruit et renommée publique.
C'est ainsi que j'ai déposé pour la vérité moiIsabelle Angeliquede Montmorency.»
De tous côtés, on s'adressait au couvent des Carmélites pour obtenir l'intercession de la mère Madeleine de Saint-Joseph, soit dans les maladies, soit dans les dangers de tout genre où l'on pouvait se trouver. Dans le premier chapitre, nous avons dit, d'après Mademoiselle, que Mlled'Épernon avait été fort recherchée dans sa première jeunesse par M. le duc de Joyeuse alors chevalier de Guise, et que la sœur de celui-ci, Mllede Guise, avait détourné son frère de cet établissement, qui convenait fort des deux côtés. En 1654, le duc de Joyeuse étant tombé malade et se trouvant à toute extrémité par les suites d'une blessure, Mllede Guise n'hésita point à s'adresser à cette même Mlled'Épernon, devenue sœur Anne Marie de Jésus, afin qu'elle priât pour son frère et invoquât la mère Madeleine.
«Pour mademoiselle d'Épernon.19 septembre 1654. «Il y a huit jours que je suis quasi sans espérancede la santé de mon frère, si ce n'est du côté de Dieu. J'en suis en un état que je ne puis représenter. Je vous supplie de m'envoyer quelque chose de votre bien heureuse mère Magdelaine, et de vouloir continuer vos prières et de demander à la mère prieure (en 1654, c'était la mère Agnès) et à toute la communauté de nous faire la même charité.»22 septembre. «Vous ne me sauriez donner des marques d'amitié à quoi je sois plus sensible qu'au soin que vous prenez de la santé de mon frère. Elle est meilleure, Dieu merci, et nous avons présentement beaucoup d'espérance. Continuez, je vous supplie, vos prières à votre sainte mère, et puisque vous le voulez je vous manderai tous les jours l'état où il sera.»23 septembre. «Mon frère est plus mal qu'hier. Je vois bien qu'il n'y a que Dieu qui nous le puisse rendre. J'espère cette miséricorde de sa bonté et de votre intercession auprès de lui et de celle de votre bien heureuse mère.»24 septembre. «Mon frère est toujours en même état. Il a communié ce matin, pour la seconde fois, et promis hier que si Dieu lui redonnoit la santé qu'il iroit le recevoir dans votre église pour le remercier de la grâce qu'il auroit obtenue par l'intercession de votre B. H. mère. Continuez à le prier d'avoir pitié de nous, et croyez que je suis touchée comme je le dois être de la bonté que vous me témoignez.»
«Pour mademoiselle d'Épernon.
19 septembre 1654. «Il y a huit jours que je suis quasi sans espérancede la santé de mon frère, si ce n'est du côté de Dieu. J'en suis en un état que je ne puis représenter. Je vous supplie de m'envoyer quelque chose de votre bien heureuse mère Magdelaine, et de vouloir continuer vos prières et de demander à la mère prieure (en 1654, c'était la mère Agnès) et à toute la communauté de nous faire la même charité.»
22 septembre. «Vous ne me sauriez donner des marques d'amitié à quoi je sois plus sensible qu'au soin que vous prenez de la santé de mon frère. Elle est meilleure, Dieu merci, et nous avons présentement beaucoup d'espérance. Continuez, je vous supplie, vos prières à votre sainte mère, et puisque vous le voulez je vous manderai tous les jours l'état où il sera.»
23 septembre. «Mon frère est plus mal qu'hier. Je vois bien qu'il n'y a que Dieu qui nous le puisse rendre. J'espère cette miséricorde de sa bonté et de votre intercession auprès de lui et de celle de votre bien heureuse mère.»
24 septembre. «Mon frère est toujours en même état. Il a communié ce matin, pour la seconde fois, et promis hier que si Dieu lui redonnoit la santé qu'il iroit le recevoir dans votre église pour le remercier de la grâce qu'il auroit obtenue par l'intercession de votre B. H. mère. Continuez à le prier d'avoir pitié de nous, et croyez que je suis touchée comme je le dois être de la bonté que vous me témoignez.»
Le 26 décembre 1660, Mmela princesse de Conti, Anne-Marie Martinozzi, étant grosse de plusieurs mois, commença une neuvaine à la mère de Saint-Joseph, et porta un scapulaire de l'habit de la bienheureuse mère. Elle avait déjà eu plusieurs enfants morts et n'en avait pas un vivant. Elle accoucha d'un garçon, le 4 avril 1661, assez heureusement; mais il tomba malade, et Lopès, médecin du prince et de la princesse de Conti, écrivit, le 13 avril 1662, le billet suivant aux Carmélites:
«A la très révérende mère sous-prieure (c'était mademoiselle Du Vigean en avril 1662) des Carmélites du grand couvent.«Ma très révérende Mère,«Comme je suis persuadé que nous devons l'heureuse naissance de monseigneur le comte à l'intercession de la bienheureuse mèreMagdelaine et à vos prières, je crois que nous ne pouvons rien faire de mieux ni de plus conforme aux sentiments de Mmesa mère que de vous supplier de nous accorder les mêmes grâces pour sa conservation. Nous vous demandons instamment de l'eau de la bienheureuse mère et la continuation de vos prières. J'y ai une très grande foi pour lui et pour moi. Je vous supplie de me les accorder. Je suis, ma très révérende mère, de l'hôtel de Conty, jeudi au soir 13 avril 1662, votre très humble et très obéissant serviteur.Lopès.»
«A la très révérende mère sous-prieure (c'était mademoiselle Du Vigean en avril 1662) des Carmélites du grand couvent.
«Ma très révérende Mère,
«Comme je suis persuadé que nous devons l'heureuse naissance de monseigneur le comte à l'intercession de la bienheureuse mèreMagdelaine et à vos prières, je crois que nous ne pouvons rien faire de mieux ni de plus conforme aux sentiments de Mmesa mère que de vous supplier de nous accorder les mêmes grâces pour sa conservation. Nous vous demandons instamment de l'eau de la bienheureuse mère et la continuation de vos prières. J'y ai une très grande foi pour lui et pour moi. Je vous supplie de me les accorder. Je suis, ma très révérende mère, de l'hôtel de Conty, jeudi au soir 13 avril 1662, votre très humble et très obéissant serviteur.
Lopès.»
Mlled'Alençon, seconde fille de Gaston et de Marguerite de Lorraine, qui devint depuis la duchesse de Guise, demande, le 18 septembre 1664, une neuvaine à la bienheureuse mère:
«Pour la mère Agnès.«Je vous prie, ma chère mère, de vouloir faire faire à toute votre communauté une neuvaine au tombeau de notre bienheureuse mère à mon intention, et que l'on la commence aujourd'hui. Je me suis si bien trouvée des prières que vous avez faites pour moi, que j'espère que Dieu m'octroiera ce que je lui demande par l'entremise de notre bienheureuse mère.Isabelle d'Orléans.»AUTRE LETTRE DE LA MÊME DU 8 OCTOBRE 1664.«A la mère Agnès, aux Carmélites.«Vous avez accepté si obligeament la prière que je vous avois faite, ma chère mère, de me faire une neuvaine, que cela fait que je vous importune encore une fois, et que je vous prie d'en vouloir faire commencer encore une aujourd'hui à votre communauté au tombeau de votre bien heureuse mère à mon intention. Je vous en serai très obligée, ma chère mère, et d'être assurée de mon amitié. Je vous prie de faire mes compliments à la mère de Bains.»
«Pour la mère Agnès.
«Je vous prie, ma chère mère, de vouloir faire faire à toute votre communauté une neuvaine au tombeau de notre bienheureuse mère à mon intention, et que l'on la commence aujourd'hui. Je me suis si bien trouvée des prières que vous avez faites pour moi, que j'espère que Dieu m'octroiera ce que je lui demande par l'entremise de notre bienheureuse mère.
Isabelle d'Orléans.»
AUTRE LETTRE DE LA MÊME DU 8 OCTOBRE 1664.
«A la mère Agnès, aux Carmélites.
«Vous avez accepté si obligeament la prière que je vous avois faite, ma chère mère, de me faire une neuvaine, que cela fait que je vous importune encore une fois, et que je vous prie d'en vouloir faire commencer encore une aujourd'hui à votre communauté au tombeau de votre bien heureuse mère à mon intention. Je vous en serai très obligée, ma chère mère, et d'être assurée de mon amitié. Je vous prie de faire mes compliments à la mère de Bains.»
Mmela duchesse d'Elbeuf, Élisabeth de Bouillon, nièce de Turenne, mariée à Charles d'Elbeuf en 1656, et morte en 1680, écrit en 1659 à sa sœur, alors novice aux Carmélites, c'est-à-dire à Émilie Éléonore de Bouillon, dont nous avons parlé plus haut, page 366:
«Jamais je n'ai tant espéré, chère sœur, que la bienheureuse mère Madelaine de Saint-Joseph et la bienheureuse sœur Catherine de Jésusferoient le miracle que nous souhaitons que présentement. Car le jour que je suis partie, j'ai trouvé moyen de mettre de leurs saintes reliques; et M. d'Elbeuf, ce que je n'avois pas pu faire jusque à présent, son scapulaire étant rompu et l'ayant donné à raccomoder à un de ses gents, les a mises, et au même moment je n'ai quasi plus douté que Dieu nous accorderoit ce que nous lui demandons par les prières de cette sainte. Je vous conjure, ma chère sœur, de supplier très humblement la mère souprieure (en 1659 c'était mademoiselle Du Vigean) que l'on redouble les prières pour cette pauvre âme, qui est en si pitoyable estat. Si j'osois, je demanderois par charité à la mère prieure, c'est-à-dire à celle qui l'a été, de demander à Notre-Seigneur cette conversion. Je communierai, s'il plaît à Dieu, dimanche pour cela. Souvenez-vous-en, chère sœur, ce jour-là, et priez toutes vos bonnes mères d'avoir aussi cette bonté. Enfin j'ai depuis peu tant d'espérance à ces saintes reliques, que je n'en fais quasi plus de doute. J'ai cela si fortement à la tête qu'il ne se peut pas plus... Ce dernier septembre 1659.»
«Jamais je n'ai tant espéré, chère sœur, que la bienheureuse mère Madelaine de Saint-Joseph et la bienheureuse sœur Catherine de Jésusferoient le miracle que nous souhaitons que présentement. Car le jour que je suis partie, j'ai trouvé moyen de mettre de leurs saintes reliques; et M. d'Elbeuf, ce que je n'avois pas pu faire jusque à présent, son scapulaire étant rompu et l'ayant donné à raccomoder à un de ses gents, les a mises, et au même moment je n'ai quasi plus douté que Dieu nous accorderoit ce que nous lui demandons par les prières de cette sainte. Je vous conjure, ma chère sœur, de supplier très humblement la mère souprieure (en 1659 c'était mademoiselle Du Vigean) que l'on redouble les prières pour cette pauvre âme, qui est en si pitoyable estat. Si j'osois, je demanderois par charité à la mère prieure, c'est-à-dire à celle qui l'a été, de demander à Notre-Seigneur cette conversion. Je communierai, s'il plaît à Dieu, dimanche pour cela. Souvenez-vous-en, chère sœur, ce jour-là, et priez toutes vos bonnes mères d'avoir aussi cette bonté. Enfin j'ai depuis peu tant d'espérance à ces saintes reliques, que je n'en fais quasi plus de doute. J'ai cela si fortement à la tête qu'il ne se peut pas plus... Ce dernier septembre 1659.»
Une autre fille du duc de Bouillon, une autre nièce de Turenne, Mauricette-Phébronie, mariée à Maximilien, duc de Bavière, frère de l'Électeur, morte sans postérité en 1706, écrit en 1670 à sa sœur, Hippolyte de Bouillon, déjà carmélite (voyez plus haut, page368):
«A ma très chère sœur Hipolite de Jésus.«J'ai bien de la joie, ma très chère sœur, d'apprendre par votre dernière lettre que vous êtes bien aise que notre aumonier retourne à notre service. Assurément c'est un fort honnête homme. Il m'a bien réjouie en m'assurant de la continuation de votre amitié, et m'a bien dit aussi que je n'étois pas oubliée dans vos bonnes prières. Je vous prie, ma chère sœur, de vouloir bien continuer, et principalement envers la bienheureuse mère Magdelaine, en qui j'ai eu toute ma vie bien de la dévotion. Vous ne pouviez pas me faire un présent plus agréable qu'en m'envoyant un scapulaire fait de sa robe. Je vous en suis infiniment obligée. Je le porterai toute ma vie. J'ai bien de la joie d'avoir sa Vie (par le père Senault). Je vous prie, ma chère sœur, d'en vouloir bien remercier de ma part la révérende mère prieure (en 1670, la mère Agnès) et lui témoigner l'obligation que je lui en ai. Si la lecture de cette vie me peut convertir, je lui en aurai toute l'obligation; ce ne seroit pas une des moindres que je lui ai avec tant d'autres dont celle-là ne fera qu'augmenter le nombre. Je ne manquerai pas de faire faire un tableau pour metre dans ma chambre d'aprèsl'image que vous m'avez envoyée. Je vous remercie bien fort de tout ce que vous m'avez donné. Je n'ai pas manqué de faire vos compliments à Monsieur mon mari, qui vous en remercie bien fort et se recommande bien à vos bonnes prières, et moi je fais la même chose, en ayant bien besoin.Adieu, ma chère sœur, soyez persuadée que vous avez un pouvoir absolu sur le cœur de votreMaurice Phébronie.—A Munic, ce 30 avril 1670.»
«A ma très chère sœur Hipolite de Jésus.
«J'ai bien de la joie, ma très chère sœur, d'apprendre par votre dernière lettre que vous êtes bien aise que notre aumonier retourne à notre service. Assurément c'est un fort honnête homme. Il m'a bien réjouie en m'assurant de la continuation de votre amitié, et m'a bien dit aussi que je n'étois pas oubliée dans vos bonnes prières. Je vous prie, ma chère sœur, de vouloir bien continuer, et principalement envers la bienheureuse mère Magdelaine, en qui j'ai eu toute ma vie bien de la dévotion. Vous ne pouviez pas me faire un présent plus agréable qu'en m'envoyant un scapulaire fait de sa robe. Je vous en suis infiniment obligée. Je le porterai toute ma vie. J'ai bien de la joie d'avoir sa Vie (par le père Senault). Je vous prie, ma chère sœur, d'en vouloir bien remercier de ma part la révérende mère prieure (en 1670, la mère Agnès) et lui témoigner l'obligation que je lui en ai. Si la lecture de cette vie me peut convertir, je lui en aurai toute l'obligation; ce ne seroit pas une des moindres que je lui ai avec tant d'autres dont celle-là ne fera qu'augmenter le nombre. Je ne manquerai pas de faire faire un tableau pour metre dans ma chambre d'aprèsl'image que vous m'avez envoyée. Je vous remercie bien fort de tout ce que vous m'avez donné. Je n'ai pas manqué de faire vos compliments à Monsieur mon mari, qui vous en remercie bien fort et se recommande bien à vos bonnes prières, et moi je fais la même chose, en ayant bien besoin.
Adieu, ma chère sœur, soyez persuadée que vous avez un pouvoir absolu sur le cœur de votre
Maurice Phébronie.—A Munic, ce 30 avril 1670.»
Nous terminerons par six lettres de la reine d'Angleterre, Henriette, la fille d'Henri IV, la femme de Charles Ier. Elles sont autographes, avec leurs cachets intacts.
