Entre tant de héros choisir un Childebrand!
Entre tant de héros choisir un Childebrand!
Entre tant de héros choisir un Childebrand!
Il a 60.000 livres de rente, avant peu 200.000, duc et pair à deux pairies, une belle charge, fils d’un homme qui a joué les plus grands rôles, que les persécutions qu’il éprouve rendent plus grand encore aux yeux des honnêtes gens... qui épouse Mˡˡᵉ Galliffet!! la transition est un peu forte et ce n’est plus le cas de dire:
La chute en est heureuse![447]»
La chute en est heureuse![447]»
La chute en est heureuse![447]»
D’ailleurs peu intéressant, ce Fronsac! C’était lui que Gilbert avait flétri dans sa fameuseApologie, joueur et libertin, se faisant incendiaire pour enlever une fille, qu’il abandonnait après l’avoir violée.
A ce moment, Mᵐᵉ de Maurepas qui tenait sa nièce au courant des nouvelles familiales et lui avait annoncé, quelques mois auparavant, la retraite définitive de son frère Saint-Florentin, duc de la Vrillière, «s’arrangeant pour aller une fois encore la semaine à la Cour[448]», Mᵐᵉ de Maurepas lui apprenait l’état trèsgrave de cet oncle subitement frappé de paralysie, et l’invitait à se rendre à Pontchartrain pour le règlement futur de leurs intérêts respectifs. Mᵐᵉ d’Aiguillon fait part de la nouvelle à Balleroy, prévoyant pour Saint-Florentin la même fin qu’avait eue son beau-père, à la suite d’une attaque d’apoplexie. Elle avait écrit à sa tante qu’elle s’en rapportait entièrement à elle et à son mari de la question de partage. Cet oncle ne lui ayant jamais témoigné—comme l’autre d’ailleurs—qu’une affection sans péril pour son égoïsme, la duchesse revient bien vite à des sujets qui lui touchent autrement au cœur. C’est encore de Chabrillan qu’il s’agit. Le pays lui plaît, mais pas autant qu’elle l’eût espéré. Aussi est-il parti «en très bonne santé: je prétends, ajoute-t-elle, qu’il ne tiendra pas huit jours sans s’y ennuyer. C’est une si belle chose que la Cour!» dit-elle malicieusement.
Enfin, elle renseigne Balleroy sur les distractions présentes d’Aiguillon et sur les plaisirs qui l’attendent dans un avenir prochain:
«... Cette belle Candide nous a joué laServante maîtressetrès bien... Vous trouverez ma ménagerie fort augmentée. J’ai acquis un perroquet qui fait les délices du château, surtout du maître. Je forme une volière de toutes sortes d’oiseaux chantants, que je compte mettre dans les bosquets. En attendant, ils sont tous dans la salle à manger en cage; il y en a plus de 200, cela fait un beau bruit[449]...»
Balleroy est bien partagé: sa correspondante ne lui mesure pas les informations:
«Pour le coup, monsieur le chevalier, on ne peut pas se plaindre de la disette de nouvelles; il y en a de toutes les couleurs. 1ºLe Grand Panest à bas, puisque M. Turgot est renvoyé: que vont devenir les philosophes, les encyclopédistes, les économistes? Que va dire M. d’Anville? Je ne vois que ceux-là qui puissent s’en fâcher. Ce qui est sûr, c’est que ce ne sera pas moi; et quand on aurait changé le conseil tout entier, je n’en serais pas plus triste.»
Le compliment n’est guère flatteur pour l’oncle Maurepas; mais nous savons que la duchesse ne s’était jamais fait la moindre illusion sur l’homme, ni sur le parent. Elle aborde ensuite un sujet qui répond aux préoccupations immédiates de son mari.
A propos de Guines «qu’on accuse d’assez vilaines choses et qui n’est pas encore jugé, on ne lui rend pas encore son ambassade; c’est donc que l’on continue à être mécontent de lui».
Mais, la duchesse, partageant la sagacité de M. d’Aiguillon, prévoit que l’intéressant accusé sortira de l’épreuve avec les honneurs de la guerre: «On lui fait une grâce que des gens qui ont bien servi demandent en vain; le roi lui écrit une lettre de sa main, comme en recevrait un général qui aurait sauvé l’Etat!» Allusion rétrospective à la victoire de Saint-Cast[450].
Le diplomate chagrin, qui représentait l’Autriche à la Cour de France, gémissait de cette nouvelle sautedans l’esprit léger et fantasque de Marie-Antoinette; encore voulait-il y trouver des circonstances atténuantes: «la reine est obsédée par ses entours pour M. de Guines». Cet heureux mortel est sur le point d’être nommé duc. Et Mercy estime quelque peu excessive une telle faveur, s’affichant au milieu de courses et de paris, à travers un débordement de plaisirs et un déchaînement de dissipation auxquels préside la princesse de Guéméné. Au reste la question Guines est devenue comme un champ clos où se combattent les Choiseul et les d’Aiguillon: ceux-ci continuent à lancer des épigrammes, des chansons, des libelles où le roi et la reine ne sont guère ménagés: l’irritation n’en est que plus vive contre le duc d’Aiguillon[451].