«A LA TRÈS RÉVÉRENDE MÈRE MAGDELAINE DE SAINT-JOSEPH.»«Ma révérende mère, je vois par votre lettre le soin que vous avez de moi et de mes enfants dans vos bonnes prières, de quoi je vous remercie, et vous prie de continuer en ayant bon besoin, votre piété m'étant assez connue pour être assurée que lorsque vous vous souviendrez de moi, cela m'apportera beaucoup de bonheur. Si je pouvois vous faire voir le ressentiment que j'en ai par quelque voie, je le ferois de très bon cœur; mais sachant que toutes choses du monde vous sont indifférentes, je me contenterai de vous assurer que ce ne sera que faute d'occasion si je ne le vous fais paroître, priant Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde. Faites mes recommandations à toutes vos bonnes filles, et les priez de prier Dieu pour moi.«Henriette Marie, R (eine).»«A LA RÉVÉRENDE MÈRE MAGDELAINE DE SAINT-JOSEPH.«Ma mère, j'ai reçu une de vos lettres qui m'a extrêmement rejouie de voir que j'étois encore en votre souvenir, quoique je n'en doutasse point, mais j'ai été très satisfaite de le voir par votre lettre, de quoi je vous remercie, et vous prie de vouloir continuer à prier Dieu pour moi, et croire que si je vous pouvois servir en quelque chose en ce pays, je le ferai de tout mon cœur. Faites mes recommandations à toutes vos bonnes sœurs, et si sœur Aymée (peut-être mademoiselle Deschamps, ou plutôt mademoiselle Rebours, morte en 1653, à Bourges; plus haut, page 354), qui étoit à moi, est là, dites-lui que je crois qu'elle ne m'oublie pas en ses prières, et qu'elle a encore souvenance de moi; priant Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.«Henriette Marie, R.»DE LA MÊME A LA MÊME.«A la mère Magdelaine.«Ma mère, je vous écris cette lettre pour vous prier de continuer à prier Dieu pour moi, et pour vous dire que nous avons un couvent de l'Incarnation aussi bien que vous, mais nous ne nous acquittons pas trop bien de notre règle; nous ne fesons que voyager, et notre couvent ne nous suit point; M. de Bérulle qui est ici nous en dispencera. J'espère, avec l'aide de Dieu, qu'il y en aura tout à bon un jour; j'ai la plus grande joye du monde quand j'en parle. Faites mes recommandations à toutes vos bonnes sœurs et à votre général. Je finirai ma lettre en vous assurant que je suis, ma mère, votre affectionnée fille,«Henriette Marie, R.»DE LA MÊME A LA MÊME.«A la mère Magdelaine.«Ma mère, j'ai reçu la lettre que vous m'avez écrite par laquelle je vois le soin que vous avez de prier Dieu pour moi. Je vous en remercie bien fort, et vous prie de continuer, car l'on en a grand besoin en ce pays. J'envie votre bonheur de voir M. de Bérulle. Je l'ai laissé aller à mon regret, mais ce ne sera que pour un mois tout au plus. Je vous dirai que nous fesons un petit couvent qui sera tout comme celui des vraies Carmélites en petit, mais j'espère, avec l'aide de Dieu, que quelque jour il y en aura un tout à bon. Priez bien Dieu pour cela, ma chère mère, je vous en prie, car si cela étoit, je m'estimerois la plus heureuse personne du monde. Je vous prie de faire mes recommandations à la mère Marie de Jésus (Mmede Bréauté). Adieu, ma mère, priez Dieu pour moi.«Henriette Marie, R.—Ce 25 aoust 1625.»DE LA MÊME SUR LA MÊME.(Une main ancienne a écrit: 1637.) «A la Révérende mère Marie de Jésus. (Mmede Bréauté), prieure des Carmélites à Paris.»«Ma R. mère, le SrDigby m'ayant aporté une lettre de vous, j'ai été bien aise de la même occasion pour vous remercier du soin que vous prenez de moi en vos bonnes prières, et aussi vous prier de vouloir continuer. J'ai entendu la mort de la bonne mère Magdelaine avec beaucoup de ressentiment de la perte que nous avons faite; mais elle est si heureuse dans le ciel que c'est une consolation très grande pour tous ceux qui l'aimoient comme je le fais. Elle priera Dieu pour moi là où elle est; et vous, je vous prie de le faire aussi et toutes vosbonnes sœurs à qui je me recommande, priant Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.«Votre bien bonne amie,Henriette Marie, R.»DE LA MÊME SUR LA MÊME.Une main ancienne: «30 avril 1647. La Reine d'Angleterre étoit lors à Paris. Elle écrit à la mère prieure (en 1647 c'était la mère Marie Madeleine de Jésus):»«Ma mère, ce n'est pas d'aujourd'hui que je vois l'incertitude des choses de ce monde dans ma condition. Lorsque je vous quittai dimanche, je croyois être fort assurée de ne point voir la comédie, et cejourd'hui de vous aller voir; et néanmoins je fis hier l'un, mais par obéissance aux commandements de la Reine; et pour l'autre je suis très fâchée que je ne le ferai point, ne me portant pas bien, ayant une petite maladie qui n'est pas propre à sortir de la maison. Je ne sais si ce n'est point ce mauvais temps qui en soit en partie la cause; mais je vous assure qu'il ne m'eût pas empêché de vous aller voir sans l'autre accident. Je vous prie de prier Dieu pour moi sur le tombeau de la bonne mère Madeleine, à ce qu'elle veuille avoir soin de mes affaires après sa mort comme elle a eu en sa vie. Avec cela je finis et je suis, ma mère, votre bien bonne et affectionnée amie,Henriette Marie.Mardi, à dix heures, 30 avril.»
«A LA TRÈS RÉVÉRENDE MÈRE MAGDELAINE DE SAINT-JOSEPH.»
«Ma révérende mère, je vois par votre lettre le soin que vous avez de moi et de mes enfants dans vos bonnes prières, de quoi je vous remercie, et vous prie de continuer en ayant bon besoin, votre piété m'étant assez connue pour être assurée que lorsque vous vous souviendrez de moi, cela m'apportera beaucoup de bonheur. Si je pouvois vous faire voir le ressentiment que j'en ai par quelque voie, je le ferois de très bon cœur; mais sachant que toutes choses du monde vous sont indifférentes, je me contenterai de vous assurer que ce ne sera que faute d'occasion si je ne le vous fais paroître, priant Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde. Faites mes recommandations à toutes vos bonnes filles, et les priez de prier Dieu pour moi.
«Henriette Marie, R (eine).»
«A LA RÉVÉRENDE MÈRE MAGDELAINE DE SAINT-JOSEPH.
«Ma mère, j'ai reçu une de vos lettres qui m'a extrêmement rejouie de voir que j'étois encore en votre souvenir, quoique je n'en doutasse point, mais j'ai été très satisfaite de le voir par votre lettre, de quoi je vous remercie, et vous prie de vouloir continuer à prier Dieu pour moi, et croire que si je vous pouvois servir en quelque chose en ce pays, je le ferai de tout mon cœur. Faites mes recommandations à toutes vos bonnes sœurs, et si sœur Aymée (peut-être mademoiselle Deschamps, ou plutôt mademoiselle Rebours, morte en 1653, à Bourges; plus haut, page 354), qui étoit à moi, est là, dites-lui que je crois qu'elle ne m'oublie pas en ses prières, et qu'elle a encore souvenance de moi; priant Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.
«Henriette Marie, R.»
DE LA MÊME A LA MÊME.
«A la mère Magdelaine.
«Ma mère, je vous écris cette lettre pour vous prier de continuer à prier Dieu pour moi, et pour vous dire que nous avons un couvent de l'Incarnation aussi bien que vous, mais nous ne nous acquittons pas trop bien de notre règle; nous ne fesons que voyager, et notre couvent ne nous suit point; M. de Bérulle qui est ici nous en dispencera. J'espère, avec l'aide de Dieu, qu'il y en aura tout à bon un jour; j'ai la plus grande joye du monde quand j'en parle. Faites mes recommandations à toutes vos bonnes sœurs et à votre général. Je finirai ma lettre en vous assurant que je suis, ma mère, votre affectionnée fille,
«Henriette Marie, R.»
DE LA MÊME A LA MÊME.
«A la mère Magdelaine.
«Ma mère, j'ai reçu la lettre que vous m'avez écrite par laquelle je vois le soin que vous avez de prier Dieu pour moi. Je vous en remercie bien fort, et vous prie de continuer, car l'on en a grand besoin en ce pays. J'envie votre bonheur de voir M. de Bérulle. Je l'ai laissé aller à mon regret, mais ce ne sera que pour un mois tout au plus. Je vous dirai que nous fesons un petit couvent qui sera tout comme celui des vraies Carmélites en petit, mais j'espère, avec l'aide de Dieu, que quelque jour il y en aura un tout à bon. Priez bien Dieu pour cela, ma chère mère, je vous en prie, car si cela étoit, je m'estimerois la plus heureuse personne du monde. Je vous prie de faire mes recommandations à la mère Marie de Jésus (Mmede Bréauté). Adieu, ma mère, priez Dieu pour moi.
«Henriette Marie, R.—Ce 25 aoust 1625.»
DE LA MÊME SUR LA MÊME.
(Une main ancienne a écrit: 1637.) «A la Révérende mère Marie de Jésus. (Mmede Bréauté), prieure des Carmélites à Paris.»
«Ma R. mère, le SrDigby m'ayant aporté une lettre de vous, j'ai été bien aise de la même occasion pour vous remercier du soin que vous prenez de moi en vos bonnes prières, et aussi vous prier de vouloir continuer. J'ai entendu la mort de la bonne mère Magdelaine avec beaucoup de ressentiment de la perte que nous avons faite; mais elle est si heureuse dans le ciel que c'est une consolation très grande pour tous ceux qui l'aimoient comme je le fais. Elle priera Dieu pour moi là où elle est; et vous, je vous prie de le faire aussi et toutes vosbonnes sœurs à qui je me recommande, priant Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.
«Votre bien bonne amie,Henriette Marie, R.»
DE LA MÊME SUR LA MÊME.
Une main ancienne: «30 avril 1647. La Reine d'Angleterre étoit lors à Paris. Elle écrit à la mère prieure (en 1647 c'était la mère Marie Madeleine de Jésus):»
«Ma mère, ce n'est pas d'aujourd'hui que je vois l'incertitude des choses de ce monde dans ma condition. Lorsque je vous quittai dimanche, je croyois être fort assurée de ne point voir la comédie, et cejourd'hui de vous aller voir; et néanmoins je fis hier l'un, mais par obéissance aux commandements de la Reine; et pour l'autre je suis très fâchée que je ne le ferai point, ne me portant pas bien, ayant une petite maladie qui n'est pas propre à sortir de la maison. Je ne sais si ce n'est point ce mauvais temps qui en soit en partie la cause; mais je vous assure qu'il ne m'eût pas empêché de vous aller voir sans l'autre accident. Je vous prie de prier Dieu pour moi sur le tombeau de la bonne mère Madeleine, à ce qu'elle veuille avoir soin de mes affaires après sa mort comme elle a eu en sa vie. Avec cela je finis et je suis, ma mère, votre bien bonne et affectionnée amie,
Henriette Marie.
Mardi, à dix heures, 30 avril.»
Voici la vie que nous avons promise de la mère Marie de Jésus, Mmede Bréauté, avec sa circulaire après sa mort par la mère Agnès, Mllede Bellefond:
«La mère Marie de Jésus, fille de M. de Sancy, de la maison de Harlay, et de Marie de Moreau, naquit à Paris le 8 mai 1579. Son père étoit de la religion prétendue réformée, et sa mère très bonne catholique. Par le contrat de mariage, il avoit été réglé que les enfants mâles embrasseroient la religion du père et les filles celle de la mère. Celle dont nous parlons fut nommée sur les fonts Charlotte, et eut pour parrain M. le premier président, son oncle, et pour marraine Mmede Belleassise, sa tante. On lui donna pour gouvernante une fille qui, sous l'apparence de catholique, étoit huguenote dans le cœur. A lareligion près, cette fille étoit très capable d'élever des enfants; mais comme le dernier de ses soins étoit d'inspirer de la vertu, notre jeune enfant, dont l'esprit étoit fort avancé, ne fut pas longtemps sans s'apercevoir des sentiments de la gouvernante, desquels, par une miséricorde infinie, Dieu lui donna une telle frayeur que, pour s'en garantir, elle récitoit tous les jours quatre fois l'oraison suivante: «Monsieur saint Matthieu, monsieur saint Marc, monsieur saint Luc, monsieur saint Jean, les quatre évangélistes de Dieu, soyez à ma garde et à ma défense, préservez-moi de tout mal présent et à venir.» Notre vénérable mère disoit depuis: «Je ne sais où j'avois pris cette prière, mais quand je l'avois dite, il me sembloit que nul mal ne me pût arriver.» A l'appréhension d'être séduite par de mauvais principes se joignoit le désir le plus ardent d'être instruite des vérités de notre foi. Ne trouvant personne dans la maison de son père de qui elle pût recevoir ce secours, elle s'avisa, n'étant encore âgée que de neuf à dix ans, de se dérober quelquefois pour aller, dans une église voisine, entendre le sermon; mais la crainte d'être reprise, si on s'en apercevoit, l'empêcha de continuer.Après une pareille éducation, on ne doit pas être surpris que cette jeune enfant ne fût occupée que des divertissements ordinaires aux personnes de son âge, et que son soin principal fût de chercher à plaire et à s'attirer l'estime et l'attention de sa famille et des personnes qui la visitoient. Cependant Dieu, qui avoit des desseins particuliers de miséricorde sur cette âme, ne l'abandonna pas; sa gouvernante, pour couvrir les apparences, l'avoit fait confesser plusieurs fois, mais sans lui donner, comme on le peut penser, aucune instruction solide sur cette grande action. Mllede Sancy avoit des inquiétudes continuelles sur ces sortes de confessions, et ne sachant comment mettre son esprit en repos, elle s'adressa à un ecclésiastique ami de monsieur son père, et, lui ayant confié ses peines à ce sujet, il lui donna un livre qui contenoit un examen très étendu, l'assurant qu'elle y trouveroit non-seulement les instructions nécessaires, mais aussi la connoissance des péchés qu'elle avoit commis; elle reçut ce présent avec la plus grande reconnoissance et crut ne pouvoir rien faire de mieux que de porter son livre au confesseur et de faire la lecture dudit examen au prochain confesseur qu'elle rencontra, se persuadant, disoit-elle dans la suite, que dans les péchés qui y étoient compris, ceux qu'elle avoit commis s'y trouveroient sans doute, et qu'enfin elle seroit tranquille à ce sujet. Le confesseur l'écouta sans l'interrompre, et, sans lui donner aucune instruction, lui donna l'absolution et quelques prières pour pénitence. Elle avoit alors quatorze ans, et lorsqu'elle racontoit depuis cette aventure, levant les yeux au ciel, disoit: «Le confesseur et moi étions aussi savants l'un que l'autre. Oh! que Dieu fait une grande grâce aux enfants de leur procurer de l'instruction dans leur jeunesse.»Mllede Sancy ne fut pas longtemps sans s'apercevoir que cette confession n'étoit pas plus propre à la tranquilliser que les précédentes; mais la Providence qui veilloit sur elle lui donna occasion de connoître monsieur Duval[562]dont elle avoit entendu parler comme d'un directeur très éclairé. Ce grand homme lui fit faire une confession générale et lui donna des leçons qui furent comme la semence de la sainteté où Dieu la destinoit. Commençant à être désabusée de la vanité du monde, elle s'appliqua à faire régulièrement sa prière matin et soir; mais la lumière de la grâce étant encore foible en cette âme, elle se persuadoit être fort vertueuse, ne se trouvant pas chargée de ces péchés grossiers dont les âmes bien nées ont de l'horreur; pour les autres fautes, elle s'en mettoit peu en peine, n'en connoissant pas le danger.Le temps destiné de toute éternité pour la conversion de monsieur son père étant arrivé, on ne peut exprimer quels furent ses sentiments. Depuis longtemps, ce moment heureux étoit l'objet de ses plus ardents désirs, car elle ne pouvoit penser sans la plus amère douleur qu'un père qu'elle aimoit si tendrement et dont elle étoit aimée réciproquement, vivoit dans une religion qui lui fermoit la porte du ciel. Cette conversion fut suivie de près de celle de messieurs ses frères. L'aîné succéda aux charges de monsieur son père et ne lui survécut que très peu de temps; le second employé dans les ambassades, de retour en France, entra dans la congrégation des pères de l'Oratoire, sous le nom du père de Sancy; le dernier, connu sous le nom de baron de Palemort, fut employé dans les armes où il s'attira beaucoup de réputation pour sa valeur et sa prudence. Le père de Sancy, pénétré du bonheur de sa vocation, le sollicitoit sans cesse de quitter le monde; mais cette grâce étoit réservée à l'impression que devoit faire sur lui l'entrée de sa sœur aux Carmélites, comme nous le verrons dans la suite.M. de Sancy le père, après avoir marié sa fille aînée à M. le marquis d'Alincourt, songea à établir celle dont nous écrivons la vie. Entre plusieurs partis avantageux, celui qui lui parut le plus convenable fut M. le comte de Curton. Le contrat fut dressé et les articles signés. Mais quelque temps après, la jeune demoiselle sentit pour cette alliance une si grande opposition qu'elle résolut de la rompre. Elle s'en ouvrit d'abord à un de messieurs ses oncles, le conjurant de disposer monsieur son père à cette rupture; celui-ci, bien loin de s'en charger, représenta à Mllede Sancy les malheurs qu'une telle détermination pourroit causer dans sa famille, ce jeune homme n'étant pas de caractère à souffrir impunément un tel affront. Se voyant sans ressource du côté de monsieur son oncle, elle se résolut de parler elle-même à monsieur sonpère, et lui exposa en des termes si respectueux et si forts l'éloignement qu'elle avoit pour cette alliance qu'il se rendit à ses désirs, à condition qu'elle prendroit sur elle le soin de cette affaire. Depuis ce consentement obtenu, Mllede Sancy étoit aussi impatiente de revoir M. le comte de Curton qu'elle l'appréhendoit auparavant. Dès la première entrevue, après quelques compliments de civilité, elle le supplia de trouver bon que les articles du contrat qui avoient été passés fussent regardés comme nuls, sans lui en donner d'autre raison que l'impossibilité où elle se trouvoit de vaincre sa répugnance à s'engager. Après plusieurs répliques de part et d'autre, les articles furent jetés au feu en présence des deux parties. Ce jeune seigneur étoit si persuadé que cela venoit absolument de Mllede Sancy, que cela ne diminua rien de l'union qui étoit entre les deux