Et maintenant que faut-il croire de la prétendue intervention de Lauzun en faveur de Guines, alors qu’à la suite d’un conciliabule entre Coigny, la reine et lui, Marie-Antoinette voulut abandonner l’ambassadeur? Lauzun se serait énergiquement opposé à cette défection. Et la reine, se rangeant à cet avis, aurait obtenu de Louis XVI que Guines fût admis à se justifier. Or celui-ci avait su se disculper. Aussi avait-il été décidé entre Marie-Antoinette et son mari, que le roi écrirait à Guines pour lui dire qu’il étaitcontent de ses services et lui accorderait ensuite le brevet de duc. Bien mieux, la reine aurait envoyé chercher Guines, à neuf heures du matin, pour lui annoncer cette bonne nouvelle et lui remettre en mains propres le titre royal[452].
Ce qui résulte de tous ces racontars d’antichambre, de ces luttes d’influences dans les salons de Versailles, de ces intrigues mesquines ourdies au fond des boudoirs, de cette petite guerre à coups de bons mots, de couplets et de libelles, c’est qu’une nouvelle école naissait à la vie politique: école de vice, de corruption et de décadence. Sur les débris de cette société en décomposition qu’était la Cour de Louis XV, s’élevait toute une génération de jeunes et fringants gentilshommes, vaniteux, suffisants, arrogants, déterminés viveurs, jouisseurs effrénés, sans morale, sans religion, sans scrupules, escrocs à l’occasion, aussi besogneux qu’assoiffés de plaisirs, braves et même magnifiques par destination, mais poussant jusqu’aux dernières limites l’effronterie, l’impudence et le cynisme. Ils estimaient aujourd’hui que, pour arriver à la Cour, il n’était plus nécessaire d’assiéger et d’enlever le cœur des reines de la main gauche, puisqu’il s’en trouvait une véritable, et combien séduisante, sinon d’une beauté accomplie, du moins d’une élégance exquise, d’un charme capiteux, d’une grâce incomparable, accueillant, avec ivresse, dans un délicieux sourire, les flots d’encens montant jusqu’à elle. Et comme la conquête pour ces jeunes seigneurs devrait en être facile! Quel être dépourvu de prestige et de poésie, que ce mari lourd, épais et brutal, honnête homme par instinct, ayant pris, dans une atmosphère imprégnée de philosophisme, comme une vague intention de faire le bien, mais trop faible et trop mou pour la suivre, qui n’avait ni la majesté du Roi-Soleil, ni la suprême beauté de Louis XV et qui ne tenait des Bourbons que la gloutonnerie, la frénésie de la chasse et la passion du vin.
Ainsi pensait, ainsi même s’exprimait, sans la moindre contrainte, cette jeunesse qui faisait litière de tous les grands sentiments et de toutes les nobles idées, qui avait abjuré tous les cultes et principalement celui de la famille, objet de son mépris et de ses risées.
Mais cette sainte piété, qui prépare les cœurs aux plus héroïques sacrifices, parce qu’elle est la source vive de l’amour de la patrie, n’était pas morte dans tous les cœurs. Avec quelle force et de quel éclat elle brillait dans l’âme généreuse de la duchesse d’Aiguillon!
Les sanglots que lui arracha la mort prématurée de la marquise de Chabrillan, victime elle-même de sa tendresse filiale, démontrent, de reste, la puissance et l’étendue de cet amour maternel.
Sa lettre du 21 juin au chevalier de Balleroy est le cri exaspéré de la douleur qui sera éternelle:
Aiguillon, ce 21 juin 1776.«Je n’ai point de termes pour vous peindre ma douleur: l’affreux spectacle que je viens d’avoir m’a rouvert ma plaie qui n’était rien moins que fermée. Toutes les circonstances de la maladie de ma fille sont si semblables à celles qui m’ont enlevé ma fille aînée et qui sont toujours présentes à mon cœur, qu’à chaque instant je voyais mes deux filles mortes et mourantes.C’est un déchirement dont on n’a pas d’idée: l’une a passé au moment de se former, cette humeur s’est jetée sur sa poitrine; et sa malheureuse sœur a péri d’une fièvre de lait qui s’est de même jetée sur sa poitrine.Aussi le fait est que je les ai perdues toutes les deux, et que c’est l’acharnement de nos ennemis et de la reine en particulier qui l’ont tuée. Si on ne nous eût pas forcés à passer ici l’année passée, nous aurions été à Veretz, où elle serait venue avec nous; elle aurait été paisiblement faire ses couches à Paris, où elle aurait eu tout le temps nécessaire pour faire passer son lait; elle existerait encore; au lieu de cela, comme il y avait un an qu’elle n’avait vu ni son père, ni moi, elle en avait la plus grande impatience; elle s’est pressée et fait illusion à elle-même et est arrivée pour périr sous nos yeux, victime de son attachement pour nous et de la haine de M. de Guines; il est certain que nous sommes assez malheureux, nos ennemis doivent être contents. Vous savez mieux que personne combien nous étions heureux et contents ici; cet événement empoisonne un lieu qui est et doit être notre retraite.Je ne m’occupe qu’à diminuer ma douleur vis-à-vis de M. d’Aiguillon et de lui faire croire que je me distrais. Je tâche de ne pas augmenter sa douleur par la mienne. Je vois qu’il fait les mêmes efforts; nous nous contraignons l’un pour l’autre; il en résultera que nous en prendrons l’habitude peut-être, et véritablement nous nous désespérons.Il est impossible de recevoir plus de marques d’amitié que je n’en ai reçu dans cette malheureuse occasion[453].»
Aiguillon, ce 21 juin 1776.