familles. Il se passa plus d'un an sans qu'il fût question d'un autre établissement. Ce temps écoulé, M. de Bréauté la demanda à M. de Sancy; ce bon père ne trouvant point en sa fille d'opposition à cette alliance, les articles furent signés, mais le mariage fut différé d'une année, le marquis étant obligé de se rendre à l'armée où ses emplois exigeoient sa présence. A son retour le mariage fut conclu, et peu de temps après il retourna à l'armée. A peine y étoit-il arrivé qu'il fut rappelé à Paris, Mmede Bréauté étant tombée dangereusement malade; elle demanda avec instance le saint viatique, et après l'avoir reçu avec les dispositions les plus édifiantes, elle s'endormit très profondément. Le marquis, avec toute sa famille, attendoit son réveil avec autant de crainte que d'espérance; ils furent tous surpris agréablement de la trouver si bien que le médecin jugea qu'elle n'étoit plus en danger. M. de Bréauté, ayant demeuré quelque temps à Paris, fut obligé de retourner à ses emplois; sa peine fut d'autant plus grande qu'en faisant ses adieux à une épouse qu'il aimoit si tendrement, il avoit un pressentiment que c'étoit la dernière fois qu'il avoit la consolation de la voir; en effet, il mourut en Flandre[563]dix-huit mois après son mariage, laissant Mmede Bréauté dans la plus vive affliction: il resta de cette alliance un fils qui fut remis entre les mains de son aïeule.Notre jeune veuve, sans faire profession dans son veuvage d'une vie austère, se conduisoit de manière à faire connoître qu'elle ne penseroit jamais à un second mariage, quoiqu'elle ait assuré depuis qu'elle n'avoit pris sur cela aucune résolution. L'année de son deuil expirée, elle retrancha quelque chose des règles de conduite qu'elle s'étoit prescrites, et se rengagea peu à peu dans les amusements ordinaires aux personnes nées dans la grandeur et l'opulence; et la piété dont elle avoit fait profession ne consista bientôt plus qu'à ne point contreveniren choses considérables aux commandements de Dieu. Malgré son penchant pour les amusements frivoles, elle donnoit beaucoup de temps à la lecture; ce n'étoit pas à la vérité des livres de piété; mais elle s'abstint toujours des mauvais, comme romans, comédies et autres, pour lesquels elle avoit un si grand mépris qu'elle ne pouvoit comprendre que des personnes raisonnables en fissent leur amusement.La bonté infinie de Dieu, qui se sert souvent de nos propres inclinations pour nous rappeler à lui, permit que celle qu'avoit notre jeune veuve pour la lecture lui donnât l'envie de lire les œuvres de sainte Thérèse. On le lui avoit déjà conseillé, et le désir qu'elle avoit d'apprendre à faire l'oraison lui en fit prendre la résolution. Sur ces entrefaites, ses affaires l'ayant obligée d'aller en Normandie, elle les apporta dans l'espérance que cette lecture, jointe à la séparation de la vie tumultueuse qu'elle menoit à Paris, lui feroit faire quelque progrès dans la vie spirituelle.Les ouvrages de cette grande sainte, qui ont été pour tant d'âmes le commencement de leur conversion, firent une vive impression sur Mmela marquise de Bréauté. Mais étant venue à l'endroit où cette savante maîtresse parle de chercher Dieu dans soi-même, elle demeura dans le dernier étonnement; non-seulement cette grande maxime lui parut incompréhensible, mais elle fut pour elle l'occasion de la plus violente tentation: elle s'imagina ne plus croire en Dieu, et la pensée lui en revenant sans cesse, peu s'en fallut qu'elle ne tombât dans le désespoir, n'étant plus à ses yeux qu'une incrédule et une athée. Cependant la main de Dieu la soutenoit sans qu'elle s'en aperçût, et sa fidélité à la prière, tout le temps que dura le combat, la rendit enfin victorieuse. Elle n'abrégea jamais d'un moment le temps qu'elle s'étoit prescrit de donner à l'oraison, et se renouvela dans l'exactitude à tous ses autres devoirs. Sa patience et sa fidélité dans cette grande épreuve furent récompensées non-seulement par la fin de cette violente peine, mais la plus vive lumière succéda aux ténèbres; elle comprit dans un moment la demeure de Dieu dans l'âme, et toutes les idées qui se présentoient à son esprit ne servoient qu'à l'en convaincre de plus en plus. La prière de saint Augustin lui devint familière; elle répétoit sans cesse:Seigneur, que je vous connoisse et que je me connoisse. Dans le même temps, étant un jour en prière dans sa chambre, elle se sentit frappée d'une lumière intérieure qui lui rendit si présente cette majesté infinie que, prosternée la face contre terre, elle auroit voulu descendre jusqu'au fond des abîmes, pour s'anéantir devant cet être suprême qu'elle conjura un temps considérable d'avoir pitié d'elle et de lui donner place dans sa maison.On vit alors Mmede Bréauté retrancher une grande partie de ses divertissements, du temps qu'elle donnoit à recevoir les compagnies, de ses promenades et autres plaisirs même innocents, donnant au travail,à ses lectures, et surtout à l'oraison tout celui qu'elle auroit employé autrefois à ces sortes de satisfactions. Ce commencement de réforme ne se faisoit qu'avec de grandes violences, ce qui lui faisoit appréhender de ne pas persévérer. Un accident arrivé devant ses yeux ne contribua pas peu à fortifier ses résolutions. Ayant été obligée pour sa santé d'aller prendre les eaux de Spa, plusieurs personnes de qualité s'y trouvèrent dans le même temps. On proposa un jour d'y danser pour aider à l'effet des remèdes. Notre jeune veuve fut si vivement sollicitée d'être de la partie, qu'elle se laissa vaincre; quelques moments après, il fit un grand tonnerre; dès le premier coup, elle voulut quitter; un gentilhomme qui lui donnoit la main, se moquant de sa frayeur, en fit le sujet de ses railleries; mais au même instant la foudre tombant tua cet homme au milieu de la compagnie. On peut juger de la frayeur que causa ce terrible accident, Mais Mmede Bréauté n'en resta pas là: faisant réflexion au jugement de Dieu auquel cet homme venoit de se trouver en un instant, elle conclut à prendre tous les moyens possibles pour mener une vie plus régulière. De retour à Paris, l'on reçut en France la bulle du Jubilé de 1601: elle résolut de faire ses efforts pour profiter d'une si grande grâce, et commença par se disposer à faire une confession générale à M. Cospean, homme de grande réputation, et depuis évêque de Lisieux; ce qu'ayant fait, ce digne ministre lui parla si fortement du devoir des veuves, qu'elle commença dès lors à retrancher des habits ce qui tenoit trop de la vanité, et ajouta à cette mortification celle de se lever tous les jours à six heures du matin, pratique qui ne lui coûta pas peu, mais dont le sacrifice lui mérita de nouvelles lumières sur le danger de la vie du monde et le bonheur de la vie religieuse. Elle communiqua ses pensées à ce sujet à un ecclésiastique auquel elle se confessoit quelquefois. «Voilà, Madame, lui dit-il, où je vous attendois depuis longtemps, ne doutant pas que de tant de bonnes pensées que Dieu vous donne, il ne s'en trouvât quelqu'une qui vous portât à sortir du monde. Il n'est pas nécessaire cependant de changer de condition, la vôtre peut compatir avec les moyens que vous pouvez choisir pour vous sauver.»Ce discours flattoit trop les inclinations de Mmede Bréauté pour demander des avis à d'autres, et le seul usage qu'elle fit de ces bonnes pensées fut de la fortifier dans la résolution de vivre en bonne chrétienne. Quelque temps après, ayant été faire ses dévotions aux Capucins, et s'étant retirée dans le coin de l'église pour y faire son action de grâces, elle y employa trois heures sans s'en apercevoir. Au sortir de cette oraison, où elle avoit éprouvé les plus fortes impressions de la grâce, ses pensées pour la vie religieuse se renouvelèrent; la sainteté des filles de l'Ave-Maria la frappa; elle conçut le désir d'y entrer quoiqu'elle les regardât comme les martyrs d'une pénitence dont la pensée la faisoit frémir. Elle en fut occupée pendant plusieurs jours et nequitta ce premier projet que pour en suivre un autre que lui avoit fait naître la lecture des œuvres de sainte Thérèse: ce fut d'entrer dans l'ordre des Carmélites. Elle étoit irrésolue sur le choix de ces deux ordres. Après bien des réflexions, elle se décida enfin pour ce dernier, y trouvant avec bien des austérités une certaine vie intérieure que cet ordre avoit reçue comme en dépôt de sa sainte fondatrice. L'exécution de ce projet souffroit cependant de grandes difficultés: l'ordre des Carmélites étoit encore renfermé dans les limites de l'Espagne; il lui en coûtoit pour se résoudre à s'éloigner si fort de sa patrie; sa ressource fut d'espérer, non que cet ordre passeroit en France; elle ne le croyoit pas possible; mais qu'il s'approcheroit des frontières et qu'il y auroit des maisons assez voisines pour y pouvoir entrer. Cette pensée, jointe à plusieurs peines intérieures dont elle fut travaillée pendant huit mois, lui causa un grand mal de tête qui ne lui laissoit aucun repos; cela pensa la rebuter entièrement du parti de la retraite qu'elle avoit pris, s'imaginant de plus qu'elle ne faisoit aucun progrès dans la vie spirituelle. Mais Dieu ne permit pas qu'elle suivît ces pensées dangereuses et lui en inspira de plus salutaires; ce fut de chercher un guide qui, par ses conseils, la conduisît dans les voies où il plairoit au Seigneur de la faire marcher. Fidèle à ce mouvement, elle s'adressa à Mllede Sainte-Beuve, qui étoit en grande réputation de vertu, et lui exposa ses peines avec grande confiance. Cette demoiselle, se méfiant de ses lumières, lui conseilla de voir MlleAcarie, lui en parlant comme d'une âme rare en mérite.Notre jeune veuve saisit ce conseil; il ne fallut pas un long temps à MlleAcarie pour connoître que Dieu destinoit cette âme à la plus haute perfection, ce qui l'engagea à lui donner tous ses soins. Elle commença par lui faire une méthode d'oraison qui lui parut aisée et ne contribua pas peu à dissiper le mal de tête dont nous avons parlé. Il se forma entre ces deux grandes âmes la liaison la plus étroite et la plus sainte, Mmede Bréauté ayant pour MlleAcarie toute la docilité et la soumission d'une novice, et MlleAcarie tous les ménagements d'une maîtresse sage et discrète qui ne veut pas effrayer un esprit qui n'est pas encore pleinement affermi dans les voies de Dieu. Dans cette vue, elle passa quelque temps sans rien prescrire à cette nouvelle disciple sur son habillement; mais un jour qu'elle lui demanda la permission de faire quelque pénitence: Je crois, Madame, répondit sa savante maîtresse, que la plus agréable que vous puissiez faire aux yeux de Dieu seroit de réformer vos habits en en retranchant les vains ornements. Dès le même jour, cela fut exécuté malgré la plus forte répugnance, ne s'attendant à rien moins qu'à devenir le sujet de la raillerie du public, car poussant plus loin l'avis qui lui avoit été donné, elle se mit d'une manière qui ne pouvoit convenir qu'aux femmes les plus âgées, quoiqu'elle n'eût alors que vingt-deux ou vingt-trois ans. Les occupationsde ses journées répondoient à la réforme de ses habits; elle se levoit tous les jours à six heures du matin, faisoit ensuite une heure d'oraison, et se rendoit à l'église où elle restoit jusqu'à onze heures; l'après-midi, elle alloit à vêpres et le reste du temps se passoit à lire et faire quelques bonnes œuvres. Le projet qu'elle avoit eu de se faire Carmélite ne l'occupoit cependant plus que faiblement, lorsqu'étant allée voir MlleAcarie, et l'entendant parler de l'établissement de cet ordre qu'elle méditoit de procurer à la ville de Paris, elle dit d'un ton fort indifférent qu'elle avoit eu autrefois envie d'entrer dans cet ordre: D'où vient, reprit MlleAcarie, que vous ne l'avez plus? Mmede Bréauté répondit qu'elle ne s'y croyoit pas propre, que la vie en étoit trop austère, et qu'elle se contentoit de son état. Mais, répliqua MlleAcarie, si Dieu vous y appelle, pensez-vous qu'il vous soit permis de résister? il est plus important que vous ne croyez de répondre à sa voix, et vous devez y réfléchir.Jusqu'ici la pénitence de notre jeune veuve consistoit à jeûner tous les vendredis et à retrancher de ses repas ce qui flattoit le plus son goût; mais par les conseils de Dom Beau-Cousin, chartreux, célèbre par sa piété et ses lumières, elle commença à se revêtir d'un cilice, et poussa en tous genres ses pénitences si loin que ce sage directeur fut obligé d'y mettre des bornes. Non contente de la pénitence corporelle, elle s'appliqua à vaincre en tout sa délicatesse et ses inclinations, et s'interdit la liberté de se plaindre de ce qui pouvoit lui causer quelque incommodité, comme du chaud et du froid dont elle ne cherchoit pas même à se défendre. Elle s'échappa néanmoins une fois de dire que le froid étoit excessif. MlleAcarie, qui étoit présente, lui dit qu'il ne falloit pas ainsi se vanter de ce que l'on souffre; elle profita si bien de cette leçon qu'elle devint la personne du monde la plus patiente. En voici une preuve: Étant allée à la campagne dans un temps d'hiver où tous les chemins étoient rompus, un gentilhomme qui accompagnoit son carrosse avança sans prendre garde que l'équipage ne suivoit pas. Le cocher ayant pris un chemin détourné, s'embourba de façon qu'il ne put se débarrasser qu'avec beaucoup de peine. Il étoit onze heures du soir lorsqu'elle sortit de ce mauvais pas. La demoiselle qui l'accompagnoit, voyant que son écuyer les laissoit dans l'embarras, sans leur donner aucun secours, lui dit: Je ne m'étonne pas, Madame, que vous soyez si mal servie, puisque vous ne vous plaignez de rien; mais au moins, pour cette fois, j'espère que vous direz quelque chose pour faire voir que vous ne trouvez pas bon que l'on vous laisse ainsi. Elle ne répondit rien, et à peine parut-elle par la suite se souvenir de l'aventure; car se trouvant indigne d'être servie, elle ne pouvoit croire qu'on dût avoir pour elle aucune considération.Dans de si saintes dispositions, Mmede Bréauté fut obligée de conduire une de Mesdemoiselles ses sœurs à Montivilliers pour y êtrereligieuse. Entrant dans l'église, elle lut ces paroles: Père Saint, conservez ceux que vous m'avez donnés afin qu'ils soient un comme nous sommes un. Elles répandirent une si grande lumière dans son âme que faisant réflexion sur les obstacles que l'on trouve dans le monde à cette admirable union avec Dieu, elle conçut le désir d'entrer sur-le-champ dans ce monastère. Le désir fut accompagné d'une grande abondance de larmes; mais Dieu qui la destinoit au Carmel permit qu'elle en différât l'exécution.La vie édifiante que menoit Mmede Bréauté dans le monde ne laissoit aucun doute qu'elle ne resteroit pas dans le siècle. C'est ce qui porta différentes personnes de piété à faire des efforts pour l'attirer dans les couvents qu'elles protégeoient, ce qui ne servit qu'à troubler son esprit. Néanmoins son amour pour les Carmélites prévalut et devint si ardent qu'elle en étoit elle-même surprise, d'autant que personne ne lui en parloit. «Je ne me reconnois plus, disoit-elle, je ne sais d'où vient ce grand éloignement du monde, et cette pente qui m'attire au service de Dieu. Qu'il est bon de faire de si grandes grâces à sa créature, lorsqu'elle y pense le moins! Il n'y a que sa main seule qui puisse ainsi changer mon cœur et le porter à embrasser une vie dont j'avois un si grand éloignement, n'y pensant jamais qu'avec frayeur et ne regardant les religieuses que comme des personnes condamnées à une étroite prison; ce changement n'est dû qu'à la droite du Très-Haut, et lui seul a pu d'un cœur tout pénétré de l'amour du monde en faire un qui n'aspire qu'au bonheur d'y renoncer entièrement.» On ne peut exprimer quelle fut la consolation de MlleAcarie de voir enfin les irrésolutions de Mmede Bréauté entièrement dissipées; leur union devint encore plus complète; tout leur devint commun, mêmes prières, mêmes affections, mêmes désirs et même zèle pour faire réussir le grand projet de l'établissement des Carmélites en France. Elles firent ensemble plusieurs pélerinages, tantôt à Notre-Dame-des-Vertus, tantôt à Montmartre, à Notre-Dame-des-Champs pour recommander à Dieu cette affaire. Elles ne passoient pas un jour sans se voir, et MlleAcarie ne quittoit jamais Mmede Bréauté sans être édifiée de sa correspondance à la grâce, et sans une nouvelle espérance qu'elle seroit un jour l'ornement et la gloire de ce nouvel établissement.Pendant que l'on travailloit en Espagne pour avancer ce grand ouvrage, elles travailloient l'une et l'autre aux préparatifs nécessaires pour la réception des mères espagnoles. MlleAcarie, étant sous la puissance de son mari, employoit Mmede Bréauté aux choses où elle ne pouvoit donner tout le temps qu'elle eût pu souhaiter, comme d'entretenir les jeunes demoiselles qui se présentoient pour être Carmélites, ou à régler ce qui concernoit le bâtiment du monastère. Monsieur Acarie n'étant pas toujours de bonne humeur, pour l'adoucir Mmede Bréauté le menoit à la promenade dans son carrosse, afin de donner le tempsà son amie de vaquer aux affaires que sa capacité lui attiroit de toutes parts, et elle le gagna si bien qu'il s'employoit lui-même aux choses qu'il avoit désapprouvées. Il étoit si satisfait de la conversation de Mmede Bréauté qu'il disoit quelquefois à sa femme: Au moins ne faites pas de Mmela marquise de Bréauté une Carmélite.La résolution de Mmede Bréauté combla de joie monsieur de Bérulle. Mais en attendant les mères espagnoles, elle voulut faire un voyage en Normandie pour voir son fils. Cet enfant, qui n'avoit que six ans, sembla se surpasser par ses petites manières douces et caressantes, capables d'attendrir les cœurs les plus insensibles. Madame sa mère n'étoit pas de ce nombre; elle avoit pour ce fils unique la plus vive tendresse; mais la grâce