«Je n’ai point de termes pour vous peindre ma douleur: l’affreux spectacle que je viens d’avoir m’a rouvert ma plaie qui n’était rien moins que fermée. Toutes les circonstances de la maladie de ma fille sont si semblables à celles qui m’ont enlevé ma fille aînée et qui sont toujours présentes à mon cœur, qu’à chaque instant je voyais mes deux filles mortes et mourantes.
C’est un déchirement dont on n’a pas d’idée: l’une a passé au moment de se former, cette humeur s’est jetée sur sa poitrine; et sa malheureuse sœur a péri d’une fièvre de lait qui s’est de même jetée sur sa poitrine.
Aussi le fait est que je les ai perdues toutes les deux, et que c’est l’acharnement de nos ennemis et de la reine en particulier qui l’ont tuée. Si on ne nous eût pas forcés à passer ici l’année passée, nous aurions été à Veretz, où elle serait venue avec nous; elle aurait été paisiblement faire ses couches à Paris, où elle aurait eu tout le temps nécessaire pour faire passer son lait; elle existerait encore; au lieu de cela, comme il y avait un an qu’elle n’avait vu ni son père, ni moi, elle en avait la plus grande impatience; elle s’est pressée et fait illusion à elle-même et est arrivée pour périr sous nos yeux, victime de son attachement pour nous et de la haine de M. de Guines; il est certain que nous sommes assez malheureux, nos ennemis doivent être contents. Vous savez mieux que personne combien nous étions heureux et contents ici; cet événement empoisonne un lieu qui est et doit être notre retraite.
Je ne m’occupe qu’à diminuer ma douleur vis-à-vis de M. d’Aiguillon et de lui faire croire que je me distrais. Je tâche de ne pas augmenter sa douleur par la mienne. Je vois qu’il fait les mêmes efforts; nous nous contraignons l’un pour l’autre; il en résultera que nous en prendrons l’habitude peut-être, et véritablement nous nous désespérons.
Il est impossible de recevoir plus de marques d’amitié que je n’en ai reçu dans cette malheureuse occasion[453].»
C’est la première fois et ce sera la dernière, que, dans le cours de sa correspondance avec Balleroy, la mère parlera avec cette véhémence de la femme à qui elle attribue la mort de son enfant. Elle, d’ordinaire si prudente, ne peut retenir l’explosion de sa colère.
Sa lettre du 8 juillet cristallise en quelque sorte la souffrance qui fut toujours son lot et qu’elle a soigneusement cachée sous sa gaîté coutumière, par égard et par amour pour son mari: «Cette perte affreuse m’a rappelé la mort de ma fille aînée... j’ai pleuré en même temps tous mes enfants... Il est dur, avant cinquante ans, d’avoir éprouvé tout ce qui m’est arrivé». Moins que jamais, elle veut quitter Aiguillon: «Le parti que nous prenons de rester ici est celui que je crois être le plus sage, vu l’acharnement très actif de nos ennemis et la tranquillité plus que passive de ceux qui sont à portée de prendre notre parti et qui même le devraient.»
La fin, si touchante, de cette pauvre jeune femme, accourue, avant que sa santé ne fût rétablie, auprèsde ses parents en exil, avait ému les âmes sensibles à la Cour et à la Ville[454]. Le roi, dit Moreau, écrivit au père qu’il pouvait quitter la tombe de sa fille[455]. Nous ne croyons pas qu’un autre mémorialiste ait signalé le fait. Mais ce qui est certain, c’est que l’Histoire réserve à Marie-Antoinette, seule, l’honneur d’avoir spontanément réclamé le rappel de l’homme qu’elle détestait, dès qu’elle apprit la situation, très grave, de Mᵐᵉ de Chabrillan.
Le 20 juin, Mᵐᵉ de Maurepas adressait, toute affaire cessante, ce billet à sa nièce:
«M. de Maurepas écrit à M. d’Aiguillon et lui mande que la reine, étant touchée d’apprendre la maladie de votre malheureuse fille, est venue chez le roi, où était M. de Maurepas et lui a dit qu’elle lui rendait toute liberté et qu’il pouvait venir à Paris et dans tous les lieux qu’il voudra, excepté la Cour. Si votre fille avait sa guérison, quel plaisir j’aurais[456]!»
La lettre de Maurepas, expédiée de Marly et datée du même jour, est conçue à peu près dans les mêmes termes: «quel que fût l’événement», la reine «touchée enfin de votre situation» consentait etc...[457]
La dépêche envoyée, le 14 juillet, par Marie-Antoinette à Marie-Thérèse[458]est très explicite: «Dès que j’ai su qu’elle (la marquise) était en danger, j’ai trouvé que si M. d’Aiguillon venait à perdre sa fille, il serait inhumain de l’obliger à rester dans l’endroit où sa fille était morte. J’ai demandé au roi de lui laisser laliberté d’aller partout où il voudra, excepté la Cour. Le roi me l’a accordé.»
Il est donc bien certain que Marie-Antoinette n’a pas attendu, comme l’ont prétendu quelques historiens, la mort de la malheureuse jeune femme survenue dans cette même journée du 20 juin, pour demander le rappel de d’Aiguillon. Mais ce qui est non moins exact, à en croire Mercy, c’est que la reine n’eut pas, la première, l’idée de cette démarche. La comtesse de Polignac—une nouvelle amie—et le duc de Guines l’avaient incitée à la faire «par politique». Ne valait-il pas mieux, disaient-ils, prévenir un acte de clémence qui eût peut-être accordé à d’Aiguillon sa grâce tout entière, en n’en demandant pour lui que la moitié[459]?
Et le confident de l’impératrice démontre combien Marie-Antoinette—aussi faible en cela de caractère que Louis XVI—se laissait diriger par cette tourbe d’intrigants des deux sexes qui aspiraient à devenir les maîtres de la Cour: «Je trouvai la reine fort persuadée de l’adresse et de la sagacité de ses conseillers; mais sa surprise fut grande, quand je lui fis voir la loucherie et la mauvaise foi qui avaient dicté ces conseils.» Mᵐᵉ de Polignac et M. de Guines n’étaient que des ambitieux, uniquement soucieux d’accaparer les bonnes grâces de Maurepas. Et moi, disait avec amertume Mercy-Argenteau, en s’adressant à Marie-Antoinette, quand je voulus m’employer également pour M. d’Aiguillon, Votre Majesté «n’a mis aucunes bornes à ses déclarations trop publiques et trop sévères!» Etait-ce une amende honorable? En tout cas, l’ambassadeur termine sur ce mot: Il me semble que la reine m’a «écouté avec attention[460]». Naïf diplomate, sous la maussade apparence de sa défiance perpétuelle! Mais combien imprudente cette jeune souveraine, qui devait expier plus tard si tragiquement dans des angoisses familiales aussi douloureuses que celles de Mᵐᵉ d’Aiguillon, les erreurs et les caprices d’une volonté, impatiente de toute contrainte, qu’asservissait cependant à d’indignes courtisans la soif immodérée des plaisirs.
Arrêt dans la correspondance.—D’Aiguillon refuse de rentrer à Paris.—L’opinion publique n’en dénonce pas moins ses intrigues avec son oncle pour revenir à la Cour.—Action persistante de Mᵐᵉ de Maurepas dans l’intérêt de son neveu.—Le buste de Louis XVI.—La succession de La Vrillière et «la vilaine petite race».—Irritation de la duchesse contre Guines.—Une saison à Bagnères dans la plus stricte intimité.—Mᵐᵉ d’Aiguillon «écorchée comme saint Barthélemy».—«Mauvaise compagnie» des gens de Cour.—Retour au château: nouvelles récriminations du châtelain; «absorbement continuel» de la châtelaine.
Arrêt dans la correspondance.—D’Aiguillon refuse de rentrer à Paris.—L’opinion publique n’en dénonce pas moins ses intrigues avec son oncle pour revenir à la Cour.—Action persistante de Mᵐᵉ de Maurepas dans l’intérêt de son neveu.—Le buste de Louis XVI.—La succession de La Vrillière et «la vilaine petite race».—Irritation de la duchesse contre Guines.—Une saison à Bagnères dans la plus stricte intimité.—Mᵐᵉ d’Aiguillon «écorchée comme saint Barthélemy».—«Mauvaise compagnie» des gens de Cour.—Retour au château: nouvelles récriminations du châtelain; «absorbement continuel» de la châtelaine.
La commotion avait été trop violente, le deuil était trop récent et trop profond chez les d’Aiguillon, pour que, même dans un milieu où les obligations mondaines créaient de tyranniques exigences, la vie du château n’y restât de longtemps suspendue. Encore n’y reprit-elle, en 1777, que pour un petit nombre d’intimes, mais à porte entre-baîllée, dans la tristesse des voiles funèbres, devant le souvenir sans cesse rappelé de l’enfant à jamais disparue.
Plus de correspondance pendant près de neuf mois. La duchesse a brisé sa plume; et il semble que le duc se soit désintéressé de la politique. Par un sentiment de fierté très légitime, il avait refusé, «comme un déshonneur[461]», cette demi-grâce qui lui interdisait deremplir une des fonctions les plus précieuses de sa charge, celle de travailler personnellement avec le roi. Il préférait, disait-il, vivre dans la solitude et ne reviendrait à Paris que «si jamais le soin de ses affaires l’y appelait». Ce fut son oncle qu’il chargea de «voir le roi et de lui porter ses mémoires (pour les chevau-légers)». Maurepas les lui retournait «approuvés et signés sans difficulté[462]».
Paris n’en préjugeait pas moins, en ce moment, les secrètes pensées du neveu. Les Noëls pour l’année 1777, qui couraient déjà par la ville, le confondaient avec l’oncle dans le même couplet:
D’Aiguillon à l’intrigueSe borne maintenant.Le Mentor pour lui briguePoste très important;Et ce vieillard, dit-on,Un peu dans la démence,Voudrait auprès de son pouponPlacer le Docteur d’AiguillonPour enterrer la France.
D’Aiguillon à l’intrigueSe borne maintenant.Le Mentor pour lui briguePoste très important;Et ce vieillard, dit-on,Un peu dans la démence,Voudrait auprès de son pouponPlacer le Docteur d’AiguillonPour enterrer la France.
D’Aiguillon à l’intrigueSe borne maintenant.Le Mentor pour lui briguePoste très important;Et ce vieillard, dit-on,Un peu dans la démence,Voudrait auprès de son pouponPlacer le Docteur d’AiguillonPour enterrer la France.
De son côté, Hardy consignait, dans sonJournal, les échos des réflexions bourgeoises sur ce croisement de menées souterraines, auxquelles se trouvait encore mêlé un homme que ses amis espéraient enfin rendre sympathique par l’étendue même de ses malheurs:
«Quelques personnes mêmes regardaient le rappel de M. d’Aiguillon comme une preuve de crédit qu’avait encore le sieur comte de Maurepas, en même temps qu’ils imaginaient que son séjour dans la capitale pourrait bien influencer sur les intrigues qui avaient pour but d’écarter le duc de Choiseul que la reine paraissait désirer voir remonter au ministère[463]...»