lui avoit appris à régler les mouvements de son cœur. La veille de son départ, elle s'enferma seule avec cet objet si cher, le prit entre ses bras, et ayant arrosé son visage de ses larmes, elle l'offrit à Dieu comme le sacrifice le plus tendre de son cœur, disant: «Seigneur qui voyez cet enfant sans secours, lui ôtant son père vous l'avez privé de celui qu'il pouvoit attendre des hommes; ayez-en donc pitié, et tenez-lui lieu de père pour le faire élever selon votre esprit, c'est tout ce que je vous demande pour lui.» Elle le mit aussi sous la protection de la sainte Vierge, l'embrassa de bien bon cœur, et, après lui avoir donné sa bénédiction, le remit entre les mains de ceux qui devoient en avoir soin pour ne le plus revoir dans le monde.Il lui restoit encore un grand obstacle à vaincre. Monsieur de Sancy son père ne savoit rien de son dessein; son premier soin, revenant de Paris, fut de prendre un logement près de lui afin d'être à portée, le voyant souvent, de le disposer avec précaution à porter le coup que sa tendresse pour sa fille devoit lui rendre si rude.En même temps, les mères espagnoles arrivèrent à Paris. Mllede Longueville, Mmede Bréauté, MlleAcarie furent au-devant d'elles et entrèrent dans la maison qui leur avoit été préparée le 18 octobre 1604. Quelques jours après, notre fervente veuve fut présentée comme une des principales qui désiroient être reçues. La mère Anne de Saint-Barthélemy, à qui Dieu l'avoit fait connoître avant son départ d'Espagne, ainsi que Mllede Fontaines, la reconnut à la première entrevue et le déclara sur-le-champ. Les mères ne balancèrent pas à leur accorder à l'une et à l'autre leurs suffrages. Cependant MlleAcarie fut d'avis que Mmede Bréauté ne quittât pas monsieur son père sans son consentement; elle ne pensa donc plus qu'à tâcher de l'obtenir. Elle lui parloit souvent du mérite des mères Carmélites et surtout de leur talent à bien réciter l'office divin. Il faut, lui dit-il, que vous m'y meniez demain. Le père Coton, lui répondit Mmede Bréauté, y prêchera; vous pourriez l'y aller entendre. Il y consentit; étant à l'église, il remarqua sur le visage de sa fille un je ne sais quoi qui lui donnaquelques pressentiments de son dessein. Il en parla le lendemain au père Coton qui étoit venu dîner chez lui, mais d'un ton qui marquoit assez son opposition. Le père Coton raconta le tout à monsieur de Bérulle et à MlleAcarie qui tous deux conseillèrent à Mmede Bréauté de redoubler ses prières et d'employer tous les moyens que la prudence lui suggéreroit pour fléchir monsieur son père. Dieu bénit ses démarches, et après des résistances telles qu'une vertu moins héroïque que la sienne auroit cédé, elle toucha et persuada si bien ce tendre père qu'il se chargea d'apprendre lui-même à Mmede Sancy, son épouse, le consentement qu'il venait d'accorder à sa fille; et versant un torrent de larmes, il lui dit qu'il craindroit de s'opposer à la volonté de Dieu s'il la retenoit davantage.On ne vit jamais un père plus désolé que ne le fut monsieur de Sancy, après qu'il eut donné ce consentement; et ne pouvant soutenir plus longtemps les cruels combats que lui livroit sa tendresse, il conjura sa fille d'avancer le jour de son entrée en religion, croyant trouver par là un adoucissement à sa douleur. Vous me faites mourir, lui disoit-il, et je ne fais plus que languir. Son affliction étoit si sensible que son frère s'en aperçut et qu'il s'emporta fortement contre sa nièce, ce qui ayant été rapporté à monsieur de Sancy, il l'en reprit, ne pouvant souffrir qu'on fît la moindre peine à sa fille.Le jour de son entrée fut enfin fixé au 8 décembre, jour de la Conception de la sainte Vierge. Quelques jours avant, se trouvant seule dans son carrosse et pensant au sacrifice qu'elle étoit sur le point de faire, il lui vint en souvenir toutes les grâces qu'elle avoit reçues de Dieu et la conduite miséricordieuse qu'il avoit tenue sur elle; elle comprit dans ce moment que tout ce qui s'étoit passé dans sa vie étoit un acheminement au point où elle se trouvoit arrivée, que toutes les afflictions et les disgrâces, dont elle ne connoissoit pas auparavant la fin, avoient été les ressorts dont Dieu s'étoit servi pour la détacher du monde; en même temps, ce verset du psalmiste se présenta: Sacrifiez à Dieu un sacrifice de justice et mettez désormais toute votre confiance en lui. Ces paroles, disoit-elle depuis, firent sur moi une très forte impression et me faisoient comprendre que mon sacrifice devoit être entier et que je devois être une victime, sacrifiée non-seulement par les œuvres, mais par état, qu'il falloit s'immoler une bonne fois et cesser d'être aux yeux du siècle pour ne vivre qu'à ceux du roi des siècles éternels.La veille du jour que Mmede Bréauté devoit entrer aux Carmélites étant arrivée, elle passa la journée chez monsieur son père pour lui faire ses derniers adieux, ce qui ne se fit pas sans bien des larmes répandues de part et d'autres. Ce bon père et Mmede Sancy voulurent la conduire eux-mêmes aux Carmélites; ils s'y rendirent à quatre heures du matin, accompagnés de Mllede Longueville, de Mmed'Alincourt,sa sœur, de Mmede Belleassise, sa tante, de Mllede Sainte-Beuve, de MlleAcarie, de monsieur de Sainte-Beuve, de monsieur de Marillac et monsieur de Bérulle qui se trouvèrent à la porte du monastère pour être les témoins d'un sacrifice si édifiant. Les mères espagnoles étoient en cérémonie; voici comme elle rapporte elle-même cette circonstance: «Je me mis à genoux devant mon père, lui demandant sa bénédiction; mais au lieu de me la donner il pensa tomber de douleur, étant dans un tel saisissement qu'il ne me répondit rien; il avoit son chapeau devant son visage, se cachant le mieux qu'il pouvoit. Pour moi, Dieu me donna une telle force que je ne jetois pas un soupir ni ne versois une larme, malgré la tendresse que j'avois pour mon père, tant étoit grande ma joie d'entrer enfin dans la maison de Dieu; je demeurai longtemps à genoux sans qu'il pût ouvrir la bouche, de sorte que je fus forcée d'entrer sans avoir sa bénédiction.»Elle fut conduite au chœur où elle fut revêtue du saint habit, en présence des personnes qui l'avoient accompagnée. Monsieur le duc de Montpensier, prince du sang, et plusieurs autres personnes de qualité avoient souhaité de s'y trouver; mais ils arrivèrent trop tard. Monsieur et Mmede Sancy demeurèrent au bas de l'église, accablés de douleur. La nouvelle novice étoit dans une disposition bien différente; elle se présenta à Dieu avec une joie qui ne peut s'exprimer que par ses propres termes que nous mettons ici: «Je veux l'habit de religion; ce que je dis avec un si grand transport de me voir ornée des livrées du fils de Dieu et de sa sainte mère, et dans une condition qui me rendoit leur esclave, que j'en ressentis une reconnoissance qui m'occupe encore fortement.»La sœur Madeleine de Saint-Joseph, novice depuis un mois, fut chargée de la conduire dans le monastère; ces deux saintes religieuses, après s'être entrevues, conçurent tant d'estime l'une pour l'autre que dès lors elles contractèrent une union qui a duré toute la vie. Sœur Marie de Jésus, c'est le nom qu'on donna à la nouvelle novice, devint bientôt pour sa compagne un modèle de toutes les vertus. Elle étoit déjà si fervente que rien ne lui paroissoit pénible des austérités attachées à la règle, ni de la pauvreté d'une maison si nouvellement établie, qui manquoit même des choses que l'on peut regarder comme nécessaires. Il n'y avoit pas de draps sur leur paillasse; mais seulement une couverture pour les couvrir; on peut juger par là du reste. Tout cela ne lui suffisoit pas encore, tant étoit grand son amour pour la pénitence. Elle parvint à si bien mortifier son goût, se nourrissant par préférence des choses pour lesquelles elle avoit de l'aversion, qu'elle auroit mangé les plus amères et les plus insipides sans en apercevoir la différence. Les mères espagnoles, voyant la vertu et la capacité de sœur Marie de Jésus, lui donnèrent peu après sa profession l'emploi de seconde infirmière, office dont elle s'acquitta avec ferveur,s'estimant heureuse de servir les malades dans les choses les plus mortifiantes et les plus viles. MlleAcarie lui demandant un jour si elle n'avoit pas de répugnance à ces choses, elle répondit qu'il ne lui étoit pas venu en l'esprit qu'on pût en avoir en rien de ce qui intéresse la gloire de Dieu, et qu'elle regardoit comme un bonheur d'avoir été jugée digne de servir les épouses de Jésus-Christ.Quelque temps après on lui ôta cet office pour la mettre provisoire; elle se comporta dans ce nouvel emploi avec tant d'humilité et de douceur et de mortification que son exemple servit d'instruction à celles qui avoient besoin de recourir à elle. Souvent elle aidoit les sœurs layes dans les choses les plus pénibles ou les faisoit elle-même pour les soulager.L'année de son noviciat étant écoulée, elle se prépara à faire sa profession avec les dispositions les plus saintes et les plus édifiantes. Il paroissoit en elle un désir si ardent d'être à Dieu par les vœux, qu'elle animoit toutes les novices ses compagnes; la crainte de n'être pas reçue, fondée sur le jugement qu'elle portoit de son indignité, lui fut un rude exercice, tandis que la communauté la regardoit comme un présent du ciel, capable de servir l'ordre et d'en être un des principaux soutiens. Elle fit ses vœux le 24 décembre 1605 et fut la sixième professe, en comptant sœur Andrée de tous les saints qui avoit fait ses vœux au lit de la mort. Ce fut entre les mains de la vénérable mère Anne de Saint-Barthélemy. Il seroit à souhaiter que cette sainte religieuse eût donné connoissance des grâces qu'elle reçut dans cette sainte action, mais celui qui en étoit l'auteur se l'est réservé et nous n'en avons pu rien apprendre.La mère Anne de Jésus, destinée pour aller fonder en Flandre, désira d'y être accompagnée de notre nouvelle professe, et la demanda avec instance aux supérieurs; mais ils ne crurent pas devoir priver la France d'un si grand et digne sujet, et la mère Anne de Saint-Barthélemy qui demeuroit prieure à Paris, s'y opposa fortement, disant à cette respectable mère, qui vouloit aussi emmener sœur Madeleine de Saint-Joseph, que ce seroit ôter le cœur et la tête du monastère.Dès que la mère Anne de Jésus fut partie, sœur Marie de Jésus fut élue sous-prieure d'une voix unanime. Ce fut la première élection qui fut faite dans les formes; jusque-là, il n'y avoit pas eu le nombre de religieuses suffisant pour donner leurs suffrages, selon l'usage de l'ordre. MlleAcarie apprit cette nouvelle avec joie, espérant que Dieu en tireroit sa gloire, et le monastère de grands avantages. Elle ne fut pas trompée; on ne peut rien ajouter aux soins qu'elle prit pour s'acquitter dignement de son nouvel emploi: elle s'appliqua surtout à faire observer parfaitement les cérémonies et tout ce qui concerne l'office divin, surtout la prononciation du latin, soutenant ses instructions par ses exemples et par son assiduité au chœur, ne pouvant comprendrequ'on s'y rendît et qu'on s'y comportât avec négligence. Après huit années passées dans l'exercice de cette charge avec l'approbation générale, elle fut élue prieure du consentement de toute la communauté. La mère Madeleine de Saint-Joseph à qui elle succéda la vit avec plaisir dans cette charge, sachant que cette sainte amie étoit destinée de Dieu conjointement avec elle pour soutenir les âmes dans la perfection religieuse; les effets répondirent à cette espérance: la nouvelle prieure cultiva avec succès les grâces que Dieu répandoit dans cette maison avec tant d'abondance, dès le commencement de cet établissement.Toutes les religieuses trouvoient en la mère Marie de Jésus un cœur de mère et une conduite remplie d'onction, de douceur, de charité; toujours prête à satisfaire le moindre de leurs besoins soit pour l'âme, soit pour le corps. Mais autant avoit-elle d'attention à les soulager dans leurs maladies, autant étoit grande son industrie pour les relever dans leurs foiblesses, lorsqu'elles désiroient des soulagements dont elles pouvoient aisément se passer. Son usage en ces rencontres étoit de leur témoigner beaucoup de compassion de leurs souffrances et de désirer de trouver les moyens de les soulager. Ensuite elle leur proposoit ce qui leur étoit convenable, sans paroître comprendre ce qu'elles désiroient et sans les faire expliquer, les portant à suivre son avis, toujours avec beaucoup de douceur; par ce moyen elles se trouvoient libres de la pensée qui les occupoit et soulagées de leurs incommodités. En voici une preuve: une jeune professe croyoit avoir besoin de faire gras pour se guérir d'un dérangement d'estomac; la mère, sans faire connoître qu'elle comprenoit sa pensée, lui fit donner pendant quelques jours des panades, selon que les médecins les ordonnent quelquefois pour ces sortes d'incommodités, lui faisant entendre que sans rompre l'abstinence, ce remède pouvoit la guérir. La malade les prit quelques jours malgré sa répugnance, et fut guérie parfaitement; elle disoit depuis qu'elle avoit pensé une infinité de fois que la mère lui avoit rendu un grand service en ne lui laissant pas satisfaire la nature, sous prétexte de charité.Le zèle de la mère Marie de Jésus pour l'avancement spirituel des âmes confiées à ses soins la tenoit dans une vigilance continuelle. Elle les portoit ordinairement avec douceur à remplir leur devoir par amour pour Jésus-Christ, mais elle y employoit la sévérité lorsqu'elle rencontroit des sujets difficiles à se rendre, reprenant les défauts sans déguisement et enseignant le droit chemin de la vertu, disant que ce n'étoit pas rendre service aux personnes que de leur cacher la vérité, mais que c'étoit les tromper, que toute âme qui a un vrai désir de la perfection ne doit rien tant désirer que d'être avertie et reprise de ses défauts. Notre sainte prieure n'entreprenoit rien d'important sans prendre l'avis de la mère Madeleine de Saint-Joseph. Elle avoit pourcette chère compagne toute la docilité d'un enfant envers sa mère, regardant ses conseils comme un moyen nécessaire pour gouverner utilement la communauté, consolation dont elle ne jouit pas longtemps, l'ordre de Dieu et l'avis des supérieurs ayant obligé la mère Madeleine de se rendre à Tours où la maison étoit nouvellement fondée. La mère Marie de Jésus soutint cette séparation avec un courage et une force d'esprit bien capables de faire connoître que cette étroite union venoit de la grâce et que la nature n'y avoit aucune part. Elle fit mettre en prière toute la communauté pour recommander à Dieu le voyage et lui demander que le couvent de Tours profitât de la grâce que Dieu lui faisoit en lui envoyant une telle mère.La mère Marie de Jésus, pendant cette absence, régissoit la maison, au nom et en l'esprit de Jésus-Christ avec une vigilance universelle, entrant dans les moindres détails, assistant avec la plus grande exactitude aux heures de communauté, n'oubliant rien de ce qui pouvoit maintenir la régularité, ne tolérant jamais ce qui pouvoit introduire le plus léger relâchement, surtout au silence et à la promptitude à se rendre aux heures de communauté, et que sans une grande nécessité et une expresse permission on demeurât plus d'une demi-heure au parloir, recommandant fort que le temps y fût bien employé. Elle veilloit sur tous les offices, mais particulièrement sur celui de l'infirmerie, afin que, donnant aux malades ce qui leur étoit nécessaire, on évitât le superflu que la nature pouvoit demander par délicatesse, suivant, en cela comme en tout le reste, ce qu'elle avoit vu pratiquer aux mères espagnoles.La mère Madeleine de Saint-Joseph, après avoir donné à Tours le temps nécessaire pour le bien de cette maison naissante, revint en celle-ci et fut reçue avec une joie universelle. Notre sainte prieure lui ayant rendu compte de l'état de la maison et de la disposition des sœurs, ce fut avec une grande joie que cette bienheureuse mère vit la régularité et la perfection si bien maintenues. Ces deux saintes âmes se séparèrent bientôt encore, la mère Madeleine ayant été obligée d'aller à Lyon pour une nouvelle fondation. Elles choisirent ensemble les sœurs qu'elles trouvèrent propres pour cet établissement. Cette seconde séparation se fit avec la même édification que la première. Ce fut dans ce temps que la mère Marie de Jésus, attentive à procurer en tout le bien de la maison, fit faire une infirmerie pour joindre à celle qui étoit déjà faite et qui n'étoit pas suffisante. Elle eut soin de ménager dans ce bâtiment une petite chapelle pour donner aux malades, qui ne pouvoient pas aller au chœur, la consolation d'entendre la messe et de communier. Pur ce moyen, on évitoit l'entrée des ecclésiastiques pour la confession, hors les cas de nécessité. Elle fit faire sous cette infirmerie une grotte de Sainte-Madeleine pour augmenter dans ses filles la dévotion à cette sainte amante de Jésus-Christ, qu'elle honoroit très-particulièrement,à cause de cette glorieuse qualité. Un de ses amis lui envoya de Dieppe les coquillages qui composent cette grotte.Lorsqu'elle parloit à ses filles pour les instruire, elle avoit pour l'ordinaire les mains jointes et les yeux élevés vers le ciel, et paroissoit si remplie de Dieu que chacune jugeoit en la voyant que c'étoit de cette divine source que lui venoit tout ce qu'elle leur disoit; ce qui opéroit de grands effets pour leur avancement dans la perfection.Notre sainte prieure parloit des voies intérieures et des mystères de Jésus-Christ avec facilité et tant de clarté qu'elle rendoit intelligibles les choses les plus relevées. L'humilité accompagnoit tous ses discours, et dans la crainte que l'on ne crût qu'elle puisoit dans son propre fonds les grandes choses qu'elle disoit, elle avoit soin