Hardy ajoutait que «s’il fallait s’en rapporter à des personnes qui se disaient bien instruites, quoique le parti du duc d’Aiguillon se fortifiât de jour en jour, au point que le roi, Monsieur et Mesdames de France étaient notamment décidés en sa faveur, ledit comte de Maurepas mettrait encore obstacle à ce qu’il rentrât dans le ministère, par la seule crainte qu’il avait que son rétablissement ne vînt à diminuer le crédit dont il jouissait fort tranquillement».
La détermination, réelle, de M. d’Aiguillon avait dû quelque peu déconcerter Mᵐᵉ de Maurepas, non pas que la résolution des exilés lui parût inexplicable; elle avait très vivement partagé leur désespoir et même voulu arracher sa nièce au séjour qui lui en ravivait à toute heure les transports; mais ce qu’elle ne pouvait comprendre, c’est que son neveu coupât ainsi les ponts derrière soi. Elle qui s’était attachée si étroitement à la fortune de M. d’Aiguillon, jusqu’à défendre sa cause en pleine adversité et à lui assurer le concours d’un homme aussi ondoyant que M. de Maurepas, elle verrait donc s’écrouler l’édifice si laborieusement construit de ses propres mains!
Quelle curieuse figure que celle de la sœur de Mᵐᵉ de Plélo! Restant volontiers dans l’ombre, comme l’ambassadrice de Danemarck, à ce point que la plupart des historiens ne l’ont pas connue, elle n’en avait pas moins cette préoccupation intéressée de la politique que ne connut jamais sa sœur et qui s’appelle vulgairement de l’ambition. Mais de l’ambition dans le noble sens du mot. Elle voulut travailler à la grandeur des La Vrillière et à la gloire des Plélo; non pas pour elle, mais pour les héritiers de ces deux noms et de ces deux familles.
Le rôle de cette femme active et intelligente n’a pas échappé à ses contemporains, bien que, depuis la disgrâce, si longue, de son mari, elle vécût peu à la Cour et qu’elle dirigeât plus volontiers de sa chambre les opérations dont elle attendait le triomphe des siens.
C’est ainsi qu’avec les conseils et l’aide de l’abbé de Véri[464], au dire de certains mémorialistes, elle soutenait le crédit de Maurepas, pour le plus grand profit de son neveu d’Aiguillon, sur qui s’étaient reportées toute son affection et toutes ses espérances.
L’exil de l’un avait en quelque sorte coïncidé avec le rappel de l’autre. Et nous avons vu par quelles savantes manœuvres, en présence de l’hostilité irréductible de Marie-Antoinette, Mᵐᵉ de Maurepas s’était efforcée de stimuler le zèle intermittent de son mari, de calmer l’irritation de son neveu, d’encourager les amis de d’Aiguillon, de contre-carrer ses ennemis et cependant de ne pas mécontenter la reine.
Toutes occasions lui étaient bonnes pour mettre en jeu l’intervention de Maurepas. Et nous trouvons une nouvelle preuve de cette habile tactique dans deux anecdotes que nous empruntons encore au journal de Hardy.
Quand La Vrillière tomba en paralysie, Maurepas se rendit un jour chez la reine, pour lui dire combien, dans une affaire toute privée, la présence de son neveu devenait nécessaire à Paris. «Je ne consentirai jamais au retour du duc d’Aiguillon, répondit la reine. Il s’est montré mon ennemi personnel; et je répudierai comme mes ennemis tous ceux qui oseront me parler en sa faveur[465].»
La démarche du ministre était cependant très rationnelle; mais la judiciaire de Marie-Antoinette, entretenue dans son entêtement par la coterie qui la dominait, était brouillée depuis longtemps avec la logique. Mᵐᵉ de Maurepas se le tint pour dit. La mort, si cruelle, de Mᵐᵉ de Chabrillan avait bien amené une sorte de trève. Mais l’habile manœuvrière, avant de reprendre la campagne, voulut savoir si son mari avait encore le crédit nécessaire pour la recommencer. Elle s’avisa en conséquence d’une démonstration lui permettant en quelque sorte de tâter le terrain. Elle fit persuader au roi de donner son buste à Maurepas, qui en serait grandement honoré. C’était de tradition, depuis tantôt deux siècles, chez les maîtres de la France, d’octroyer libéralement un exemplaire de leur effigie à ceux de leurs sujets qu’ils en jugeaient les plus dignes. Maurepas reçut donc de son souverain ce royal cadeau et en témoigna une telle joie devant le prince, que celui-ci s’en montra tout ému. La preuve était faite pour Mᵐᵉ de Maurepas, «le point central et le nœud gordien de toutes les intrigues de la Cour», suivant l’image quelque peu compliquée de l’honnête libraire[466].
On voulait donc servir ce neveu, malgré son obstination à s’enfermer dans son castel de l’Agenois. Aussi fallait-il le garer de toutes les chausse-trappes qui pourraient guetter son passage, si le désir lui revenait de reprendre le chemin de Paris. Maurepas avait craint un instant que d’Aiguillon ne fût impliqué dans l’affaire de la Cahouet de Villers, une des femmes de la reine, qui avait jadis contribué à la fortune de la Du Barry. Il s’agissait d’une de ces escroqueries qui prirent si souvent la reine pour point de mire et dont l’affaire du collierdevait être la synthèse lamieux réussie. Maurepas en fut quitte pour la peur[467].