d'avertir qu'elle les tenoit de M. le cardinal de Bérulle, de la mère Madeleine ou de MlleAcarie. D'autres fois, elle disoit: Une bonne âme m'a fait entendre que Dieu lui avoit donné cette pensée. On a su depuis que c'étoit à elle que Dieu avait donné des connoissances extraordinaires sur les voies intérieures. Elle étoit ennemie de certaines spiritualités qui ne conduisent pas à la mortification[564], voulant que les âmes s'appliquassent aux vertus solides. Avec tout cela, disoit-elle, tout le reste va bien; quand une âme est bien humble, bien obéissante et morte à elle-même, fidèle à l'oraison, Dieu se plaît à verser sur elle ses grâces et ses bénédictions.Les fondations se multiplioient dans l'ordre, et cette maison étant obligée de fournir plusieurs de ses meilleurs sujets pour faire les nouveaux établissements, les supérieurs se crurent autorisés à s'écarter de la règle qui ne souffre les prieures en charge que six ans de suite. Ainsi la mère Marie de Jésus fut continuée neuf ans dans cette place; mais dès qu'ils furent écoulés, elle demanda avec instance d'en être déchargée, brûlant du désir d'honorer la vie solitaire, assujettie et humiliée de Jésus-Christ, sa profonde humilité lui persuadant de plus en plus qu'elle étoit incapable de servir utilement les âmes, et croyant avoir un grand compte à rendre à Dieu des fautes qu'elles avoit commises à ce sujet.La mère Madeleine, qui lui succéda, pensoit bien différemment sur la capacité de cette humble mère, la regardant comme très capable de l'assister en la supériorité, la consultant sur tout, se fiant plus en ses lumières qu'aux siennes propres, et se reposant sur elle de la direction des âmes de ses religieuses.C'étoit une chose admirable de voir ces deux mères dans les heures de conversation avec la communauté. Leur douceur, leur affabilité, leur charité, ravissoient les cœurs. La mère Marie de Jésus secondoit la mère prieure dans les discours de dévotion, parlant avec élévation et ferveur des choses spirituelles, principalement de Jésus-Christ et deses ministres, et concluant pour l'ordinaire que la vraie piété envers Jésus-Christ consistoit en l'imitation de ses vertus. Ces conversations étoient si utiles que chacune en sortoit plus zélée et le cœur plus animé au bien. C'étoit le fruit de l'humilité de la mère Marie de Jésus; on la remarquoit dans toutes ses paroles et actions; un tel assaisonnement est bien capable de faire fructifier la sainte parole.C'est cette profonde humilité qui a mis un obstacle invincible à la consolation qu'on auroit eue de revoir cette respectable mère à la tête de la communauté; le reste de sa vie s'est passé selon ses désirs dans la pratique de l'obéissance et des vertus les plus héroïques d'une simple particulière; mais les prieures qui ont succédé à notre bienheureuse mère, imitant son exemple, ne voulant pas priver les sœurs de ses saintes instructions, l'obligeoient de leur en donner dans le secret; on les conserve avec soin dans un manuscrit.Les trente années que la mère Marie de Jésus vécut encore se passèrent dans des maladies presque continuelles: violentes douleurs de foie, inflammations du poumon, maux de dents, coliques pierreuses et bilieuses, fréquentes migraines et érésipèles, tous ces maux se succédoient les uns aux autres et servoient à faire éclater de plus en plus la vertu de cette grande religieuse. Elle a été réduite plusieurs fois à l'extrémité et rendue à la vie comme par miracle; en voici un exemple. En l'année 1641, elle fut attaquée au mois d'août d'un érésipèle avec une fièvre ardente; cette humeur tomba dans la gorge et lui ôta le mouvement nécessaire pour avaler; les médecins désespérant de sa vie, on eut recours à l'intercession de sainte Opportune, invoquée pour ces sortes de maux. M. le curé de la paroisse de ce nom, qui en possédoit une relique, la porta en grande cérémonie à notre malade et la lui appliqua sur la gorge. A peine étoit-il sorti de la maison que la malade put avaler avec grande facilité. Le lendemain, M. Guenaut[565]vint avec un autre médecin pour voir la mère, croyant la trouver à l'extrémité et ignorant ce qui s'étoit passé la veille. Dès qu'il eut mis le pied dans la maison, il se tourna vers celui qui l'accompagnoit et lui dit: «Monsieur, il y a ici quelque chose de Dieu», et demanda des nouvelles de la maladie. On lui répondit qu'il en jugeroit lui-même, ne voulant pas lui dire le miracle. Entrant à l'infirmerie, il répéta encore les paroles susdites; alors ses yeux furent témoins de cette guérison, et sa joie aussi grande que son étonnement, ayant pour cette mère une estime singulière.Dans une autre maladie où elle reçut l'extrême-onction, ayant paru pendant ce temps extraordinairement élevée à Dieu, on lui demanda ce qui l'avoit occupée si fortement: «Je me suis vue, répondit-elle, en la présence de Dieu comme prête à paroître devant lui, ce qui esttoute autre chose que ce qu'on peut penser par soi-même. J'ai vu la grandeur de Dieu et sa justice, et moi, pauvre et nue, sans avoir rien à lui présenter qui ne fût plein de défauts». Elle ajouta: «Je n'en fus pas surprise; je le remercie de m'avoir rendu la vie pour me donner le temps de m'amender; j'attends mon salut des mérites de Jésus-Christ; c'est sur lui que je fonde mes espérances».On ne peut exprimer sa reconnoissance pour les assistances qu'elle recevoit des sœurs dans ses maladies et infirmités; elle les remercioit les mains jointes pour les moindres petits services. Sa gaieté n'a jamais été altérée dans les maux les plus violents. «Il ne faut pas, disoit-elle, tant s'occuper de ce que l'on souffre, mais offrir nos douleurs à Dieu et les souffrir avec joie pour l'amour de lui.» Elle révéroit les malades, et les ravissoit tellement par ses discours qu'elle leur faisoit trouver des délices dans leurs maux et leurs souffrances.Le courage de la mère Marie de Jésus et sa soumission à la volonté de Dieu n'a pas moins paru admirable dans les différentes afflictions dont sa vie a été remplie que dans les souffrances corporelles, et elle les portoit avec une force et une tranquillité plus qu'humaine, et rien n'étoit capable d'abattre sa constance. Elle apprit la mort de Mmela marquise d'Alincourt, sa sœur, fort inopinément par un gentilhomme qui vint au tour lui apporter une lettre et lui dit en même temps cette nouvelle à laquelle elle ne répliqua autre chose, sinon qu'elle avoit besoin de prières, et que l'amitié qu'elle avoit pour elle l'obligeoit à lui donner ce secours. Elle porta avec la même paix la perte de tous ses proches; mais elle eut besoin de toute sa vertu pour faire le sacrifice de son fils, qui fut tué à la fleur de son âge[566]sans avoir eu le temps de se préparer à la mort. Ce qui la toucha le plus vivement dans cette circonstance, ce fut la crainte de la perte de son âme, et sa seule consolation fut d'implorer pour lui la miséricorde de Dieu, et son infinie bonté permit qu'elle fût consolée à ce sujet par une sainte âme qui l'assura qu'il étoit en voie de salut.Son zèle pour le salut des âmes étoit universel, et il en est un grand nombre qui ont attribué leur conversion à ses prières. Comme nous n'écrivons qu'un abrégé de sa vie, nous n'en rapporterons qu'un exemple. Un homme de mérite, et qui possédoit des biens et des emplois considérables, avoit un engagement criminel et qui mettoit son salut en danger. Madame sa mère, femme d'une grande piété, venoit souvent voir sa fille, religieuse dans ce monastère, et lui confia sa douleur. La mère Marie de Jésus ayant appris l'état de cette pauvre âme, fit beaucoup de prières pour sa conversion; et un jour que cette mère affligée étoit au parloir avec sa fille, notre sainte religieuse eut l'inspiration d'y aller pour la consoler; elle lui donna l'espérance que ce filschangeroit, et lui conseilla de faire dire des messes au Saint-Esprit. En même temps elle lui fit passer lesConfessionsde saint Augustin avec leChemin de perfectionde notre sainte mère, afin qu'elle engageât son fils de lui promettre d'y lire tous les matins durant un quart d'heure seulement. Il le lui promit, mais il passa huit jours sans le faire, au bout desquels se sentant pressé une nuit de tenir sa parole, il se leva et lut quelques pages de ces livres. En même temps Dieu l'éclaira, et le toucha si vivement sur son état qu'il versa pendant plusieurs jours des larmes, et demeura dans un trouble et une si grande agitation qu'il croyoit en perdre l'esprit. Enfin il se calma, mais sans prendre aucune résolution. La nuit suivante, une lumière intérieure toucha son cœur et son esprit sur la grandeur de Dieu; la seconde nuit cette même lumière l'éclaira sur sa bonté infinie, et la troisième sur sa beauté. Pénétré enfin de tant de grâces, dès le matin à la pointe du jour il se fit conduire à la place de Grenelle avec la personne qui le tenoit captif; là, il lui annonça qu'il ne la reverroit jamais. Il lui laissa son carrosse pour se faire conduire où elle voudroit, et il revint à pied chez lui. Cette première démarche fut suivie d'une entière et parfaite conversion. Depuis plusieurs années il n'avoit pas vu sa sœur la carmélite: il s'y rendit; celle-ci fit prier la mère Marie de Jésus de venir le voir, et elle dit à son frère: Voilà votre bienfaitrice; et il lui rendit compte de son intérieur avec une confiance sans réserve, ce qu'il continua de faire régulièrement une fois la semaine pendant plusieurs années. Il suivoit ses conseils avec la plus grande docilité, et fit des progrès si admirables dans la vertu que s'étant défait de sa charge et privé de tous les plaisirs de la vie, il se retira à une campagne où, après avoir passé plusieurs années dans la solitude et la pénitence, se refusant même le nécessaire, il reçut l'ordre de la prêtrise, et finit ses jours dans un amour de Dieu capable d'en inspirer aux cœurs les plus insensibles, surtout lorsqu'il paroissoit à l'autel.Le détachement de la mère Marie de Jésus pour toutes choses devenoit de jour en jour plus remarquable. Elle fit copier une lettre de M. le cardinal de Bérulle, où étoient ces paroles qui lui faisoient une forte impression:Par la liaison de votre âme avec l'essence divine. Elle parla longtemps de cette divine essence dans notre âme d'une manière très élevée, et depuis ce jour, qui fut le 20 avril 1651, jusqu'à celui de sa mort, elle en parut si pénétrée qu'on ne pouvoit l'approcher sans s'en apercevoir. Elle voulut aussi avoir par écrit en gros caractères, afin qu'elle pût le lire elle-même, un extrait du même auteur qui traitoit de la vie éternelle, pesant surtout ces paroles:La vie éternelle est dans l'intime de l'âme, répétant souvent ces paroles:Dieu est là: il nous regarde, non d'un regard sec comme celui des hommes, mais d'un regard qui opère dans notre âme; choses grandes et admirables,car Dieu qui l'a créée pour soi, la veut remplir de la grâce de lui-même et de toute la sainte et adorable trinité.Enfin le moment étant arrivé où Dieu voulut priver la terre de ce trésor de grâce, elle tomba malade, comme il se verra dans la lettre suivante écrite à tout l'ordre par la mère Agnès de Jésus-Maria, après le décès de notre vénérable mère. Nous rapporterons seulement ici quelques circonstances qui n'y sont pas insérées.Le jour que l'opération dont il sera parlé fut décidée, la sainte malade étant dans des souffrances excessives, elle se fit porter dans la chambre où étoit morte notre bienheureuse mère (la mère Madeleine de Saint-Joseph), de là à l'hermitage de la sainte Vierge, et au chœur où elle demeura un temps considérable. On la reporta ensuite à l'infirmerie, où elle resta en silence comme une âme qui ne veut plus d'entretien qu'avec Dieu. Le jour de sa mort, on dit une messe à la chapelle qui répond à son infirmerie, à laquelle six ou sept sœurs communièrent. Dès qu'elles eurent reçu la sainte hostie, elles se mirent autour de la malade, ce qu'il semble que Dieu permit pour satisfaire le désir qu'elle avoit toujours eu de mourir devant le Saint-Sacrement, car elle est expirée quelques moments après. La mère Madeleine de Jésus, qui avoit marqué pendant la maladie de cette chère mère un courage d'une force surprenante, parut pendant le temps duSubvenitedans une douleur et un accablement inexprimables; puis, en un instant, son visage devint rayonnant; elle fit entonner leTe Deumpour rendre grâce à Dieu du bonheur et des vertus de la défunte. Elle la vit en esprit près d'un grand lac qui les séparoit, et la bienheureuse lui disoit d'un visage riant, lui tendant les bras: A cette heure que je suis passée, je vous aiderai toutes à passer.La reine Anne d'Autriche, qui avoit désiré d'être présente à sa mort, voulut au moins assister à son enterrement avec monsieur son fils. Ce jeune prince voulut qu'on fît toucher son chapelet à ce bienheureux corps. Ce fut le père de Harlay, frère de cette respectable mère, qui officia avec un courage et une fermeté édifiante, vu le tendre attachement qu'il avoit pour elle. Monseigneur l'évêque de Saint-Malo y assista avec un très grand nombre d'autres ecclésiastiques, qui tous fondirent en larmes, entendant prononcer ces paroles:Domine, miserere super istâ peccatrice. Elle fut enterrée près de notre bienheureuse mère. Plusieurs personnes, qui ont eu recours à son intercession, ont reçu l'effet de leurs demandes.»
«La mère Marie de Jésus, fille de M. de Sancy, de la maison de Harlay, et de Marie de Moreau, naquit à Paris le 8 mai 1579. Son père étoit de la religion prétendue réformée, et sa mère très bonne catholique. Par le contrat de mariage, il avoit été réglé que les enfants mâles embrasseroient la religion du père et les filles celle de la mère. Celle dont nous parlons fut nommée sur les fonts Charlotte, et eut pour parrain M. le premier président, son oncle, et pour marraine Mmede Belleassise, sa tante. On lui donna pour gouvernante une fille qui, sous l'apparence de catholique, étoit huguenote dans le cœur. A lareligion près, cette fille étoit très capable d'élever des enfants; mais comme le dernier de ses soins étoit d'inspirer de la vertu, notre jeune enfant, dont l'esprit étoit fort avancé, ne fut pas longtemps sans s'apercevoir des sentiments de la gouvernante, desquels, par une miséricorde infinie, Dieu lui donna une telle frayeur que, pour s'en garantir, elle récitoit tous les jours quatre fois l'oraison suivante: «Monsieur saint Matthieu, monsieur saint Marc, monsieur saint Luc, monsieur saint Jean, les quatre évangélistes de Dieu, soyez à ma garde et à ma défense, préservez-moi de tout mal présent et à venir.» Notre vénérable mère disoit depuis: «Je ne sais où j'avois pris cette prière, mais quand je l'avois dite, il me sembloit que nul mal ne me pût arriver.» A l'appréhension d'être séduite par de mauvais principes se joignoit le désir le plus ardent d'être instruite des vérités de notre foi. Ne trouvant personne dans la maison de son père de qui elle pût recevoir ce secours, elle s'avisa, n'étant encore âgée que de neuf à dix ans, de se dérober quelquefois pour aller, dans une église voisine, entendre le sermon; mais la crainte d'être reprise, si on s'en apercevoit, l'empêcha de continuer.
Après une pareille éducation, on ne doit pas être surpris que cette jeune enfant ne fût occupée que des divertissements ordinaires aux personnes de son âge, et que son soin principal fût de chercher à plaire et à s'attirer l'estime et l'attention de sa famille et des personnes qui la visitoient. Cependant Dieu, qui avoit des desseins particuliers de miséricorde sur cette âme, ne l'abandonna pas; sa gouvernante, pour couvrir les apparences, l'avoit fait confesser plusieurs fois, mais sans lui donner, comme on le peut penser, aucune instruction solide sur cette grande action. Mllede Sancy avoit des inquiétudes continuelles sur ces sortes de confessions, et ne sachant comment mettre son esprit en repos, elle s'adressa à un ecclésiastique ami de monsieur son père, et, lui ayant confié ses peines à ce sujet, il lui donna un livre qui contenoit un examen très étendu, l'assurant qu'elle y trouveroit non-seulement les instructions nécessaires, mais aussi la connoissance des péchés qu'elle avoit commis; elle reçut ce présent avec la plus grande reconnoissance et crut ne pouvoir rien faire de mieux que de porter son livre au confesseur et de faire la lecture dudit examen au prochain confesseur qu'elle rencontra, se persuadant, disoit-elle dans la suite, que dans les péchés qui y étoient compris, ceux qu'elle avoit commis s'y trouveroient sans doute, et qu'enfin elle seroit tranquille à ce sujet. Le confesseur l'écouta sans l'interrompre, et, sans lui donner aucune instruction, lui donna l'absolution et quelques prières pour pénitence. Elle avoit alors quatorze ans, et lorsqu'elle racontoit depuis cette aventure, levant les yeux au ciel, disoit: «Le confesseur et moi étions aussi savants l'un que l'autre. Oh! que Dieu fait une grande grâce aux enfants de leur procurer de l'instruction dans leur jeunesse.»
Mllede Sancy ne fut pas longtemps sans s'apercevoir que cette confession n'étoit pas plus propre à la tranquilliser que les précédentes; mais la Providence qui veilloit sur elle lui donna occasion de connoître monsieur Duval[562]dont elle avoit entendu parler comme d'un directeur très éclairé. Ce grand homme lui fit faire une confession générale et lui donna des leçons qui furent comme la semence de la sainteté où Dieu la destinoit. Commençant à être désabusée de la vanité du monde, elle s'appliqua à faire régulièrement sa prière matin et soir; mais la lumière de la grâce étant encore foible en cette âme, elle se persuadoit être fort vertueuse, ne se trouvant pas chargée de ces péchés grossiers dont les âmes bien nées ont de l'horreur; pour les autres fautes, elle s'en mettoit peu en peine, n'en connoissant pas le danger.
Le temps destiné de toute éternité pour la conversion de monsieur son père étant arrivé, on ne peut exprimer quels furent ses sentiments. Depuis longtemps, ce moment heureux étoit l'objet de ses plus ardents désirs, car elle ne pouvoit penser sans la plus amère douleur qu'un père qu'elle aimoit si tendrement et dont elle étoit aimée réciproquement, vivoit dans une religion qui lui fermoit la porte du ciel. Cette conversion fut suivie de près de celle de messieurs ses frères. L'aîné succéda aux charges de monsieur son père et ne lui survécut que très peu de temps; le second employé dans les ambassades, de retour en France, entra dans la congrégation des pères de l'Oratoire, sous le nom du père de Sancy; le dernier, connu sous le nom de baron de Palemort, fut employé dans les armes où il s'attira beaucoup de réputation pour sa valeur et sa prudence. Le père de Sancy, pénétré du bonheur de sa vocation, le sollicitoit sans cesse de quitter le monde; mais cette grâce étoit réservée à l'impression que devoit faire sur lui l'entrée de sa sœur aux Carmélites, comme nous le verrons dans la suite.
M. de Sancy le père, après avoir marié sa fille aînée à M. le marquis d'Alincourt, songea à établir celle dont nous écrivons la vie. Entre plusieurs partis avantageux, celui qui lui parut le plus convenable fut M. le comte de Curton. Le contrat fut dressé et les articles signés. Mais quelque temps après, la jeune demoiselle sentit pour cette alliance une si grande opposition qu'elle résolut de la rompre. Elle s'en ouvrit d'abord à un de messieurs ses oncles, le conjurant de disposer monsieur son père à cette rupture; celui-ci, bien loin de s'en charger, représenta à Mllede Sancy les malheurs qu'une telle détermination pourroit causer dans sa famille, ce jeune homme n'étant pas de caractère à souffrir impunément un tel affront. Se voyant sans ressource du côté de monsieur son oncle, elle se résolut de parler elle-même à monsieur sonpère, et lui exposa en des termes si respectueux et si forts l'éloignement qu'elle avoit pour cette alliance qu'il se rendit à ses désirs, à condition qu'elle prendroit sur elle le soin de cette affaire. Depuis ce consentement obtenu, Mllede Sancy étoit aussi impatiente de revoir M. le comte de Curton qu'elle l'appréhendoit auparavant. Dès la première entrevue, après quelques compliments de civilité, elle le supplia de trouver bon que les articles du contrat qui avoient été passés fussent regardés comme nuls, sans lui en donner d'autre raison que l'impossibilité où elle se trouvoit de vaincre sa répugnance à s'engager. Après plusieurs répliques de part et d'autre, les articles furent jetés au feu en présence des deux parties. Ce jeune seigneur étoit si persuadé que cela venoit absolument de Mllede Sancy, que cela ne diminua rien de l'union qui étoit entre les deux familles. Il se passa plus d'un an sans qu'il fût question d'un autre établissement. Ce temps écoulé, M. de Bréauté la demanda à M. de Sancy; ce bon père ne trouvant point en sa fille d'opposition à cette alliance, les articles furent signés, mais le mariage fut différé d'une année, le marquis étant obligé de se rendre à l'armée où ses emplois exigeoient sa présence. A son retour le mariage fut conclu, et peu de temps après il retourna à l'armée. A peine y étoit-il arrivé qu'il fut rappelé à Paris, Mmede Bréauté étant tombée dangereusement malade; elle demanda avec instance le saint viatique, et après l'avoir reçu avec les dispositions les plus édifiantes, elle s'endormit très profondément. Le marquis, avec toute sa famille, attendoit son réveil avec autant de crainte que d'espérance; ils furent tous surpris agréablement de la trouver si bien que le médecin jugea qu'elle n'étoit plus en danger. M. de Bréauté, ayant demeuré quelque temps à Paris, fut obligé de retourner à ses emplois; sa peine fut d'autant plus grande qu'en faisant ses adieux à une épouse qu'il aimoit si tendrement, il avoit un pressentiment que c'étoit la dernière fois qu'il avoit la consolation de la voir; en effet, il mourut en Flandre[563]dix-huit mois après son mariage, laissant Mmede Bréauté dans la plus vive affliction: il resta de cette alliance un fils qui fut remis entre les mains de son aïeule.
Notre jeune veuve, sans faire profession dans son veuvage d'une vie austère, se conduisoit de manière à faire connoître qu'elle ne penseroit jamais à un second mariage, quoiqu'elle ait assuré depuis qu'elle n'avoit pris sur cela aucune résolution. L'année de son deuil expirée, elle retrancha quelque chose des règles de conduite qu'elle s'étoit prescrites, et se rengagea peu à peu dans les amusements ordinaires aux personnes nées dans la grandeur et l'opulence; et la piété dont elle avoit fait profession ne consista bientôt plus qu'à ne point contreveniren choses considérables aux commandements de Dieu. Malgré son penchant pour les amusements frivoles, elle donnoit beaucoup de temps à la lecture; ce n'étoit pas à la vérité des livres de piété; mais elle s'abstint toujours des mauvais, comme romans, comédies et autres, pour lesquels elle avoit un si grand mépris qu'elle ne pouvoit comprendre que des personnes raisonnables en fissent leur amusement.
La bonté infinie de Dieu, qui se sert souvent de nos propres inclinations pour nous rappeler à lui, permit que celle qu'avoit notre jeune veuve pour la lecture lui donnât l'envie de lire les œuvres de sainte Thérèse. On le lui avoit déjà conseillé, et le désir qu'elle avoit d'apprendre à faire l'oraison lui en fit prendre la résolution. Sur ces entrefaites, ses affaires l'ayant obligée d'aller en Normandie, elle les apporta dans l'espérance que cette lecture, jointe à la séparation de la vie tumultueuse qu'elle menoit à Paris, lui feroit faire quelque progrès dans la vie spirituelle.
Les ouvrages de cette grande sainte, qui ont été pour tant d'âmes le commencement de leur conversion, firent une vive impression sur Mmela marquise de Bréauté. Mais étant venue à l'endroit où cette savante maîtresse parle de chercher Dieu dans soi-même, elle demeura dans le dernier étonnement; non-seulement cette grande maxime lui parut incompréhensible, mais elle fut pour elle l'occasion de la plus violente tentation: elle s'imagina ne plus croire en Dieu, et la pensée lui en revenant sans cesse, peu s'en fallut qu'elle ne tombât dans le désespoir, n'étant plus à ses yeux qu'une incrédule et une athée. Cependant la main de Dieu la soutenoit sans qu'elle s'en aperçût, et sa fidélité à la prière, tout le temps que dura le combat, la rendit enfin victorieuse. Elle n'abrégea jamais d'un moment le temps qu'elle s'étoit prescrit de donner à l'oraison, et se renouvela dans l'exactitude à tous ses autres devoirs. Sa patience et sa fidélité dans cette grande épreuve furent récompensées non-seulement par la fin de cette violente peine, mais la plus vive lumière succéda aux ténèbres; elle comprit dans un moment la demeure de Dieu dans l'âme, et toutes les idées qui se présentoient à son esprit ne servoient qu'à l'en convaincre de plus en plus. La prière de saint Augustin lui devint familière; elle répétoit sans cesse:Seigneur, que je vous connoisse et que je me connoisse. Dans le même temps, étant un jour en prière dans sa chambre, elle se sentit frappée d'une lumière intérieure qui lui rendit si présente cette majesté infinie que, prosternée la face contre terre, elle auroit voulu descendre jusqu'au fond des abîmes, pour s'anéantir devant cet être suprême qu'elle conjura un temps considérable d'avoir pitié d'elle et de lui donner place dans sa maison.
On vit alors Mmede Bréauté retrancher une grande partie de ses divertissements, du temps qu'elle donnoit à recevoir les compagnies, de ses promenades et autres plaisirs même innocents, donnant au travail,à ses lectures, et surtout à l'oraison tout celui qu'elle auroit employé autrefois à ces sortes de satisfactions. Ce commencement de réforme ne se faisoit qu'avec de grandes violences, ce qui lui faisoit appréhender de ne pas persévérer. Un accident arrivé devant ses yeux ne contribua pas peu à fortifier ses résolutions. Ayant été obligée pour sa santé d'aller prendre les eaux de Spa, plusieurs personnes de qualité s'y trouvèrent dans le même temps. On proposa un jour d'y danser pour aider à l'effet des remèdes. Notre jeune veuve fut si vivement sollicitée d'être de la partie, qu'elle se laissa vaincre; quelques moments après, il fit un grand tonnerre; dès le premier coup, elle voulut quitter; un gentilhomme qui lui donnoit la main, se moquant de sa frayeur, en fit le sujet de ses railleries; mais au même instant la foudre tombant tua cet homme au milieu de la compagnie. On peut juger de la frayeur que causa ce terrible accident, Mais Mmede Bréauté n'en resta pas là: faisant réflexion au jugement de Dieu auquel cet homme venoit de se trouver en un instant, elle conclut à prendre tous les moyens possibles pour mener une vie plus régulière. De retour à Paris, l'on reçut en France la bulle du Jubilé de 1601: elle résolut de faire ses efforts pour profiter d'une si grande grâce, et commença par se disposer à faire une confession générale à M. Cospean, homme de grande réputation, et depuis évêque de Lisieux; ce qu'ayant fait, ce digne ministre lui parla si fortement du devoir des veuves, qu'elle commença dès lors à retrancher des habits ce qui tenoit trop de la vanité, et ajouta à cette mortification celle de se lever tous les jours à six heures du matin, pratique qui ne lui coûta pas peu, mais dont le sacrifice lui mérita de nouvelles lumières sur le danger de la vie du monde et le bonheur de la vie religieuse. Elle communiqua ses pensées à ce sujet à un ecclésiastique auquel elle se confessoit quelquefois. «Voilà, Madame, lui dit-il, où je vous attendois depuis longtemps, ne doutant pas que de tant de bonnes pensées que Dieu vous donne, il ne s'en trouvât quelqu'une qui vous portât à sortir du monde. Il n'est pas nécessaire cependant de changer de condition, la vôtre peut compatir avec les moyens que vous pouvez choisir pour vous sauver.»
Ce discours flattoit trop les inclinations de Mmede Bréauté pour demander des avis à d'autres, et le seul usage qu'elle fit de ces bonnes pensées fut de la fortifier dans la résolution de vivre en bonne chrétienne. Quelque temps après, ayant été faire ses dévotions aux Capucins, et s'étant retirée dans le coin de l'église pour y faire son action de grâces, elle y employa trois heures sans s'en apercevoir. Au sortir de cette oraison, où elle avoit éprouvé les plus fortes impressions de la grâce, ses pensées pour la vie religieuse se renouvelèrent; la sainteté des filles de l'Ave-Maria la frappa; elle conçut le désir d'y entrer quoiqu'elle les regardât comme les martyrs d'une pénitence dont la pensée la faisoit frémir. Elle en fut occupée pendant plusieurs jours et nequitta ce premier projet que pour en suivre un autre que lui avoit fait naître la lecture des œuvres de sainte Thérèse: ce fut d'entrer dans l'ordre des Carmélites. Elle étoit irrésolue sur le choix de ces deux ordres. Après bien des réflexions, elle se décida enfin pour ce dernier, y trouvant avec bien des austérités une certaine vie intérieure que cet ordre avoit reçue comme en dépôt de sa sainte fondatrice. L'exécution de ce projet souffroit cependant de grandes difficultés: l'ordre des Carmélites étoit encore renfermé dans les limites de l'Espagne; il lui en coûtoit pour se résoudre à s'éloigner si fort de sa patrie; sa ressource fut d'espérer, non que cet ordre passeroit en France; elle ne le croyoit pas possible; mais qu'il s'approcheroit des frontières et qu'il y auroit des maisons assez voisines pour y pouvoir entrer. Cette pensée, jointe à plusieurs peines intérieures dont elle fut travaillée pendant huit mois, lui causa un grand mal de tête qui ne lui laissoit aucun repos; cela pensa la rebuter entièrement du parti de la retraite qu'elle avoit pris, s'imaginant de plus qu'elle ne faisoit aucun progrès dans la vie spirituelle. Mais Dieu ne permit pas qu'elle suivît ces pensées dangereuses et lui en inspira de plus salutaires; ce fut de chercher un guide qui, par ses conseils, la conduisît dans les voies où il plairoit au Seigneur de la faire marcher. Fidèle à ce mouvement, elle s'adressa à Mllede Sainte-Beuve, qui étoit en grande réputation de vertu, et lui exposa ses peines avec grande confiance. Cette demoiselle, se méfiant de ses lumières, lui conseilla de voir MlleAcarie, lui en parlant comme d'une âme rare en mérite.
Notre jeune veuve saisit ce conseil; il ne fallut pas un long temps à MlleAcarie pour connoître que Dieu destinoit cette âme à la plus haute perfection, ce qui l'engagea à lui donner tous ses soins. Elle commença par lui faire une méthode d'oraison qui lui parut aisée et ne contribua pas peu à dissiper le mal de tête dont nous avons parlé. Il se forma entre ces deux grandes âmes la liaison la plus étroite et la plus sainte, Mmede Bréauté ayant pour MlleAcarie toute la docilité et la soumission d'une novice, et MlleAcarie tous les ménagements d'une maîtresse sage et discrète qui ne veut pas effrayer un esprit qui n'est pas encore pleinement affermi dans les voies de Dieu. Dans cette vue, elle passa quelque temps sans rien prescrire à cette nouvelle disciple sur son habillement; mais un jour qu'elle lui demanda la permission de faire quelque pénitence: Je crois, Madame, répondit sa savante maîtresse, que la plus agréable que vous puissiez faire aux yeux de Dieu seroit de réformer vos habits en en retranchant les vains ornements. Dès le même jour, cela fut exécuté malgré la plus forte répugnance, ne s'attendant à rien moins qu'à devenir le sujet de la raillerie du public, car poussant plus loin l'avis qui lui avoit été donné, elle se mit d'une manière qui ne pouvoit convenir qu'aux femmes les plus âgées, quoiqu'elle n'eût alors que vingt-deux ou vingt-trois ans. Les occupationsde ses journées répondoient à la réforme de ses habits; elle se levoit tous les jours à six heures du matin, faisoit ensuite une heure d'oraison, et se rendoit à l'église où elle restoit jusqu'à onze heures; l'après-midi, elle alloit à vêpres et le reste du temps se passoit à lire et faire quelques bonnes œuvres. Le projet qu'elle avoit eu de se faire Carmélite ne l'occupoit cependant plus que faiblement, lorsqu'étant allée voir MlleAcarie, et l'entendant parler de l'établissement de cet ordre qu'elle méditoit de procurer à la ville de Paris, elle dit d'un ton fort indifférent qu'elle avoit eu autrefois envie d'entrer dans cet ordre: D'où vient, reprit MlleAcarie, que vous ne l'avez plus? Mmede Bréauté répondit qu'elle ne s'y croyoit pas propre, que la vie en étoit trop austère, et qu'elle se contentoit de son état. Mais, répliqua MlleAcarie, si Dieu vous y appelle, pensez-vous qu'il vous soit permis de résister? il est plus important que vous ne croyez de répondre à sa voix, et vous devez y réfléchir.
Jusqu'ici la pénitence de notre jeune veuve consistoit à jeûner tous les vendredis et à retrancher de ses repas ce qui flattoit le plus son goût; mais par les conseils de Dom Beau-Cousin, chartreux, célèbre par sa piété et ses lumières, elle commença à se revêtir d'un cilice, et poussa en tous genres ses pénitences si loin que ce sage directeur fut obligé d'y mettre des bornes. Non contente de la pénitence corporelle, elle s'appliqua à vaincre en tout sa délicatesse et ses inclinations, et s'interdit la liberté de se plaindre de ce qui pouvoit lui causer quelque incommodité, comme du chaud et du froid dont elle ne cherchoit pas même à se défendre. Elle s'échappa néanmoins une fois de dire que le froid étoit excessif. MlleAcarie, qui étoit présente, lui dit qu'il ne falloit pas ainsi se vanter de ce que l'on souffre; elle profita si bien de cette leçon qu'elle devint la personne du monde la plus patiente. En voici une preuve: Étant allée à la campagne dans un temps d'hiver où tous les chemins étoient rompus, un gentilhomme qui accompagnoit son carrosse avança sans prendre garde que l'équipage ne suivoit pas. Le cocher ayant pris un chemin détourné, s'embourba de façon qu'il ne put se débarrasser qu'avec beaucoup de peine. Il étoit onze heures du soir lorsqu'elle sortit de ce mauvais pas. La demoiselle qui l'accompagnoit, voyant que son écuyer les laissoit dans l'embarras, sans leur donner aucun secours, lui dit: Je ne m'étonne pas, Madame, que vous soyez si mal servie, puisque vous ne vous plaignez de rien; mais au moins, pour cette fois, j'espère que vous direz quelque chose pour faire voir que vous ne trouvez pas bon que l'on vous laisse ainsi. Elle ne répondit rien, et à peine parut-elle par la suite se souvenir de l'aventure; car se trouvant indigne d'être servie, elle ne pouvoit croire qu'on dût avoir pour elle aucune considération.
Dans de si saintes dispositions, Mmede Bréauté fut obligée de conduire une de Mesdemoiselles ses sœurs à Montivilliers pour y êtrereligieuse. Entrant dans l'église, elle lut ces paroles: Père Saint, conservez ceux que vous m'avez donnés afin qu'ils soient un comme nous sommes un. Elles répandirent une si grande lumière dans son âme que faisant réflexion sur les obstacles que l'on trouve dans le monde à cette admirable union avec Dieu, elle conçut le désir d'entrer sur-le-champ dans ce monastère. Le désir fut accompagné d'une grande abondance de larmes; mais Dieu qui la destinoit au Carmel permit qu'elle en différât l'exécution.