La mort, prévue, de son beau-frère La Vrillière, lui avait inspiré, comme à sa femme, de nouvelles inquiétudes, mais celles-ci d’ordre privé. La perte était médiocre: le secrétaire d’État avait été servile et plutôt malfaisant pour ses administrés: ayant dans son département les lettres de cachet, il en avait abusé, et même au profit de belles dames, prétendait la légende. L’homme ne valait guère mieux: vain, présomptueux, ignorant et sot, il faisait peu d’honneur à l’intelligente famille des La Vrillière. Le parent était taillé sur le même modèle: après la mort de sa femme, la comtesse de Platen, dont il n’avait pas eu d’enfants, il s’était acoquiné avec une intrigante qui avait épousé Sabatin, commis des finances; et cette maîtresse, méchante et perfide créature, qui lui avait donné plusieurs bâtards, avait éloigné peu à peu de sa famille cet imbécile vieillard. Il avait soutenu d’Aiguillon, pendant ses procès avec les Parlements, mais sans grande conviction, et parce qu’il n’eût pas osé faire acte d’indépendance devant Louis XV. Qu’il eût éprouvé moins d’embarras, s’il n’avait craint, d’autre part, de rompre en visière avec Choiseul! La disgrâce de son neveu l’avait trouvé aussi perplexe: mais il lui avait fallu, comme sa fonction le voulait, porter l’ordre d’exil au «mauvais sujet» qu’avait désigné la reine.
Mᵐᵉ d’Aiguillon, qui, depuis la mort de sa fille, avait «donné beaucoup d’inquiétudes[468]» aux Maurepas, avait dû sortir de son marasme pour s’occuper de cette succession, sur laquelle, par parenthèse, elle comptait fort peu. Comme elle l’annonce à Balleroy, après neuf mois de silence, «la mort de M. de la Vrillière (27 février 1777) a donné beaucoup à écrire».
«... Cet événement, tout prévu qu’il était, m’a fait de la peine; c’était le frère de ma mère, dont je n’ai eu à me plaindre que de ses faiblesses: tout le tort qu’il a jamais pu me faire ne vient que de cette cause, d’autant qu’il était mené par des gens très mal intentionnés.
Son testament était fort avantageux pour les Langeac (ses bâtards); mais «très honnêtement, il l’avait révoqué huit jours avant sa mort». Tout ce qui me fâche, c’est que cette révocation était au bas du testament et subsiste; et c’est une preuve qui a été faite dans des termes bien étranges. J’en suis fâchée pour sa mémoire et voudrais que l’héritage fût moindre et qu’il fût imprimé(?).
On m’a mandé que ce qui l’a engagé au changement, était le mécontentement où il était de cette vilaine petite race qui avait jeté beaucoup d’amertume sur les derniers jours de sa vie.
Mes parents me mandent que je dois venir pour nos partages. Ma réponse a été que, comme eux-mêmes ont pensé avec raison que je ne devrais pas revenir, tant que l’affaire de M. de Guines ne serait pas jugée, qu’il y aurait à craindre qu’on nous supposât des intrigues aussi faussement qu’on l’a déjà fait, que nous croyons plus sage de rester ici, que nous nous rapportons en entier à tout ce qu’ils jugeront appropriépour nos affaires, que sur cela, je priais M. de Maurepas de me servir encore une fois de tuteur[469]...»
Comme on voit, Mᵐᵉ d’Aiguillon était toujours préoccupée de l’affaire de Guines. Elle y revient le mois suivant[470]:
«Vous me parlez de la requête de M. de Guines; mais vous ne savez pas: 1º que cette requête et la lettre qui l’accompagne et qu’il a envoyée à tous ces messieurs du Parlement, est remplie d’atrocités personnelles contre M. d’Aiguillon et qu’il a eu l’insolence d’envoyer à sa porte (rue de l’Université) un paquet à son adresse, dont il a fait demander un reçu du suisse, qui contient les deux derniers mémoires et la copie de ladite lettre. J’en ai écrit à mes parents, pensant qu’il est plus que temps de faire taire ce vilain chien enragé et que, actuellement que son procès est fini, il serait possible de lui imposer silence. Il est ennuyeux, quand on ne demande qu’à rester tranquille, de ne pouvoir pas l’obtenir et d’être toujours en butte à une cabale infernale.
Si ma lettre arrive à temps et que vous puissiez voir M. de Maurepas, vous me feriez plaisir de lui en parler sur le même ton...»
N’est-ce pas le langage d’une femme sincère, qui «ne demanda» toute sa vie «qu’à rester tranquille» et que le sort jeta toute sa vie également au milieu d’un enchevêtrement d’intrigues, auxquelles sa droiture lui défendit de participer et dont elle prétend sonmari—bel exemple d’héroïsme conjugal!—l’éternelle victime?
Elle revient à la succession de son oncle: elle ignore si Châteauneuf—actuellement La Vrillière—sera compris «dans son partage»; elle préférerait qu’il fût attribué à son cousin Du Châtelet[471]. L’hôtel de La Vrillière était, dit M. d’Aiguillon, le lot de Mᵐᵉ de Maurepas; et le duc de Fitz-James, qui venait de perdre sa femme, voulait l’acheter. Mais M. de Maurepas lui en demandait un prix trop élevé[472]. Chemin faisant, cet oncle, qui connut toujours si bien ses intérêts, reçoit de sa nièce ce coup de griffe que nous ne nous expliquons pas: «il dérange sa santé par de nouvelles imprudences qu’on ne pardonnerait pas à un jeune homme[473]». M. de Maurepas était un goutteux endurci. Il n’avait jamais eu, et pour cause, paraît-il, la réputation d’un coureur de guilledou, mais il aimait les fins dîners et les vins généreux; les chroniques du temps en font foi.
D’autres soins, plus pressants, s’imposaient à la vigilance de Mᵐᵉ d’Aiguillon: de graves inquiétudessur la santé de son mari venaient raviver des plaies, qui, pour être déjà anciennes, n’en restaient pas moins saignantes.
Vraisemblablement l’affection bilieuse qui tracassait le duc et qui s’était jadis accusée par ces irruptions de jaunisse, sur lesquelles la malignité des libellistes s’était si souvent égayée, avait reparu plus pénible et plus menaçante, depuis le passage de la mort dans le château d’Aiguillon. Des infiltrations et des tumeurs s’étaient manifestées, qui avaient résisté à l’emploi de topiques et de l’eau de Vals. Les médecins de Montpellier (ils étaient quatre) que, sur les instances de sa femme[474], le malade avait consultés, lui ordonnèrent de se rendre à Bagnères, puis à Barèges[475]. Mᵐᵉ d’Aiguillon accompagna son mari. Quelle fut la durée de la cure? Nous l’ignorons; mais les deux baigneurs, car la duchesse, sans doute par amour conjugal, voulut suivre aussi un traitement, séjournèrent presque trois mois dans les Pyrénées. Nous devons à leur correspondance avec Balleroy de piquants détails sur la vie balnéaire à cette époque et sur le monde qui la pratiquait.
Le duc se plaint du temps qui est «affreux»; mais il est satisfait de sa santé; il est à peu près guéri. Son fils, qui est fort bien portant, boit tous les jours deux verres d’eau; et «il mange, dort et danse plus que jamais[476]».
La duchesse note l’effet des eaux—boissons, douches et bains—sur son mari. Si celui-ci est enchantéde son traitement, elle ne l’est guère du sien: convenait-il seulement à son affection du foie? «Je suis prise de la tête aux pieds et écorchée comme saint Barthélemy. On dit: c’est une preuve que les eaux chassent toutes les mauvaises humeurs qui sont en moi. Ce sera là une belle opération surtout si elles chassent tous les sujets d’humeur que j’ai et que je dois avoir[477].»
Les excursions lui font prendre ses maux en patience: «Ce pays est singulier et très pittoresque; il y a entre autres une promenade qui offre des points de vue frappants, tels que de voir des montagnes qui se perdent dans les nues, qui sont toutes couvertes de neige et ne produisent que des rochers, et de l’autre côté, des autres montagnes qui sont aussi très hautes, mais cultivées jusqu’au sommet et couvertes de maisons et qui toutes ont un petit jardin et un petit bois. L’intervalle de ces montagnes est un grand chemin bordé des deux côtés par la rivière qui forme deux canaux très rapides lesquels coulent sur des roches formant des cascades naturelles[478].»
Il était de mode, à cette époque, pour un grand seigneur, d’amener avec soi quelques-uns de ses familiers aux stations balnéaires où l’on fréquentait: c’était une petite cour qu’on se formait pour se garantir de l’ennui. Les d’Aiguillon n’avaient voulu, en raison de leur deuil, qu’une «société très bornée». Ils avaient, parmi leur commensaux, deux dames que nous retrouverons bientôt au château d’Aiguillon,MMᵐᵉˢ Dubois de la Motte et de la Muzanchère, qui ne pouvaient vivre côte à côte sans se disputer. L’une d’elles, Mᵐᵉ Dubois de la Motte, semble une caricature: elle est «parée, ajustée, coiffée comme pour une fête, et très affligée d’avoir un aussi petit nombre d’admirateurs; il est vrai que les gens se moquent d’elle[479]». Mᵐᵉ d’Aiguillon est toujours sur le qui-vive avec ces deux femmes, «ne s’étant pas jetée dans le grand monde qui est très nombreux ici», d’autant qu’il s’y trouve des personnages peu faits pour donner bonne opinion des gens de Cour, «le prince de Salm et le duc de Mazarin qui vivent dans la plus mauvaise compagnie en tout genre[480]».
Comme le fait se présente fréquemment dans les villes d’eaux, d’Aiguillon avait subi une rechute pour avoir abusé des douches. Le médecin de Bagnères lui prescrivit de les cesser et lui défendit d’aller à Barèges. Le mieux s’accentua: «Je ne vous parle pas de ma santé, écrit la duchesse; elle ne peut être mauvaise quand M. d’Aiguillon se rétablit[481]».
Le duc était guéri et revint au commencement de septembre dans son château, ramenant Mᵐᵉ Dubois de la Motte, pour ne pas la laisser en présence de Mᵐᵉ de la Muzanchère restée à Bagnères[482].
Pendant leur cure, les d’Aiguillon s’étaient tenusassez éloignés du monde extérieur (comme souvent la Faculté le recommande à sa clientèle), pour n’être pas ressaisi par ces liens de toute nature dont il est si difficile de se détacher.
Un mois avant de partir, la duchesse avait encore commenté avec indignation le dénouement définitif de «l’incroyable et atroce affaire de M. de Richelieu, finie par un jugement tout aussi incroyable et aussi atroce. Rien ne prouve mieux la justice de sa cause que la peine que ces juges ont eue pour trouver une tournure pour le condamner aux dommages et aux frais. Enfin il en est quitte pour de l’argent; et c’est beaucoup qu’avec de telles gens l’honneur soit sauf[483]».