La vie édifiante que menoit Mmede Bréauté dans le monde ne laissoit aucun doute qu'elle ne resteroit pas dans le siècle. C'est ce qui porta différentes personnes de piété à faire des efforts pour l'attirer dans les couvents qu'elles protégeoient, ce qui ne servit qu'à troubler son esprit. Néanmoins son amour pour les Carmélites prévalut et devint si ardent qu'elle en étoit elle-même surprise, d'autant que personne ne lui en parloit. «Je ne me reconnois plus, disoit-elle, je ne sais d'où vient ce grand éloignement du monde, et cette pente qui m'attire au service de Dieu. Qu'il est bon de faire de si grandes grâces à sa créature, lorsqu'elle y pense le moins! Il n'y a que sa main seule qui puisse ainsi changer mon cœur et le porter à embrasser une vie dont j'avois un si grand éloignement, n'y pensant jamais qu'avec frayeur et ne regardant les religieuses que comme des personnes condamnées à une étroite prison; ce changement n'est dû qu'à la droite du Très-Haut, et lui seul a pu d'un cœur tout pénétré de l'amour du monde en faire un qui n'aspire qu'au bonheur d'y renoncer entièrement.» On ne peut exprimer quelle fut la consolation de MlleAcarie de voir enfin les irrésolutions de Mmede Bréauté entièrement dissipées; leur union devint encore plus complète; tout leur devint commun, mêmes prières, mêmes affections, mêmes désirs et même zèle pour faire réussir le grand projet de l'établissement des Carmélites en France. Elles firent ensemble plusieurs pélerinages, tantôt à Notre-Dame-des-Vertus, tantôt à Montmartre, à Notre-Dame-des-Champs pour recommander à Dieu cette affaire. Elles ne passoient pas un jour sans se voir, et MlleAcarie ne quittoit jamais Mmede Bréauté sans être édifiée de sa correspondance à la grâce, et sans une nouvelle espérance qu'elle seroit un jour l'ornement et la gloire de ce nouvel établissement.
Pendant que l'on travailloit en Espagne pour avancer ce grand ouvrage, elles travailloient l'une et l'autre aux préparatifs nécessaires pour la réception des mères espagnoles. MlleAcarie, étant sous la puissance de son mari, employoit Mmede Bréauté aux choses où elle ne pouvoit donner tout le temps qu'elle eût pu souhaiter, comme d'entretenir les jeunes demoiselles qui se présentoient pour être Carmélites, ou à régler ce qui concernoit le bâtiment du monastère. Monsieur Acarie n'étant pas toujours de bonne humeur, pour l'adoucir Mmede Bréauté le menoit à la promenade dans son carrosse, afin de donner le tempsà son amie de vaquer aux affaires que sa capacité lui attiroit de toutes parts, et elle le gagna si bien qu'il s'employoit lui-même aux choses qu'il avoit désapprouvées. Il étoit si satisfait de la conversation de Mmede Bréauté qu'il disoit quelquefois à sa femme: Au moins ne faites pas de Mmela marquise de Bréauté une Carmélite.
La résolution de Mmede Bréauté combla de joie monsieur de Bérulle. Mais en attendant les mères espagnoles, elle voulut faire un voyage en Normandie pour voir son fils. Cet enfant, qui n'avoit que six ans, sembla se surpasser par ses petites manières douces et caressantes, capables d'attendrir les cœurs les plus insensibles. Madame sa mère n'étoit pas de ce nombre; elle avoit pour ce fils unique la plus vive tendresse; mais la grâce lui avoit appris à régler les mouvements de son cœur. La veille de son départ, elle s'enferma seule avec cet objet si cher, le prit entre ses bras, et ayant arrosé son visage de ses larmes, elle l'offrit à Dieu comme le sacrifice le plus tendre de son cœur, disant: «Seigneur qui voyez cet enfant sans secours, lui ôtant son père vous l'avez privé de celui qu'il pouvoit attendre des hommes; ayez-en donc pitié, et tenez-lui lieu de père pour le faire élever selon votre esprit, c'est tout ce que je vous demande pour lui.» Elle le mit aussi sous la protection de la sainte Vierge, l'embrassa de bien bon cœur, et, après lui avoir donné sa bénédiction, le remit entre les mains de ceux qui devoient en avoir soin pour ne le plus revoir dans le monde.
Il lui restoit encore un grand obstacle à vaincre. Monsieur de Sancy son père ne savoit rien de son dessein; son premier soin, revenant de Paris, fut de prendre un logement près de lui afin d'être à portée, le voyant souvent, de le disposer avec précaution à porter le coup que sa tendresse pour sa fille devoit lui rendre si rude.
En même temps, les mères espagnoles arrivèrent à Paris. Mllede Longueville, Mmede Bréauté, MlleAcarie furent au-devant d'elles et entrèrent dans la maison qui leur avoit été préparée le 18 octobre 1604. Quelques jours après, notre fervente veuve fut présentée comme une des principales qui désiroient être reçues. La mère Anne de Saint-Barthélemy, à qui Dieu l'avoit fait connoître avant son départ d'Espagne, ainsi que Mllede Fontaines, la reconnut à la première entrevue et le déclara sur-le-champ. Les mères ne balancèrent pas à leur accorder à l'une et à l'autre leurs suffrages. Cependant MlleAcarie fut d'avis que Mmede Bréauté ne quittât pas monsieur son père sans son consentement; elle ne pensa donc plus qu'à tâcher de l'obtenir. Elle lui parloit souvent du mérite des mères Carmélites et surtout de leur talent à bien réciter l'office divin. Il faut, lui dit-il, que vous m'y meniez demain. Le père Coton, lui répondit Mmede Bréauté, y prêchera; vous pourriez l'y aller entendre. Il y consentit; étant à l'église, il remarqua sur le visage de sa fille un je ne sais quoi qui lui donnaquelques pressentiments de son dessein. Il en parla le lendemain au père Coton qui étoit venu dîner chez lui, mais d'un ton qui marquoit assez son opposition. Le père Coton raconta le tout à monsieur de Bérulle et à MlleAcarie qui tous deux conseillèrent à Mmede Bréauté de redoubler ses prières et d'employer tous les moyens que la prudence lui suggéreroit pour fléchir monsieur son père. Dieu bénit ses démarches, et après des résistances telles qu'une vertu moins héroïque que la sienne auroit cédé, elle toucha et persuada si bien ce tendre père qu'il se chargea d'apprendre lui-même à Mmede Sancy, son épouse, le consentement qu'il venait d'accorder à sa fille; et versant un torrent de larmes, il lui dit qu'il craindroit de s'opposer à la volonté de Dieu s'il la retenoit davantage.
On ne vit jamais un père plus désolé que ne le fut monsieur de Sancy, après qu'il eut donné ce consentement; et ne pouvant soutenir plus longtemps les cruels combats que lui livroit sa tendresse, il conjura sa fille d'avancer le jour de son entrée en religion, croyant trouver par là un adoucissement à sa douleur. Vous me faites mourir, lui disoit-il, et je ne fais plus que languir. Son affliction étoit si sensible que son frère s'en aperçut et qu'il s'emporta fortement contre sa nièce, ce qui ayant été rapporté à monsieur de Sancy, il l'en reprit, ne pouvant souffrir qu'on fît la moindre peine à sa fille.
Le jour de son entrée fut enfin fixé au 8 décembre, jour de la Conception de la sainte Vierge. Quelques jours avant, se trouvant seule dans son carrosse et pensant au sacrifice qu'elle étoit sur le point de faire, il lui vint en souvenir toutes les grâces qu'elle avoit reçues de Dieu et la conduite miséricordieuse qu'il avoit tenue sur elle; elle comprit dans ce moment que tout ce qui s'étoit passé dans sa vie étoit un acheminement au point où elle se trouvoit arrivée, que toutes les afflictions et les disgrâces, dont elle ne connoissoit pas auparavant la fin, avoient été les ressorts dont Dieu s'étoit servi pour la détacher du monde; en même temps, ce verset du psalmiste se présenta: Sacrifiez à Dieu un sacrifice de justice et mettez désormais toute votre confiance en lui. Ces paroles, disoit-elle depuis, firent sur moi une très forte impression et me faisoient comprendre que mon sacrifice devoit être entier et que je devois être une victime, sacrifiée non-seulement par les œuvres, mais par état, qu'il falloit s'immoler une bonne fois et cesser d'être aux yeux du siècle pour ne vivre qu'à ceux du roi des siècles éternels.
La veille du jour que Mmede Bréauté devoit entrer aux Carmélites étant arrivée, elle passa la journée chez monsieur son père pour lui faire ses derniers adieux, ce qui ne se fit pas sans bien des larmes répandues de part et d'autres. Ce bon père et Mmede Sancy voulurent la conduire eux-mêmes aux Carmélites; ils s'y rendirent à quatre heures du matin, accompagnés de Mllede Longueville, de Mmed'Alincourt,sa sœur, de Mmede Belleassise, sa tante, de Mllede Sainte-Beuve, de MlleAcarie, de monsieur de Sainte-Beuve, de monsieur de Marillac et monsieur de Bérulle qui se trouvèrent à la porte du monastère pour être les témoins d'un sacrifice si édifiant. Les mères espagnoles étoient en cérémonie; voici comme elle rapporte elle-même cette circonstance: «Je me mis à genoux devant mon père, lui demandant sa bénédiction; mais au lieu de me la donner il pensa tomber de douleur, étant dans un tel saisissement qu'il ne me répondit rien; il avoit son chapeau devant son visage, se cachant le mieux qu'il pouvoit. Pour moi, Dieu me donna une telle force que je ne jetois pas un soupir ni ne versois une larme, malgré la tendresse que j'avois pour mon père, tant étoit grande ma joie d'entrer enfin dans la maison de Dieu; je demeurai longtemps à genoux sans qu'il pût ouvrir la bouche, de sorte que je fus forcée d'entrer sans avoir sa bénédiction.»
Elle fut conduite au chœur où elle fut revêtue du saint habit, en présence des personnes qui l'avoient accompagnée. Monsieur le duc de Montpensier, prince du sang, et plusieurs autres personnes de qualité avoient souhaité de s'y trouver; mais ils arrivèrent trop tard. Monsieur et Mmede Sancy demeurèrent au bas de l'église, accablés de douleur. La nouvelle novice étoit dans une disposition bien différente; elle se présenta à Dieu avec une joie qui ne peut s'exprimer que par ses propres termes que nous mettons ici: «Je veux l'habit de religion; ce que je dis avec un si grand transport de me voir ornée des livrées du fils de Dieu et de sa sainte mère, et dans une condition qui me rendoit leur esclave, que j'en ressentis une reconnoissance qui m'occupe encore fortement.»
La sœur Madeleine de Saint-Joseph, novice depuis un mois, fut chargée de la conduire dans le monastère; ces deux saintes religieuses, après s'être entrevues, conçurent tant d'estime l'une pour l'autre que dès lors elles contractèrent une union qui a duré toute la vie. Sœur Marie de Jésus, c'est le nom qu'on donna à la nouvelle novice, devint bientôt pour sa compagne un modèle de toutes les vertus. Elle étoit déjà si fervente que rien ne lui paroissoit pénible des austérités attachées à la règle, ni de la pauvreté d'une maison si nouvellement établie, qui manquoit même des choses que l'on peut regarder comme nécessaires. Il n'y avoit pas de draps sur leur paillasse; mais seulement une couverture pour les couvrir; on peut juger par là du reste. Tout cela ne lui suffisoit pas encore, tant étoit grand son amour pour la pénitence. Elle parvint à si bien mortifier son goût, se nourrissant par préférence des choses pour lesquelles elle avoit de l'aversion, qu'elle auroit mangé les plus amères et les plus insipides sans en apercevoir la différence. Les mères espagnoles, voyant la vertu et la capacité de sœur Marie de Jésus, lui donnèrent peu après sa profession l'emploi de seconde infirmière, office dont elle s'acquitta avec ferveur,s'estimant heureuse de servir les malades dans les choses les plus mortifiantes et les plus viles. MlleAcarie lui demandant un jour si elle n'avoit pas de répugnance à ces choses, elle répondit qu'il ne lui étoit pas venu en l'esprit qu'on pût en avoir en rien de ce qui intéresse la gloire de Dieu, et qu'elle regardoit comme un bonheur d'avoir été jugée digne de servir les épouses de Jésus-Christ.
Quelque temps après on lui ôta cet office pour la mettre provisoire; elle se comporta dans ce nouvel emploi avec tant d'humilité et de douceur et de mortification que son exemple servit d'instruction à celles qui avoient besoin de recourir à elle. Souvent elle aidoit les sœurs layes dans les choses les plus pénibles ou les faisoit elle-même pour les soulager.
L'année de son noviciat étant écoulée, elle se prépara à faire sa profession avec les dispositions les plus saintes et les plus édifiantes. Il paroissoit en elle un désir si ardent d'être à Dieu par les vœux, qu'elle animoit toutes les novices ses compagnes; la crainte de n'être pas reçue, fondée sur le jugement qu'elle portoit de son indignité, lui fut un rude exercice, tandis que la communauté la regardoit comme un présent du ciel, capable de servir l'ordre et d'en être un des principaux soutiens. Elle fit ses vœux le 24 décembre 1605 et fut la sixième professe, en comptant sœur Andrée de tous les saints qui avoit fait ses vœux au lit de la mort. Ce fut entre les mains de la vénérable mère Anne de Saint-Barthélemy. Il seroit à souhaiter que cette sainte religieuse eût donné connoissance des grâces qu'elle reçut dans cette sainte action, mais celui qui en étoit l'auteur se l'est réservé et nous n'en avons pu rien apprendre.
La mère Anne de Jésus, destinée pour aller fonder en Flandre, désira d'y être accompagnée de notre nouvelle professe, et la demanda avec instance aux supérieurs; mais ils ne crurent pas devoir priver la France d'un si grand et digne sujet, et la mère Anne de Saint-Barthélemy qui demeuroit prieure à Paris, s'y opposa fortement, disant à cette respectable mère, qui vouloit aussi emmener sœur Madeleine de Saint-Joseph, que ce seroit ôter le cœur et la tête du monastère.
Dès que la mère Anne de Jésus fut partie, sœur Marie de Jésus fut élue sous-prieure d'une voix unanime. Ce fut la première élection qui fut faite dans les formes; jusque-là, il n'y avoit pas eu le nombre de religieuses suffisant pour donner leurs suffrages, selon l'usage de l'ordre. MlleAcarie apprit cette nouvelle avec joie, espérant que Dieu en tireroit sa gloire, et le monastère de grands avantages. Elle ne fut pas trompée; on ne peut rien ajouter aux soins qu'elle prit pour s'acquitter dignement de son nouvel emploi: elle s'appliqua surtout à faire observer parfaitement les cérémonies et tout ce qui concerne l'office divin, surtout la prononciation du latin, soutenant ses instructions par ses exemples et par son assiduité au chœur, ne pouvant comprendrequ'on s'y rendît et qu'on s'y comportât avec négligence. Après huit années passées dans l'exercice de cette charge avec l'approbation générale, elle fut élue prieure du consentement de toute la communauté. La mère Madeleine de Saint-Joseph à qui elle succéda la vit avec plaisir dans cette charge, sachant que cette sainte amie étoit destinée de Dieu conjointement avec elle pour soutenir les âmes dans la perfection religieuse; les effets répondirent à cette espérance: la nouvelle prieure cultiva avec succès les grâces que Dieu répandoit dans cette maison avec tant d'abondance, dès le commencement de cet établissement.
Toutes les religieuses trouvoient en la mère Marie de Jésus un cœur de mère et une conduite remplie d'onction, de douceur, de charité; toujours prête à satisfaire le moindre de leurs besoins soit pour l'âme, soit pour le corps. Mais autant avoit-elle d'attention à les soulager dans leurs maladies, autant étoit grande son industrie pour les relever dans leurs foiblesses, lorsqu'elles désiroient des soulagements dont elles pouvoient aisément se passer. Son usage en ces rencontres étoit de leur témoigner beaucoup de compassion de leurs souffrances et de désirer de trouver les moyens de les soulager. Ensuite elle leur proposoit ce qui leur étoit convenable, sans paroître comprendre ce qu'elles désiroient et sans les faire expliquer, les portant à suivre son avis, toujours avec beaucoup de douceur; par ce moyen elles se trouvoient libres de la pensée qui les occupoit et soulagées de leurs incommodités. En voici une preuve: une jeune professe croyoit avoir besoin de faire gras pour se guérir d'un dérangement d'estomac; la mère, sans faire connoître qu'elle comprenoit sa pensée, lui fit donner pendant quelques jours des panades, selon que les médecins les ordonnent quelquefois pour ces sortes d'incommodités, lui faisant entendre que sans rompre l'abstinence, ce remède pouvoit la guérir. La malade les prit quelques jours malgré sa répugnance, et fut guérie parfaitement; elle disoit depuis qu'elle avoit pensé une infinité de fois que la mère lui avoit rendu un grand service en ne lui laissant pas satisfaire la nature, sous prétexte de charité.