Aussitôt son retour, ce furent de nouvelles obligations mondaines qui vinrent la reprendre, le mariage d’une parente avec M. de Galibert «amoureux comme un roman... C’est encore un secret, mais qui ressemble à celui de la Comédie[484]». Elle s’occupait avec Mᵐᵉ de Flesselles et Mᵐᵉ de Caen de tous les achats de ce Galibert «qui se ruinerait, si elle n’y mettait bon ordre». Il fallait bien amuser «le grand châtelain», qui allait beaucoup mieux et qui daignait en convenir[485].
Lui, déclarait au chevalier de Balleroy qu’il ne voulait pas remettre les pieds à Paris. Son obstination irritait Maurepas qui obéissait évidemment aux directions de sa femme et ne voyait pas d’autre moyen pour d’Aiguillon de recouvrir sa pleine et entière liberté[486].Avait-il seulement fait part à son neveu de la démarche qu’il avait tentée, et vraisemblablement à l’instigation de la comtesse, auprès du futur empereur Joseph, de passage à Versailles, pour qu’il obtînt de sa sœur le retour du duc d’Aiguillon à la Cour? L’auguste visiteur ne s’y était pas engagé. D’autre part, Marie-Antoinette, très vivement sollicitée par les amis de Choiseul, se défendait de faire entrer le châtelain de Chanteloup dans le ministère: elle savait la répulsion de son mari pour Choiseul; mais le parti de cet homme d’Etat, qui entourait la reine, lui représentait qu’après la mort de Maurepas il n’y avait, pour le remplacer, que «deux sujets, le duc de Choiseul ou le duc d’Aiguillon». Et Mercy, qui raconte ces incidents au jour le jour dans une sorte de gazette adressée à Marie-Thérèse, de s’écrier: Idée neuve qui lui aura été suggérée par Coigny et par Esterhazy! En attendant il priait l’archiduc de signaler à sa sœur le piège qui s’ouvrait sous ses pas[487].
Dans une nouvelle lettre à Balleroy, d’Aiguillon se montrait cependant plus explicite. Il le priait de l’aider à détruire cette calomnie qu’il prétendait dicter au roi les conditions de son retour, en exigeant une réparation authentique des injures qu’il avait subies. Non: il rentrera simplement à Paris quand on lui permettra d’exercer les devoirs de sa charge; mais, ignorant les motifs de son exil, il attend que la vérité fasse connaître son innocence[488].
Or, au milieu des rêves d’ambition qu’il poursuivait, sous les apparences d’un renoncement inspiré par son orgueil, cet égoïste avait fini par constater que sa malheureuse femme se consumait de tristesse et de douleur. «L’état moral» de la duchesse, écrivait-il, reste toujours le même; et il redoutait que «cet absorbement continuel dans ses tristes ressouvenirs ne détruisît à la fin sa santé; et malheureusement rien ne peut la distraire quoi que je fasse». Il ne voyait donc pas que c’était au contraire sa femme qui s’était toujours sacrifiée et qui se sacrifiait encore pour le soigner et pour «le distraire[489]».
Programme de fêtes pour 1778.—Quelques invités et habitués.—Balleroy, toujours l’empressé commissionnaire.—Ferme et château.—Nouvelles du jour: mort de Jean-Jacques; procès du comte de Broglie, «le vilain petit homme»; les châtelains et la guerre des Insurgents.—Une lettre de d’Aiguillon à Mᵐᵉ Du Barry.—Autre année théâtrale; fêtes et bals.—D’Aiguillon donne également ses commissions à Balleroy.—Il fait le juge de paix au château.—Projets de mariage pour le comte d’Agénois.—Marie-Antoinette signifie de nouveau à Maurepas sa résolution de ne plus voir d’Aiguillon à la cour.
Programme de fêtes pour 1778.—Quelques invités et habitués.—Balleroy, toujours l’empressé commissionnaire.—Ferme et château.—Nouvelles du jour: mort de Jean-Jacques; procès du comte de Broglie, «le vilain petit homme»; les châtelains et la guerre des Insurgents.—Une lettre de d’Aiguillon à Mᵐᵉ Du Barry.—Autre année théâtrale; fêtes et bals.—D’Aiguillon donne également ses commissions à Balleroy.—Il fait le juge de paix au château.—Projets de mariage pour le comte d’Agénois.—Marie-Antoinette signifie de nouveau à Maurepas sa résolution de ne plus voir d’Aiguillon à la cour.
Le «Grand Châtelain», sincère ou non, se tient parole: il a dit un solennel adieu à la Cour et à la Ville, aux affaires et à la politique: il va s’enfermer un certain nombre d’années dans son domaine d’Aiguillon.
Sa femme, qui a compris le désarroi de cet homme, réduit à une «société bornée» après avoir vu ses salons regorger d’adulateurs, a su, par un sursaut d’énergie, sortir de son «absorbement» pour préparer, avec son entrain des jours heureux, des occupations et des plaisirs au maître, oisif et ennuyé, sevré aujourd’hui de ce qu’il appellera demain «les mouvements de la Cour».
Des invitations sont lancées, pour l’hiver de 1778, aux fidèles que n’effraie pas une villégiature en un si lointain pays. Et Balleroy, cet obligeant commissionnaire