Le zèle de la mère Marie de Jésus pour l'avancement spirituel des âmes confiées à ses soins la tenoit dans une vigilance continuelle. Elle les portoit ordinairement avec douceur à remplir leur devoir par amour pour Jésus-Christ, mais elle y employoit la sévérité lorsqu'elle rencontroit des sujets difficiles à se rendre, reprenant les défauts sans déguisement et enseignant le droit chemin de la vertu, disant que ce n'étoit pas rendre service aux personnes que de leur cacher la vérité, mais que c'étoit les tromper, que toute âme qui a un vrai désir de la perfection ne doit rien tant désirer que d'être avertie et reprise de ses défauts. Notre sainte prieure n'entreprenoit rien d'important sans prendre l'avis de la mère Madeleine de Saint-Joseph. Elle avoit pourcette chère compagne toute la docilité d'un enfant envers sa mère, regardant ses conseils comme un moyen nécessaire pour gouverner utilement la communauté, consolation dont elle ne jouit pas longtemps, l'ordre de Dieu et l'avis des supérieurs ayant obligé la mère Madeleine de se rendre à Tours où la maison étoit nouvellement fondée. La mère Marie de Jésus soutint cette séparation avec un courage et une force d'esprit bien capables de faire connoître que cette étroite union venoit de la grâce et que la nature n'y avoit aucune part. Elle fit mettre en prière toute la communauté pour recommander à Dieu le voyage et lui demander que le couvent de Tours profitât de la grâce que Dieu lui faisoit en lui envoyant une telle mère.
La mère Marie de Jésus, pendant cette absence, régissoit la maison, au nom et en l'esprit de Jésus-Christ avec une vigilance universelle, entrant dans les moindres détails, assistant avec la plus grande exactitude aux heures de communauté, n'oubliant rien de ce qui pouvoit maintenir la régularité, ne tolérant jamais ce qui pouvoit introduire le plus léger relâchement, surtout au silence et à la promptitude à se rendre aux heures de communauté, et que sans une grande nécessité et une expresse permission on demeurât plus d'une demi-heure au parloir, recommandant fort que le temps y fût bien employé. Elle veilloit sur tous les offices, mais particulièrement sur celui de l'infirmerie, afin que, donnant aux malades ce qui leur étoit nécessaire, on évitât le superflu que la nature pouvoit demander par délicatesse, suivant, en cela comme en tout le reste, ce qu'elle avoit vu pratiquer aux mères espagnoles.
La mère Madeleine de Saint-Joseph, après avoir donné à Tours le temps nécessaire pour le bien de cette maison naissante, revint en celle-ci et fut reçue avec une joie universelle. Notre sainte prieure lui ayant rendu compte de l'état de la maison et de la disposition des sœurs, ce fut avec une grande joie que cette bienheureuse mère vit la régularité et la perfection si bien maintenues. Ces deux saintes âmes se séparèrent bientôt encore, la mère Madeleine ayant été obligée d'aller à Lyon pour une nouvelle fondation. Elles choisirent ensemble les sœurs qu'elles trouvèrent propres pour cet établissement. Cette seconde séparation se fit avec la même édification que la première. Ce fut dans ce temps que la mère Marie de Jésus, attentive à procurer en tout le bien de la maison, fit faire une infirmerie pour joindre à celle qui étoit déjà faite et qui n'étoit pas suffisante. Elle eut soin de ménager dans ce bâtiment une petite chapelle pour donner aux malades, qui ne pouvoient pas aller au chœur, la consolation d'entendre la messe et de communier. Pur ce moyen, on évitoit l'entrée des ecclésiastiques pour la confession, hors les cas de nécessité. Elle fit faire sous cette infirmerie une grotte de Sainte-Madeleine pour augmenter dans ses filles la dévotion à cette sainte amante de Jésus-Christ, qu'elle honoroit très-particulièrement,à cause de cette glorieuse qualité. Un de ses amis lui envoya de Dieppe les coquillages qui composent cette grotte.
Lorsqu'elle parloit à ses filles pour les instruire, elle avoit pour l'ordinaire les mains jointes et les yeux élevés vers le ciel, et paroissoit si remplie de Dieu que chacune jugeoit en la voyant que c'étoit de cette divine source que lui venoit tout ce qu'elle leur disoit; ce qui opéroit de grands effets pour leur avancement dans la perfection.
Notre sainte prieure parloit des voies intérieures et des mystères de Jésus-Christ avec facilité et tant de clarté qu'elle rendoit intelligibles les choses les plus relevées. L'humilité accompagnoit tous ses discours, et dans la crainte que l'on ne crût qu'elle puisoit dans son propre fonds les grandes choses qu'elle disoit, elle avoit soin d'avertir qu'elle les tenoit de M. le cardinal de Bérulle, de la mère Madeleine ou de MlleAcarie. D'autres fois, elle disoit: Une bonne âme m'a fait entendre que Dieu lui avoit donné cette pensée. On a su depuis que c'étoit à elle que Dieu avait donné des connoissances extraordinaires sur les voies intérieures. Elle étoit ennemie de certaines spiritualités qui ne conduisent pas à la mortification[564], voulant que les âmes s'appliquassent aux vertus solides. Avec tout cela, disoit-elle, tout le reste va bien; quand une âme est bien humble, bien obéissante et morte à elle-même, fidèle à l'oraison, Dieu se plaît à verser sur elle ses grâces et ses bénédictions.
Les fondations se multiplioient dans l'ordre, et cette maison étant obligée de fournir plusieurs de ses meilleurs sujets pour faire les nouveaux établissements, les supérieurs se crurent autorisés à s'écarter de la règle qui ne souffre les prieures en charge que six ans de suite. Ainsi la mère Marie de Jésus fut continuée neuf ans dans cette place; mais dès qu'ils furent écoulés, elle demanda avec instance d'en être déchargée, brûlant du désir d'honorer la vie solitaire, assujettie et humiliée de Jésus-Christ, sa profonde humilité lui persuadant de plus en plus qu'elle étoit incapable de servir utilement les âmes, et croyant avoir un grand compte à rendre à Dieu des fautes qu'elles avoit commises à ce sujet.
La mère Madeleine, qui lui succéda, pensoit bien différemment sur la capacité de cette humble mère, la regardant comme très capable de l'assister en la supériorité, la consultant sur tout, se fiant plus en ses lumières qu'aux siennes propres, et se reposant sur elle de la direction des âmes de ses religieuses.
C'étoit une chose admirable de voir ces deux mères dans les heures de conversation avec la communauté. Leur douceur, leur affabilité, leur charité, ravissoient les cœurs. La mère Marie de Jésus secondoit la mère prieure dans les discours de dévotion, parlant avec élévation et ferveur des choses spirituelles, principalement de Jésus-Christ et deses ministres, et concluant pour l'ordinaire que la vraie piété envers Jésus-Christ consistoit en l'imitation de ses vertus. Ces conversations étoient si utiles que chacune en sortoit plus zélée et le cœur plus animé au bien. C'étoit le fruit de l'humilité de la mère Marie de Jésus; on la remarquoit dans toutes ses paroles et actions; un tel assaisonnement est bien capable de faire fructifier la sainte parole.
C'est cette profonde humilité qui a mis un obstacle invincible à la consolation qu'on auroit eue de revoir cette respectable mère à la tête de la communauté; le reste de sa vie s'est passé selon ses désirs dans la pratique de l'obéissance et des vertus les plus héroïques d'une simple particulière; mais les prieures qui ont succédé à notre bienheureuse mère, imitant son exemple, ne voulant pas priver les sœurs de ses saintes instructions, l'obligeoient de leur en donner dans le secret; on les conserve avec soin dans un manuscrit.
Les trente années que la mère Marie de Jésus vécut encore se passèrent dans des maladies presque continuelles: violentes douleurs de foie, inflammations du poumon, maux de dents, coliques pierreuses et bilieuses, fréquentes migraines et érésipèles, tous ces maux se succédoient les uns aux autres et servoient à faire éclater de plus en plus la vertu de cette grande religieuse. Elle a été réduite plusieurs fois à l'extrémité et rendue à la vie comme par miracle; en voici un exemple. En l'année 1641, elle fut attaquée au mois d'août d'un érésipèle avec une fièvre ardente; cette humeur tomba dans la gorge et lui ôta le mouvement nécessaire pour avaler; les médecins désespérant de sa vie, on eut recours à l'intercession de sainte Opportune, invoquée pour ces sortes de maux. M. le curé de la paroisse de ce nom, qui en possédoit une relique, la porta en grande cérémonie à notre malade et la lui appliqua sur la gorge. A peine étoit-il sorti de la maison que la malade put avaler avec grande facilité. Le lendemain, M. Guenaut[565]vint avec un autre médecin pour voir la mère, croyant la trouver à l'extrémité et ignorant ce qui s'étoit passé la veille. Dès qu'il eut mis le pied dans la maison, il se tourna vers celui qui l'accompagnoit et lui dit: «Monsieur, il y a ici quelque chose de Dieu», et demanda des nouvelles de la maladie. On lui répondit qu'il en jugeroit lui-même, ne voulant pas lui dire le miracle. Entrant à l'infirmerie, il répéta encore les paroles susdites; alors ses yeux furent témoins de cette guérison, et sa joie aussi grande que son étonnement, ayant pour cette mère une estime singulière.
Dans une autre maladie où elle reçut l'extrême-onction, ayant paru pendant ce temps extraordinairement élevée à Dieu, on lui demanda ce qui l'avoit occupée si fortement: «Je me suis vue, répondit-elle, en la présence de Dieu comme prête à paroître devant lui, ce qui esttoute autre chose que ce qu'on peut penser par soi-même. J'ai vu la grandeur de Dieu et sa justice, et moi, pauvre et nue, sans avoir rien à lui présenter qui ne fût plein de défauts». Elle ajouta: «Je n'en fus pas surprise; je le remercie de m'avoir rendu la vie pour me donner le temps de m'amender; j'attends mon salut des mérites de Jésus-Christ; c'est sur lui que je fonde mes espérances».
On ne peut exprimer sa reconnoissance pour les assistances qu'elle recevoit des sœurs dans ses maladies et infirmités; elle les remercioit les mains jointes pour les moindres petits services. Sa gaieté n'a jamais été altérée dans les maux les plus violents. «Il ne faut pas, disoit-elle, tant s'occuper de ce que l'on souffre, mais offrir nos douleurs à Dieu et les souffrir avec joie pour l'amour de lui.» Elle révéroit les malades, et les ravissoit tellement par ses discours qu'elle leur faisoit trouver des délices dans leurs maux et leurs souffrances.
Le courage de la mère Marie de Jésus et sa soumission à la volonté de Dieu n'a pas moins paru admirable dans les différentes afflictions dont sa vie a été remplie que dans les souffrances corporelles, et elle les portoit avec une force et une tranquillité plus qu'humaine, et rien n'étoit capable d'abattre sa constance. Elle apprit la mort de Mmela marquise d'Alincourt, sa sœur, fort inopinément par un gentilhomme qui vint au tour lui apporter une lettre et lui dit en même temps cette nouvelle à laquelle elle ne répliqua autre chose, sinon qu'elle avoit besoin de prières, et que l'amitié qu'elle avoit pour elle l'obligeoit à lui donner ce secours. Elle porta avec la même paix la perte de tous ses proches; mais elle eut besoin de toute sa vertu pour faire le sacrifice de son fils, qui fut tué à la fleur de son âge[566]sans avoir eu le temps de se préparer à la mort. Ce qui la toucha le plus vivement dans cette circonstance, ce fut la crainte de la perte de son âme, et sa seule consolation fut d'implorer pour lui la miséricorde de Dieu, et son infinie bonté permit qu'elle fût consolée à ce sujet par une sainte âme qui l'assura qu'il étoit en voie de salut.
Son zèle pour le salut des âmes étoit universel, et il en est un grand nombre qui ont attribué leur conversion à ses prières. Comme nous n'écrivons qu'un abrégé de sa vie, nous n'en rapporterons qu'un exemple. Un homme de mérite, et qui possédoit des biens et des emplois considérables, avoit un engagement criminel et qui mettoit son salut en danger. Madame sa mère, femme d'une grande piété, venoit souvent voir sa fille, religieuse dans ce monastère, et lui confia sa douleur. La mère Marie de Jésus ayant appris l'état de cette pauvre âme, fit beaucoup de prières pour sa conversion; et un jour que cette mère affligée étoit au parloir avec sa fille, notre sainte religieuse eut l'inspiration d'y aller pour la consoler; elle lui donna l'espérance que ce filschangeroit, et lui conseilla de faire dire des messes au Saint-Esprit. En même temps elle lui fit passer lesConfessionsde saint Augustin avec leChemin de perfectionde notre sainte mère, afin qu'elle engageât son fils de lui promettre d'y lire tous les matins durant un quart d'heure seulement. Il le lui promit, mais il passa huit jours sans le faire, au bout desquels se sentant pressé une nuit de tenir sa parole, il se leva et lut quelques pages de ces livres. En même temps Dieu l'éclaira, et le toucha si vivement sur son état qu'il versa pendant plusieurs jours des larmes, et demeura dans un trouble et une si grande agitation qu'il croyoit en perdre l'esprit. Enfin il se calma, mais sans prendre aucune résolution. La nuit suivante, une lumière intérieure toucha son cœur et son esprit sur la grandeur de Dieu; la seconde nuit cette même lumière l'éclaira sur sa bonté infinie, et la troisième sur sa beauté. Pénétré enfin de tant de grâces, dès le matin à la pointe du jour il se fit conduire à la place de Grenelle avec la personne qui le tenoit captif; là, il lui annonça qu'il ne la reverroit jamais. Il lui laissa son carrosse pour se faire conduire où elle voudroit, et il revint à pied chez lui. Cette première démarche fut suivie d'une entière et parfaite conversion. Depuis plusieurs années il n'avoit pas vu sa sœur la carmélite: il s'y rendit; celle-ci fit prier la mère Marie de Jésus de venir le voir, et elle dit à son frère: Voilà votre bienfaitrice; et il lui rendit compte de son intérieur avec une confiance sans réserve, ce qu'il continua de faire régulièrement une fois la semaine pendant plusieurs années. Il suivoit ses conseils avec la plus grande docilité, et fit des progrès si admirables dans la vertu que s'étant défait de sa charge et privé de tous les plaisirs de la vie, il se retira à une campagne où, après avoir passé plusieurs années dans la solitude et la pénitence, se refusant même le nécessaire, il reçut l'ordre de la prêtrise, et finit ses jours dans un amour de Dieu capable d'en inspirer aux cœurs les plus insensibles, surtout lorsqu'il paroissoit à l'autel.
Le détachement de la mère Marie de Jésus pour toutes choses devenoit de jour en jour plus remarquable. Elle fit copier une lettre de M. le cardinal de Bérulle, où étoient ces paroles qui lui faisoient une forte impression:Par la liaison de votre âme avec l'essence divine. Elle parla longtemps de cette divine essence dans notre âme d'une manière très élevée, et depuis ce jour, qui fut le 20 avril 1651, jusqu'à celui de sa mort, elle en parut si pénétrée qu'on ne pouvoit l'approcher sans s'en apercevoir. Elle voulut aussi avoir par écrit en gros caractères, afin qu'elle pût le lire elle-même, un extrait du même auteur qui traitoit de la vie éternelle, pesant surtout ces paroles:La vie éternelle est dans l'intime de l'âme, répétant souvent ces paroles:Dieu est là: il nous regarde, non d'un regard sec comme celui des hommes, mais d'un regard qui opère dans notre âme; choses grandes et admirables,car Dieu qui l'a créée pour soi, la veut remplir de la grâce de lui-même et de toute la sainte et adorable trinité.
Enfin le moment étant arrivé où Dieu voulut priver la terre de ce trésor de grâce, elle tomba malade, comme il se verra dans la lettre suivante écrite à tout l'ordre par la mère Agnès de Jésus-Maria, après le décès de notre vénérable mère. Nous rapporterons seulement ici quelques circonstances qui n'y sont pas insérées.
Le jour que l'opération dont il sera parlé fut décidée, la sainte malade étant dans des souffrances excessives, elle se fit porter dans la chambre où étoit morte notre bienheureuse mère (la mère Madeleine de Saint-Joseph), de là à l'hermitage de la sainte Vierge, et au chœur où elle demeura un temps considérable. On la reporta ensuite à l'infirmerie, où elle resta en silence comme une âme qui ne veut plus d'entretien qu'avec Dieu. Le jour de sa mort, on dit une messe à la chapelle qui répond à son infirmerie, à laquelle six ou sept sœurs communièrent. Dès qu'elles eurent reçu la sainte hostie, elles se mirent autour de la malade, ce qu'il semble que Dieu permit pour satisfaire le désir qu'elle avoit toujours eu de mourir devant le Saint-Sacrement, car elle est expirée quelques moments après. La mère Madeleine de Jésus, qui avoit marqué pendant la maladie de cette chère mère un courage d'une force surprenante, parut pendant le temps duSubvenitedans une douleur et un accablement inexprimables; puis, en un instant, son visage devint rayonnant; elle fit entonner leTe Deumpour rendre grâce à Dieu du bonheur et des vertus de la défunte. Elle la vit en esprit près d'un grand lac qui les séparoit, et la bienheureuse lui disoit d'un visage riant, lui tendant les bras: A cette heure que je suis passée, je vous aiderai toutes à passer.
La reine Anne d'Autriche, qui avoit désiré d'être présente à sa mort, voulut au moins assister à son enterrement avec monsieur son fils. Ce jeune prince voulut qu'on fît toucher son chapelet à ce bienheureux corps. Ce fut le père de Harlay, frère de cette respectable mère, qui officia avec un courage et une fermeté édifiante, vu le tendre attachement qu'il avoit pour elle. Monseigneur l'évêque de Saint-Malo y assista avec un très grand nombre d'autres ecclésiastiques, qui tous fondirent en larmes, entendant prononcer ces paroles:Domine, miserere super istâ peccatrice. Elle fut enterrée près de notre bienheureuse mère. Plusieurs personnes, qui ont eu recours à son intercession, ont reçu l'effet de leurs demandes.»